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Fernande Saint-Martin

Fernande Saint-Martin, O.C., théoricienne des arts visuels, sémiologue, muséologue, écrivaine et critique d’art (née le 28 mars 1927 à Montréal, au Québec).

Fernande Saint-Martin, O.C., théoricienne des arts visuels, sémiologue, muséologue, écrivaine et critique d’art (née le 28 mars 1927 à Montréal, au Québec). Journaliste à La Presse, rédactrice en chef de la revue Châtelaine, elle a enseigné à l’Université Laval et à l’Université du Québec à Montréal.

Origines et formation

Fernande Saint-Martin est la fille d’Emelda Montbriand et de Théo Saint-Martin, médecin hygiéniste, et la petite-fille d’Albert Frédéric Saint-Martin (1865-1947), socialiste québécois fondateur de l’Université ouvrière. Elle fait ses études à l’Université de Montréal, où elle obtient un baccalauréat en sciences médiévales en 1947 puis un baccalauréat en philosophie en 1948. Poursuivant sa formation à l’Université McGill, elle y obtient un baccalauréat ès arts en études françaises en 1951 et une maîtrise en littérature française en 1952. En 1953, elle rencontre le peintre et dessinateur montréalais Guido Molinari (1933-2004), qu’elle épouse en 1958 et avec lequel elle fonde et anime, entre 1955 et 1957, l’éphémère mais importante galerie L’Actuelle, première galerie d’art canadienne consacrée à la peinture et à la sculpture non figuratives. En 1973, elle revient aux études et obtient un doctorat ès lettres de l’Université McGill avec une thèse portant sur l’univers de fiction chez Samuel Beckett.

Carrière

D’abord journaliste aux pages féminines de La Presse à partir de 1954, Fernande Saint-Martin entre à la revue Châtelaine en 1960. Elle devient alors rédactrice en chef de ce magazine à grand tirage et le reste jusqu’en 1972. Elle y publie notamment de la poésie et des textes sur l’art, une nouveauté à l’époque pour ce type de revue féminine. Directrice du Musée d’art contemporain de Montréal de 1972 à 1977, elle se tourne ensuite vers l’enseignement et la recherche universitaires. Elle enseigne d’abord à l’Université Laval puis, à partir de 1979, à l’Université du Québec à Montréal. Critique d’art et de poésie, elle collabore à de nombreuses publications de critique artistique, dont Vie des arts, Les Herbes rouges, Art International, artscanada, RACAR et Liberté. Elle participe en 1958 à la création de la revue d’idées et de débats Situations, qu’elle dirige avec Jacques Ferron. De 1990 à 1994, elle préside l’Association internationale de sémiotique visuelle.

Militantisme

Militante féministe dans les années 1950 et 1960, Fernande Saint-Martin s’est impliquée notamment dans le journalisme étudiant et syndical, dans la défense des femmes intellectuelles ainsi que dans la promotion de la contraception et de tous les acquis sociaux favorisant l’avancement de l’égalité des femmes dans la société.

De tous côtés les femmes ont protesté. Elles exigent qu’on leur reconnaisse une autorité conjointe sur les enfants. Elles réclament que la résidence conjugale soit fixée d’un commun accord entre les époux et non pas seulement par une décision personnelle du mari. Elles n’admettent pas l’insulte qui leur est faite de fournir au mari des pouvoirs unilatéraux en cas de mauvaise gestion ou de dissipation des biens de la communauté. Elles trouvent inadmissible de ne pouvoir autoriser une intervention chirurgicale sur la personne de l’un de leurs enfants mineurs que si leur mari est à l’étranger. Elles en ont assez de se promener le contrat de mariage sous le bras pour le moindre emprunt à la banque et demandent la séparation de biens comme régime matrimonial légal.

‒ Fernande Saint-Martin, « Un appel à tous les hommes », Châtelaine (mars 1964)

Elle est aussi l’une des 16 signataires de la Charte de la Fédération des femmes du Québec, une organisation féministe non confessionnelle fondée en 1966 par Thérèse Casgrain. Le féminisme, chez Fernande Saint-Martin, accompagne une vision progressiste globale de la société, de la communication et des arts. Son militantisme se traduit également par une infatigable promotion pratique, descriptive et théorique des courants artistiques contemporains, à une époque où l’art pieux et l’art figuratif, notamment en peinture et en sculpture, avaient pignon sur rue au Québec. Fernande Saint-Martin a ainsi grandement contribué à ouvrir le grand public québécois à une connaissance adéquate de ses artistes les plus progressistes et novateurs. Comme elle l’indique dans Structures de l’espace pictural (1968; réédition en 1989) : « Toute l’évolution de la peinture au Québec depuis 1940 peut être conçue comme une réflexion, extrêmement sensible et créatrice, sur les trajets pouvant mener à l’élaboration d’un nouveau concept spatial où seraient redéfinis la figuration, la perspective, ou l’espace naturel ainsi que les espaces abstraits. »

Héritage intellectuel

Théoricienne de l’art, muséologue et sémiologue, Fernande Saint-Martin s’insurge ouvertement contre ce qu’elle appelle la « jouissance distraite ». Elle juge qu’une œuvre d’art moderniste peut devenir pseudo-moderniste si on se contente de la regarder avec curiosité, sans chercher à comprendre tous les changements qu’elle apporte. Ses recherches approfondies sur l’art l’amènent à conclure qu’on ne peut plus s’en remettre inconditionnellement au sens univoque des modèles esthétiques de l’art figuratif conventionnel. « L’ambiguïté et le non-sens de l’objet esthétique sont analogues à ceux d’un objet naturel. Comme l’ont montré Dada et les objets trouvés, tout objet naturel peut devenir esthétique, s’il est perçu comme objet significatif, explicitant une expérience de l’espace. » (Structures de l’espace pictural)

Mobilisant largement Jean Piaget et Hermann Rorschach, elle produit plusieurs essais et articles sur la perception sensorielle des arts plastiques et le travail sur le langage en poésie moderne. Elle-même poétesse, elle écrit en vers libres pendant plus de 20 ans (1953-1975) une œuvre qui accompagne crucialement toute sa réflexion sur l’art moderne. « La poésie se propose de remettre en lumière et en action cette forme énergétique qui s’est emparée de certains sons, aux origines du langage verbal, pour les moduler, les relier et regrouper, les intensifier diversement dans des rythmiques souples, davantage aptes à rendre compte d’une appréhension du réel interdite aux autres instrumentations langagières. » (« De la parole à l’écriture », prologue à La fiction du réel, 1985). On lui doit aussi de solides analyses empiriques et théoriques de l’art pictural, présentées notamment dans l’ouvrage L’immersion dans l’art (2010).

Dans tous ses travaux, Fernande Saint-Martin approfondit les caractéristiques de la pensée averbale déclenchée par les explorations perceptuelles de l’art visuel et de l’art textuel contemporains. « L’une des sources des problèmes du langage, tels qu’ils se sont posés en France depuis Bergson, est la redécouverte d’une idée que les derniers siècles hautement intellectualisés avaient oubliée : à savoir qu’il existe une expérience non verbale du monde et que c’est la plus importante. » (La littérature et le non-verbal, 1958)

Colossale et articulée, l’œuvre théorique et descriptive de Fernande Saint-Martin souffre cependant parfois des effets de modes et de tics intellectuels associés aux propensions post-modernes en sciences humaines et sociales (sous l’influence de penseurs comme Jacques Lacan, Jacques Derrida et René Thom). En essayant de faire scientifique, elle associe fautivement certains concepts mathématiques. Ainsi, dans Les fondements topologiques de la peinture (1980), elle rapproche par exemple la topologie et la géométrie des espaces projectifs, deux branches des mathématiques n’ayant pas vraiment de rapport entre elles. De même, dans La littérature et le non-verbal et dans Structures de l’espace pictural, elle appelle le symbolisme des formes perceptuelles une « sémantique » sans vraiment distinguer cela de la (vraie) sémantique des langues naturelles, pourtant très différente dans son fonctionnement.

Principales publications

Essais

La littérature et le non-verbal : essai sur la langue (1958; réédition 1994)

La femme et la société cléricale (1967)

Structures de l’espace pictural (1968; réédition 1989)

Samuel Beckett et l’univers de la fiction (1976)

Les fondements topologiques de la peinture. Essai sur les modes de représentation de l’espace à l’origine de l’art enfantin et de l’art abstrait (1980; réédition 1989)

Sémiologie du langage visuel (1987)

La théorie de la Gestalt et l’art visuel. Essai sur les fondements de la sémiotique visuelle (1990)

Le sens du langage visuel. Essai de sémantique visuelle psychanalytique (2007)

L’immersion dans l’art. Comment donner sens aux œuvres de 7 artistes : le Maître de Flémalla, O. Leduc, Magritte, Mondrian, Lichtenstein, Rothko, Molinari (2010)

Poésie

La fiction du réel : poèmes 1953-1975 (1985)

Marouflée la langue, dessins et poèmes (1998)

Prix et distinctions

Membre de l’Académie des lettres du Québec (1974)

Membre de la Société royale du Canada (1982)

Officier de l’Ordre du Canada (1988)

Prix André-Laurendeau (sciences humaines), Association canadienne-française pour les sciences (1988)

Prix Molson (sciences humaines), Conseil des arts du Canada (1989)