William Arthur Scott Goss, photographe (né le 4 mars 1881 à London, en Ontario; décédé le 1er juin 1940 à Toronto, en Ontario). En tant que photographe officiel pour la Ville de Toronto de 1911 à 1940, Arthur Goss prend plus de 30 000 photographies qui documentent une période d’expansion rapide dans l’histoire de la ville. Ces photographies sont caractérisées par leur réalisme et leur maîtrise technique. Partisan du pictorialisme, courant dans lequel la photographie est utilisée à des fins artistiques, Arthur Goss entre en contact avec de nombreux artistes canadiens. Ses portraits avec flou artistique et ses paysages lui valent un succès critique tant au Canada qu’à l’étranger. Cependant, il est surtout connu pour sa documentation des conditions de vie précaires des immigrants de Toronto au début du XXe siècle.
Jeunesse et début de carrière
Bien qu’il naisse à London, en Ontario, Arthur Goss passe sa jeunesse à Cabbagetown, un district majoritairement ouvrier de l’est de Toronto. Son père, un journaliste, décède à un jeune âge en 1892. La même année, afin d’aider à subvenir aux besoins de sa famille, Arthur Goss se trouve un emploi comme commis de bureau pour les services d’ingénierie de la Ville de Toronto. À l’âge de 15 ans, il gagne un concours de photographie amateur; on ignore comment il acquiert ses connaissances. En 1911, il devient le premier chef photographe dans la toute nouvelle section de la photographie et des plans (Photography and Blue Print Section) du service des travaux publics de Toronto. Il a pour mandat de documenter les projets d’infrastructure de la ville et sa croissance urbaine. Au cours de ses 30 années de carrière, Goss documente, entre autres, la construction de la voie ferrée du Toronto Civic Railway (qui deviendra plus tard la Toronto Transit Commission ou TTC), du viaduc Prince Edward (désormais appelé le viaduc Bloor) et de l’usine de traitement d’eau R.C. Harris. Surtout, il capture pour le service de santé publique les conditions de vie précaires des immigrants et les répercussions de la pauvreté sur la santé et le bien-être des enfants dans les quartiers défavorisés de Toronto, comme St. John’s Ward.
Documentation de The Ward
En 1911, St. John’s Ward (aussi appelée The Ward) accueille des immigrants défavorisés depuis le XIXe siècle. Délimité approximativement par l’avenue University, la rue Yonge, la rue Queen et la rue College, ce quartier se compose en grande partie de logements insalubres, malgré quelques édifices notables, comme l’Osgoode Hall, l’ancien hôtel de ville, l’usine et entrepôt T. Eaton et le Toronto General Hospital (après 1909). Parmi les premiers immigrants qui s’y installent, on compte des Afro-Américains fuyant le long du chemin de fer clandestin, des Irlandais chassés par la Grande Famine et des Juifs provenant de l’Europe de l’Est. Ce quartier abrite également le premier quartier chinois de Toronto. Arthur Goss n’est pas le premier photographe à s’intéresser à The Ward. En effet, William James, un photographe britanno-canadien, commence quelques années plus tôt, soit en 1910 et en 1911, à réaliser des œuvres d’une précision et d’un style remarquables.
Les photographies prises par Arthur Goss de St. John’s Ward sont touchantes et uniques, en partie grâce au sentiment d’intimité qu’elles inspirent. L’artiste ne se contente pas de photographier des immeubles délabrés ou le quartier du haut des édifices : il s’intéresse aussi à ses habitants, surtout aux enfants, et prend leur portrait la plupart du temps dans leur foyer. Par exemple, dans sa photographie intitulée Rear of Centre Street Houses in Winter, 1912, le ciel est blafard et deux jeunes enfants emmitouflés se tiennent immobiles dans la neige sale, devant leur minuscule maison décrépite, entourée des cheminées noires des immeubles à proximité. Dans Slum Family, 1913, au moins six enfants, leur mère en train d’allaiter un bébé et ce qui pourrait être leur grand-mère sont entassés dans une cuisine étroite et encombrée. Finalement, dans Rear 21 Elizabeth Street, 1913, un jeune élève avec un livre sous le bras se trouve dans une ruelle où est éparpillé du vieux bois de construction endommagé. On peut y distinguer l’ancien hôtel de ville à l’arrière-plan.
Arthur Goss continue de documenter The Ward jusqu’à la fin des années 1930. Au milieu des années 1920, on tente de redévelopper cette zone : des quartiers sont expropriés et vendus en gros afin de permettre la construction de nouveaux hôtels, tours de bureaux et immeubles d’appartements. Néanmoins, en 1937, la dernière fois qu’Arthur Goss photographiera The Ward, des traces des taudis d’autrefois, qui existent à ce moment depuis plus de 100 ans, persistent encore. Cela est apparent dans Rear of 11 and 13 Chambers Street, 1937 : des toits faits de lambeaux de papier goudronné couvrent des maisons en bois branlantes et affaissées; au loin se dresse la tour de l’horloge de l’ancien hôtel de ville. The Ward ne disparaît complètement que dans les années 1960, époque à laquelle le quartier chinois s’établit sur l’avenue Spadina; les derniers édifices d’origine sont démolis et de nouveaux aménagements, comme l’hôtel de ville et Nathan Phillips Square sont réalisés.
Autres images
Bien que ses images de St. John’s Ward comptent parmi ses plus frappantes et mémorables, en partie parce qu’elles reflètent un moment marquant d’un héritage immigrant désormais disparu, Arthur Goss, à titre de photographe officiel pour Toronto, capture également différents aspects de la ville en pleine évolution. Il prend, par exemple, des perspectives stupéfiantes du viaduc Bloor lors de sa construction, de ses débuts chaotiques en 1915 aux ouvriers marchant parmi d’immenses poutres, de piles de bois et d’amas de gravier, en passant par des vues d’ouvriers suspendus le long du garde-corps en béton du pont presque achevé. En 1931, il prend des photographies presque lugubres des ouvriers travaillant à l’intérieur des égouts de Rosedale ainsi que des clichés du massif squelette de fer de l’usine de traitement d’eau R.C. Harris, dont la construction ne s’achèvera qu’en 1941. La vie culturelle et sociale de la ville est également immortalisée dans ses photographies. La plus connue est probablement celle du Groupe des sept, prise en 1920. Dans cette image monochrome à l’effet contrasté, doux et expressif, les sept peintres sont assis à la table de l’Arts and Letters Club. En 1935, il prend en photographie des enfants profitant d’une journée d’été à Leslie Beach. Au loin, le lac est rempli de nageurs. Ce cliché est un autre portrait acclamé représentant la vie quotidienne à Toronto.
Héritage
Bien qu’Arthur Goss travaille pour la Ville de Toronto et ne se considérerait ni comme un artiste ni comme un militant, ses meilleures œuvres sont comparées à celles des photographes documentaires les plus notables de l’époque, dont Jacob A. Riis et Lewis W. Hine, et ce, tout particulièrement quand il s’agit de la pauvreté qu’il a immortalisée à St. John’s Ward. Par ailleurs, Michael Ondaatje se sert des portraits de Goss représentant la classe ouvrière de Toronto du XXe siècle, facilement accessibles aux archives de la Ville, lors des recherches qu’il effectue pour son roman In the Skin of a Lion (1987; trad. La peau d’un lion). Le photographe apparaît même comme personnage dans cette œuvre de fiction. Dans une scène, l’auteur décrit Arthur Goss en train de photographier des ouvriers construisant un tunnel sous le lac Ontario. Ondaatje écrira : « Arthur Goss, photographe de la Ville, range pied et plaques. Il débranche le cordon de lumière qui crée une perspective à tunnel ouvert derrière les deux hommes. Traînant son matériel, il parcourt la cinquantaine de mètres qui le séparent de l’échelle, avant de remonter à la lumière du soleil » [traduction libre].