Grace Marks, personnage historique (née aux environs de 1828, à Ulster en Irlande [maintenant Irlande du Nord]; date et lieu de décès inconnus). Grace Marks est une domestique canadienne d’origine irlandaise. Elle et James McDermott sont déclarés coupables du meurtre de leur employeur, Thomas Kinnear, et de sa gouvernante, Nancy Montgomery, commis en 1843. Le procès de Grace Marks fait couler beaucoup d’encre dans les journaux de l’époque. Son histoire a également été racontée par Susanna Moodie, dans le livre Life in the Clearings (1853), ainsi que par Margaret Atwood, dans une pièce de théâtre, The Servant Girl (1974), et un roman, Alias Grace (1996; trad. Captive). Ce dernier a notamment été adapté en minisérie télévisée de la CBC par Sarah Polley. L’œuvre primée met en vedette Sarah Gadon dans le rôle de Grace Marks.
Un croquis de Grace Marks et James McDermott lors de leur procès pour meurtre à Toronto en 1843.
Jeunesse
Grace Marks naît en Irlande du Nord vers 1828. Elle est l’une des huit enfants de John Marks, qui travaille comme maçon en pierres. En 1840, lorsqu’elle a 12 ou 13 ans, sa famille et elle immigrent au Haut-Canada. Elle y décroche plusieurs emplois successifs en tant que domestique. En juillet 1843, elle est embauchée par Thomas Kinnear pour travailler dans sa demeure de Richmond Hill, dans le Canada-Ouest (aujourd’hui l’Ontario).
Affaire Kinnear
Thomas Kinnear est alors un fermier canadien écossais de la classe supérieure (voir Classes sociales) vivant sur la rue Yonge, juste au nord de Richmond Hill. Il y vit seul avec sa gouvernante, Nancy Montgomery. Un témoignage raconte qu’« ils n’étaient pas aussi près l’un de l’autre que des membres d’une même famille, mais leur relation dépassait de loin la simple courtoisie », laissant ainsi sous-entendre qu’ils entretenaient une relation de nature romantique. Fin juin 1843, Nancy Montgomery embauche comme domestique James McDermott, un Irlandais catholique de 20 ans. Environ une semaine plus tard, la jeune Grace Marks, alors âgée de 16 ans, rejoint elle aussi leurs rangs en tant que domestique.
Les deux nouveaux employés travaillent environ trois semaines dans la résidence de Thomas Kinnear avant que ne survienne le double meurtre. Le 29 juillet, Nancy Montgomery reçoit un coup de hache à la tête et est étranglée alors que Thomas Kinnear reçoit une balle en pleine poitrine. Une autopsie révèle plus tard que la gouvernante était enceinte. James McDermott et Grace Marks s’emparent de la charrette et des objets de valeur de leur employeur, puis prennent la fuite vers Toronto, où ils montent à bord d’un bateau à vapeur se dirigeant à Lewiston, dans l’État de New York. Toutefois, les fugitifs sont retrouvés dans une taverne au bord de l’eau puis ramenés à Toronto. Les deux criminels sont ensuite jugés séparément, le 3 et le 4 novembre 1843, pour le meurtre de Thomas Kinnear.
La maison de Thomas Kinnear à Richmond Hill.
Procès
Les procès de Grace Marks et de James McDermott en novembre 1843 font sensation dans les médias et les procédures judiciaires sont décrites dans des journaux partout au Canada. La chercheuse Susan E. Houston remarque : « Le décès du riche gentilhomme écossais célibataire et de sa gouvernante a causé beaucoup d’émoi : au-delà de la fascination pour les détails de meurtre sordides, on y ajoutait un soupçon d’inconduite sexuelle. » À un moment donné, tellement de personnes s’entassent dans la salle d’audience que l’on craint que le plancher ne s’effondre.
Dans leur témoignage écrit, James McDermott et Grace Marks racontent des versions contradictoires des événements; les deux blâment l’autre d’être l’instigateur des meurtres. Tandis que l’homme affirme que sa complice a d’abord étranglé la gouvernante, la jeune femme raconte plutôt qu’il l’a menacée pour avoir son aide. James McDermott déclare que la gouvernante avait renvoyé Grace Marks, mais cette dernière avance que c’est plutôt lui qui a reçu un avis de licenciement pour un travail mal fait.
Les articles de journaux et l’opinion publique sont divisés. Certains perçoivent l’adolescente comme une femme fatale et d’autres comme une enfant naïve prise dans les filets de M. McDermott. Dans son témoignage, elle affirme que l’homme a tenté de la tuer d’une balle. Une balle perdue a d’ailleurs été retrouvée dans l’embrasure d’une porte. Toutefois, certains affirment qu’elle s’est présentée en cour portant les anciens vêtements de Nancy Montgomery, jetant ainsi le doute sur son innocence.
Les stéréotypes de genre de l’ère victorienne jouent un rôle important dans l’issue du procès. (Voir aussi Histoire des rôles de genre au Canada.) Tandis que les deux jeunes adultes sont déclarés coupables et condamnés à mort pour le meurtre de Thomas Kinnear (un procès pour celui de Nancy Montgomery est considéré comme redondant), la peine de Grace Marks est plus tard changée en emprisonnement à vie.
Peine de prison et fin de vie
Grace Marks purge sa peine au pénitencier de Kingston du 19 novembre 1843 au 7 août 1872. Elle passe également un court moment à l’asile d’aliénés provincial (aujourd’hui le Centre de toxicomanie et de santé mentale), de 1852 à 1853. Au total, elle passera près de 29 ans en prison avant d’être graciée. Lorsque, dans le cadre des « questions de libération », on lui demande la cause de son crime, Grace Marks répond : « Avoir été embauchée dans la même maison qu’un être mauvais. » Après sa libération, elle déménage dans l’État de New York et on ne trouvera plus aucune autre trace d’elle dans les documents historiques.
Culture populaire
Presque tout ce qui est connu de Grace Marks provient des propos de Susanna Moodie sur la « célèbre meurtrière », publiés en 1853 dans son livre Life in the Clearings. (Voir aussi Roughing It in the Bush; The Journals of Susanna Moodie.) Elle y raconte d’abord ce qu’elle se rappelle des événements, puis décrit une Grace Marks « triste et humble » qui purge une peine de prison à perpétuité, hantée par les « yeux injectés de sang » de Nancy Montgomery. Lorsque l’auteure croise à nouveau la jeune fille, lors d’une visite à l’asile, son opinion d’elle est plutôt différente et elle la décrit désormais comme « plus du tout triste et désespérée, mais animée par le feu de la démence et dégageant une joie de vivre hideuse et démoniaque. »
Pendant de nombreuses années, les historiens débattent quant à l’exactitude de la version romancée de Susanna Moodie. (Dans son livre History of Toronto and County of York, Ontario, publié en 1885, Charles P. Mulvany qualifie les propos de l’auteure d’« effusion hystérique » et affirme qu’elle « dérape complètement » par rapport aux faits.) Margaret Atwood découvre le livre de Susanna Moodie pendant ses études à l’Université Harvard, et c’est alors que l’histoire de Grace Marks pique sa curiosité. Inspirée par le livre, elle écrit une pièce de théâtre intitulée The Servant Girl (1974). Toutefois, insatisfaite de la version des faits de Susanna Moodie, elle décide de creuser l’affaire davantage. Ses recherches la mènent finalement à écrire un roman de fiction historique publié en 1996, Captive, dans lequel le portrait dressé par SusannaMoodie, celui de la « folle qui délire », est remis en question.
En 2017, la CBC et Netflix produisent une minisérie de six épisodes basée sur le roman de Margaret Atwood. Celle-ci met en vedette Sarah Gadon dans le rôle de Grace Marks, Paul Gross dans celui de Thomas Kinnear et Anna Paquin dans celui de Nancy Montgomery. L’émission est écrite et produite par l’artiste Sarah Polley, qui rêve d’adapter le roman depuis sa première lecture à 17 ans. La série remporte six prix Écrans canadiens, notamment ceux de la meilleure série limitée et de la meilleure actrice dans un rôle principal dans une série limitée.