Gratte-ciel
Les gratte-ciel sont les points d'exclamation de nos villes. Ils marquent les points de convergence de la vie urbaine tels que les temples de la finance, les services et les lieux de rencontre. Ces manifestations verticales de l'audace architecturale et du savoir-faire des ingénieurs peuvent d'emblée symboliser une cité et écraser une rue. Certains sont magnifiques, d'autres banals, et leur image finit par symboliser le XXe siècle, particulièrement en Amérique du Nord.En fait, un gratte-ciel est un édifice d'une hauteur très supérieure à la moyenne comprenant de nombreux étages utilisables et une charpente autoportante. Il n'y a pas de hauteur déterminée à partir de laquelle les édifices méritent ce qualificatif, mais ceux ayant moins de 40 m (130 pi) de haut ou moins de 10 étages ne sont traditionnellement pas considérés comme des gratte-ciel. L'ajout d'étages utilisables, rendu possible par le perfectionnement de l'ascenseur dans les années 1850, distingue des édifices ordinaires les gratte-ciel tels que la TOUR DU CN à Toronto, la plus haute structure autoportante en Amérique du Nord, avec une hauteur de 553 m (1815 pi). Une structure faite d'acier ou de béton armé remplace les murs de soutènement massifs qui seraient autrement nécessaires pour supporter le poids de ces édifices élevés. Un recouvrement relativement mince fixé à la structure donne au gratte-ciel son apparence extérieure. Avant la Deuxième Guerre mondiale, les architectes optaient pour la brique et la terre cuite. Par la suite, ils ont commencé à utiliser le verre, l'aluminium, le béton préfabriqué et un mince parement de pierre.
Cap sur les nuages
L'édifice de la compagnie d'assurances Equitable Life, à New York, d'une altitude de 40 m (130 pi), terminé en 1870, est le premier bâtiment beaucoup plus haut que la moyenne, comportant des étages utilisables et une charpente autoportante. Mais selon certains, le premier vrai gratte-ciel serait plutôt l'immeuble de la compagnie d'assurances Home Life, à Chicago, d'une hauteur de 55 m (180 pi), terminé en 1885. Les gratte-ciel, inventés par les Américains, sont le fruit du progrès technologique, et la hausse du prix des terrains au centre-ville en fait une solution rentable, d'autant plus qu'une volonté accrue de prestige les rend plus attrayants. Vers la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, la course au sommet est bien engagée. Les gratte-ciel atteignent près de 80 m (260 pi) vers 1875, de 122 m (400 pi) en 1899, de 244 m (800 pi) en 1913 et enfin 381 m (1250 pi) en 1931, avec la construction de l'Empire State Building à New York, qui conserve son titre de plus haut édifice au monde jusqu'à l'inauguration, en 1973, de la Sears Tower à Chicago, d'une altitude de 442 m (1450 pi). En 1996, les tours jumelles Petronas à Kuala Lumpur, en Malaisie, qui culminent à 452 m (1483 pi), lui ravissent le titre, mais elles sont à leur tour détrônées. En 2004, le Taipei 100, à Taïwan, est le gratte-ciel le plus haut au monde avec ses 509 m (1670 pi), mais la tour Burj Dubai, qui est en construction aux Émirats arabes unis, le dépasse en 2007 et devrait dépasser les 800 m (2600 pi).Avant la Deuxième Guerre mondiale
Au Canada, l'ère des gratte-ciel débute avec la construction (1887-1889), à Montréal, de l'immeuble de la compagnie d'assurances New York Life du Canada, qui compte huit étages. Il ne s'agit pas réellement d'un gratte-ciel, puisqu'il présente des murs porteurs massifs en maçonnerie d'un mètre d'épaisseur à la base au lieu d'une charpente métallique. Le grand magasin de six étages de Robert SIMPSON à Toronto, qui « domine l'intersection des rues Yonge et Queen », d'après la description de la revue Canadian Architect and Builder au moment de son inauguration en 1895, se distingue par une charpente en acier autoportante, des ascenseurs et une hauteur supérieure à la moyenne, ce qui lui permet de revendiquer le titre de premier vrai gratte-ciel au Canada (voir BURKE, HORWOOD AND WHITE).Toutefois, c'est l'honneur de construire le plus haut édifice de l'Empire britannique qui déclenche l'ascension vers les nuages dans l'ensemble du pays. En 1905, la ville de Toronto se lance dans cette course chèrement disputée avec l'édifice de 15 étages de la Traders Bank of Canada, rue Yonge. L'immeuble Dominion, de 13 étages et de 45 m (148 pi) de haut, terminé en 1910, permet à la ville de Vancouver de ravir la couronne à Toronto, titre qu'elle conservera avec la construction, en 1912, de la tour de 17 étages et de 81 m (265 pi) de la World (Sun) Tower. Un an plus tard, Toronto reprend la tête grâce à l'édifice de 16 étages du Canadien Pacifique, puis, en 1915, la Banque Royale emménage de l'autre côté de la rue dans un nouvel immeuble de 20 étages et d'une hauteur de 91 m (300 pi), nouveau record canadien. Malgré ses propres règlements de zonage qui restreignent la hauteur permise, Montréal s'empare de la couronne en 1928, au moment de l'inauguration de l'immeuble de 119 m (392 pi) de la Banque Royale, mais la perd l'année suivante lorsque le Royal York Hotel (voir SPROATT AND ROLPH) à Toronto, d'une hauteur de 120 m (395 pi), dépasse le plafond fixé par les règlements municipaux. L'inauguration, en 1931, de l'édifice de 34 étages et de 141 m (464 pi) appartenant à la Banque Canadienne Impériale de Commerce, situé non loin de là, demeure le point culminant au Canada durant un quart de siècle.
Après la Deuxième Guerre mondiale
Une deuxième vague de construction en hauteur s'engage au Canada dans le sillage de la prospérité retrouvée après la Deuxième Guerre mondiale. Après un règne sans rival de 31 ans, la tour de la Banque Canadienne Impériale de Commerce à Toronto cède enfin l'honneur d'être « l'édifice le plus élevé du Commonwealth » à la PLACE VILLE-MARIE de Montréal. D'une hauteur de 192 m (630 pi), ce dernier est le plus grand complexe de bureaux au monde pour ce qui est de la superficie au moment de sa construction en 1962 (voir ARCOP). Cinq ans plus tard, Toronto récupère son titre. Le record passe de la tour de la Banque Toronto Dominion, 223 m (731 pi), à la série d'édifices bancaires de Commerce Court West, qui culminent à 239 m (784 pi). En 1998, le plus haut gratte-ciel du Canada, qui occupe le 36e rang mondial, est l'édifice de 72 étages et de 298 m (978 pi) de la First Canadian Place (maintenant la First Bank Tower) à Toronto, terminé en 1975. Au Canada, on compte environ 42 gratte-ciel qui dépassent 145 m (475 pi), la plupart situés à Toronto, à Montréal et à Calgary. Jusqu'en 1997, à Vancouver, on n'avait pas le droit de construire des édifices plus hauts que 137 m (450 pi).Style
Durant plusieurs décennies, les architectes recherchent un style approprié. Dans le cas des premiers édifices en hauteur, les concepteurs jonglent avec les modèles architecturaux en vogue à l'époque et mêlent, dans un dosage sans précédent, les styles romantique, Second Empire, à l'italienne, gothique et même château, comme dans le cas de l'édifice de la Confederation Life à Toronto (1890-1891), garni de tourelles et de créneaux, avant de fixer leur choix sur des compositions obéissant à un schème classique qui comprend une base ou basilaire, un fût et un chapiteau. Durant la première phase, cette structure tripartite s'applique à des dizaines de gratte-ciel au Canada, y compris à l'édifice de 11 étages de l'Union Bank of Canada (maintenant la Royal Tower) à Winnipeg (1903-1904), à l'immeuble de 10 étages McCallum Hill à Regina (1912-1914, démoli en 1982) et l'édifice massif de 24 étages, à Montréal, de la Sun Life du Canada, Compagnie d'assurance-vie (1914-1931), un bijou.Après la Première Guerre mondiale, les architectes rompent délibérément avec les traditions et les représentations d'une autre époque et les remplacent par de nouvelles façons de les envisager. Par exemple, les architectes de l'édifice Aldred à Montréal (1929-1931) s'inscrivant dans un courant qui va à l'encontre des goûts anciens et du style art déco et mettent en évidence sa hauteur de 96 m (316 pi) en disposant les fenêtres en bandes verticales continues et en étageant graduellement les blocs de plusieurs étages en retrait au fur et à mesure que la tour s'élève. Dans un style moins osé, mais plus représentatif du courant en vogue au Canada, l'immeuble torontois de la Banque Canadienne Impériale de Commerce (1929-1931) se caractérise lui aussi par des murs en retrait et des bandes de fenêtres verticales, mais les détails de l'ornementation s'inspirent des arches et des ciselures romantiques. Le Marine Building de Vancouver (1929-1930), d'une hauteur de 22 étages, est l'un des gratte-ciel les plus originaux de cette époque : chacun des murs des blocs en retrait est recouvert de terre cuite blanche, qui rappelle les montagnes au sommet enneigé tout près, sur la rive nord.
Même si les tours avec étages en retrait perdurent au Canada jusque dans les années 1950, l'humeur d'après-guerre, axée sur l'avenir, entraîne un changement de cap radical sur le plan esthétique. Le prototype est le Seagram Building à New York (1954-1958), construit sous la direction de Phyllis LAMBERT pour le compte de la multinationale canadienne de Joseph E. SEAGRAM et fils (voir COMPAGNIE SEAGRAM LIMITÉE, LA), qui marque l'apparition des édifices commerciaux élégants, dans une veine minimaliste à murs rideaux, dans le domaine des affaires en Amérique du Nord. Ce style révolutionne l'aspect des gratte-ciel en ramenant la paroi extérieure à une couche de panneaux en verre immenses maintenus en place par une grille de fine membrure métallique. Le mur rideau en verre fait son apparition au Canada à l'hôtel de ville d'Oshawa (1953) et produit un maximum d'effet avec l'élégant immeuble de 22 étages de la B.C. Electric (maintenant la tour Electra) à Vancouver (1955-1957) (voir THOMPSON, BERWICK, PRATT AND PARTNERS). Les conceptions minimalistes gagnent en popularité durant une période où le Canada jouit d'une grande prospérité, et de nombreuses tours modernes s'élèvent des esplanades dans les villes.
Ce style rationnel et réservé, d'une simplicité basée sur le principe selon lequel « le minimum est l'optimum », trouve sa meilleure illustration dans la tour de la Banque Toronto Dominion à Toronto (1964-1967), quoique sa monotonie terne et répétitive entraînera bientôt sa disparition. En réaction, les architectes commencent à scinder les rectangles lisses caractéristiques des années 1950 et 1960 et conçoivent, à la place, des tours à facettes multiples, comme celle de la Banque Royale (1972-1976) à Toronto ou le Petro-Canada Centre à Calgary (taillé en biseau, 1979-1984), afin de les individualiser. Le XXe siècle prend fin par une résurgence du romantisme prémoderniste. Par exemple, à Toronto, la tour Canada Trust à retraits multiples (1987-1990) et, à Montréal, la Tour du 1000 de la Gauchetière (1988-1992) aux toits à pignons s'inspirent toutes deux largement des nuances esthétiques caractérisant les gratte-ciel distinctifs des débuts du XXe siècle.
Structures
Dans le cas des édifices en hauteur, les ingénieurs ont à relever des défis évidents : réduire le poids global de façon à ce que les édifices ne s'enfoncent pas trop, accroître au maximum la capacité de résistance aux vents violents afin que les ascenseurs ne bloquent pas et que les vitres ne se brisent pas et faire circuler les gens et les marchandises de bas en haut, et vice versa, sans pour autant sacrifier trop d'espace, et ce, en respectant les limites budgétaires. Diverses solutions ont été trouvées. Les premiers gratte-ciel font appel à une charpente en acier semi-rigide dans laquelle on boulonne ou rivette ensemble des montants d'acier. La hauteur se limite à 10 ou 15 étages environ, car au-dessus de ce niveau, les vents forts risquent de déformer l'édifice flexible. Puis, dans les années 1930, on parvient à augmenter la hauteur jusqu'à plus d'une quarantaine d'étages grâce à des charpentes en acier fixées par des raccords rigides. L'ajout d'armatures de cisaillement verticales au cœur du bâtiment et d'armatures horizontales entourant le périmètre permet de monter à 60 étages ou même plus.La technique consistant à mettre un ensemble de colonnes et de poutres interreliées, en acier ou en béton, de manière à former un « cylindre » très solide fait que les gratte-ciel postérieurs à la Deuxième Guerre mondiale peuvent grimper jusqu'à une centaine d'étages. Durant les années 1960, des armatures entrecroisées à l'extérieur viennent renforcer le cylindre rigide. En groupant plusieurs cylindres, comme dans le cas de la Sears Tower, on repousse la hauteur limite bien au-delà des 100 étages. À présent, on expérimente des structures de « super armatures » formées de tubes rigides empilés les uns par-dessus les autres et de « super colonnes » extrêmement robustes formant les angles de l'édifice. Des chercheurs mettent au point d'autres techniques pour remplacer les structures rigides. Notamment, l'utilisation d'un contrepoids pendulaire à l'intérieur pour atténuer les oscillations semble assez prometteuse. L'ajout d'étages amène un problème supplémentaire, soit la nécessité d'installer un plus grand nombre d'ascenseurs, d'où un gaspillage d'espace utile. Pour remédier à ce problème, on invente, entre autres, un ascenseur à double plancher, c'est-à-dire deux cabines superposées permettant de transporter un plus grand nombre de gens par cage d'ascenseur. L'édifice First Canadian Place à Toronto comporte un modèle expérimental de ce type d'ascenseur.
Problèmes contemporains
L'ère des gratte-ciel tire peut-être à sa fin étant donné que, grâce aux progrès des télécommunications, il est de moins en moins nécessaire de rassembler une foule de gens au même endroit. Les téléphones, les télécopieurs et le courrier électronique sont en train de remplacer les édifices en hauteur comme moyen de rassemblement pour les entreprises nord-américaines. Durant les années 1980, les 10 plus hauts gratte-ciel du monde se trouvaient dans trois villes américaines. Une décennie plus tard, on en trouve 8 sur 10 en Extrême-Orient, et aucun nouveau prétendant n'est en vue en Amérique du Nord. C'est probablement en Asie ou au Moyen-Orient que sera atteint le prochain objectif, un gratte-ciel de 1000 m d'altitude. Désormais, la plupart du temps, on ne construit plus d'édifices en hauteur pour des motifs fonctionnels ou des considérations financières, mais plutôt pour s'afficher et se donner du prestige. Parallèlement, beaucoup de gratte-ciel vieillissants ont atteint leur limite de longévité. Les ingénieurs et les architectes qui les ont conçus, il y a à peine une génération ou deux, doivent relever un nouveau défi, c'est-à-dire rendre plus fonctionnels des édifices où l'énergie est gaspillée et qui ne répondent plus aux attentes. Au Canada, quelques vieilles tours de bureaux ont été transformées à des fins résidentielles et, dans d'autres cas, on a enlevé la charpente pour la reconstruire selon les normes actuelles. Cela soulève la question à savoir si la formule de CONSERVATION DU PATRIMOINE convient à des gratte-ciel marquants conçus pour ne durer qu'un temps.Voir aussi GRATTE-CIELS : TABLE.