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Gwaii Haanas

Avec une superficie de 1 470 km2, la réserve de parc national, la réserve d’aire marine nationale de conservation et le site du patrimoine haïda – collectivement baptisés Gwaii Haanas – couvrent 15 % de la surface de Haida Gwaii.

Avec une superficie de 1 470 km2, la réserve de parc national, la réserve d’aire marine nationale de conservation et le site du patrimoine haïda – collectivement baptisés Gwaii Haanas – couvrent 15 % de la surface de Haida Gwaii – un groupe d’îles au large du littoral de la Colombie-Britannique, territoire ancestral des Haïdas. Gwaii Haanas englobe plus de 138 des quelque 150 îles qui forment Haida Gwaii (temporairement connues sous le nom d’îles de la Reine-Charlotte). En haïda, Gwaii Haanas signifie « îles de beauté ».

Survol

Mâts totémiques dans le village de Nang Sdins Llnagaay sur l'île SGang Gwaay, Gwaii Haanas, le 16 août 2013.
Mât totémique dans le village de Nang Sdins Llnagaay sur l'île SGang Gwaay, Gwaii Haanas, le 8 juillet 2007.

Gwaii Haanas contient 500 sites répertoriés du patrimoine haïda. Le village de Nang Sdins Llnagaay (Ninstins) sur SGang Gwaay (l’île Anthony) est par exemple un site du patrimoine mondial désigné par l’UNESCO. Les pôles totémiques et les éléments architecturaux que ce site abrite encore offrent une fascinante fenêtre sur la culture héritée des ancêtres haïdas. Seule région au monde à être protégée du sommet des montagnes au fond de l’océan, Gwaii Haanas abrite une vie marine abondante et une forêt pluviale tempérée composée de pruches, d’épinettes et de thuyas. Seulement accessible par bateau ou par avion, la région attire les kayakistes, les plaisanciers, les plongeurs, les randonneurs et les spécialistes d’un grand nombre de disciplines scientifiques.

Le succès des Haïdas, qui sont parvenus à protéger Gwaii Haanas contre les intérêts industriels, est souvent cité pour illustrer comment les Autochtones peuvent faire appel à la désobéissance civile pour faire respecter leurs droits et leur titre de propriété. C’est grâce à cet activisme que les îles ont acquis une importance historique sur la scène mondiale. Aujourd’hui, le Conseil de la Nation haïda et le gouvernement du Canada collaborent à un régime de gestion qui est reconnu à l’échelle internationale.

Flore et faune

Vue du chenal Houston Stewart, entre les \u00eeles Moresby et Kunghit, Gwaii Haanas, le 16 ao\u00fbt 2013.

Les forêts tempérées, les prairies alpines et les habitats marins rocailleux de Gwaii Haanas abritent une riche collection de champignons, de plantes et d’animaux.

Organismes aquatiques

Roquerie d'otaries de Steller, Gwaii Haanas, Colombie-Britannique.
Une orque saute hors de l'eau sur la côte ouest du Canada.
Dauphins à flancs blancs du Pacifique.

Les eaux riches qui entourent Gwaii Haanas abritent d’importantes populations d’otaries de Steller et d’otariesà fourrure du Nord. Les phoques et les otaries se nourrissent de calmars et de harengs. Parmi les autres mammifères présents dans la région, on peut citer les éléphants de mer et 20 espèces de cétacés, notamment plusieurs baleinesmigratrices (baleine grise, rorqual à bosse, rorqual boréal, rorqual commun, petit rorqual et rorqual bleu), les marsouinscommuns, les marsouins de Dall et les dauphins à flancs blancs du Pacifique. Plusieurs populations d’orques chassent dans la région, au sommet de la chaîne alimentaire. Les loutres de mer sont toujours considérées « disparues » dans la région (mais présentes ailleurs). Des individus et des couples ont cependant été récemment observés dans Gwaii Haanas.

Les lacs de Gwaii Haanas abritent un certain nombre de sous-espèces d’épinoches spécifiquement adaptées à la vie dans les lacs qu’elles fréquentent, un phénomène qui a attiré l’attention de plusieurs spécialistes de l’évolution.

Au milieu du XXe siècle, les acteurs de la pêche commerciale du saumon déclarent les requins-pèlerins « nuisibles », prétendant qu’ils sont néfastes pour leur industrie. Entre 1955 et 1969, la Garde côtière et le ministère des Pêches et des Océans se lancent dans un programme d’éradication qui se solde par un déclin massif de l’effectif des requins-pèlerins le long de la côte du Pacifique. Aujourd’hui, les effectifs de cette espèce se rétablissent et on observe parfois ces requins chercher refuge dans les eaux de Gwaii Haanas.

Oiseaux

Cormoran pélagique.
Macareux huppé.
Faucon pèlerin.

Gwaii Haanas est une région importante d’alimentation, de reproduction, de repos et de nidification pour plus de 200 espèces d’oiseaux. De mai à août, Gwaii Haanas abrite près de 750 000 oiseaux de mer nicheurs, notamment des bécasseaux, des oies, des guillemots, des pétrels, des cormorans, des goélands, des stariques et des puffins, ainsi que des concentrations relativement élevées de pygargues à tête blancheet de faucons pèlerins. Les durbecs des sapins, les bruants chanteurs (Melospiza melodia rufina), les petites nyctales, les pics chevelus et les geais de Steller sont des sous-espèces endémiques, tandis que les faisans de Colchide, les moineaux domestiques et les étourneaux sansonnets ont été introduits. De nombreux oiseaux qui nichent dans des terriers, tels que le Guillemot à cou blanc, le Macareux rhinocéros, le Macareux huppé, le Macareux cornu, le Starique de Cassin, l’Océanite cul-blanc et l’Océanite à queue fourchue ont vu leurs effectifs dégringoler à la suite de l’introduction de prédateurs tels que les ratons laveurs et les rats.

Mammifères

Ours noir de Haida Gwaii, Gwaii Hanaas, Colombie-Britannique. Photo prise le 16 septembre 2013.

Les mammifères terrestres indigènes comprennent la musaraigne sombre et la loutre de rivière ainsi que quatre espèces de chauves-souris: la chauve-souris de Keen, la petite chauve-souris brune, le vespertilion de Californie et la chauve-souris argentée. Le phénomène d’isolation a créé au moins 39 sous-espèces animales endémiques, notamment l’ours noirde Haïda Gwaii (Ursus americanus carlottae), spécialisé dans la mastication de coquillages grâce à des mâchoires plus grosses et plus puissantes que celles de ses cousins du continent. La marte des pins, l’herminehaidarum et la souris de Ken sont aussi des sous-espèces endémiques. Les mammifères introduits comprennent la souris commune, le rat noir, le rat brun ou surmulot, l’écureuil roux, le raton laveur, le castor, le rat musqué, le cerf de Sitka, le cerf élaphe et le wapiti des montagnes Rocheuses. Le caribou de Dawson, autrefois endémique, a disparu entre les années 1920 et les années 1930.

Amphibiens

Le crapaud de l’Ouest est le seul amphibien indigène de Gwaii Haanas. Il a été rejoint par deux espèces de grenouilles introduites : la rainette du Pacifique et la grenouille à pattes rouges.

Végétaux et champignons

La crique Sedmond, Gwaii Haanas, 15 ao\u00fbt 2013.

Gwaii Haanas abrite 657 plantes vasculaires indigènes, dont 34 sont rares et 10 sont endémiques. Les activités humaines ont entraîné l’introduction de 143 espèces supplémentaires, dont plusieurs sont invasives. La région abrite aussi plus de 600 espèces de champignons.

Histoire naturelle

Un grand nombre de fossiles montrent qu’il y a quelque 359 millions d’années, une grande partie de Gwaii Haanas faisait partie d’un riche milieu marin. Avec le temps, l’activité tectonique a fait remonter ces sols marins qui reposent aujourd’hui bien au-dessus du niveau de la mer. Durant une période située entre 230 et 225 millions d’années avant notre ère, de violents soulèvements d’origine volcanique ont transformé les coulées de lave sous-marines en basalte (roche sombre à grains fins). Depuis, d’autres activités géologiques ont créé des formations volcaniques et des couches sédimentaires, notamment des piles de lave en coussin (monceaux de roches basaltiques arrondies et protubérantes). L’évolution géologique de Gwaii Haanas continue aujourd’hui le long de la côte ouest où des failles actives participent à l’activité tectonique continue.

Durant la plus grande partie de la dernière période glaciaire (qui s’étend d’il y a 100 000 à 10 000 ans), Haida Gwaii fait partie d’une chaîne de montagnes reliée au continent de l’Amérique du Nord par une plaine de faible altitude qui reste émergée parce que le niveau de la mer est alors relativement bas. Durant cette période, la plus grande partie de l’Amérique du Nord est recouverte de glace. Des zones de Haida Gwaii sont cependant épargnées par les glaciers et des champignons, des plantes et des animaux peuvent y survivre. La présence de spores de champignons coprophiles (qui se nourrissent exclusivement ou préférentiellement d’excréments animaux) dans les couches de fossiles excavées au cap Ball indique que de gros mammifères vivant en troupeau, tels que des mammouths, des bisons, des caribous et des mastodontes, fréquentaient probablement cette plaine il y a environ 57 000 ans.

La hausse des températures moyennes au niveau mondial a entraîné la fonte des glaces recouvrant Gwaii Haanas à partir de 14 000 ans avant notre ère et la montée du niveau de la mer a recouvert la plaine et créé le détroit d’Hécate. Le détroit a isolé les îles de Haida Gwaii, ainsi que les plantes, les animaux et les champignons qu’elles abritaient de ce qu’on appelle aujourd’hui la Colombie-Britannique, ce qui explique le nombre important de sous-espèces endémiques, disjointes et de taille anormalement élevée qui vivent aujourd’hui sur les îles.

Histoire humaine

M\u00e2ts totémiques dans le village de Nang Sdins Llnagaay sur l'\u00eele SGang Gwaay, Gwaii Haanas. Le village est un site du patrimoine mondial de l'UNESCO.

L’histoire orale haïda indique que les Haïdas occupaient Gwaii Haanas au moins 14 000 ans avant notre ère. Cette tradition orale s’accorde avec la découverte archéologique, en 2014, de ce qui pourrait être le plus vieux village connu au Canada, près de Gwaay Guusdagang (« pierre toute seule »), à proximité du cœur de Gwaii Haanas. Remontant à 13 800 ans, cet ancien camp, possiblement de pêche, repose aujourd’hui profondément sous la surface de l’océan.

Le littoral de Gwaii Haanas est tapissé de sites ancestraux haïdas du même type. Ces anciens camps, forts et villages mettent en lumière l’amplitude des transformations géologiques que les ancêtres haïdas ont traversées. Ces transformations trouvent leurs parallèles dans les récits haïdas relatant les inondations, le mouvement des glaciers et la modification du niveau de la mer.

À partir de 1647, les visiteurs européens introduisent diverses maladies qui vont entraîner des épidémies dans Gwaii Haanas. Plus particulièrement, l’épidémie de variole de 1862 fera passer la population haïda d’entre 30 000 et 60 000 personnes à moins de 600 individus. Ce désastre a rendu les gens de Gwaii Haanas particulièrement vulnérables au colonialisme et à l’industrialisation. Alors que la colonisation européenne se poursuit au cours des XIXe et XXe siècles, des politiques relevant du génocide culturel – s’appuyant notamment sur la Loi sur les Indiens, l’interdiction des potlatchs et la mise en place des pensionnats – permettent de rendre illégaux la langue et le système de croyance des Haïdas ainsi que de restreindre leur liberté d’expression et leurs déplacements.

Au début des années 1960, les coupes liées à l’exploitation forestière dans Gwaii Haanas ont déjà détruit de nombreuses rivières à saumon, zones intertidales, zones de cueillette et sites archéologiques. Les coupes à blanc sans restriction ont entraîné des glissements de terrain et détruit les ruisseaux et les rivières fréquentées par les saumons. Ces bouleversements environnementaux ont été exacerbés par l’introduction d’espèces invasives telles que le castor et le chevreuil par la British Columbia Game Commission (commission chargée de la gestion du gibier en Colombie-Britannique).

Une fois que les Haïdas ont quitté les sites ancestraux de Gwaii Haanas, des visiteurs ont vandalisé et endommagé les monuments historiques qui restaient dans les villages haïdas. Les représentations des ancêtres haïdas ont été détachées des mâts totémiques à l’aide de tronçonneuse, et certaines emportées comme trophées personnels. Les citoyens haïdas ont réagi en se portant volontaires pour surveiller leurs villages sur l’ensemble de Gwaii Haanas. En 1981, le Conseil de la Nation haïda (le gouvernement national des Haïdas) et le conseil de bande de Skidegate mettent officiellement sur pied le programme des gardiens de Haida Gwaii visant à surveiller l’accès aux villages haïdas, notamment K’uuna Llnagaay (Skedans), T’aanuu Llnagaay (Tanu), Hlk’yah GawGa (baie Windy), Gandll K’in Gwaay.yaay (île Hotspring) et SGang Gwaay Llnagaay (île Anthony).

Après avoir constaté les dommages causés par les coupes à blanc dans Gwaii Haanas, les Haïdas s’alarment lorsqu’en 1975, une compagnie, opérant sous le nom de Rayonier, commence à couper les arbres de Tllga kun Gwaay.yaay (île Lyell), violant du même coup les promesses faites par le gouvernement. Les coupes continuent en 1985 sous la direction de Western Forest Products – une compagnie dans laquelle la majorité du cabinet provincial de la Colombie-Britannique, y compris le premier ministre Bill Bennett, détient des parts.

Les citoyens haïdas réagissent en octobre 1985 en établissant un camp à Hlk’yah GawGa (baie Windy) et en bloquant l’accès à la route forestière. Pour soutenir officiellement ce mouvement de résistance, le Conseil de la Nation haïda déclare les zones terrestres et marines de Gwaii Haanas comme faisant partie d’un site du patrimoine haïda. Le gouvernement du Canada réplique en envoyant 25 officiers de la GRC dans le voisinage, au camp forestier de Frank Beban.

Le 16 novembre, les officiers de la GRC appliquent une injonction et arrêtent 17 anciens haïdas. Les arrestations se poursuivent tout au long du mois de novembre alors que les Haïdas continuent à protester contre les coupes. Sur les 72 Haïdas arrêtés durant cette période, 11 seront reconnus coupables d’outrage au tribunal en 1986. Cette année-là, le ministre de l’Environnement, Tom McMillan, prononce un discours à l’occasion d’une fête organisée pour célébrer l’arrivée des pagayeurs qui ont ramené sur l’île Loo Taas le canoë sculpté par Iihljuwaas (Bill Reid), qui avait été montré lors d’Expo 86. Dans son discours, le ministre promet que les gouvernements fédéral et provincial vont déclarer 1 470 km2 des îles du sud de Haida Gwaii réserve de parc national, l’île Gwaii Haanas représentant la plus grande partie de cette zone.

Dans les 15 années qui suivent, le Conseil de la Nation haïda, le gouvernement du Canada et celui de la Colombie-Britannique signent les ententes suivantes : l’Entente de Moresby-Sud, signée en 1988, visant à déclarer Gwaii Haanas une réserve de parc national, sous réserve du règlement des revendications concernant les droits et les titres fonciers des Autochtones; l’Entente sur Gwaii Haanas, signée en 1993, qui définit les relations intergouvernementales et les protocoles de gestion pour Gwaii Haanas; le Protocole de réconciliation Kunst’aa guu–Kunst’aayah de 2009, visant à concilier les titres de propriété haïdas et les titres fédéraux sur les terres de la Couronne; et l’Entente sur l’aire marine Gwaii Haanas, signée en 2010, visant à protéger l’écosystème marin. Cette série de protocoles et d’ententes de gestion a permis d’établir officiellement la réserve de parc national, la réserve d’aire marine nationale de conservation et le site du patrimoine haïda de Gwaii Haanas, protégeant ainsi la région « du sommet des montagnes au fond de l’océan ».

En août 2013, la Nation haïda et le Canada érigent ensemble le mât héraldique commémoratif et participent aux célébrations du 20e anniversaire de l’Entente sur Gwaii Haanas. C’est le premier mât totémique à être érigé sur Gwaii Haanas depuis plus de 130 ans. Du haut de ses treize mètres, il domine Hlk’yah GaawGa (baie Windy), où les manifestants haïdas s’étaient initialement rassemblés en 1985 pour stopper les coupes d’arbres – une étape cruciale vers l’établissement de la zone de conservation et du site du patrimoine haïda.