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Habitat 67

Habitat 67 est un complexe résidentiel expérimental conçu par l’architecte israélien Moshe Safdie situé dans le quartier Cité du Havre, au sud du Vieux-Port de Montréal. Commandé par la Compagnie canadienne de l’Exposition universelle de 1967, le projet tire son nom du thème de l’exposition, « Terre des hommes », et en est devenu l’un des pavillons les plus connus. Il s’agit de la seule structure d’Expo 67 à avoir gardé sa fonction originale. En 2015, le Guardian l’a décrite comme « une icône fonctionnelle de l’utopisme des années 1960, et l’un des plus importants bâtiments de l’époque ».

Habitat 67

Contexte

Le design du complexe est tiré directement du projet de recherche que Moshe Safdie a accompli dans le cadre de son baccalauréat en architecture à l’Université McGill. Dans A Case for City Living: A Three-Dimensional Modular Building System, un rapport rédigé à l’été 1961, le jeune architecte s’interroge sur les solutions à l’étalement suburbain. Il propose de repenser l’habitat urbain à l’aide de logements abordables et accessibles, produits à la chaîne, offrant de l’intimité et un jardin (installé sur le toit d’une unité adjacente) pour chaque résident. « Un jardin pour tous » est d’ailleurs le slogan utilisé par Moshe Safdie pour désigner la philosophie ayant inspiré son concept.

Dans une conférence TED en 2014, Moshe Safdie affirme que son objectif avec Habitat 67 était de « réinventer l’immeuble à appartements ». Sa vision originale, explique-t-il, est que « Les banlieues ne sont pas durables, alors il faut concevoir un bâtiment qui offre les qualités d’une maison pour chaque unité. Avec Habitat, tout tournait autour des jardins, du contact avec la nature, de la création de rues pour remplacer les corridors. »

Conception

Concrètement, Habitat 67 est un regroupement iconique de 354 cubes de béton interreliés. Chaque cube pèse 90 tonnes et compte approximativement 600 pieds carrés. Ils sont échelonnés et empilés en une structure vaguement pyramidale d’une hauteur de 12 étages. Les habitations du peuple pueblo, dans le sud-ouest des États-Unis, sont l’inspiration première de Moshe Safdie, de même que le métabolisme, un style architectural japonais utilisant des cellules préfabriquées et interconnectées.

Habitat 67 use de plusieurs techniques innovantes. Le complexe est conçu comme un continuum urbain et tridimensionnel dans lequel tous les cubes sont des structures portantes. Comme l’écrit Gili Merin en 2013 pour ArchDaily, « Cette méthode ingénieuse offre à chaque appartement un jardin sur le toit, un flot continu d’air frais et de la lumière naturelle en abondance, toutes des qualités alors inédites pour un complexe d’habitation de 12 étages. Habitat 67 est donc un pionnier dans l’intégration de deux typologies du logement : la maison de banlieue avec jardin et la tour d’habitation économique. »

De façon générale, on trouve dans Habitat 67 des unités contenant d’une à quatre chambres (de 600 à 1800 pieds carrés) sur deux étages. Le complexe compte 158 unités – une infime fraction des 1000 unités prévues par Moshe Safdie – qui sont configurées de diverses manières pour permettre une variété de tailles et d’agencements. Desservies par trois ascenseurs, des rues piétonnes sillonnent le complexe à tous les quatre étages, créant les voies de circulation principales à partir desquelles les résidents accèdent à leur demeure. L’utilisation d’éléments préfabriqués comme des salles de bain en fibre de verre et des cuisines préassemblées est également digne de mention.

Habitat '67
Safdie a la chance exceptionnelle de réaliser sa thèse en créant Habitat '67 pour l'Expo 67 à Montréal (avec la permission de la Commission canadienne du tourisme).

Construction et dépassement des coûts

Les cubes modulaires sont construits sur place dans une cage en acier renforcé. Chaque cube est ensuite placé sur une chaîne de montage afin de faciliter l’installation des fenêtres, des matières isolantes, et des autres éléments mécaniques et électriques. Une fois les salles de bain et les cuisines modulaires installées, chaque cube est hissé à l’aide d’une grue et fixé aux autres cubes par un système de câbles de post-tension.

La construction d’Habitat 67 souffre de problèmes dès les premiers jours. L’utilisation d’une usine de préfabrication pour couler les modules de béton sur place devait réduire les coûts de production, mais la réduction de l’ampleur du projet a l’effet contraire. Le budget initial de 13,5 millions de dollars, financé à 50 % par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) du gouvernement fédéral, à 37,5 % par le gouvernement provincial et à 12,5 % par le gouvernement municipal, explose carrément. En tout, le complexe nécessite 30 mois de travaux.

Lorsque la SCHL commence à louer ses logements, en 1968, elle fixe le loyer à 1000 $, un prix que la plupart des gens ordinaires ne pourraient jamais payer. Ce montant passe rapidement à 450 $, ce qui n’est toujours pas donné pour l’époque. De plus, les coûts d’entretien s’avèrent exceptionnellement élevés, étant donné la prédisposition du béton à s’endommager au contact de l’eau et à causer des moisissures se propageant dans le système de ventilation. Enfin, les systèmes d’arrosage automatisé dans les jardins sont également excessivement chers.

Histoire récente

En 1986, le gouvernement fédéral vend Habitat 67 à l’homme d’affaires gatinois Pierre Heafey pour la somme de 10 millions de dollars ; trois semaines plus tard, Heafey vend le complexe à un consortium de locataires pour 11,4 millions de dollars. Les unités locatives sont converties en résidences privées, ce qui fait augmenter leur prix de beaucoup. De nos jours, Habitat 67 abrite l’élite politique et culturelle dans 148 grandes et luxueuses unités résidentielles. Deux unités mises en vente en 2018 affichent un prix de vente de 1,3 à 1,5 million de dollars, soit 4 fois plus cher qu’une maison montréalaise moyenne. Les coûts d’entretien, qui incluent une navette se rendant au centre-ville de Montréal, oscillent entre 1200 et 1500 $ par mois. Moshe Safdie n’a que de bons mots au sujet de la hausse des prix de son complexe, affirmant : « Cela prouve qu’il est prisé. L’embourgeoisement d’Habitat 67 est la meilleure chose qui aurait pu arriver. »

Le gouvernement du Québec reconnaît Habitat 67 comme l’un des projets de construction les plus novateurs et les plus importants des années 1960, en lui accordant le statut patrimonial en 2009. Depuis, toute modification à la structure est sévèrement contrôlée. En 2017, la Société canadienne des postes lance un timbre célébrant le 50anniversaire d’Habitat 67, et des visites guidées du complexe organisées pour l’occasion attirent plus de 4000 personnes. Moshe Safdie a d’ailleurs promis de faire don de son unité, un logement au 10e étage composé de 4 modules, pour en faire une résidence de démonstration permanente, ouverte au public.

Habitat 67

Influence et patrimoine

Le succès d’Habitat 67 engendre une série de commissions internationales pour Moshe Safdie gravitant autour du même thème : des collectivités résidentielles urbaines, abordables et à densité élevée composées d’unités modulaires fabriquées en usine. Ces projets, pour lesquels il continue d’explorer différentes géométries et technologies innovantes, ne voient toutefois jamais le jour. Parmi les plus notables, on compte Habitat New York (ville de New York, 1967-1968), Habitat Puerto Rico (San Juan, 1968-1970), Habitat Israël (Jérusalem, 1969-1970), Habitat Rochester (New York, 1971) et Habitat Téhéran (Elahieh, Iran, 1976-1978).

Malgré la mort prématurée de ces propositions, Habitat continue d’avoir une influence marquée sur la construction et le design urbains. La firme d’architecture danoise Bjarke Ingels Group (BIG) cite le projet comme inspiration pour leur tour à condominiums située aux coins des rues King West et Portland, dans le centre-ville de Toronto. Dans une entrevue donnée au Globe and Mail en 2018, Cyril Moussard, spécialiste des bâtiments modulaires en France, qualifie Habitat 67 de « référence en matière de construction modulaire. Les logements d’aujourd’hui tendent à revenir aux valeurs représentées par Habitat, comme la densité urbaine, les espaces verts et l’abondance de lumière. » En 2015, le Guardian décrit Habitat 67 comme « une icône fonctionnelle de l’utopisme des années 1960, et l’un des plus importants bâtiments de l’époque ».

Bref, tous ne s’entendent pas sur la valeur du patrimoine laissé par Habitat 67. Parlant plutôt d’un « rêve échoué », Adele Weder écrit dans le Walrus en 2008 que « la première architecture véritablement idéologique du Canada parrainée par le gouvernement » n’a pas su respecter sa promesse à titre de modèle de vie urbaine et est plutôt devenue un monument commémorant l’inégalité élitiste. Le complexe autrefois « lancé comme un manifeste pour le logement abordable et universel », écrit-elle, « s’est métamorphosé en une enclave pour les riches. […] En tant qu’œuvre spectaculaire dans une exposition universelle ou comme projet de recherche architectural, Habitat 67 est fantastique. À titre de projet-pilote, il est un désastre. »