Life of Pi (traduit en français sous le titre L’histoire de Pi en 2001) est le troisième roman de Yann Martel. On y suit les pérégrinations du protagoniste du livre, Piscine Molitor Patel, surnommé Pi, dans son périple pour sa survie, après le naufrage, dans l’océan Pacifique, du navire de charge au bord duquel il se trouvait avec sa famille. Seul survivant de la catastrophe, Pi passe 227 jours sur un canot de sauvetage en compagnie d’un tigre du Bengale nommé Richard Parker. Ce roman d’aventures fantastique explore les tensions entre spiritualité et pragmatisme, et entre raison et imagination. Il interroge également la nature des récits. Immense succès de librairie dans le monde entier, L’histoire de Pi vaut à Yann Martel une reconnaissance internationale ainsi que de nombreux prix et plusieurs distinctions, notamment le Hugh MacLennan Prize pour une œuvre de fiction, le Man Booker Prize pour une œuvre de fiction et l’Asian/Pacific American Award for Literature. L’adaptation cinématographique de 2012, écrite par David Magee et réalisée par Ang Lee, rapporte plus de 600 millions de dollars américains dans le monde entier et est récompensée de quatre Oscars.
Contexte et inspiration
L’histoire de Pi est le troisième roman de Yann Martel. Il est rejeté par au moins cinq maisons d’édition londoniennes avant que l’éditeur canadien Knopf décide de lui donner sa chance (la société Canongate d’Édimbourg publie la première édition britannique en 2002). Dans une entrevue accordée à PBS, Yann Martel déclare : « L’idée d’un garçon religieux dans une embarcation de sauvetage, avec comme compagnie un animal sauvage, m’a frappé comme étant une métaphore parfaite de la condition humaine. » Lors d’un voyage en Inde à la recherche, non pas d’une histoire, mais de l’Histoire avec un grand « H », il trouve l’inspiration dans l’omniprésence des animaux et du fait religieux à laquelle il est confronté.
Yann Martel admet également avoir été inspiré par les prémisses du court roman de l’auteur brésilien Moacyr Scliar, Max e os Felinos (Max et les Chats), paru en 1981, qui raconte l’histoire d’un garçon coincé dans un canot de sauvetage avec un jaguar. Son emprunt à l’œuvre du romancier brésilien de la même proposition de départ ne va pas sans créer certaines tensions avec ce dernier, après l’attribution du Man Booker Prize à Yann Martel pour L’histoire de Pi. Bien que flatté, Moacyr Scliar déclare au New York Times : « Yann Martel a utilisé cette idée sans me consulter, ni même m’informer. » Yann Martel reconnaît ultérieurement, dans une note de l’auteur, le rôle du romancier brésilien dans la genèse de L’histoire de Pi, le remerciant de lui avoir fourni « l’étincelle » lui ayant permis de donner la vie à son propre roman.
Après une analyse approfondie de chacun des ouvrages, la chercheuse Florence Stratton a estimé que l’accusation de plagiat contre Yann Martel était infondée. Dans ‘Hollow at the core’ : Deconstructing Yann Martel’s Life of Pi, elle estime que le court roman de l’auteur brésilien est une allégorie du nazisme, tandis que celui du Canadien constitue une exploration narrative de la foi et du récit. Elle souligne, en outre, que Moacyr Scliar consacre 17 des 99 pages que compte sa fiction à l’épisode du canot de sauvetage, tandis que Yann Martel réserve à cette partie un « espace narratif » plus important, s’étendant sur 211 des 354 pages de L’histoire de Pi.
Synopsis de l’histoire : Première partie
Le roman L’histoire de Pi est divisé en trois parties, chacune d’entre elles se déroulant dans des lieux différents : à Toronto et à Pondichéry, tout d’abord; sur l’océan Pacifique, ensuite; et, enfin, dans le cabinet médical de Benito Juárez à Tomatlán, au Mexique. Le roman débute toutefois par une note de l’auteur expliquant comment il a découvert l’incroyable histoire de Pi, entendue de la bouche d’un vieil homme et dont il nous fait le récit à son tour. Le narrateur anonyme est un personnage indépendant n’intervenant qu’occasionnellement dans le récit, essentiellement pour donner au lecteur un aperçu de la vie de Pi devenu adulte à Toronto. La présence de ce narrateur introduit toutefois une part de réalisme, même si les lecteurs sont bien conscients qu’il s’agit d’une fiction.
La première partie commence à Pondichéry, où Pi raconte son enfance en tant que fils d’un gardien de zoo. Le héros grandit en observant attentivement les animaux du zoo, tout en découvrant la religion. La suite du récit s’appuiera notamment sur les observations qu’il a pu faire de la psychologie animale. Sa découverte de la religion lance le cheminement spirituel du jeune protagoniste du roman, un thème récurrent central tout au long de l’histoire. Bien qu’il ait été élevé en tant qu’hindouvégétarien, il explore également l’islam et le christianisme et décide de devenir hindou, musulman et chrétien. Son zèle religieux inquiète ses parents, auxquels Pi adolescent explique qu’il « souhaite juste aimer Dieu ».
En raison de conflits politiques en Inde, les parents de Pi décident de déménager en famille au Canada. Ils vendent leur zoo et organisent le transport des animaux vers différents zoos en Amérique du Nord. À l’été 1977, la famille et les animaux montent à bord d’un navire de charge japonais, le Tsimtsum.
Synopsis de l’histoire : Deuxième partie
La deuxième partie du roman débute avec le naufrage du Tsimtsum. Au beau milieu d’une violente tempête, Pi se retrouve séparé de sa famille et jeté dans une chaloupe de sauvetage avec une hyène, un orang‑outan, un zèbre et un tigre du Bengale nommé Richard Parker. Les animaux s’attaquent les uns les autres jusqu’à ce qu’il ne reste plus que le jeune garçon et Richard Parker sur le canot de sauvetage. Pi survit grâce aux rations alimentaires et à l’eau de l’embarcation de sauvetage. Il se construit un radeau pour rester à distance de Richard Parker.
Pi décide finalement que le seul moyen de survivre consiste à domestiquer le tigre pour qu’il lui obéisse. Utilisant toutes les connaissances acquises en observant des animaux du zoo de son père, il commence l’entraînement du fauve en utilisant un sifflet et des poissons qu’il attrape dans l’océan. À la surprise de Pi, la domestication de Richard Parker est un succès, le jeune homme réussissant à établir des limites pour une vie commune avec le tigre dans le cadre d’une relation dominant‑dominé. Durant son long périple sur l’océan, Pi n’a aucune notion du temps qui s’écoule. Lorsque son moral est au plus bas, il s’appuie sur sa foi et sur la beauté de la vie marine autour de lui pour s’accrocher à la vie.
À un moment donné, Pi rencontre un autre naufragé qui, tout comme lui, est devenu aveugle en raison de la déshydratation. Lorsque l’inconnu tente d’attaquer Pi, c’est Richard Parker qui tue l’assaillant. Plus tard, Pi et Richard Parker découvrent une île flottante habitée par des suricates, dont le garçon suppose qu’elle est composée d’algues. Il réalise bientôt que l’île est carnivore et il est obligé de partir.
Après 227 jours de mer, Pi et Richard Parker s’échouent sur les côtes du Mexique. Pi estime qu’il doit sa survie à son compagnon de traversée, le tigre du Bengale. En effet, maintenir Richard Parker en vie et pouvoir profiter de sa compagnie lui ont donné une raison de vivre. Lorsque, après avoir atteint le rivage, Richard Parker disparaît dans la jungle sans un regard en arrière, Pi déplore que leur relation privilégiée se termine de façon aussi abrupte.
Synopsis de l’histoire : Troisième partie
Dans cette dernière partie, des représentants du ministère japonais des Transports s’entretiennent avec Pi pour déterminer les raisons du naufrage du navire de charge. Pi leur raconte ses aventures, qu’ils refusent de croire. Devant leur incrédulité, il leur livre une deuxième version de son histoire particulièrement violente et cruelle dans laquelle il remplace les animaux tombés avec lui dans le canot de sauvetage par des humains, notamment sa propre mère. Les fonctionnaires du ministère reconnaissent les similitudes entre les deux histoires et concluent que Pi symbolise le tigre. Le jeune garçon leur demande alors la version qu’ils préfèrent, celle avec les animaux ou celle avec les êtres humains. Ils conviennent que l’histoire avec les animaux est une meilleure histoire, bien que la version humaine soit plus probable. Cependant, dans leur rapport final, ils félicitent Pi d’avoir survécu si longtemps en compagnie d’un tigre du Bengale adulte.
Thèmes
En tant que récit mis en abîme, l’importance de la narration constitue un thème majeur de L’histoire de Pi. Dans son périple, Pi utilise le potentiel narratif comme outil de survie : pour faire face à sa situation désespérée, il s’imagine comme le tigre de l’histoire. La narration et l’imagination exigent la suspension de l’incrédulité, c’est pourquoi Pi demande aux responsables du ministère japonais : « Quelle est la meilleure histoire…? » Chaque histoire contient une part de vérité, mais parfois, même la vérité est difficile à croire.
La foi est un autre thème majeur du roman. Au début du livre, le narrateur se voit promettre une histoire qui lui « fera croire en Dieu ». Pi, hindou, musulman et chrétien autoproclamé, se lance dans une quête spirituelle alors qu’il est encore très jeune, et ce, en dépit de la désapprobation de ses parents. Il poursuit même sa pratique religieuse alors qu’il est coincé sur son embarcation de sauvetage. La foi est également étroitement liée à la narration, chaque religion intégrant des récits et des fables qui, littéralement incroyables, constituent souvent un défi à la raison.
Dans une entrevue de 2005 accordée au site Textualities, Yann Martel synthétise L’histoire de Pi en trois brèves affirmations : « 1) La vie est une histoire. 2) Vous pouvez choisir votre histoire. 3) Une histoire avec Dieu est la meilleure histoire. »
Distinctions
En 2002, L’histoire de Pi remporte le Man Booker Prize pour les œuvres de fiction. Le roman reçoit également l’Asian/Pacific American Award for Literature en 2004. Les membres du jury louent le roman pour le caractère abouti du personnage principal : « L’écriture de Yann Martel lui permet de plonger habilement le lecteur dans la réalité de Pi… Pi est construit comme un personnage tellement humain et tellement solide que sa foi est inspirante. »
En 2003, le roman, défendu par l’auteure Nancy Lee, est finaliste de l’émission Canada Reads. La traduction française est également sélectionnée pour la version francophone de cette même émission, Le combat des livres, au cours de laquelle elle est défendue par Louise Forestier.
En 2010, le président américain Barack Obama envoie à Yann Martel une lettre admirative, dans laquelle il écrit : « Ma fille et moi venons de terminer ensemble la lecture de L’Histoire de Pi. Elle comme moi avons préféré la version
du récit avec les animaux. C’est un livre délicieux constituant une preuve élégante de l’existence de Dieu et du pouvoir de la narration. Je vous remercie. » Yann Martel réagit à ce geste du président américain en déclarant : « Je suis
littéralement soufflé! »
Adaptation au cinéma
Le succès de l’adaptation cinématographique du roman de 2012, écrite par David Magee et réalisée par Ang Lee, a beaucoup surpris, et ce, compte tenu du recours à un acteur principal inconnu, à une thématique centrale difficile et à une fin ambiguë.
Le film obtient des critiques extrêmement positives et s’avère être un véritable succès international. Avec Suraj Sharma dans le rôle de Pi Patel à 16 ans et Irrfan Khan dans celui du héros adulte, le long métrage adapté du roman de Yann Martel
accumule 125 millions de dollars américains en recettes en Amérique du Nord et 484 millions dans le reste du monde, pour un total de 609 millions de dollars. Le film intègre de nombreuses listes des 10 meilleurs
films de l’année et est sélectionné pour 11 Oscars, en remportant quatre (Meilleure photographie, Meilleurs effets visuels, Meilleure musique originale et Meilleur réalisateur). Il décroche également trois sélections aux Golden Globes, décrochant
le prix de la meilleure musique originale.
De nombreux critiques comparent Life of Pi, pour son utilisation des effets visuels 3D, à Avatar, réalisé, en 2009, par James Cameron. Ce dernier précise, d’ailleurs, lui‑même : « Life of Pi prouve clairement que le paradigme communément admis voulant que la 3D doive être utilisée pour un film d’action à grand spectacle avec un superhéros peut être remis en cause. » Yann Martel se déclare également satisfait de l’adaptation au cinéma de son roman, précisant au Toronto Star qu’il est « ravi que le film aide le livre à atteindre une nouvelle génération de lecteurs et fournisse une base de comparaison et de discussion ». Il félicite d’ailleurs le réalisateur Ang Lee pour son recours percutant aux effets 3D « sans en faire un gadget ». Yann Martel explique que globalement la version cinématographique pose les mêmes questions que le roman sur « la vérité, la perception et les croyances ».
Adaptation théâtrale
Le roman L’histoire de Pi a été adapté pour la scène par l’écrivain Andy Rashleigh et par le metteur en scène Keith Robinson de la Twisting Yarn Theatre Company à Bradford, en Angleterre. La pièce, dans laquelle jouent six acteurs, est divisé en deux parties : avant le naufrage et après le naufrage. Elle fait l’objet d’une tournée au Royaume‑Uni de 2004 à 2007 et est à nouveau présentée à Cornwall en 2008.
Après avoir assisté à la pièce pour la première fois, Yann Martel exprime ainsi son admiration : « Ce sont les histoires et le récit des histoires qui me passionnent, et c’est la raison première pour laquelle j’ai écrit ce roman. C’est pourquoi je trouve absolument incroyable que cette œuvre romanesque fonctionne aussi bien transposée au théâtre, en particulier dans ses effets sur le jeune public. »
En 2018, une autre compagnie théâtrale britannique, Sheffield Theatres, annonce qu’elle jouera une nouvelle adaptation scénique de L’histoire de Pi. La pièce, écrite par Lolita Chakrabarti et mise en scène par Max Webster, devrait être créée à l’été 2019.
Distinctions
- Prix Hugh‑MacLennan pour une œuvre de fiction, Quebec Writers’ Federation (2001)
- Man Booker Prize, prix Booker (2002)
- Boeke Prize, Exclusive Books (Afrique du Sud) (2003)
- Meilleure œuvre de fiction pour adultes, Asian/Pacific American Award for Literature (2004)