La patineuse de vitesse Catriona Le May Doan, de Saskatoon en Saskatchewan, a remporté consécutivement des médailles d’or à la compétition 500 m femmes aux Jeux olympiques d’hiverde 1998 à Nagano et aux Jeux olympiques d’hiver de 2002 à Salt Lake City. Elle a également décroché une médaille de bronze à la compétition 1 000 m femmes aux Jeux olympiques d’hiver de 1998. Le 22 novembre 1997, Catriona Le May Doan est devenue la première femme patineuse de vitesse à briser la barrière des 38 secondes au 500 m femmes lors d’une Coupe du monde à Calgary. Il faudra attendre cinq ans avant que soit battu son record mondial final de 37,22 secondes, établi le 9 décembre 2001. Le 30 novembre 2015, Catriona Le May Doan s’est entretenue avec Jeremy Freeborn pour L’Encyclopédie canadienne.
JF : Je crois comprendre que vous avez joué à la ringuette dans votre enfance en Saskatchewan. Qu’est-ce qui vous a poussée vers le patinage de vitesse?
CL : J’ai suivi ma sœur. Elle a commencé [à faire du patinage de vitesse] un an avant moi. À l’époque, je pratiquais les deux sports. Je pense que j’ai choisi le patinage de vitesse en raison de ma personnalité : je suis plutôt individuelle lorsqu’il s’agit de sport.
JF : Quels sont vos plus beaux souvenirs du Saskatoon Lions Speed Skating Club?
CL : Cela peut sembler bizarre, mais mes meilleurs souvenirs sont probablement à l’extérieur, à des températures glaciales. Cette partie-là n’était pas vraiment amusante, mais je n’oublierai jamais le son de la lame qui glisse sur la glace froide et dure, les soirs sans vent où rien d’autre ne bougeait et où il faisait -30 ºC.
JF : À quel moment au cours de votre carrière de patinage de vitesse avez-vous cru pouvoir devenir une athlète de haute performance?
CL : Cela a dû se produire [quand] j’ai rejoint une équipe junior, puis une équipe de développement. Je me suis alors rendu compte qu’il était possible de patiner avec l’équipe nationale. J’ignore si j’ai même jamais cru que je pourrais réaliser tout ce que j’ai réalisé.
JF : Vous avez participé aux Jeux d’hiver du Canada de 1983 dans la région du Saguenay, au Québec, puis aux Jeux d’hiver du Canada de 1987 au Cap Breton, en Nouvelle-Écosse. Quelle a été l’importance des Jeux d’hiver du Canada dans votre développement?
CL : Ces jeux ont eu une importance cruciale dans ma carrière. Je crois fermement que ma réussite aux Jeux olympiques est attribuable à ma participation, à un plus jeune âge, dans des jeux multidisciplinaires. J’ai remporté trois médailles [une d’argent et deux de bronze]. Je rêvais d’une médaille d’or aux Jeux d’hiver du Canada, mais, malheureusement, cela ne s’est pas produit. La compétition était féroce. Les Jeux d’hiver du Canada m’ont vraiment motivée. Ils m’ont fait connaître d’autres athlètes évoluant dans d’autres sports et au sein d’autres équipes, issus non seulement de ma province, la Saskatchewan, mais aussi du reste du pays.
JF : Racontez-moi votre déménagement de Saskatoon à Calgary pour aller vous entraîner. Cette transition a-t-elle été difficile?
CL : Oh oui. Je n’avais que 17 ans. Étant mère aujourd’hui, je peux difficilement imaginer mes enfants quitter le nid familial à cet âge. À l’époque, j’étais nerveuse, car je ne connaissais personne et je partais vivre en résidence à l’Université de Calgary. En même temps, j’étais très enthousiaste : j’entreprenais les premières étapes qui allaient me permettre de me rendre aux Jeux olympiques d’hiver. C’était pour moi l’occasion de travailler à l’atteinte de mon objectif. Le changement, bien que déstabilisant, peut aussi être très excitant.
JF : Qu’avez-vous ressenti en devenant la première femme à briser le record de 38 secondes au 500 m [1997]?
CL : J’étais euphorique. Je me souviens d’avoir regardé l’horloge, constatant avec ébahissement que je venais de réaliser quelque chose de jamais vu auparavant. Je crois que le plus difficile, lorsqu’on excelle dans quelque chose et qu’on vise la perfection, c’est de poursuivre un rêve qui ne se réalise pas. J’étais bien entendu très excitée, mais je visais toujours l’objectif suivant.
JF : Au 500 m femmes des Jeux olympiques d’hiver de 1998 à Nagano, vous et Susan Auch, de Winnipeg, au Manitoba, avez remporté l’or et l’argent respectivement, devenant les premières Canadiennes depuis 1908 à remporter ces médailles lors du même événement aux Jeux olympiques. Comment vous êtes-vous sentie en écrivant cette page de l’histoire du sport canadien?
CL : J’étais très émue, bien que je doute avoir vraiment saisi l’ampleur de l’événement à ce moment-là. Je me suis simplement laissée porter. Mon rêve venait de se réaliser. On ne réalise pas toujours nos accomplissements au moment même où ils se produisent. On peut mettre plusieurs années à vraiment comprendre.
JF : Qu’est-ce qui vous rend le plus fière de votre victoire olympique (bronze) lors de la course de 1 000 m femmes des Jeux olympiques d’hiver de 1998 à Nagano?
CL : N’importe laquelle de ces dix femmes aurait pu remporter l’or, l’argent ou le bronze. L’exploit était autant physique que mental. Je suis profondément fière de ma persévérance, et d’avoir réussi à surmonter l’excitation de ma victoire au 500 m. J’ai su me concentrer, persévérer, composer avec le stress et la pression et me surpasser lors de cette course.
JF : Qu’est-ce que cela a signifié pour vous que de porter le drapeau canadien lors des cérémonies de clôture des Jeux olympiques d’hiver de 1998 à Nagano, ainsi qu’aux cérémonies d’ouverture des Jeux olympiques d’hiver de Salt Lake City, quatre ans plus tard?
CL : À Nagano, tout était un peu chaotique. Je me souviens qu’on m’a demandé si Brian Wakelin, le chef de mission canadien, pouvait me parler un instant. J’ai alors cru que j’avais fait quelque chose de mal! On m’a plutôt demandé si j’accepterais de porter le drapeau; j’étais tellement emballée et honorée.
Porter le drapeau aux cérémonies d’ouverture des Jeux olympiques d’hiver de 2002 à Salt Lake City a également été un grand honneur pour moi. Je ressentais quelque chose d’incroyable, dirigeant notre équipe vers le stade tout en sachant que ces Jeux d’hiver seraient mes derniers. À l’époque, deux éléments ont contribué à rendre cet événement encore plus mémorable. Le premier, c’est qu’on parlait beaucoup de l’« effet du drapeau », selon lequel il était impossible de gagner l’or pour la personne qui porte le drapeau. Je voulais prouver à tous qu’ils avaient tort. Ensuite, juste avant d’entrer dans le stade, j’ai rencontré l’homme qui portait l’écriteau du Canada. J’ai appris qu’il s’agissait de Brian Maxwell, [qui] s’était qualifié pour l’équipe canadienne de marathon lors des Jeux olympiques de 1980 à Moscou. Malheureusement, le Canada ayant boycotté [les Jeux de 1980], il n’avait jamais eu l’occasion de participer aux compétitions. Encore aujourd’hui, ses mots me hantent : « Eh bien, voici ma chance, 22 ans plus tard, d’entrer au stade aux côtés de l’équipe canadienne ». Cet homme m’a profondément inspirée, m’apprenant à lâcher prise quant aux choses sur lesquelles on n’a aucun contrôle. Brian est décédé des suites d’une crise cardiaque en 2004; je me considère très chanceuse de l’avoir croisé sur ma route.
JF : Avez-vous trouvé difficile de défendre votre médaille d’or olympique lors du 500 m femmes aux Jeux olympiques de 2002 à Salt Lake City?
CL : C’était beaucoup plus difficile que je ne l’aurais jamais cru. J’ai mis plusieurs années à le comprendre. À l’approche des Jeux de Salt Lake City, la pression était insoutenable. Encore aujourd’hui, il est difficile d’imaginer que jusque-là aucun autre Canadien, homme ou femme, ne l’avait encore fait [défendre une médaille d’or au même événement individuel], que ce soit aux Jeux d’hiver ou aux Jeux d’été. C’est presque impossible à faire. J’ai encore du mal à croire que j’étais la première Canadienne – et à ce jour, il n’y en a eu que deux autres – à défendre avec succès ma médaille d’or individuelle lors du même événement. [Catriona Le May Doan a été suivie par Alexandre Bilodeau, champion de la compétition masculine de ski acrobatique sur bosses lors des Jeux olympiques d’hiver de 2010 à Vancouver, ainsi qu’aux Jeux olympiques d’hiver de 2014 de Sotchi]. J’ai mis des années à réaliser l’ampleur de cette réussite…
JF : Bon nombre de vos performances les plus spectaculaires ont eu lieu à l’Anneau olympique de Calgary. C’était comment, participer à toutes ces courses devant un auditoire national?
CL : J’adorais cela, malgré la pression supplémentaire que cela engendrait. J’ai toujours voulu bien réussir au pays. Nous sommes devenus de plus en plus à l’aise sur la glace. Tout est tellement plus électrisant lorsque la famille et les amis se réunissent pour assister aux compétitions.
JF : Étiez-vous surprise que votre record mondial de 37,22 secondes établi lors du 500 m femmes de 2002 ne soit battu que cinq ans plus tard, par l’Allemande Jenny Wolf?
CL : Oui, en effet. Certes, j’ai obtenu un bon résultat, mais je me souviens des nombreuses erreurs que j’ai commises pendant la course. Je suis surprise qu’aucune autre Canadienne n’ait approché ce temps.
JF : Depuis votre retraite en 2003, Cindy Klassen, Clara Hughes, Christine Nesbitt et Kristina Groves se sont fait connaître à l’international en patinage de vitesse olympique. Des patineuses plus jeunes, comme Ivanie Blondin et Heather McLean, jouissent également d’une certaine notoriété à l’échelle mondiale. À quoi attribuez-vous le succès continu des patineuses de vitesse sur longue piste au Canada?
CL : Je crois que cela a quelque chose à voir avec l’héritage laissé par l’Anneau olympique des Jeux d’hiver de 1988 à Calgary. Les conditions d’entraînement idéales, de même que la qualité de la glace de l’Anneau, ont évidemment beaucoup aidé. Les patineuses de vitesse sur longue piste du Canada ont connu beaucoup de succès sur différentes distances, et cela est tout à fait unique. Dans notre pays où le sport réunit les gens, il est facile de s’inspirer les uns les autres. Cela se voit clairement en patinage de vitesse.
JF :Depuis votre départ à la retraite, vous avez été très active sur la scène publique et télévisuelle, en coanimant notamment les émissions matinales de la CTV couvrant les Jeux olympiques de 2012 à Londres. Que retenez-vous de votre expérience de travail chez les télédiffuseurs sportifs canadiens?
CL : J’ai adoré cette expérience. C’était vraiment intéressant. J’aime raconter l’histoire des athlètes canadiens aux Canadiens. Toutefois, selon moi, il n’y a jamais assez de sports amateurs à la télévision; cela peut être frustrant. Nous sommes à la merci des réseaux de télévision. J’espère seulement que nous pourrons diffuser de plus en plus d’événements de sport amateur à la télévision.
JF :Avez-vous trouvé facile de faire la transition vers le monde télévisuel, ou avez-vous dû surmonter certains défis?
CL : En fait, cette transition a été très facile pour moi. J’avais déjà souvent parlé en public, et je crois que cela m’a aidée à me sentir à l’aise en ondes.
JF : La famille de votre époux [Doan] est bien connue dans le monde du hockey canadien, du rodéo et du basketball féminin. Votre entrée dans le clan Doan s’est-elle accompagnée d’une certaine pression?
CL : Non. J’ai eu beaucoup de plaisir. Je descends d’une famille britannique peu nombreuse, dont plusieurs membres vivent à l’étranger. Les Doan sont une grande famille tissée serrée. Nous avons vécu des moments excitants, surtout pour nos enfants, qui peuvent dire que des membres de leur famille ont été impliqués dans la LNH [Shane Doan, capitaine des Coyotes de l’Arizona] et les Jeux olympiques.
JF : Qu’avez-vous ressenti à votre intronisation au Panthéon des sports canadiens en 2005?
CL : C’était fantastique. Je faisais partie d’un beau groupe également composé de l’équipe canadienne de hockey championne de la Série du siècle de 1972. C’était un immense honneur; lorsqu’on prend un peu de recul par rapport à son sport et que l’on constate qu’il ne s’agit pas seulement de sport olympique, mais bien de tous les sports, c’est assez génial. À l’époque, le Panthéon de Calgary n’existait pas encore. En voyant cet endroit aujourd’hui, on se rend compte de l’envergure de cet honneur.
JF : Quel est le personnage canadien qui vous a le plus inspirée au cours de votre carrière, et pourquoi?
CL : Sans hésiter, Terry Fox. Quand j’ai commencé à patiner, il courait son marathon. Je n’étais encore qu’une petite fille. Je me rappelle avoir vu des images de lui à la télévision et avoir pensé : « Mais comment y parvient-il? » C’était tout simplement incroyable. Terry Fox m’a toujours inspirée. Grâce à lui, j’ai appris qu’il fallait persévérer, quoi qu’il arrive. Chacun d’entre nous laissera sa marque d’une certaine façon à la fin de sa vie; la marque de Terry Fox, elle, s’approfondit au fil des ans, et c’est absolument incroyable.
JF : Vous vous engagez activement au sein de différents organismes, dont Right to Play et les Jeux olympiques spéciaux. Qu’est-ce qui vous pousse à donner ainsi votre temps et votre énergie?
CL :Je ne le fais pas que pour me sentir bien; ma contribution au travail de ces organismes apporte un véritable sens à ma vie. Il est si enrichissant de savoir que l’on aide les autres et que, peut-être, on pourra leur faire vivre la journée de leur vie – d’autant plus qu’ils vous rendent la pareille à leur façon. Ce n’est pas quelque chose que l’on fait pour l’oublier ensuite. L’impact dure toute la vie; c’est merveilleux. Je suis si fière de pouvoir m’impliquer de cette façon.
JF : Racontez-moi quelques-unes de vos expériences les plus mémorables vécues auprès de ces organismes.
CL : Avec Right to Play, il est formidable de pouvoir jouer à des jeux de base avec des enfants qui ne peuvent communiquer au moyen du langage, mais qui peuvent le faire par le jeu et le sport. Lors des Jeux olympiques spéciaux d’hiver de 2013 à Pyeongchang, en Corée du Sud, j’ai agi à titre d’instructeur honoraire pour l’équipe canadienne; j’ai également assisté aux Jeux olympiques spéciaux d’été de 2015 à Los Angeles. J’ai fait la connaissance de nombreux athlètes; les voir se surpasser ainsi a été pour moi une expérience des plus exaltantes.
JF : S’il était une chose que vous aimeriez que le public sache à propos de Catriona Le May Doan, quelle serait-elle?
CL : Les gens pensent que parce que j’ai patiné à de grandes vitesses dans le monde entier, je suis casse-cou. Si mes enfants entendaient cela, ils riraient. Par exemple, je ne skie pas très rapidement, car j’ai peur de me blesser. Je ne pratique pas le vélo de montagne ou tout autre sport extrême.
JF : Enfin, comment décririez-vous votre expérience en tant que mère de deux enfants?
CL : J’ai une fille et un fils. Je suis l’entraîneuse de l’équipe de ringuette de ma fille; mon mari, lui, est l’entraîneur de l’équipe de hockey de notre fils. Nous nous impliquons dans les sports communautaires de nos enfants, et j’adore cela. On ne m’a jamais poussée quand j’étais enfant, et je ne voudrais jamais pousser mes enfants. Si mes enfants veulent pratiquer un sport, ils doivent choisir de le faire eux-mêmes. Bien sûr, j’adore le sport; toutefois, mon rôle de mère est vraiment gratifiant.
En février 2016, Catriona LeMay Doan s’est jointe à l’équipe de Sport Calgary à titre de directrice principale de l’engagement communautaire et du marketing. Dans un courriel subséquent, Jeremy Freeborn a voulu obtenir les commentaires de l’athlète sur son nouveau poste.
JF : Est-il enrichissant pour vous de vous impliquer au sein de Sport Calgary?
CL : Je suis passionnée de sport à tous les niveaux. Mon travail chez Sport Calgary me permettra d’aider les gens de la région à faire l’expérience du sport et de ses puissantes vertus, que leur objectif soit de découvrir de nouvelles activités ou encore de prendre part à des compétitions nationales.
Le texte de cet entretien a été modifié et condens