Jacques Parizeau, G. O. Q., économiste, professeur, haut fonctionnaire, politicien et premier ministre du Québec (né le 9 août 1930 à Montréal, Québec; décédé le 1er juin 2015 à Montréal). Comptant parmi les premiers mandarins de l’État moderne du Québec, il deviendra l’une des plus irréductibles figures de proue du mouvement souverainiste québécois.
Formation et début de carrière
Issu d’une famille de la grande bourgeoisie montréalaise, Jacques Parizeau est le fils de l’assureur, homme d’affaires et historien Gérard Parizeau et de son épouse Germaine Biron. Il étudie au Collège Stanislas d’Outremont et à l’École des hautes études commerciales (HEC Montréal), dont il est obtient un diplôme en 1950. Poursuivant ses études à l’Institut d’études politiques et à la Faculté de droit de Paris (1952), il décroche en 1955, à l’âge de 24 ans, un doctorat en sciences économiques de la London School of Economics.
De retour au Québec, il enseigne à l’École des HEC de 1955 à 1976 et y occupe le poste de directeur de l’Institut d’économie appliquée de 1973 à 1975. Consulté par plusieurs ministères québécois, il fait partie de l’équipe de bâtisseurs associés à la Révolution tranquille du début des années 1960. De 1961 à 1969, il est conseiller économique et financier du premier ministre et du Conseil des ministres. Il participe notamment à la nationalisation de l’hydroélectricité et à l’instauration d’un nouveau régime de négociations dans la fonction publique québécoise. Il est également le parrain de la Caisse de dépôt et placement du Québec, un instrument essentiel de la modernisation de l’économie québécoise.
Député et ministre dans le gouvernement Lévesque
Jacques Parizeau adhère officiellement au Parti québécois (PQ) en 1969, une décision qu’il explique par sa conviction qu’il ne peut y avoir deux gouvernements forts dans le même pays. Par la suite, il ne déviera jamais de son objectif indépendantiste. Ministre des Finances de 1976 à 1984 au sein des gouvernements successifs de René Lévesque, il quittera ses fonctions en répudiant le virage fédéraliste de son chef, qui prône, sous le vocable de « beau risque », une tentative de réaménagement des rapports Québec-Canada dans le cadre canadien (voir Souveraineté-association; Histoire constitutionnelle).
En 1988, ses vues triomphent au sein du Parti québécois avec son élection comme chef en remplacement de Pierre Marc Johnson. Il remet l’indépendance à l’ordre du jour des priorités du PQ. Ce faisant, il entame avec son parti une traversée du désert dans l’opposition. L’année précédente, Robert Bourassa et Brian Mulroney ont réussi à négocier une nouvelle entente constitutionnelle Canada-Québec. Au moment de l’arrivée de Jacques Parizeau à la tête du PQ, l’Accord du Lac Meech chemine vers sa ratification finale, des partisans influents du « beau risque » (notamment Lucien Bouchard) ont rejoint le gouvernement conservateur à Ottawa, et le fédéralisme semble avoir le vent dans les voiles au Québec.
Aux élections provinciales de 1989, le Parti québécois est de nouveau cantonné dans l’opposition, ne remportant que 29 sièges. Il réussit néanmoins à obtenir 40 % des suffrages. En juin 1990, l’alliance entre partisans du « beau risque » et fédéralistes canadiens éclate avec l’échec de l’Accord du lac Meech. Lucien Bouchard quitte le gouvernement Mulroney pour fonder un parti indépendantiste fédéral, le Bloc québécois. Quant à Robert Bourassa, il refuse de participer aux conférences des premiers ministres et brandit la possibilité de tenir un référendum sur la souveraineté du Québec si aucune proposition constitutionnelle acceptable n’est formulée par le reste du Canada avant l’été 1992. Les premiers ministres s’entendent toutefois en août, ce qui donne lieu à une nouvelle proposition constitutionnelle, l’Accord de Charlottetown. Lors du référendum pancanadien sur la question qui se tient le 26 octobre 1992, Jacques Parizeau mène le camp québécois du Non à la victoire. Le Québec se rallie ainsi à cinq autres provinces opposées à l’Accord.
Élection comme premier ministre et référendum de 1995
En 1994, Jacques Parizeau est élu premier ministre du Québec avec 45 % des suffrages, aux dépens du successeur de Robert Bourassa, Daniel Johnson fils. Malgré un score électoral serré, le Parti québécois occupe 77 des 125 sièges à l’Assemblée nationale. L’année précédente, le Bloc québécois, sous la direction de Lucien Bouchard, a fait élire des députés souverainistes fédéraux dans plus des deux tiers des circonscriptions du Québec. M. Parizeau décrète que tout est en place pour la réalisation de sa promesse d’un référendum dans l’année suivant son élection. Mais l’élan donné à la souveraineté par l’échec de l’Accord du lac Meech commence à s’estomper. Au déclenchement de la campagne référendaire, le Oui accuse plus de 10 points de retard sur le Non. À mi-campagne, dans un ultime effort pour renverser la tendance, Jacques Parizeau accepte de se mettre en retrait de la direction du camp du Oui au profit de Lucien Bouchard, qui jouit alors d’une grande popularité auprès de l’électorat québécois.
Le 30 octobre 1995, le Oui rallie 49 % des suffrages, passant à quelques dizaines de milliers de votes de la victoire. Le soir du référendum, visiblement amer, Jacques Parizeau laisse entendre qu’il a été vaincu par le pouvoir financier du camp adverse et la forte mobilisation contre le Oui des communautés culturelles, un commentaire qui lui sera largement reproché. Il démissionne le lendemain.
Controverses
Par la suite, il se donne le rôle d’animateur du mouvement souverainiste, tentant de donner un nouveau souffle à sa cause, en dirigeant notamment un chantier de réflexion sur la question au sein du Bloc québécois. Il commente régulièrement l’actualité québécoise, critiquant l’obsession du déficit zéro du gouvernement Bouchard et l’ambiguïté du Parti québécois sur la question référendaire. Ses interventions, parfois dures à l’endroit de ses successeurs, lui vaudront le surnom de « belle-mère ». Grand démocrate, Jacques Parizeau croyait profondément en l’importance de débattre et d’échanger des idées, quitte à égratigner au passage son propre parti. Ainsi, quelques mois avant son décès, il déclare que les souverainistes sont devant « un champ de ruines » à la suite de la défaite des troupes de Pauline Marois à l’élection du 7 avril 2014. En 2012, à l’aube de nouvelles élections, il avait aussi appuyé ouvertement le nouveau parti Option nationale et son chef Jean-Martin Aussant, plutôt que son ancienne formation politique.
Jacques Parizeau n’est jamais revenu sur les mots controversés qu’il a prononcés le soir du référendum de 1995. Le lendemain, dans le discours annonçant sa démission comme chef du gouvernement québécois, il reconnaît toutefois avoir formulé sa déception de manière maladroite. D’ailleurs, si sa déclaration a pu être interprétée et récupérée comme une référence à un nationalisme identitaire, elle est à contre-courant du nationalisme civique qu’il a toujours défendu à travers l’idée d’un Québec souverain, soit d’une société moderne, laïque, pluraliste et ouverte sur le monde (voir Nationalisme francophone au Québec). Il sera aussi l’un des critiques les plus acerbes de la Charte des valeurs québécoises proposée par le ministre péquiste Bernard Drainville, jugeant que celle-ci va trop loin dans les interdictions et qu’elle devrait plutôt se limiter aux recommandations du rapport de la commission Bouchard-Taylor.
Héritage
Bâtisseur du Québec moderne, Jacques Parizeau a contribué à donner à cette province certains de ses leviers de développement économique les plus puissants. Toutefois, si sa contribution au développement économique, à la construction de l’État et au débat politique est largement reconnue au Québec, le souvenir qu’il laisse dans le reste du Canada évoque une période de déchirements politiques et constitutionnels.
Le parcours intellectuel et politique de l’homme a été souligné par de nombreux prix et hommages. En 2004, la scénariste Francine Pelletier réalise sur lui un documentaire intitulé Monsieur. Le lendemain de son décès, l’Assemblée nationale annonce que des funérailles d’État seront organisées en son honneur et que l’édifice principal de la Caisse de dépôt et placement portera à l’avenir le nom d’Édifice Jacques-Parizeau.
Jacques Parizeau a épousé en 1956 l’écrivaine d’origine polonaise Alice Parizeau (née Alicia Poznanska). En 1992, il s’est remarié avec Lisette Lapointe, députée du Parti québécois de 2007 à 2012 et mairesse de Saint-Adolphe d’Howard depuis 2013. Les archives de Jacques Parizeau sont conservées par le Centre d’archives du Vieux-Montréal de Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
Prix et distinctions
Commandeur de la Légion d’honneur, gouvernement français (2000)
Prix Louis-Joseph-Papineau, Rassemblement pour un pays souverain (2006)
Grand officier de l’Ordre national du Québec (2008)
Prix Richard-Arès du meilleur essai publié au Québec (pour La souveraineté du Québec. Hier, aujourd’hui et demain) (2010)
Doctorat honoris causa, Université de Montréal (2014)