Jeffrey David Wall, O.C., artiste (né le 29 septembre 1946 à Vancouver, en Colombie-Britannique). Connu pour ses photographies grand format rétroéclairées, ses écrits théoriques et son enseignement, Jeff Wall est le plus célèbre membre de l’École de Vancouver, un groupe d’artistes datant de la fin des années 1960 comprenant Ken Lum, Ian Wallace et Rodney Graham.
Débuts et carrière naissante
À Vancouver, Jeff Wall grandit encouragé par ses parents à cultiver son intérêt pour l’art. À 14 ans, il peint dans le cabanon de la maison familiale, dans la cour arrière. Il est inspiré très tôt par les nouveaux développements en peinture, notamment les œuvres de l’artiste abstrait américain Jackson Pollock, qu’il a vu dans à l’Exposition universelle de 1962, à Seattle.
Jeff Wall obtient un baccalauréat en histoire de l’art à l’Université de la Colombie-Britannique en 1968, puis une maîtrise en 1970. Son mémoire, Berlin Dada and the Notion of Context, porte sur l’artiste allemand dada John Heartfield. De 1970 à 1973, il poursuit des études doctorales au Courtauld Institute of Art, à Londres, en Angleterre. Jeff Wall ne termine toutefois jamais la thèse qu’il a entamée sur l’artiste français révolutionnaire Marcel Duchamp et retourne plutôt au Canada. De 1974 à 1975, il devient professeur adjoint au Nova Scotia College of Art and Design (NSCAD), puis, de 1976 à 1987, professeur associé à l’Université Simon Fraser. Il enseigne ensuite à l’Université de la Colombie-Britannique jusqu’à sa retraite, en 1999.
Lors de ses études en histoire de l’art à l’Université de la Colombie-Britannique, Jeff Wall délaisse la peinture et commence à explorer l’art conceptuel, notamment à l’aide de la vidéo et de photographies agrémentées de textes. En 1970, son art est présenté dans le cadre de l’exposition conceptuelle Information au Museum of Modern Art, à New York. Après l’exposition, il vit un « bloc » artistique et abandonne complètement la discipline.
Photos en transparence
Il faut attendre à 1977, année où il produit ses premières photographies rétroéclairées, pour que Jeff Wall retrouve l’inspiration. Les images qu’il crée sont mises en scène, et font souvent référence à l’histoire de l’art et aux problèmes philosophiques de la représentation. L’objectif de l’artiste est de retrouver les impératifs du modernisme pour sauver la société de ce qu’il voit comme le cul-de-sac du conceptualisme.
Jeff Wall devient une figure centrale de l’art conceptuel à l’échelle internationale lorsqu’il participe à Westkunst: Zeitgenössische Kunst seit 1939 (en 1981), une exposition européenne d’envergure réalisée par son collègue de la NSCAD, Kaspar König, au Rheinhallen Messegelände, à Cologne, en Allemagne.
L’art de Jeff Wall est appuyé par ses nombreux articles théoriques qui défendent la nécessité de l’art pictural. La majorité de ses photos représentent les tensions sociales, des villes aux démographies changeantes, des intersections, des banlieues et des zones mortes, tandis que d’autres sont plus énigmatiques, fantaisistes et personnelles. Productions compliquées impliquant une distribution, des décors, une équipe de soutien et de la manipulation numérique, ses œuvres ont été décrites comme cinématographiques plutôt que photographiques, et leur composition rappelle davantage l’histoire de la peinture que de celle de la photographie.
Œuvres figuratives
Parmi les premières œuvres iconiques de Jeff Wall, on compte Picture for Women (1979), qui synthétise beaucoup des thèmes fétiches de l’artiste tout au long de sa carrière. Inspirée par Un bar aux Folies Bergère (1881), d’Édouard Manet, et prise directement dans un miroir, Picture for Women montre un jeune Jeff Wall tout de noir vêtu, une manette à la main et le regard pensif. À l’avant-plan, une femme en habit de tous les jours fronce légèrement les sourcils, les mains sur une table en bois et un air d’impatience, voire d’ambivalence, sur le visage. L’œuvre est une double représentation introspective — de l’artiste et de son modèle dans le miroir et dans la photo elle-même —, et un commentaire sur la relation problématique entre les photographes et leurs modèles féminins, ainsi que sur les connotations misogynes des photos de femmes dans la vie contemporaine. La posture et l’expression de la femme suggèrent son malaise à l’idée d’être le sujet de la photo.
L’œuvre The Storyteller (1986), quant à elle, propose une image plus grande et plus complexe. À l’avant, sur une pente herbeuse près d’un viaduc en béton, sont assis trois hommes autochtones autour d’un feu de camp. Le ciel est gris et opaque, et un des hommes est accroupi. Sa bouche est ouverte, et il gesticule comme s’il racontait une histoire; c’est le « storyteller » du titre. Derrière lui, près d’un épais bouquet de pins, un couple semble écouter de loin, allongé dans l’herbe. Sous les remparts du viaduc, un homme à l’air renfrogné est assis à l’écart, les mains jointes, comme s’il était ostracisé par le groupe. Comme c’est souvent le cas avec les œuvres de Jeff Wall, The Storyteller est une composition complexe mettant en scène plusieurs niveaux d’ironie. Les Autochtones qui participent à une pratique ancestrale sont sans abri sur leur territoire, qui a été envahi et fragmenté. De plus, les Autochtones eux-mêmes semblent désorientés et fragmentés : alors que deux sont plongés dans l’histoire du conteur, les autres sont à la dérive, en périphérie.
Les photographies grand format et rétroéclairées de Jeff Wall sont reconnues pour leurs références souvent explicites aux peintures françaises du 19e siècle, en particulier celles d’Édouard Manet. Au Courtauld Institute of Art, Jeff Wall a été l’étudiant de T. J. Clark, un des grands théoriciens sur la peinture et le modernisme français du 19e siècle.
Au début des années 1990, Jeff Wall commence à créer des œuvres qui rappellent une différente tradition de la peinture : celles des natures mortes et du paysage. An Octopus (1990), par exemple, montre une pieuvre à mi-distance, sensuelle mais mystérieuse, sur une table de bois qui jette une ombre sur le mur. Le mur, avec ses lattes de bois et son stucco vert érodé, pourrait être celui d’un vieil atelier.
À l’opposé, In The Flooded Grave (1998-2000) montre une tombe ouverte — une bâche et une pile de terre sont à côté — remplie d’animaux marins : étoiles, anémones et mousses de mer. La scène est colorée de verts et de violets luxuriants. Derrière, le cimetière s’étend à perte de vue. Le gazon vert est ponctué de pierres tombales, des oiseaux vrillent dans le ciel, et des endeuillés marchent au loin.
Ouvrages et écrits
Jeff Wall est reconnu comme un des artistes, écrivains et théoriciens les plus brillants et les plus sophistiqués de sa génération. Il écrit sur une foule de sujets, des artistes qui sont ses contemporains aux figures historiques majeures, en passant par les questions esthétiques et philosophiques qui touchent ses œuvres. Dans «Dan Graham’s Kammerspiel » (1982), il discute de la critique de l’artiste américain Dan Graham à propos du mouvement conceptuel (qu’il a adopté au début de sa carrière avant de passer à autre chose) et de ses ambitions d’affaiblir le concept de l’art. « “Marks of Indifference”: Aspects of Photography in, or as, Conceptual Art » (1995) raconte en détail le rôle crucial du mouvement conceptuel dans l’établissement de la photographie comme discipline centrale de l’art moderne. «Frames of Reference » (2003) propose une réflexion sur la photographie classique, que des artistes comme Walker Evans et Paul Strand ont perfectionnée, et les raisons qui font qu’elle ne convient pas à Jeff Wall. Il y mentionne qu’il s’est tourné vers les photographies grand format, et ce qu’il appelle la « nouvelle photographie artistique », sous l’influence de l’art conceptuel et des préoccupations photographiques du cinéma européen d’après-guerre.
Expositions d’envergure
Jeff Wall a participé à de nombreuses expositions internationales et a même fait l’objet d’une rétrospective à la Vancouver Art Gallery en 1990. Des expositions solos dont il est la vedette ont lieu à l’Institute of Contemporary Arts, à Londres, en Angleterre (1984); au Irish Museum of Modern Art, à Dublin, en Irlande (1993); à la Whitechapel Gallery, à Londres, en Angleterre (2001); au Kunstmuseum Wolfsburg, à Wolfsburg, en Allemagne (2001); au Hasselblad Center, à Göteborg, en Suède (2002); au Musée d’art contemporain Astrup Fearnley, à Oslo, en Norvège (2004). Des rétrospectives de son art ont lieu au Schaulager, à Bâle, en Suisse (2005); au Tate Modern, à Londres, en Angleterre (2005); au Museum of Modern Art, à New York (2007); à nouveau à la Vancouver Art Gallery (2009). En 2010, ses œuvres sont exposées au Staatliche Kunstsammlungen, à Dresde, en Allemagne, et dans les expositions documenta 10 et documenta 11 (1997 et 2002).
Jeff Wall fait l’objet d’une rétrospective majeure au Palais des beaux-arts de Bruxelles en 2011, lors de laquelle 25 de ses œuvres sont accompagnées de 130 pièces de ses artistes préférés, dont des photographies datant des années 1900 d’Eugène Atget, et des extraits de films (de Fassbinder, Bergman et les frères Dardenne) et des pièces de ses contemporains Thomas Struth et David Claerbout.
Jeff Wall est considéré comme l’un des artistes contemporains les plus importants de l’Amérique du Nord, et ses œuvres valent une fortune. En 2008, sa photographie intitulée The Well est vendue pour environ 1,2 million de dollars américains lors d’une mise aux enchères organisée par Sotheby’s, à Londres, en Angleterre. En 2012, l’œuvre photographique Dead Troops Talk (1992) trouve preneur pour 3,6 millions de dollars lors d’une enchère menée par Christie’s, à New York.
Prix et honneurs
Prix Hasselblad (2002)
Membre, Société royale du Canada (2006)
Officier, Ordre du Canada (2007)
Prix Audain pour l’ensemble de son œuvre (2008)