Enfance et formation
Stephen Kakfwi naît de parents dénés aux alentours de Fort Good Hope, dans les Territoires du Nord-Ouest. Comme son grand-père a été contraint de céder ses droits d’Indien inscrit (en vertu de la Loi sur les Indiens) pour démarrer une entreprise (voir Indien et Émancipation), Stephen Kakfwi est un Indien non inscrit, même si ses liens culturels et linguistiques avec la collectivité dénée sont très forts. Il récupère son statut d’indien en 1987. À l’instar de beaucoup de jeunes de sa génération, il commence sa vie sur le territoire ancestral et développe une relation importante avec les collectivités et les cultures autochtones de la rivière Mackenzie.
Après des années difficiles et malheureuses au sein du système des pensionnats indiens, Stephen Kakfwi est recruté par l’évêque Paul Piché pour étudier au Grandin College, un internat à Fort Smith. L’évêque recrute un certain nombre d’étudiants autochtones et du Nord talentueux, dont les futurs chefs des Territoires du Nord-Ouest Ethel Blondin-Andrew, Robert McLeod et Michael Miltenberger. Sous l’égide d’enseignants comme le père Paul Pochat, Stephen Kakfwi améliore considérablement ses performances scolaires et obtient son diplôme d’études secondaires. Comme c’est le cas pour les autres étudiants, on s’attend à ce qu’il occupe plus tard un poste important dans l’administration des affaires de la région.
Stephen Kakfwi entreprend des études en éducation à l’Université de l’Alberta, mais l’effervescence politique qui frappe le Nord à l’époque le pousse à abandonner ses études. En effet, les droits des Autochtones deviennent, vers la fin des années 1960, un enjeu national majeur caractérisé par des débats intenses entourant l’avenir du développement des ressources dans le Nord. Des trouvailles pétrolières prometteuses le long de la rivière Mackenzie et dans la mer de Beaufort propulsent la région au-devant de la scène nationale et internationale. Les frustrations grandissantes des peuples autochtones au Canada enflamment les Territoire du Nord-Ouest où les questions reliées aux titres autochtones, à l’absence de traités viables et les bouleversements sociaux et économiques croissants animent les affaires publiques du territoire. Lorsque Stephen Kakfwi revient d’Alberta, au début des années 1970, il se retrouve rapidement au cœur de ce tumulte politique.
Carrière politique
Stephen Kakfwi bâtit sa réputation sur la scène politique régionale et nationale au cours des débats entourant le projet de pipeline de la vallée du Mackenzie, dans les années 1970. Comme beaucoup d’Autochtones du Nord, il voit d’un mauvais œil qu’on impose dans la région des infrastructures d’envergure sans consultation et implication adéquate du territoire. Lorsque le rapport de l’Enquête sur le pipeline de la vallée du Mackenzie, habituellement associé avec le juge Thomas Berger, recommande un moratoire sur le pipeline, Stephen Kakfwi et d’autres personnes y voient un signe de leur pouvoir politique grandissant.
Il pose sa candidature au poste de président de la Nation dénée, une des plus importantes organisations autochtones de la région, mais il est défait par Georges Erasmus en 1980. Il le remplace toutefois trois ans plus tard, lorsqu’Erasmus devient vice-chef de l’Assemblée des Premières Nations pour le Nord. Stephen Kakfwi défend le mandat de président jusqu’en 1987. Il joue aussi un rôle majeur dans les plus grandes affaires territoriales de l’époque, y compris les négociations entourant les vastes revendications territoriales de la Nation dénée contre le gouvernement du Canada, l’invitation du pape Jean-Paul II aux Territoires du Nord-Ouest, et les efforts de promotion de la résilience culturelle et linguistique autochtones chez les Dénés et autres peuples du Nord. La création de l’Institut culturel déné (aujourd’hui appelé Yamozha Kue Society) fait également parmi de ses nombreuses contributions.
Stephen Kakfwi, tout comme George Erasmus, s’implique autant à l’échelle nationale qu’internationale. Il aide à fonder Indigenous Survival International, une organisation qui s’implique dans l’éducation publique afin de soutenir l’économie d’exploitation des ressources fauniques des peuples autochtones du Nord suivant le boycottage de la fourrure par les Européens. Il siège également au Comité directeur du développement constitutionnel, composé de chefs autochtones et de membres de l’Assemblée des Territoires du Nord-Ouest. Le Comité tente, sans succès finalement, de concevoir une nouvelle forme de gouvernement pour la portion ouest des Territoires du Nord-Ouest — dans la foulée de la division du territoire et de la création du Nunavut — qui permettrait à la fois de gouverner tous les habitants du territoire et de concrétiser le principe d’autonomie gouvernementale autochtone. Stephen Kakfwi s’implique également beaucoup dans les intenses débats entourant la division des Territoire du Nord-Ouest, un processus qui se conclut par l’établissement du Nunavut en Arctique central et oriental en 1999.
Carrière parlementaire
En tant que représentant de la circonscription du Sahtu, Stephen Kakfwi est élu à l’Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest en 1987. Il est ainsi investi d’un certain nombre de responsabilités ministérielles, dont le développement économique des ressources et de la faune sauvage, l’éducation, le logement, les services publics et de sécurité, les droits des Autochtones, la justice, le personnel et la Commission des accidents du travail. À titre de ministre de l’Éducation, il crée des commissions scolaires régionales afin de répondre aux besoins des Territoires du Nord-Ouest et au désir des résidents de différentes régions d’avoir plus de pouvoir dans leurs collectivités. Comme ministre responsable des Affaires nationales constitutionnelles, il est une voix importante de l’inclusion des T.N.-O. aux négociations qui mènent à la création de l’Accord de Charlottetown. Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest fonctionne sur la base du consensus, c’est-à-dire un système dans lequel les partis politiques n’ont aucun rôle. Ainsi, après chaque élection, les membres de l’Assemblée élisent un de leurs collègues au poste de premier ministre. En janvier 2000, Stephen Kakfwi est élu premier ministre de la 14e Assemblée législative.
Au cours de son mandat de premier ministre, Stephen Kakfwi promeut, de façon prudente, mais néanmoins fervente, le développement des ressources non renouvelables dans les Territoires du Nord-Ouest, tout en soutenant l’exploitation des ressources fauniques par les Autochtones. Il défend la création de l’industrie diamantifère dans le territoire et soutient fermement la nouvelle mouture de la proposition de pipeline dans la vallée du Mackenzie. Le nouveau projet, selon lui, diffère grandement de celui auquel il s’est opposé jadis, parce qu’il implique les Autochtones dans sa planification et offre aux collectivités autochtones du Nord une forte participation minoritaire dans ses infrastructures. Des retards dans l’évaluation socioéconomique et environnementale ralentissent toutefois le développement du projet, et le pipeline lui-même est mis sur la glace en raison des conditions changeantes du marché. Stephen Kakfwi soutient depuis longtemps le partage des revenus issus des ressources naturelles, une politique qui est finalement instaurée aux Territoires du Nord-Ouest lorsque le gouvernement du Canada cède certains de ses pouvoirs au gouvernement territorial. Stephen Kakfwi a travaillé à renforcer le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest en négociant la dévolution des pouvoirs du gouvernement fédéral vers les Territoires du Nord-Ouest. Le politicien cherche également à ce que le gouvernement fédéral partage une partie des revenus qu’il reçoit de l’exploitation minière aux T.N.-O., ce qui, selon lui, mettra fin à la marginalisation économique de la région.
En 2003, Stephen Kakfwi ne se porte pas candidat aux élections territoriales. Joseph Handley lui succède donc en tant que premier ministre.
Implication régionale et communautaire
Depuis 2003, Stephen Kakfwi participe, au nom des communautés du Sahtu, aux négociations entourant la construction et les activités d’exploitation du projet de pipeline de la vallée du Mackenzie. Il fait également de la sensibilisation au sujet des sévices que lui-même ainsi que d’autres Autochtones ont vécus dans les pensionnats indiens. En 2005, il est invité à la Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie, un groupe jouissant d’une vaste représentativité qui est chargé de conseiller le gouvernement du Canada dans ses stratégies à long terme en matière d’énergie et de changements climatiques. Stephen Kakfwi est également conseiller pour la branche canadienne du Fonds mondial pour la nature (Canada) et siège au conseil de Vision Television. Il soutient une foule d’initiatives communautaires locales et promeut une approche équilibrée en ce qui a trait au développement des ressources, de façon à respecter les besoins des Autochtones, à protéger l’environnement et à attirer les investissements des entreprises. De plus, Stephen Kakfwi est aux premières lignes de nombreuses initiatives, notamment la Campagne mondiale de conservation de la forêt boréale et l’Initiative de leadership autochtone. En 2014, il fonde l’organisme Les Canadiens pour un nouveau partenariat, dont il est président et chef de la direction. Stephen Kakfwi est aussi souvent conférencier et est un auteur-compositeur-interprète de renom.
Prix et honneurs
Prix d’excellence décerné aux Autochtones, catégorie services publics (maintenant prix Indspire) (1997)
Prix du Conseil des Canadiens avec déficiences (2003)
Médaille du Gouverneur général pour la nordicité (2012)
Importance
La carrière politique et professionnelle de Stephen Kakfwi se déroule au cours d’une importante période de transition en ce qui a trait au développement du Nord. À l’époque où Stephen Kakfwi fréquente le Grandin College entouré de plusieurs des futurs leaders de la politique territoriale, les droits des peuples autochtones de la région sont peu reconnus, aucun traité moderne n’est sur la table et leur rôle dans l’économie des ressources est minime. La lutte politique qu’il joint et finit par mener dans les années 1970 et 1980 a un effet remarquable : elle lance le processus des revendications territoriales dans le Nord, permet la ratification d’une série de traités impressionnants, fait avancer la cause pour la dévolution des pouvoirs et un gouvernement responsable aux Territoires du Nord-Ouest et redéfinit le rôle des peuples et collectivités autochtones au sein de l’économie des ressources naturelles. Stephen Kakfwi joue un rôle important dans la division des T.N.-O. et dans la création du Nunavut; il agit d’ailleurs à titre de premier ministre des T.N.-O. au cours des années cruciales suivant cette division. Très peu de provinces ou territoires canadiens ont connu des changements politiques, juridiques et constitutionnels aussi rapides que les Territoires du Nord-Ouest dans les années 1970 à 2000. Encore moins nombreux sont les gens qui peuvent se targuer d’avoir été aux premières loges de ces transformations politiques d’envergure, et d’avoir participé de façon aussi active, professionnelle et constructive au réaménagement du Nord que Stephen Kakfwi.