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L'itinérance au Canada

L’itinérance touche un grand nombre de Canadiens. Certains groupes sont cependant plus à risque de connaître un épisode d’itinérance, notamment les hommes adultes célibataires, les personnes vivant avec un problème de santé mentale ou de dépendance, les femmes et les enfants qui fuient la violence et les Autochtones. On estime qu’environ 35 000 personnes par nuit et au moins 235 000 personnes par année sont touchées par l’itinérance au Canada.
Itinérance à Montréal

Montréal, Québec.

Histoire de l’itinérance comme problème social au Canada

Ce n’est qu’à partir de la première moitié des années 1980 que le terme « itinérance » est utilisé pour décrire un problème social présent au Canada. Même si certains Canadiens vivaient cette réalité avant l’apparition du terme, ils n’étaient pas aussi nombreux que ceux qui la vivent aujourd’hui, et ce, en raison des politiques et des programmes gouvernementaux en vigueur à l’époque. La majorité des Canadiens étaient alors logés, quoique parfois dans des conditions inadéquates ou temporaires, notamment lors de la crise des années 1930 et de la Deuxième Guerre mondiale.

LE SAVIEZ-VOUS?
Selon le Dr David Hulchanski de l'Université de Toronto, ceux qui étaient considérés comme sans abri étaient généralement des voyageurs célibataires « en transit » vivant dans des maisons de chambres et profitant de l’aide accordée par des œuvres de charité, comme l’Armée du Salut.


Dans les années 1960 et 1970, le gouvernement fédéral investit massivement pour offrir des logements convenables aux Canadiens. En 1973, la Loi nationale sur l’habitation est modifiée, ce qui mène à la construction de 20 000 unités de logements sociaux par année. Jusque dans les années 1980, plusieurs professionnels participant à l’élaboration de politiques et de programmes socioéconomiques au Canada, tels les urbanistes, les chercheurs universitaires, les responsables de la santé publique et les travailleurs sociaux, visent à garantir à la population un accès à des logements et à des quartiers sécuritaires. (Voir aussi Logement et politique du logement.)

En 1981, l’Organisation des Nations Unies (ONU) déclare l’année 1987 comme étant l‘Année internationale du logement des sans-abris. À l’époque, elle se concentre sur le fait que plusieurs résidents des pays en développement n’ont pas accès à des logements convenables. La résolution de 1981 de l’ONU ne fait aucune mention des pays développés, comme le Canada.

Lorsqu’arrive 1987, cependant, l’attention internationale est tournée vers l’augmentation du nombre de sans-abri dans les pays riches et développés, y compris le Canada.

Selon le Canadian Observatory on Homelessness (COH), c’est à cette époque que l’itinérance de masse émerge au Canada, et ce, en raison de la compression qu’exerce le gouvernement depuis 1984 sur les dépenses en logements sociaux et en programmes connexes. En 1993, le financement fédéral pour la construction de nouveaux logements sociaux prend fin. Trois ans plus tard, le gouvernement transfère aux provinces la gestion des habitations sociales à loyer modique.

Qu’est-ce que l’itinérance?

Le COH définit l’itinérance comme suit :

« L’itinérance décrit la situation d’un individu, d’une famille ou d’une collectivité qui n’a pas de logement stable, sécuritaire, permanent et adéquat, ou qui n’a pas de possibilité, les moyens ou la capacité immédiate de s’en procurer un. C’est le résultat d’obstacles systémiques et sociétaux, d’un manque de logements abordables et adéquats, de défis financiers, mentaux, cognitifs, de comportement ou physiques qu’éprouvent un individu ou une famille, et⁄ou de racisme et de discrimination. La plupart des gens ne choisissent pas d’être sans abri et l’expérience et généralement négative, désagréable, néfaste, dangereuse, stressante et affligeante.»


L’itinérance peut être vécue de différentes manières, selon le type de logement, l’accès aux refuges et la durée de la situation.

Le COH  regroupe les types d’itinérance en quatre catégories : personnes sans abri, personnes utilisant les refuges d’urgence, personnes logées provisoirement et personnes à risque d’itinérance.

Les personnes sans abri sont ceux qui « vivent dans la rue ou dans des lieux qui ne sont pas conçus pour le logement des êtres humains ». La catégorie englobe l’occupation temporaire d’espaces publics, tels les trottoirs, les places publiques, les parcs et les forêts. Elle peut aussi englober ceux qui vivent dans une voiture, un garage, un grenier, un placard, un abri de fortune fait de matériaux récupérés (carton ou bâches, par exemple), une cabane ou une tente. Occuper des espaces publics et des immeubles vacants (« squatter ») est un autre exemple.

Les personnes utilisant les refuges d’urgence sont celles qui « dorment dans les refuges d’urgence de nuit pour les sans-abri, ainsi que les refuges pour les personnes affectées par la violence familiale ».

Ceux qui sont logés provisoirement ont un logement temporaire qui ne garantit aucun maintien dans les lieux.

Finalement, les personnes à risque d’itinérance ne sont pas sans abri mais « ont actuellement une situation économique ou résidentielle précaire ou qui ne répond pas aux normes de santé publique et de sécurité ». Cela pourrait inclure ceux faisant du « couchsurfing » ou résidant dans des maisons de chambres.

Un grand nombre de personnes logées provisoirement ou à risque d’itinérance ne figurent pas dans les données et les statistiques officielles. Cette « itinérance cachée » est donc peu prise en compte dans les politiques et les programmes sociaux.

L’itinérance chronique au Canada est plus répandue que par le passé. Les périodes d’itinérance sont également plus longues, en raison des nombreux obstacles empêchant de trouver des solutions durables.

Itinérance à Montréal
Wellington / De la Montagne Montréal.

Qu’est-ce qui cause l’itinérance?

L’itinérance peut être causée par une combinaison de facteurs, comme :

  • La pauvreté
  • Le chômage et les emplois précaires
  • La migration vers les agglomérations urbaines
  • La pénurie de logements abordables
  • Le retrait de l’État du secteur de la santé et des programmes de bien-être social (prestations d'aide sociale, assurance-emploi, logements sociaux, etc.)
  • Le divorce ou les ruptures amoureuses ou familiales
  • La violence familiale
  • Le manque de soutien social ou familial
  • La dépendance (drogues, alcool, jeu)
  • La stigmatisation liée aux problèmes de santé mentale ou à la dépendance à la drogue et le manque de services adéquats
  • L’institutionnalisation et le manque de soutien et de services offerts aux personnes sortant d’un centre jeunesse, de prison, d’un centre de santé mentale, etc.
  • La discrimination fondée sur l’origine, l’âge ou l’orientation sexuelle.
  • Le faible degré d’éducation, l’isolement social et le manque d’estime de soi
  • Les problèmes de santé physique ou mentale

Where is Home? (2016) Documentaire sur l’itinérance dans le sud de l’Alberta. Un film de Dan Berdusco. @LethbridgeLink.com Inc.

Combien de Canadiens en situation d'itinérance?

Il est difficile de recueillir des données précises sur l’ampleur du phénomène d’itinérance au Canada, surtout lorsque l’itinérance cachée est prise en compte. Cependant, les statistiques les plus récentes, soit celles de 2014, recensent environ 35 000 personnes par nuit et au moins 235 000 personnes par année qui sont touchées par l’itinérance au Canada. De ce nombre, environ 180 000 personnes utilisent des refuges (y compris les refuges pour femmes), 50 000 résident temporairement dans d’autres types d’établissements à but non lucratif, comme les hôpitaux, ou avec des membres de la famille ou des connaissances, et 5 000 dorment à l’extérieur.

La Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) considère qu’un ménage éprouve des « besoins impérieux en matière de logement » « s’il occupe une habitation qui ne satisfait pas aux normes de qualité, de taille ou d’abordabilité et si, pour payer le loyer médian des logements acceptables situés dans sa localité, il était obligé de verser au moins 30 % de son revenu avant impôt. »

Selon le recensement de 2016, 1 693 775 foyers (une moyenne nationale de 12,7 %) éprouvent des besoins impérieux en matière de logement. Les données régionales varient quant à elles entre 8,5 %, à l’Île-du-Prince-Édouard, et 36,5 %, au Nunavut. Les taux de prévalence de besoins impérieux en matière de logement dans toutes les régions métropolitaines recensées varient : 5 % à Saguenay (au Québec), 17,6 % à Vancouver (en Colombie-Britannique) et 19,1 % à Toronto (en Ontario).

Les statistiques sont encore plus élevées lorsque seuls les ménages locataires sont étudiés. Au Canada, environ 4 441 020 ménages sont locataires. Parmi ceux-ci, 1 775 445 (40 %) dépensent plus de 30 % de leurs revenus en logement, 795 895 (17,9 %) en dépensent plus de 50 % et 361 635 (8,1 %) en dépensent plus de 80 %. Ce phénomène peut entre autres s’expliquer par le fait que le revenu médian (41 586 $ en 2016) a progressé plus lentement que le prix du loyer médian (909 $ en 2016) au cours des dernières décennies.

Défis liés au décompte des populations itinérantes

Plusieurs villes canadiennes utilisent les données dites « ponctuelles » pour estimer le nombre de personnes en situation d’itinérance. Cette méthode consiste à prendre un « instantané » de la situation précise d’une journée. Cela peut impliquer de compter les lits et le taux d’occupation dans les refuges, les personnes dormant dans les rues, les femmes et les enfants vivant dans les refuges pour femmes victimes de violence ainsi que les personnes demeurant dans un hôpital ou une prison et n’ayant pas d’adresse permanente. Par exemple, un décompte ponctuel récent mené pour évaluer les besoins dans les rues de Toronto relève que, lors de la nuit du 26 avril 2018, 8 715 personnes étaient sans abri et 2 618 d’entre elles étaient logées dans des refuges pour les demandeurs d’asile ou de statut de réfugié.

Les données ponctuelles sont parfois critiquées et jugées inexactes puisqu’elles ne tiennent pas compte de l’itinérance cachée, notamment celle qui affecte les femmes et les jeunes.

Qui est touché par l’itinérance au Canada?

L’âge, le sexe et l’origine ethnique des personnes en situation ou à risque d’itinérance au Canada varient grandement. Certains groupes sont cependant plus à risque de devenir sans abri, notamment les hommes adultes célibataires, les personnes vivant avec un problème de santé mentale ou de dépendance, les femmes et les enfants qui fuient la violence et les Autochtones. Il existe une idée préconçue que l’itinérance est un phénomène essentiellement urbain. En fait, le problème, quoique moins visible, existe également dans les régions rurales et les réserves.

Les adultes ayant entre 25 et 49 ans représentent 52 % des personnes en situation d’itinérance
au Canada. Les personnes âgées (65 ans et plus), quant à elles, représentent un faible pourcentage de la population itinérante canadienne (moins de 4 % des utilisateurs de refuges). Les personnes âgées et les adultes ayant entre 50 et 64 ans sont les seuls groupes pour lesquels le recours à des refuges a été en croissance au cours de la dernière décennie.

Populations autochtones

Les peuples autochtones (MétisInuitsPremières Nations) sont surreprésentés parmi les sans-abri canadiens. Alors qu’ils forment 4,3 % de la population canadienne, ils représentent entre 28 et 34 % des personnes ayant recours aux refuges d'urgence.

L’itinérance des Autochtones est particulièrement élevée dans plusieurs villes canadiennes. Selon une étude menée en 2013, 6,97 % de la population urbaine autochtone est sans abri chaque nuit, soit environ une personne sur 15, comparativement à la moyenne nationale de 0,78 %. Chez les personnes non autochtones, une personne sur 128 est considérée comme sans abri. Autrement dit, les Autochtones vivant en milieu urbain sont environ huit fois plus à risque de connaître l'itinérance que les non-Autochtones.

 Plusieurs villes canadiennes ont un nombre élevé d’Autochtones sans abri, notamment VancouverReginaSaskatoonWinnipegTorontoOttawaVal-d’Or et Montréal (où la population inuite est encore plus surreprésentée).

Les conditions et les événements causant l’itinérance chez les Autochtones varient grandement de ceux des autres populations du Canada. Certaines études avancent que la surreprésentation des Autochtones au sein de la population itinérante du Canada découlent des conséquences du colonialisme.

La Loi sur les Indiens et les pensionnats indiens, qui ont séparé les enfants autochtones de leur famille, de leur communauté et de leur culture et les ont exposés à de la maltraitance, sont souvent considérés comme des facteurs de désintégration culturelle. Souffrant en plus de pauvreté extrême, de manque de débouchés et de conditions résidentielles inadéquates dans plusieurs réserves, les membres des communautés sont poussées à migrer vers les villes. De plus, le nombre de personnes par logements dans les communautés des Premières Nations, métisses et inuites, ainsi que dans les foyers autochtones en milieux ruraux et urbains, dépasse largement la moyenne nationale. Il en résulte alors des habitations surpeuplées et non sécuritaires, ce qui mène finalement à l’itinérance.

Jeunes

Les jeunes ayant entre 13 et 24 ans représentent 18,7 % de la population itinérante du Canada. Une grande partie d’entre eux s’identifient comme LGBTQ2S (29,5 %), Autochtones (30,6 %) ou membres de communautés d’autres origines ethniques (28,2 %). En matière de genre, 57,6 % s’identifient comme hommes, 36,4 % comme femmes, 1,8 % comme transgenres, 1,8 % comme bispirituels et 2,5 % comme non binaires. Plusieurs d’entre eux  connaissent l’itinérance depuis un jeune âge : 40,1 % des participants à une étude de 2016 ont déclaré avoir vécu leur première expérience d’itinérance avant 16 ans. Selon une étude menée en 2006 à propos des jeunes de la rue, cette tranche de la population canadienne est particulièrement vulnérable. La prévalence d’infections transmissibles sexuellement et par le sang chez les jeunes de la rue est 10 à 12 fois plus élevée que chez les jeunes de la population générale. Ces jeunes sont également 11 fois plus à risque de mourir par suicide ou d’une surdose. De 12 à 32 % d’entre eux déclarent participer à l’industrie du sexe et 45,8 % affirment s’être déjà injecté des drogues.

Femmes

Les femmes représentent 27,3 % des itinérants au Canada. Leur expérience varie de celle des hommes de diverses manières.

Certaines études montrent que les femmes en situation d’itinérance sont plus à risque de violences, de voies de fait, d’exploitation sexuelle et de maltraitance que les hommes. Une grande proportion d’entre elles contribuent à l’itinérance cachée, préférant éviter les refuges et la rue même si cela implique de demeurer dans des conditions dangereuses, comme la violence familiale. 

La violence familiale est un facteur important de l’itinérance chez les femmes, tout comme la pauvreté résultant d’inégalités entre les sexes.

Plusieurs études montrent que l’itinérance chez les femmes est directement liée à leur plus grande précarité d’emploi, à leurs plus faibles salaires et au fait qu’elles sont plus susceptibles d’être à la tête d’une famille monoparentale. Tous ces éléments conduisent à une plus grande pauvreté que chez les hommes, ce qui a un effet sur les logements auxquels elles ont accès, sur leur sécurité alimentaire et sur leurs conditions de santé. Les femmes racisées, immigrantes et autochtones peuvent être confrontées à des barrières systémiques supplémentaires, ce qui aggrave les conditions de leur itinérance.

Santé mentale et itinérance

Les personnes en situation d’itinérance sont plus à risque de souffrir de troubles de santé mentale que la population générale. De plus, les deux conditions peuvent s’intensifier l’une l’autre. L’itinérance est souvent accompagnée de solitude, de marginalisation et de détresse psychologique, tandis qu’un trouble de santé mentale peut mener à la pauvreté, à la désaffiliation et à la vulnérabilité, ce qui, à son tour, peut causer l’itinérance. Des études montrent qu’environ 30 à 35 % des personnes itinérantes (et jusqu’à 75 % des femmes itinérantes) vivent avec un quelconque trouble de santé mentale et que 20 à 25 % souffrent d’un trouble grave en plus d’une dépendance.

Hommes adultes célibataires

Les hommes adultes célibataires sont ceux dont le nombre et la visibilité sont les plus grands au sein de la population itinérante au Canada. Entre 2005 et 2009, les hommes célibataires âgés de 25 à 55 ans représentaient 47,5 % de cette population.

Stratégies pour remédier à l’itinérance au Canada

Divers organismes sans but lucratif ont été fondés pour répondre aux besoins à court, moyen et long terme des personnes en situation et à risque d’itinérance au Canada. Il est généralement reconnu que les stratégies pour lutter contre l’itinérance doivent être adaptées aux besoins spécifiques de chaque groupe.

Les refuges peuvent viser des groupes spécifiques, comme les hommes, les femmes, les familles, les jeunes ou les Autochtones. Ils offrent généralement des dortoirs communs, bien que certains aient également des chambres privées. Certains demandent à leurs clients de partir le matin. Les refuges adoptent différentes politiques en matière de consommation d’alcool et de drogues. Certains d’entre eux offrent des solutions d’hébergement à moyen terme, ce qui permet aux gens d’y rester quelques semaines ou quelques mois, tandis que d’autres proposent des logements à long terme. Certains refuges offrent des repas, des vêtements et d’autres services, tels le lavage de vêtements et la référence vers des services ou des organismes appropriés. D’autres organismes sans but lucratif offrent des services de consultation, d’assistance juridique, de réduction des méfaits et de représentation.

Finalement, d’autres approches globales, comme des logements sociaux offrant du soutien communautaire, ont été adoptées pour offrir des solutions durables.

Intervention du gouvernement

Au niveau fédéral, en 1999, l’Initiative nationale pour les sans-abris est mise sur pied et prévoit un investissement de 251 millions de dollars par année pour trois ans. L’initiative est ensuite rebaptisée « Stratégie des partenariats de lutte contre l’itinérance » et change ses lignes directrices en 2014 pour se concentrer seulement sur les projets « Logement d’abord » plutôt que sur une diversité de solutions variées. Le budget alloué à l’initiative est en déclin constant, et ce, jusqu’à ce qu’il atteigne 119 millions de dollars pour l’année 2015-2016. Le financement augmente ensuite graduellement, et devrait presque atteindre le montant initial en 2021-2022. L’approche Logement d’abord, inspirée de modèles adoptés aux États-Unis, vise les personnes atteintes d’un trouble de santé mentale qui sont touchées par l’itinérance chronique et leur offre des logements et du soutien. Par exemple, le programme At Home/Chez Soi a été mis en place dans cinq villes grâce aux fonds fédéraux : Vancouver, Winnipeg, Toronto, Montréal et Moncton.

LE SAVIEZ-VOUS?
Lors de sa visite de 2007 au Canada, le rapporteur spécial de l’ONU sur les logements convenables, Miloon Kothari, déclare que la situation du logement et de l’itinérance qui sévit au pays est alarmante, et ce, surtout pour les Autochtones, qu’ils vivent ou non dans des réserves. Il recommande dans son rapport une plus grande intervention gouvernementale à tous les paliers.


Solutions fédérales

En mars 2016, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU incite le Canada « à concevoir et à mettre en place une stratégie nationale sur l’habitation basée sur les droits de la personne » et à augmenter son investissement en habitation et le nombre d’unités de logements sociaux disponibles. Dans son budget de 2017, le gouvernement du premier ministre Justin Trudeau annonce une Stratégie nationale sur le logement longtemps attendue. Parmi les programmes de la stratégie, l’Initiative fédérale de logement communautaire offrira 4,3 milliards « aux provinces et aux territoires pour protéger l’accessibilité pour les [...] foyers [environ 330 000] qui vivent actuellement dans des logements communautaires gérés par les provinces et les territoires et soutenus par les anciens programmes fédéraux. [...] Elle soutiendra également la réparation et la remise à neuf des unités existantes et l’augmentation du nombre de logements communautaires. » Un autre programme, le Fonds national de co-investissement pour le logement, « prévoit près de 4,7 milliards de dollars d’apports financiers et 11,2 milliards en prêts à faible taux d’intérêt [...] pour se concentrer sur la construction de nouvelles unités et sur la préservation et la remise à neuf des logements abordables existants. »

Le 1er avril 2019, le gouvernement canadien annonce le lancement de Vers un chez-soi : la stratégie canadienne de lutte contre l’itinérance, qui vient remplacer la Stratégie des partenariats de lutte contre l’itinérance. Vers un chez-soi appuie les objectifs de la Stratégie nationale sur le logement, notamment la réduction de 50 % de l’itinérance chronique nationale d’ici 2027-2028. Le gouvernement du Canada s’est engagé à verser 2,2 milliards de dollars sur 10 ans pour combattre le problème.

Au Québec, la Stratégie des partenariats de lutte contre l’itinérance est appliquée dans le cadre d’un accord entre la province et le pays afin de respecter les compétences et les priorités de chaque gouvernement par rapport à la situation. Pour instaurer Vers un chez-soi et allouer des fonds au Québec, les gouvernements fédéral et provincial devront travailler de concert pour conclure une nouvelle entente.  

Interventions provinciales en matière d’itinérance

Contrairement aux autres provinces et territoires, qui gèrent l’itinérance au palier municipal (ou local), le Québec a une responsabilité dans les programmes sociaux.  Après la tenue d’une commission parlementaire sur l’itinérance en 2008, l’Assemblée nationale du Québec publie un rapport comprenant des recommandations à propos du revenu, du logement, des soins de santé, des services sociaux, de l’éducation et de la réduction du nombre d’interventions judiciaires à l’encontre des sans-abri. En 2014, le gouvernement du Québec met sur pied une politique interministérielle pour lutter contre l’itinérance, ce qui débouche sur la mise en place de plans d’action. En Ontario, l’Initiative de prévention de l’itinérance dans les collectivités offre un financement annuel depuis 2013. En 2015, la province met sur pied le Comité consultatif sur l’itinérance. Les autres provinces et territoires élaborent eux aussi différentes stratégies et initiatives. Bien qu’ils les financent parfois eux-mêmes, ils le font généralement en partenariat avec les autres paliers de gouvernement.

Interventions municipales en matière d’itinérance

Les municipalités canadiennes sont aux prises avec l’itinérance tous les jours. Bon nombre d’entre elles ont mis en place des programmes pour s’attaquer au problème. Plusieurs réalisent des décomptes ponctuels chaque année  annuels (une méthode statistique provenant des États-Unis) pour évaluer et améliorer les programmes de lutte contre l’itinérance. L’itinérance chronique et visible est généralement ciblée par ce type de stratégie.

Itinérance à Montréal

Refuges d’urgence

Plusieurs villes canadiennes offrent des places supplémentaires dans les refuges pendant l’hiver. La Ville de Montréal collabore avec un organisme depuis plusieurs années pour mettre à la disposition des personnes en situation d’itinérance des navettes qui circulent l’hiver pour les amener vers les places d’hébergement. Les immeubles vacants ou partiellement vacants sont parfois utilisés pour abriter les gens, par exemple les installations de l’hôpital Royal Victoria à Montréal à l’hiver 2019.

Criminalisation de l’itinérance

Plusieurs municipalités et provinces canadiennes utilisent leur système judiciaire pour gérer l’itinérance. Il en résulte alors une criminalisation ou une pénalisation du phénomène. Certaines municipalités ont adopté des règlements anti-mendicité et des règlements contre le désordre urbain, notamment la Loi de 1999 sur la sécurité dans les rues de l’Ontario (LSR) et celle du même nom adoptée en Colombie-Britannique en 2004. Une étude relève que le nombre de contraventions liées à la LSR à Toronto en 2009 était de 13 023 et qu’il était de 67 388 pour la période de 2000 à 2010. La valeur totale des contraventions données en 2009 est de 781 380 $ et, sur les 11 années étudiées, de plus de 4 millions (4 043 280 $).   

Une autre étude souligne que, entre le 1er janvier 2005 et le 31 décembre 2007, au moins 1 756 itinérants ont reçu une contravention en vertu de la LSR de la Colombie-Britannique. D’autres instances, comme la Ville de Montréal, décident plutôt de gérer l’itinérance avec des « lois existantes non limitatives » ou « apportent des changements réglementaires au statut de certains espaces publics, par exemple en les transformant en parcs pour que la police puisse contrôler les couvre-feux ». À Montréal, entre 1994 et 2010, environ 65 000 contraventions sont données à ceux qui indiquent comme adresse personnelle un refuge pour sans-abris. Pour les personnes touchées par l’itinérance, ce genre de mesures peut mener à du harcèlement par les autorités policières, les responsables du métro ou les agents de sécurité, à des frais judiciaires et, dans certains cas, à une peine d’emprisonnement. Cette pénalisation signifie également une plus grande exclusion et plus de déplacements entre les quartiers (souvent du centre-ville vers les secteurs en périphérie, où il n’y a pas de services en itinérance).

Dans plusieurs villes canadiennes, plusieurs changements ont été apportés aux espaces publics. Par exemple, des murs, des clôtures et des bancs de parcs séparés par des accoudoirs ont été conçus de manière à empêcher les personnes en situation d’itinérance d’y avoir accès. Ces modifications visent le même objectif que la pénalisation : limiter la visibilité de l’itinérance dans les espaces publics. Elles ont été critiquées comme étant contre-productives et discriminatoires.

Coûts

Sans considérer le coût humain, l’itinérance coûterait environ 7 milliards de dollars au Canada chaque année. Chaque tranche de 10 $ investie dans les logements et le soutien offerts aux personnes souffrant d’itinérance chronique permettrait d’économiser 21,72 $ en soins de santé, en soutien social, en logement et en implication du système judiciaire.