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La conception des théâtres jusqu'à 1950

Seuls les écrits et les documents d'archives nous permettent de connaître les premiers théâtres du Canada. Il semble que le premier soit le New Grand Theatre, construit en 1789 pour la garnison britannique à Halifax.

La conception des théâtres jusqu'à 1950

Seuls les écrits et les documents d'archives nous permettent de connaître les premiers théâtres du Canada. Il semble que le premier soit le New Grand Theatre, construit en 1789 pour la garnison britannique à Halifax. Dans son journal, le lieutenant William Dyott le décrit comme la chose la plus complète pour sa taille qu'il ait jamais vue, avec des loges ainsi qu'un premier et un deuxième parterre. Ce théâtre a disparu, tout comme bien d'autres construits au cours du siècle suivant, la plupart dans des incendies ou dans des démolitions dues à la menace d'incendie.

Le patrimoine du XIXe siècle

 Il existe encore quelques installations théâtrales datant du premier quart du XIXe siècle dans des hôtels de ville et autres bâtiments publics. On en retrouve de bons exemples relativement intacts dans le ST LAWRENCE HALL de Toronto (William THOMAS, 1850-1851), à Port Perry (1873) et à Petrolia (1887-1889), en Ontario. C'est l'efficacité de ces bâtiments publics à double vocation qui en a assuré la continuité jusqu'aux bouleversements de la Première Guerre mondiale. De nombreux hôtels de ville sont construits avant 1914 dans des localités qui, pour la première fois, estiment avoir les moyens d'appuyer les arts de la scène. Couramment appelés opéras, ces bâtiments comprennent des éléments de théâtre très élaborés : scènes, arcs de scène, galeries, parterres inclinés et décors feutrés. La plupart des bâtiments qui existent encore se trouvent en Ontario (33 y sont répertoriés), mais on en retrouve quelques autres dans des lieux comme Qu'Appelle, en Saskatchewan (1905) et Virden, au Manitoba (Auditorium Theatre, William A. Elliott, 1911). À Rock Island, au Québec, la Haskell Free Library and Opera House (James Ball, 1901-1904) est un exemple remarquable et ravissant de bâtiment public combinant théâtre et bibliothèque. Montréal compte deux autres bâtiments municipaux à double vocation : l'édifice du marché Bonsecours (1845) qui a déjà eu une salle de théâtre ou d'assemblée à l'étage supérieur, mais qui a été complètement éviscéré et modernisé, et l'édifice de la Société Saint-Jean-Baptiste qui a aussi déjà logé un théâtre connu sous le nom de Monument National (Perrault, Mesnard & Venne, 1891-1893). Ce complexe abrite aujourd'hui l'École nationale de théâtre.

Plus obscurs sont les théâtres qui occupaient jadis les étages supérieurs de tavernes et de boutiques et qui sont aujourd'hui anéantis, pour la plupart, par les démolitions ou les rénovations. Parmi les rares survivants, mentionnons le Cardno de Seaforth, en Ontario, un bâtiment de trois étages construits en 1877, et l'Academy Theatre (672 places) de Lindsay, aussi en Ontario, construit en 1892 dans un bâtiment dont le rez-de-chaussée abritait deux magasins. On retrouvait souvent dans les villes et petites villes des exemples de théâtres du genre, plus ou moins grands et plus ou moins confortables. Dans les petites localités, la salle située à l'étage d'un bâtiment commercial était l'unique lieu de spectacles de musique et de théâtre. On y présentait des productions d'amateurs et de professionnels, ces dernières dans le cadre de tournées d'étoiles bien organisées, de compagnies de théâtre et d'ensembles musicaux provenant des grandes villes nord-américaines et, à l'occasion, d'ailleurs dans l'Empire britannique.

 Le Palace Grand Theatre, réplique de l'original construit à Dawson City en 1899, à l'apogée de la ruée vers l'or du Klondike, est un bon exemple des théâtres de l'époque de la colonisation de l'Ouest canadien : fait entièrement de bois avec un lambris extérieur fait de planchettes disposées en feuilles de fougère, une fausse façade à frontons et deux fenêtres en saillie à l'étage supérieur, telles étaient les caractéristiques typiques de l'architecture des villes champignons de cette période. L'intérieur se voulait beaucoup plus prétentieux, avec deux balcons en demi-cercle et deux rangées de loges sur les côtés. Sur ces scènes peu profondes, on présente aujourd'hui des productions d'époque qui permettent aux visiteurs des lieux historiques nationaux du Klondike de goûter les divertissements du tournant du siècle.

Outre les bâtiments et lieux spécifiquement appelés théâtres, de nombreuses structures ont eu une double vocation pour les fins du théâtre. Ce sont, entre autres : les Mechanics' Institutes (à partir des années 1820), des écoles et collèges, des salles paroissiales, des établissements sportifs et les salles de confréries comme les Maçons et les Chevaliers du Temple. Sans ces salles, les Canadiens n'auraient pu étancher leur formidable soif de théâtre.

Les années 1890 ont vu la construction d'un bâtiment qui était conçu spécialement pour le théâtre et qui a survécu jusqu'à ce jour - le MASSEY HALL de Toronto (Sydney Badgely, 1893-1894). Quoique ridiculisé pour la lourdeur de ses lignes et pour ses propriétés ignifuges inadéquates (corrigées depuis), cette salle de 3700 places a toujours été réputée pour son excellente acoustique. Elle se distingue en tant que salle spécialement aménagée pour les concerts, comme l'a voulu son bienfaiteur Hart MASSEY, animé par son amour pour la musique qui, selon la croyance victorienne, améliore les moeurs. Massey Hall était et demeure, après sa remise à neuf dans les années 1990, une des institutions les plus importantes et les plus durables du Canada.

Les grands théâtres du début du XXe siècle

Au début du XXe siècle, plusieurs facteurs influencent la conception des théâtres. La croissance des réseaux de transport, en particulier les chemins de fer, multiplie les tournées de productions. En 1903, la campagne en faveur de l'amélioration de l'ignifugation des théâtres prend un nouvel élan après l'incendie qui ravage le théâtre Iroquois de Chicago et qui coûte la vie à 602 personnes. Les nombreux grands théâtres construits par la suite au Canada et aux États-Unis profitent des progrès technologiques en matière d'ignifugation. Outre les besoins créés par des spectacles de Broadway, l'importance et l'envergure croissantes que prennent alors la comédie dramatique, le ballet et l'opéra donnent lieu à un traitement architectural plus ambitieux qu'auparavant.

Le Walker Theatre de 2000 places à Winnipeg (Howard C. Stone) est le plus vieux survivant canadien des théâtres issus de ce renouveau. Ouvert en décembre 1906, c'est l'invention personnelle de Corliss Powers WALKER, un impresario d'expérience qui a déjà mis sur pied et géré une chaîne de théâtres le long de la ligne de chemin de fer Northern Pacific, de Fargo à Winnipeg. Chaque théâtre est stratégiquement situé en vue des tournées d'artistes et de compagnies de théâtre (surtout des productions de New York) qu'il engage. Du point de vue de ses qualités architecturales, ce théâtre bénéficie de toutes les nouvelles techniques d'ignifugation, y compris la construction d'une cage d'acier avec plusieurs composantes enfouies dans des caissons de béton ou de terre cuite, ainsi qu'un système de ventilation très amélioré. La conception de l'architecture intérieure et de l'architecture extérieure ressemble beaucoup à l'important Auditorium Theatre de Chicago. Le Walker est aussi conçu en tant que partie intégrante d'un complexe de bureaux et de commerces qui, en fait, n'a jamais vu le jour, et son plafond est similaire, spectaculairement arqué et rayonnant vers le haut depuis l'arc de scène.

Au cours de ses premières années, le Walker offre aux Winnipegois un éblouissant éventail de divertissements de grande classe : deux ou trois spectacles avec distribution originale par semaine, saisons spéciales de deux semaines d'opéra, d'opérette, de comédie musicale et de pièces de Shakespeare jouées par de grandes compagnies et, à l'occasion, une superproduction comme Ben Hur, demandant 12 chevaux, 3 chariots, un tapis roulant et une toile de fond mobile. La capacité du Walker à répondre aux exigences d'une telle production marque un progrès dans la construction des théâtres au Canada, grâce auquel les superproductions itinérantes ne sont plus reléguées dans des patinoires ou des stades, du moins dans des grands centres urbains.

  Avec l'ouverture du ROYAL ALEXANDRA THEATRE (John M. LYLE) en 1907 (restauré dans les années 1970), Toronto est la ville suivante à être dotée de ce type de théâtre, suivie de Victoria avec son Royal Theatre (Rochfort et Sankey) en 1913 (encore en service). Munis du plus récent système d'ignifugation, ces théâtres sont généreusement pourvus d'arrière-scènes spacieuses - suites de salles d'habillage (30 au Royal), appartements pour le choeur, nécessaires pour les immenses distributions, salles de costumes de théâtre et d'opéra, y compris magasins des accessoires dans les coulisses de chaque côté de la scène, salles de penderies, énormes cintres pour rideaux d'entracte et choix d'opulents rideaux à la grecque. À l'instar du Walker, le Royal Alexandra est doté d'un poulailler - deuxième balcon en pente raide où se trouvent les sièges bon marché. Quant au Royal Theatre, conçu selon un aménagement plus récent, son unique balcon est profond, légèrement incliné et installé en porte-à-faux, d'où l'avantage de ne nécessiter aucune colonne pouvant bloquer la vue de la scène aux spectateurs du parterre.

L'influence du vaudeville sur la conception des théâtres

Dans les années 1910, le vaudeville et les salles de cinéma se perfectionnent et tentent de s'assurer une part du marché des divertissements. Défini comme un mélange de numéros de comédie, de musique, de magie, d'acrobatie, de domptage et de danse, le vaudeville attire depuis les années 1880 un auditoire moins instruit et moins nanti que celui du théâtre sérieux. Un programme de vaudeville comprend généralement une série de huit courts numéros, souvent présentés deux fois par jour à des prix abordables. La rentabilité du vaudeville dépend de la rapidité de succession des auditoires. Il est peu exigeant sur le plan architectural, car les numéros sont exécutés par peu d'artistes et les accessoires, comme les décors, sont le plus souvent réduits à leur plus simple expression.

Plusieurs villes comptent au moins une dizaine de petits théâtres de vaudeville. Un des rares survivants, le Princess Theatre d'Edmonton (Wilson et Herrald, 1914-1915), est sans doute très représentatif. S'étendant derrière une étroite façade, semblable à tant d'autres devantures commerciales édouardiennes de rues principales, la salle est étroite et relativement longue de sorte que de nombreux sièges se trouvent loin de la scène. Une fresque d'inspiration classique suggérant le modeste décor d'origine demeure suspendue au-dessus de l'arc de scène.

À une toute autre échelle, les grandes chaînes de vaudeville américaines comme Pantages, Keith-Albee et Loew's, érigent au Canada de nouveaux théâtres spectaculaires dans les années 1910. À Winnipeg, le Pantages (George W. Northwood et B. Marcus Priteca, 1913) en demeure un excellent exemple. Imitant le décor somptueux des théâtres traditionnels, il révèle sa fonction de vaudeville par son petit foyer (pour décourager les spectateurs de s'y attarder et laisser place à ceux qui se présenteront pour la représentation suivante) et par l'absence de salles d'habillage et de magasin des accessoires derrière la scène (les artistes font le va-et-vient entre les coulisses et leurs wagonnets stationnés à l'arrière du théâtre). Parmi les autres grands théâtres de vaudeville de cette époque, mentionnons le McPherson de Victoria (1914; un théâtre Pantages) et le Imperial de Saint John, au Nouveau-Brunswick (1913; un théâtre Keith-Albee).

Le cinéma et le design des théâtres

Le théâtre Imperial (800 places) érigé à Saint John au Nouveau-Brunswick (d'abord connu sous le nom de Bi-Capitol, Albert E. Westover, 1912-1913), comparable en grandeur et en opulence au Pantages de Winnipeg, témoigne d'une autre évolution de l'époque : l'introduction de projections animées dans les programmes de vaudeville. À partir de 1896, de courtes projections animées sont d'abord présentées dans des parcs et dans des tentes, mais elles font bientôt partie des spectacles de vaudeville dont elles constituent au moins un des huit numéros. Lorsqu'on annonce la construction de l'Imperial en 1911, les projections animées ne sont déjà plus des nouveautés, et les journaux locaux en parlent comme du divertissement intérieur le plus populaire que Saint John et le reste du monde aient jamais connu. Dès son ouverture, l'Imperial passe pour la plus belle salle de cinéma du Nouveau-Brunswick, même si des spectacles de vaudeville et d'autres divertissements s'en partagent la scène, comme cela se fait ailleurs.

Deux autres théâtres de vaudeville et de cinéma illustrent bien différentes facettes de ce type d'architecture : le Capitol (800 places) situé à Moncton et rénové récemment (René-Arthur Frechet, 1926) et le Winter Garden (1422 places) de Toronto (Thomas Lamb, 1913-1914). Le Capitol est un théâtre indépendant (non affilié à une chaîne américaine), une situation beaucoup plus répandue au Canada atlantique où les propriétaires de théâtres forment une forte association régionale. Le Winter Garden se distingue par son décor audacieux et par son emplacement à l'étage du Elgin Theatre, tous deux conçus en 1913 en une paire superposée, le théâtre du rez-de-chaussée présentant un design plus classique. Unique au Canada, le plafond suspendu du Winter Garden est orné de feuilles et de branches de hêtre conservées ainsi que de murales dont un ciel au clair de lune. Dans ce pastiche de cadre extérieur, il anticipe les théâtres atmosphériques qui feront l'objet d'un engouement passager de 1927 à 1931, tandis que son emplacement rappelle en quelque sorte les théâtres-jardins aménagés sur les toits, peu conséquents mais populaires à New York vers 1910.

 Entre-temps, des propriétaires promoteurs commencent à exploiter des théâtres consacrés aux projections animées. Les frères Allen, originaires de Bradford dans l'État de Pennsylvanie, en viennent à former une chaîne de plus de 60 cinémas s'étendant de Vancouver à Halifax, la plus importante du monde à son apogée, vers 1921. Leur entreprise reflète l'essor généralisé des projections animées. À partir d'un commerce de quartier de Brantford, en Ontario, en 1906, ils construisent ou achètent des nickelodeons (nom populaire des premières salles de cinéma aux États-Unis, ainsi nommées parce que le prix d'entrée est de 5 cents, une pièce de nickel) bon marché et criards. Ils passent ensuite à des salles de cinéma petites mais luxueuses, la première (800 places) étant construite à Calgary en 1913. Le Rialto (J. Raoul Gariépy, 1924) de Montréal, qui appartient à une autre chaîne, demeure un excellent exemple du genre. Les dernières créations des frères Allen sont, au début des années 1920, de splendides palais de cinéma de plus de 2000 places. On en retrouve deux exemples quasi identiques : le Metropolitan de Winnipeg (1920) et le Palace de Calgary (1921). Ces deux théâtres, d'abord appelés Allen, sont des designs réalisés en début de carrière par C. Howard Crane de Detroit, qui finit par se tailler une réputation internationale dans ce domaine.

Le Metropolitan et le Palace illustrent le type du palais de cinéma tel qu'il était à son avènement. Cherchant encore à se démarquer des vulgaires salles de projections animées des premières années, le palais vise à attirer un auditoire distingué. En plus d'imiter les théâtres - salle luxueusement aménagée et grande fosse d'orchestre pour les musiciens qui accompagnent les films encore silencieux - ce genre de palais de cinéma est aussi doté d'un vaste salon-mezzanine, où les spectateurs sont invités à flâner et à bavarder. Ses somptueux divans et fauteuils, pupitres avec lampes Tiffany, palmiers et orangers en pots, parois en verre réfléchissant donnent un décor architectural aussi élégant dans son ensemble que celui de la salle.

 En 1921, l'entrée sur le marché du groupe américain Famous Players en 1921 déclenche partout au Canada un boom dans la construction des palais de cinéma et pousse les propriétaires des cinémas à se regrouper, amorçant ainsi une guerre d'entreprises dont l'enjeu est le monopole des salles de projections animées. Le Capitol (Thomas Lamb) de Winnipeg, construit tout près du théâtre Allen, fait partie de la première offensive et prend assume les droits de projection des populaires films de Paramount. Avant même la fin de la guerre, l'empire des frères Allen s'effondre sous le poids des difficultés financières, et la domination de Famous Players est désormais assurée pour au moins deux décennies.

Thomas Lamb de New York - que d'aucuns considèrent comme le doyen du design de cinéma en Amérique - est l'architecte préféré de Famous Players. Le Capitol de Winnipeg est un merveilleux exemple de son oeuvre. Il est doté d'un plafond en forme de voûte relié visuellement à un arc de scène elliptique par des volutes classiques en plâtre, lesquelles courent aussi horizontalement autour de la salle dans un entablement incurvé au-dessus des grilles arquées qui recouvrent les tuyaux de l'orgue du théâtre. L'ensemble est de caractère adamesque - délicat, enjoué et aux proportions d'une extrême élégance.

Lamb a signé les plans de 16 autres théâtres au Canada entre 1914 et 1927, dont certains existent encore à Québec (le Capitol, Walter S. Painter, 1902-1903; remis à neuf pour le cinéma par Thomas Lamb, 1927) à Brantford (le Temple, construit à l'origine pour la chaîne Allen) et à Toronto (les théâtres Elgin/Winter Garden et le Pantages, bien que celui-ci soit maintenant, en grande partie, une reconstruction).

La mainmise de Famous Players sur les théâtres canadiens et le marché du cinéma est déjà, en 1931, un sérieux problème. Cette année-là, le gouvernement fédéral, préoccupé par les effets néfastes de ce monopole sur les plus petites chaînes canadiennes et les exploitants indépendants, publie les résultats d'une enquête sur une présumée coalition dans l'industrie cinématographique au Canada. L'enquête conclut que Famous Players viole la loi, mais la Grande Crise puis la Deuxième Guerre mondiale empêchent le gouvernement d'agir (voir INDUSTRIE CINÉMATOGRAPHIQUE). Entre-temps, Famous Players réduit le marché des spectacles sur scène en interdisant qu'ils soient présentés dans ses propres salles, y compris dans les théâtres plus anciens qu'elle a achetés dans tout le pays depuis 1920. La plupart de ceux-ci sont dotés d'une scène et d'une fosse d'orchestre et peuvent donc présenter des spectacles sur scène comme ils le faisaient avant d'être achetés par Famous Players.

L'un des derniers palais conçus à la fois pour le cinéma et les spectacles sur scène est l'Orpheum (2870 places) de Vancouver (B. Marcus Priteca, 1926-2197). Propriété du circuit de vaudeville et de cinéma RKO, il échappe au début à Famous Players (qui l'acquiert plus tard), mais l'influence qu'exerce cette dernière pour étouffer les spectacles sur scène est sans doute un facteur qui pousse le propriétaire de l'Orpheum à n'y présenter que des films. Son décor d'inspiration Renaissance espagnole représente le seul exemple au Canada de la période exotique du design des palais de cinéma, qui a vu naître aux États-Unis, vers la fin des années 1920, un grand nombre de théâtres aussi énormes que spectaculaires. Le foyer de trois étages est doté d'une profusion de colonnades et de balustrades en pierre artificielle et d'un plafond à caissons d'allure cossue, et la salle luxueuse est surtout remarquable pour sa voûte ornée de fresques.

L'avènement du son dans les films en 1928 (généralisé dès 1929) rend les orchestres et les orgues de théâtre superflus. Bon nombre de gens croient aussi que le son fait tort à l'expérience élégante qu'est devenu le cinéma car, au début, les films parlants sont de qualité douteuse. D'aucuns prétendent même que l'interdiction de présenter des spectacles sur scène dans les salles de Famous Players a pour but de forcer les spectateurs à tenir le coup durant cette difficile période de transition.

Le design atmosphérique

 À la fin des années 1920, il est devenu à la mode de concevoir des théâtres atmosphériques. Ils se caractérisent par leurs plafonds à gorge sur lesquels sont projetées des images animées de nuages et d'étoiles ou encore de la lune et d'avions. Sur les côtés de la salle, des imitations de façades de bâtiments ou de murs de jardin créent l'illusion de places urbaines ou de cours extérieures, souvent d'inspiration espagnole ou du moins étrangère. L'exemple le plus élaboré qui existe encore au Canada est le Granada de Sherbrooke, au Québec (D.J. Crighton, 1929). Ici, des façades de maisons de deux étages aux toits de tuiles de terre cuite et de plomb laissent voir un paysage nocturne par les loggias à colonnes, typiques du sud de l'Espagne. Le Capitol de Nelson en Colombie-Britannique (1927) et l'Outremont de Montréal (René Charbonneau, 1929) comportent aussi des murales de scènes de plein air, mais sans projection céleste au plafond.

L'Art déco

L'Outremont illustre aussi en partie le style Art déco, dernier développement majeur dans les théâtres canadiens avant les années 1950. Les motifs décoratifs de l'Outremont, un des premiers bâtiments Art déco du Canada, font appel à la période zigzag, antérieure et de courte durée, ainsi nommée pour son utilisation d'arêtes angulaires et de lignes ondulées. Ses autres caractéristiques sont ses ouvrages décoratifs modelés à plat et ses matériaux naturels de grande qualité (or, argent, marbre jaspé, etc.). L'effet est à la fois moderniste et riche, comparé au dépouillement qui définira le style par la suite. Le Château de Montréal (René Charbonneau, 1932) est aussi un exemple de cette période.

L'Eglinton de Toronto (conçu par Kaplan & Sprachman en 1934; ouvert en 1936) est la quintessence de la période plus aérodynamique de l'Art déco qui s'épanouit pendant et quelques temps après la Grande Crise. Durant cette période, on fait un usage exubérant des nouveaux matériaux synthétiques, et la couleur ainsi que les effets d'éclairage jouent un rôle beaucoup plus grand. Dans l'Eglinton, l'enseigne verticale extérieure devient partie intégrante de la façade. Elle fait partie d'une tour futuriste recouverte de verre décoratif noir et couronnée d'un pylône supportant une boule au néon scintillant. À l'intérieur, un emploi frappant de lumières au néon colorées et d'éclairage indirect met en valeur les formes simples mais audacieuses, tandis que des lignes sillonnent le plafond et les murs, autour des coins arrondis et des plans à gradins.

  Le Vogue Theatre de Vancouver (Kaplan & Sprachman, 1941) est un autre exemple de la période Art déco. Outre une spectaculaire tour et enseigne éclairée au néon (surmontée d'une version stylisée de la déesse Diane), ses effets de lumière spéciaux comprennent des murales sous-marines sur les côtés, qui luisent lorsque l'éclairage est réduit. On retrouve partout au pays - dans divers états de préservation - de nombreux autres théâtres de style Art déco affichant un moindre degré de traitement stylistique.

Dès 1950, les représentations sur scène font piètre figure, et peu de théâtres chics, de quelque genre que ce soit, sont construits. La tendance générale des nouvelles constructions donne des salles carrées ultra-ordinaires et des complexes de mini-cinémas, tandis que les plus vieux théâtres sont soit cloisonnés, soit démolis. Ceux qui restent sont de véritables trésors, évoquant les spectacles sur scène et les projections animées de la première moitié du XXe siècle.