À vingt heures le lundi 4 décembre 1837, William Lyon Mackenzie monte en selle. Il emprunte la rue Yonge et vérifie le chemin à suivre pour son attaque sur Toronto. Au sommet de Gallows Hill (en aval de l’avenue St. Clair), il rencontre le conseiller municipal loyaliste John Powell, lui-même en patrouille. Mackenzie et ses hommes le font prisonnier.
« Êtes-vous armé ? », lui demande Mackenzie. « Non », lui répond Powell. Mackenzie, le traitant en gentleman, le croit sur parole et le renvoie vers le quartier général des rebelles, la taverne Montgomery.
Or, contrairement à ce qu’il a prétendu, Powell est armé. Il sort deux pistolets, tire sur un des gardes de Mackenzie et l’atteint d’un coup mortel à la nuque. Alerté par le coup de feu, Mackenzie se retourne et tire sur Powell, mais le manque. Ce dernier se rapproche, tente d’abattre son adversaire, mais son arme s’enraye. Il n’a d’autre recours que de se précipiter pour prévenir Toronto de l’approche des rebelles.
Depuis quelque temps déjà des troubles se préparent dans le Haut-Canada. Le fougueux Écossais William Lyon Mackenzie est toujours au cœur de la tourmente. Très critique, il s’autoproclame la voix du peuple et réussit à se faire élire à l’Assemblée du Haut-Canada. Il y mènera un tel boucan qu’il sera expulsé à quatre reprises. Chaque fois, toutefois, il est réélu. Les principales cibles de ses articles et de ses diatribes sont le lieutenant-gouverneur et l’élite coloniale, unis dans ce qu’on appelle le Family Compact (pacte de famille).
Les réformistes modérés tels que Robert Baldwin essaient de trouver un terrain d’entente. (Voir Mouvement réformiste du Haut-Canada.) Cependant, les choses empirent avec l’arrivée d’un nouveau gouverneur, sir Francis Bond Head, un aventurier sans expérience politique. Le gouverneur dissout l’Assemblée réformiste et mène une campagne sous le signe de la peur et du principe de loyauté. Mackenzie riposte en publiant son projet de Constitution, étroitement inspirée de la Déclaration d’indépendance américaine.
Selon les historiens, des circonstances atténuantes auraient contribué à l’agitation fomentée par Mackenzie. Le territoire est effectivement plongé dans une situation économique difficile, caractérisée par de mauvaises récoltes et la saisie de fermes par les banques. Il reste toutefois que l’insurrection de Toronto résulte essentiellement de la colère de Mackenzie. Si sa force réside dans sa capacité de rallier à ses idées des hommes intelligents et réfléchis, l’esprit d’organisation lui fait par contre défaut. Après avoir harangué les foules à divers rassemblements, il retourne à Toronto convaincu que les gens vont se rallier par milliers à sa cause.
La Rébellion aurait pu aboutir. La confusion règne dans la ville. La garnison britannique tente d’étouffer la révolte dans le Bas-Canada. La milice, plutôt risible, a pour seules armes quelques fusils, des fouets, des bêches, des cannes et des parapluies.
Ainsi, l’entreprise est désespérée sans l’effet de surprise. De son côté, Mackenzie prend la malheureuse décision de diriger lui-même les rebelles. Le mardi5décembre 1837 au matin, emmitouflé dans plusieurs épaisseurs de manteaux dans l’espoir de se protéger contre les balles, il se met en marche. Même si la route paraît dégagée, sa nature excentrique le pousse à multiplier les diversions. Avant que la bagarre éclate près de la rue College, une petite défense militaire s’organise déjà sous les ordres du shérif William Jarvis.
Les hommes du shérif ouvrent le feu; n’étant qu’une vingtaine, ils s’enfuient aussitôt. Le premier rang des rebelles riposte de la façon apprise à l’entraînement, se jetant aussitôt au sol pour permettre au rang suivant de faire feu à son tour. Croyant que leurs compagnons ont tous été tués, les rangs derrière paniquent et s’enfuient.
L’initiative revient alors aux loyalistes renforcés par des troupes venues d’Hamilton, de Niagara et d’aussi loin que le comté de Peel. Le chef de la milice James FitzGibbon organise trois impressionnantes colonnes de 1 500 hommes. Ils envahissent la rue Yonge dès le lendemain, le jeudi7décembre. L’escarmouche tient de la mascarade. À peine 200 rebelles tiennent leur position près de la taverne Montgomery.
Dessin à la plume et à l'encre par Charles William Jefferys, illustrant l'escarmouche de la taverne Montgomery du 4 décembre 1837.
Vite mis en déroute, ils sont nombreux à s’enfuir ou à se cacher. Mackenzie, lui, s’exile aux États-Unis. Les autorités procèdent à l’arrestation de 262 hommes, dont 53 sont accusés de trahison.
Douze subissent leur procès à Toronto; trente et un sont acquittés et vingt-deux sont reconnus coupables. Peter Matthews et Samuel Lount, quant à eux, sont pendus.
Les historiens ont longtemps débattu des conséquences de la Rébellion de 1837 au Haut-Canada. De toute évidence, pour une révolution, c’était un échec lamentable. À une certaine époque, les partisans de Mackenzie, en particulier son petit-fils William Lyon Mackenzie King, ont prétendu que la Rébellion avait hâté l’instauration du principe de gouvernement responsable; aujourd’hui, cette idée trouve peu d’adeptes.
Quant à Mackenzie, il continue à faire campagne depuis l’île Navy, jusqu’à ce que l’affaire Caroline change la donne. Il fonde un journal à New York, mais est bientôt déclaré coupable d’avoir enfreint les «lois de la neutralité» en 1839 et fait une année de prison. Plus il apprend à connaître la démocratie à l’américaine, qu’il admirait tant, moins il l’apprécie et plus il se repent de ses idées de révolution. En 1850, à la faveur d’une amnistie générale accordée par la Loi d’Amnistie de 1849, il retourne à Toronto pour reprendre de la politique. Une fois élu, il poursuit sa campagne contre l’hypocrisie et la corruption politiques. Même si certains historiens dénigrent sa contribution, il s’en trouve toujours pour considérer Mackenzie comme un précieux porte-parole de son peuple.