Illustration par J. Ross Browne de « A Peep at Washoe » dans Harper's Monthly Magazine, décembre 1860.
Contexte
Du point de vue de la Grande-Bretagne, avec son vaste empire, ce qui est maintenant la Colombie-Britannique compte pour bien peu. En effet, le territoire est trop loin et a trop peu de valeur pour intéresser la mère patrie. Sa population de colons stagne sous les 1000 âmes depuis longtemps. Bien que le traité de l’Oregon, conclu avec les États-Unis en 1846, cède le territoire britanno-colombien à la Grande-Bretagne, celle-ci n’en fait pas grand-chose, à part de fonder une colonie sur l’île de Vancouver en 1849 et d’en confier la gestion à la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH), spécialisée dans la traite des fourrures.
Par contraste, le changement s’annonce au sud de la frontière. Depuis que Lewis et Clark ont vu l’océan Pacifique en 1805, les Américains sont résolus à traverser le continent. Au début des années 1840, les colons affluent vers l’ouest par la piste de l’Oregon. En 1848, grâce au traité de Guadeloupe Hidalgo, les États-Unis négocient auprès du Mexique le territoire qui deviendrait éventuellement les États de la Californie, du Nevada, de l’Arizona, du Nouveau-Mexique, du Colorado, de l’Utah et du Wyoming.
Plus près de la frontière les séparant de la Grande-Bretagne, les Américains établissent des forts militaires aux endroits stratégiques et répriment violemment les peuples autochtones qui refusent de céder leur territoire. Entre 1853 et 1860, la population blanche dans ce que sont aujourd’hui les États de Washington et de l’Oregon bondit de 17 000 personnes à plus de 63 000, et nombreux sont ceux qui croient que ce n’est qu’une question de temps avant que les États-Unis n’étendent leur territoire vers le nord, jusqu’en Russie d’Amérique, le futur État de l’Alaska. C’est dans ce climat que l’on apprend la découverte d’or dans les bancs de sable du fleuve Fraser. Au printemps 1858, les premiers arrivants sont pour la plupart des mineurs ayant connu la ruée vers l’or de Californie en 1849. D’après certaines estimations, quelque 30 000 personnes arrivent dans le territoire cette année-là.
Le déroulement des événements semble favoriser l’Amérique. Les mineurs commencent à adopter des résolutions qui pourraient servir de prétexte à l’affirmation de la souveraineté américaine. Les États-Unis dépêchent un commissaire spécial aux sites d’extraction pour protéger leurs citoyens contre ce qui est perçu comme de mauvais traitements de la part de la CBH. Dans son rapport au Congrès des États-Unis, le commissaire déclare que ce n’est qu’une question de temps avant que le territoire passe sous contrôle américain. En fait, il est à ce point certain que les choses en viendront là qu’il ne juge pas nécessaire d’adopter des mesures à cette fin.
La ville du ruée d'or Soda Creek, sur la Fleuve Fraser en 1863.
La Colombie-Britannique devient une colonie
Ce que les Américains n’ont pas prévu, c’est que la ruée vers l’or force la main des Britanniques. Cette contrée éloignée n’est pas aussi inutile qu’elle le semble, en fin de compte. Sir James Douglas, un commerçant de fourrures gouvernant la colonie de l’île de Vancouver, prend des initiatives pour empêcher la ruée vers l’or d’échapper à tout contrôle, mais le statu quo ne peut durer qu’un certain temps. Le 2 août 1858, la Grande-Bretagne fait du territoire continental une colonie distincte, nommée Colombie-Britannique et dirigée par Douglas. Pendant les mois et les années qui suivent, celui-ci fait tout en son possible pour imposer l’ordre et assurer un accès aux champs aurifères.
Ces mesures, toutefois, ne tempèrent pas l’intérêt des Américains. La frontière internationale passe au milieu du détroit séparant l’île de Vancouver de la côte, mais personne n’en connaît les limites exactes. En 1859, un incident surnommé la guerre du cochon survient sur l’île San Juan, près de la capitale insulaire de Victoria. La confrontation fournit au commandant militaire posté au sud de la frontière le prétexte qu’il cherche pour envoyer ses troupes sur le territoire. Dans un rapport optimiste au commandant en chef de l’armée américaine, il écrit : « La population de la Colombie-Britannique est composée en grande partie d’Américains et d’étrangers. En comparaison, peu de gens des îles britanniques émigrent vers cette région. Les Anglais ne peuvent s’établir avec succès aussi près de notre peuple ; ils sont trop exigeants. Conjugués aux besoins pressants de notre commerce sur cette côte, ces faits les pousseront, éventuellement, à céder l’île de Vancouver à notre gouvernement. Elle a autant d’importance pour les États du Pacifique que Cuba peut en avoir pour ceux de l’Atlantique. »
Bien que les affrontements entre les militaires américains et la Marine royale soient rapidement soumis à un processus d’arbitrage, les événements donnent l’impression que la future province reste à prendre. Vers le milieu des années 1860, la ruée vers l’or du fleuve Fraser a fait son temps. Les bonnes années sont passées et le nombre de mineurs chute dramatiquement. Les colonies continentales ont également accumulé une dette énorme pour construire des routes vers les champs aurifères. Pour économiser de l’argent, la Grande-Bretagne annexe donc la colonie de l’île de Vancouver à son pendant continental en 1866.
Débats sur l’annexion aux États-Unis
On commence à débattre beaucoup de l’avenir à long terme de la colonie unie de Colombie-Britannique. Beaucoup de citoyens d’origine britannique préfèrent la situation de jadis, tandis que les arrivants de l’Amérique du Nord britannique envisagent l’entrée dans la nouvelle Confédération canadienne créée en 1867 avec les trois colonies britanniques : la Province du Canada (qui devient éventuellement l’Ontario et le Québec), la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick. D’autres encore souhaitent l’annexion aux États-Unis (voir Association pour l’annexion).
Une fois encore, l’expansionnisme américain prend l’avant-scène. En 1867, après que l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (maintenant appelée Loi constitutionnelle de 1867) reçoit la sanction royale, les États-Unis achètent l’Alaska à la Russie, renouvelant ainsi l’intérêt pour la masse terrestre située entre les territoires. Le secrétaire d’État américain affirme : « Notre population est destinée à faire déferler ses flots impétueux jusqu’aux barrières glacées du Nord. » (voir aussi Destinée manifeste)
Le consul des États-Unis à Victoria souligne avec enthousiasme que « Les gens de l’île de Vancouver et de la Colombie-Britannique souhaitent presque tous unanimement leur annexion aux États-Unis. » Il se peut que la Grande-Bretagne ait été brièvement tentée de céder aux désirs des Américains. À l’époque de la vente de l’Alaska, elle négociait des indemnités avec les États-Unis pour avoir permis aux États confédérés du Sud de construire des navires de guerre en territoire britannique pendant la guerre de Sécession, qui s’est terminée peu de temps avant. Le secrétaire d’État américain propose donc de prendre la Colombie-Britannique à titre de dommages-intérêts. La Grande-Bretagne s’y oppose, non pas par amour pour la lointaine colonie, mais parce que la Marine royale vient de déménager son quartier général de la côte du Pacifique de Valparaiso, au Chili, à Esquimalt, tout près de Victoria et des dépôts de charbon qui peuvent propulser ses navires à vapeur. L’abandon de la Colombie-Britannique aurait causé un inconvénient à la Marine royale.
Malgré tout, les Américains persistent. Après une visite à Victoria en août 1869, le secrétaire d’État américain annonce avec confiance que les citoyens de Colombie-Britannique sont en train de créer des pétitions adressées au Congrès en faveur de l’annexion. À la fin, deux pétitions contenant seulement 104 signatures au total sont envoyées. Bien qu’elles causent un certain émoi au Congrès, aucune autre mesure n’est prise et la vague se calme.
La Grande-Bretagne assoit son autorité
Pendant ce temps, la Grande-Bretagne prend l’initiative. Elle continue à s’intéresser aux colonies seulement dans la mesure où ces dernières profitent à la mère patrie, une chose que la Colombie-Britannique ne semble pas en mesure de faire. Du point de vue de la Grande-Bretagne, la meilleure route à suivre est donc d’unir sa lointaine possession au Canada le plus tôt possible. En 1869, un nouveau gouverneur est nommé avec pour mission de rallier l’assemblée coloniale à l’idée de fixer des exigences pour son entrée dans la Confédération. Depuis 1858, une notion d’appartenance à la Colombie-Britannique comme entité distincte a pris forme et cet engagement s’exprime de différentes manières.
Exaspéré par l’indifférence britannique, le procureur général H.P.P. Creasecaresse l’idée d’une déclaration d’indépendance : « Que dire à un grand royaume anglais, ici, à l’ouest des montagnes Rocheuses […] Puisqu’ils nous méprisent là-bas […] serions-nous dans une pire situation si nous avions un pays entièrement séparé? […] Toutes les armées du monde ne pourraient pas entrer au pays si nous défendions seulement les passes […] Je peux volontiers imaginer un bel avenir. »
Le plus ardent partisan de la Confédération, le futur premier ministre Amor de Cosmos, fait écho au sentiment unanime lors du débat sur les conditions d’entrée : « Je ne suis pas ici à titre de Canadien, mais de Britanno-Colombien ; c’est d’abord à la Colombie-Britannique que je dois allégeance. » Les conditions négociées pour l’entrée dans la Confédération comprennent la construction d’un chemin de fer transcontinental et le paiement de la dette élevée de la colonie.
La séquence des événements commençant au printemps de 1858 s’est conclue le 20 juillet 1871 par l’accession de la Colombie-Britannique au statut de province canadienne (voir La Colombie-Britannique et la Confédération). La fébrilité de la ruée vers l’or et la proclamation de la colonie de Colombie-Britannique qui y a fait suite n’ont pas suffi à assurer son avenir, mais l’ont rendu possible. La Colombie-Britannique de 1871 est encore très fragile. Malgré ses grandes dimensions – plus du double des États de Washington et de l’Oregon combinés – sa population de colons est infime en comparaison, soit environ un dixième de leurs 110 000 habitants. Le 150e anniversaire de la Colombie-Britannique nous rappelle instamment l’importance de ne pas tenir notre province pour acquise, que ce soit hier, aujourd’hui ou demain.