Le premier ministre Lester Pearson et John Matheson, un de ses députés libéraux, sont généralement considérés comme les pères du drapeau du Canada. En 2015, leurs noms ont été au cœur des hommages et des commémorations qui marqueront le 50e anniversaire de la création du drapeau. On oublie cependant souvent le rôle joué dans la naissance de ce symbole emblématique par George Stanley.
George Stanley est un éminent historien et ancien lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick qui, durant le débat sur le drapeau en 1964, est doyen de la faculté des arts au Collège militaire royal du Canada à Kingston, en Ontario. Il est également l’ami de John Matheson — député représentant la ville voisine de Leeds et membre influant du comité parlementaire multipartite chargé de choisir un nouveau drapeau.
Le 23 mars 1964, George Stanley écrit à John Matheson pour lui décrire ce que le drapeau devrait selon lui représenter et à quoi il devrait ressembler. À la fin de sa lettre historique, il croque la première représentation de ce qui allait devenir le drapeau national : un rectangle de six centimètres tracé à main levée à l’encre rouge, avec des barres rouges de chaque côté. En son milieu se trouve une feuille d’érable unique sur fond blanc.
Le Comité est à cette époque inondé de suggestions pour un nouveau drapeau émanant des quatre coins du pays (voir aussi : Drapeau du Canada : autres motifs). John Diefenbaker, chef conservateur de l’opposition, ainsi que des milliers d’anciens combattants qui se sont battus pour le Canada sous le vieux Red Ensign — un drapeau sur lequel se retrouvent l’Union Jack et les armoiries du Canada — s’opposent à toute modification du statu quo. John Diefenbaker s’est également prononcé en faveur d’un drapeau montrant les symboles des « peuples fondateurs » du Canada. Lester Pearson lui-même affectionne un motif créé par Alan Beddoe, expert en héraldique. Le « fanion de Pearson » [Pearson Pennant], tel qu’il avait été baptisé, arborait trois feuilles d’érable sur un fond blanc avec une barre verticale bleue de chaque côté représentant la devise « D’un océan à l’autre ».
Mais aucun des motifs proposés n’est aussi direct et élégant que celui de George Stanley. En effet, son motif évite toute référence aux peuples fondateurs ou au passé colonial, ou toute autre source de controverse potentielle. Cela semble particulièrement important à une époque où le nationalisme s’intensifie au Québec, où la Révolution tranquille bat son plein et où le FLQ place des bombes dans les boîtes aux lettres. Un des objectifs de Lester Pearson, pour le nouveau drapeau, est d’éviter les symboles, tels que le Red Ensign, qui irritent les nationalistes québécois et menacent l’unité canadienne.
Dans la lettre qu’il adresse à John Matheson, George Stanley explique qu’un nouveau drapeau « doit éviter les symboles nationaux ou raciaux de nature clivante ». Il ajoute aussi qu’une « feuille d’érable unique a la vertu d’être simple; elle met en valeur ce symbole distinct du Canada et suggère l’idée de fidélité à un pays unique » [trad. libre].
George Stanley s’inspire en fait du drapeau du Collège militaire royal : deux barres rouges verticales encadrant une zone centrale blanche sur laquelle un poing recouvert d’une armure tient trois feuilles d’érable sous une couronne royale. George Stanley a simplement remplacé les éléments centraux par une feuille d’érable stylisée.
Une version plus professionnelle du croquis grossier de George Stanley est finalement réalisée par l’artiste Jacques Saint-Cyr de la Commission des expositions du gouvernement canadien. John Matheson lui demande d’intégrer un petit changement : inspiré par un motif similaire de George Bist, il souhaite que la section blanche, au centre, soit un carré flanqué des deux côtés de barres rouges moins larges. Le croquis final est ajouté au lot des nombreuses soumissions à évaluer par le Comité qui demeure jusqu’alors dans l’impasse sur cette question. Alors que la pression monte, le motif de George Stanley est finalement sélectionné, grâce au soutien de John Matheson, mais aussi en raison de sa simplicité. Il offre en effet un compromis entre ceux qui voulaient le fanion de Pearson et ceux qui préféraient soit un motif plus compliqué, soit le Red Ensign.
Le Parlement adopte le drapeau de George Stanley le 15 décembre 1964 suivant un vote de 163 contre 78. Immédiatement après le vote, John Matheson écrit une carte postale à George Stanley : Le drapeau que vous avez proposé vient tout juste d’être approuvé en Chambre dans un vote de 163 voies contre 78. Félicitations. Je suis d’avis qu’il s’agit d’un excellent drapeau qui servira bien le Canada. » Le nouveau drapeau est officiellement hissé sur un mât gouvernemental le 15 février 1965, à Ottawa.
La lettre de George Stanley à John Matheson, qui contient le croquis original, finit cependant dans les dossiers d’Alan Beddoe, celui-là même qui a conçu le motif rejeté du fanion de Pearson. Le croquis datant de mars 1964 est considéré comme disparu pendant plusieurs décennies jusqu’à ce qu’un chercheur du nom de Glenn Wright tombe dessus en fouillant dans une caisse en carton remplie de documents dans les Archives nationales, à Ottawa.
« Lorsque j’ai tourné la page et que je suis tombé sur le croquis, une grande émotion m’a envahi », relate Glenn Wright à Randy Boswell, journaliste pour l’Ottawa Citizen, qui raconte en 2002 la découverte du chercheur. « Il s’agit là de la genèse du drapeau du Canada » [trad. libre].
Les principaux acteurs de la saga du drapeau ont aujourd’hui disparu. Lester Pearson est mort en 1972, Jacques Saint-Cyr en 1996, George Stanley en 2002 et John Matheson en 2013. Mais leur création perdure depuis déjà presque un demi-siècle. Elle flotte au sommet de la Tour de la Paix et sur des milliers d’édifices publics et privés dans tout le pays, sur des ambassades dans le monde entier et aux cérémonies de remise des médailles olympiques.
Le drapeau de George Stanley est aujourd’hui un symbole canadien universellement reconnu.
Comme Randy Boswell le fait remarquer dans son article : « Un drapeau, écrira plus tard [George Stanley], parle au nom du peuple d’une nation ou d’une communauté. Il exprime leur joie lorsqu’il est hissé à l’occasion de jours de congé ou pour un événement particulier. Il exprime également leur tristesse lorsqu’il est mis en berne. Il honore ceux qui ont servi la nation lorsqu’il est drapé sur leur cercueil. Il appelle silencieusement tous les hommes et toutes les femmes à servir leur pays. Il inspire le don de soi, la loyauté et le dévouement » [trad. libre].
Voir aussi : Héraldique; Emblèmes du Canada; Le drapeau canadien : typiquement nôtre.