Enfance en Suède
Louise Flach voit le jour en Suède le 30 janvier 1896, sur une grande ferme située non loin de la mer Baltique, à environ 320 km au sud de Stockholm. Ses parents, Sixten Flach et Hilleved Neergaard, sont de riches propriétaires terriens qui entretiennent des liens familiaux avec les familles royales suédoise et danoise. Son père, naturaliste et écologiste de formation, participe à la fondation du refuge d’oiseaux de Stora Karlsö, dans le comté de Gotland. Ornithologues et peintres naturalistes visitent régulièrement son domaine. Au décès du père de Louise Flach, alors âgée de 17 ans, la famille déménage en ville. L’année suivante, la jeune femme est présentée à la cour du roi Gustav V de Suède. On a prévu pour elle toute une série de banquets et d’événements mondains, jusqu’à ce qu’elle trouve un parti convenable et épouse un homme de statut social comparable. Or, elle entend réaliser de grandes choses. Lorsqu’éclate la Première Guerre mondiale en 1914, elle décide de devenir infirmière pour la Croix-Rouge. Louise Flach ne peut commencer sa formation officielle qu’à l’âge de 21 ans. Elle commence donc à travailler à titre probatoire à l’hôpital général de Norrköping dans l’intervalle.
Infirmière de la Croix-Rouge en Europe
Louise Flach est mise à rude épreuve par la formation en soins infirmiers requise par la Croix-Rouge. Horripilée par les images et les odeurs de la maladie et de la mort, elle pleure régulièrement d’épuisement. Qu’à cela ne tienne, cette formation rigoureuse « vient à bout de la jeune fille rebelle et immature que j’étais à ce moment-là », comme elle l’écrira plus tard. « Cette discipline stricte, conjuguée à un enseignement méticuleux, m’a transmis non seulement une vocation, mais un véritable art. » Ce sont cette discipline et ces connaissances durement acquises qui façonneront l’existence de l’infirmière pour les sept prochaines décennies.
Une fois achevée sa formation auprès de la Croix-Rouge, la jeune infirmière Flach est affectée à un hôpital de campagne à Horserød au Danemark, pays neutre, où elle prend soin de soldats russes gravement blessés. Comme la plupart des Suédois de sa génération, Louise Flach a été élevée pour considérer les Russes comme des ennemis naturels. Malgré tout, l’infirmière Flach ne tarde pas à succomber au charme d’un jeune lieutenant russe du nom de Gleb Nikoleyevich Kirilin.
Mariage et guerre civile russe
Louise Flach épouse Gleb Nikoleyevich Kirilin dans les derniers jours de 1918, pour voir celui-ci repartir trois jours seulement après la cérémonie : il s’est enrôlé dans l’Armée blanche pour défendre sa patrie, en pleine guerre civile. Louise de Kirilin devra attendre mars 1919 pour que son époux l’invite à le rejoindre à Arkhangelsk, dans le nord de la Russie.
Dans son autobiographie, Another Winter, Another Spring, elle raconte avec ironie qu’elle est partie pour la Russie le jour du poisson d’avril 1919. L’Armée rouge contrôle alors toutes les voies ferroviaires directes de l’Europe de l’Ouest à l’est de la Russie. Pour parvenir à Gleb, Louise de Kiriline doit d’abord effectuer un trajet de train de 36 heures de Stockholm à Narvik, minuscule port d’exportation de bois situé à 209 km au nord du cercle arctique, sur la côte ouest de la Norvège. De là, elle doit se rendre, en remorqueur de haute mer, jusqu’aux îles Lofoten situées à l’est, où elle doit enfin monter à bord d’un navire à vapeur côtier qui l’emmène au nord, puis à l’ouest, traversant les eaux glaciales de la mer de Barents jusqu’à atteindre la Russie blanche. Étant donné que son mari et elle n’ont encore jamais eu l’occasion de s’installer véritablement, Louise de Kiriline débarque avec sept énormes coffres contenant son trousseau de mariée et les cadeaux de mariage du couple.
Afin de contrer les avances indésirables et de franchir plus facilement les frontières et les postes de contrôle militaires, elle porte son uniforme d’infirmière de la Croix-Rouge pendant son long voyage. Portant toujours ses sept coffres, elle effectue deux transferts supplémentaires. Dans le petit port de Vardø, sur la rive la plus à l’est de la Norvège, Louise de Kiriline monte à bord d’un navire plus petit qui l’emmène à Murmansk, en Russie. Elle y est arrêtée par un agent portuaire, entrant à partir de là en zone de guerre active. Cependant, grâce à son uniforme d’infirmière de la Croix-Rouge, elle convainc deux officiers de la marine française de l’introduire – ainsi que ses bagages – à bord d’un navire de troupes britanniques voyageant à destination du fleuve Dvina. Le 22 avril, elle arrive enfin à Arkhangelsk. Les jeunes mariés se sont à peine retrouvés que Gleb Nikoleyevich Kirilin doit à nouveau repartir au combat. Louise de Kiriline accompagne son mari sur le terrain, servant comme infirmière juste derrière les lignes de front, laissant derrière elle la plupart de ses possessions transportées avec tant de difficulté de Suède en Russie.
Le front de l’Armée blanche s’effondre en l’espace de quelques semaines. Les époux se joignent à une grande armée battant en retraite à pied ou en traîneaux tirés par des chevaux à travers la campagne russe. Après plus d’une semaine de fuite sur des routes jonchées de cadavres, le couple est séparé et capturé par les bolcheviks.
Les prisonniers, hommes et femmes, sont envoyés par train à Petrozavodsk, où on les interne dans des camps séparés. Après leur interrogatoire, Louise de Kiriline et les autres femmes de son groupe sont libérées, tandis que les hommes sont enfin envoyés à Moscou pour être interrogés à leur tour. Louise de Kiriline voyage seule à Moscou, souhaitant rendre visite à son mari au camp. Là-bas, elle apprend toutefois que Gleb Nikoleyevich Kirilin et les autres soldats emprisonnés ont été déplacés sans préavis en juin. Un peu plus tard, elle entend raconter que 500 officiers, dont son mari, ont été exécutés. Espérant que ces rumeurs sont infondées, elle décide de rester en Russie, plutôt que de retourner en Suède. Elle se porte volontaire pour une mission suédoise de la Croix-Rouge visant à lutter contre la famine qui sévit en Union soviétique. Elle travaille de 1920 à 1924 aux côtés de victimes de la famine et d’orphelins. Son espoir de retrouver son mari vivant s’amenuise d’année en année.
Soins infirmiers dans le nord du Canada
En 1924, Louise de Kiriline rentre en Suède, où elle tente sans succès de reprendre son ancienne vie mondaine. L’ennui et l’agitation la gagnent rapidement. Un jour, elle entend parler d’un nouveau programme de la Croix-Rouge qui semble correspondre parfaitement à son expérience avec le froid, l’isolement et la privation. Dans les années 1920, il y a dans le nord du Canada un manque chronique de médecins et d’hôpitaux. Pour remédier à ce problème, la Croix-Rouge y ouvre plusieurs centres médicaux, chacun doté d’une seule infirmière diplômée agissant comme premier intervenant en toute situation, pour les cas de rougeole comme pour les situations d’urgence mettant la vie en danger. En outre, les infirmières ont la responsabilité d’éduquer les résidents ruraux sur l’hygiène moderne, la garde d’enfants et la nutrition.
En 1927, Louise se voit affecter un territoire de taille considérable dans le nord-est de l’Ontario, allant de la rivière Mattawa à la rivière des Outaouais à l’est, jusqu’au lac Nipissing à l’ouest. Là-bas, sa connaissance de quatre langues (l’anglais, le français, le suédois et le russe) lui est d’une grande utilité. Sa clientèle est variée, se composant de membres des Premières nations (Algonquins), de Britanniques, de Français, de Scandinaves et d’immigrants russes. Selon la température et les conditions des régions visitées, Louise de Kiriline fait ses tournées à pied, à bord de sa Ford modèle A, en bateau ouvert ou en traîneau à chiens.
En 1930, elle met la main sur The Red Terror in Russia, ouvrage qui lui confirme la destinée tragique de son époux : Gleb Nikoleyevich Kirilin, ainsi que 800 autres anciens officiers impériaux russes, ont été exécutés et enterrés dans une fosse commune par l’Armée rouge, quelques semaines seulement après que Louise de Kiriline et lui se soient vus pour la dernière fois. Plutôt que de se laisser abattre, Louise de Kiriline se donne corps et âme à son travail.
Quintuplées Dionne et premier livre
En 1934, Louise de Kiriline est connue de tous pour son professionnalisme et son dévouement sans limites. Lorsque viennent au monde les premiers quintuplés vivants dans une cabane en rondins isolée près de Callander, en Ontario, leur tuteur, le Dr Allan Dafoe, offre sans hésiter à Louise de Kiriline le poste d’infirmière en chef dans une pouponnière à la fine pointe construite spécialement pour les « bébés miraculeux ».
À leur naissance, les cinq petites sœurs pèsent, collectivement, 6 kg. Louise de Kiriline prend soin d’elles tout au long de leur première année, si précaire; malheureusement, l’intérêt public à leur égard s’intensifie au même rythme que leur croissance. La célébrité des bébés, maintenant connus dans le monde entier comme les quintuplées Dionne, donne lieu à l’inauguration, non loin de la pouponnière, d’un complexe touristique florissant surnommé « Quintland ». Louise de Kiriline n’apprécie guère l’exploitation des filles par le Dr Dafoe et le gouvernement de l’Ontario, faisant d’elles une vulgaire attraction touristique.
En 1935, Louise de Kiriline quitte le monde des soins infirmiers pour écrire son premier livre, intitulé The Quintuplets’ First Year: the survival of the famous five Dionne babies and its significance for all mothers. Plutôt que d’essayer de tirer profit de la renommée des quintuplées, l’ouvrage aborde les plus récentes percées médicales à une époque où le taux de mortalité infantile est encore élevé.
Deuxième mariage et guerre
En 1939, Louise de Kiriline épouse un menuisier de la région, Leonard (Len) Lawrence. Dans ses temps libres, avec l’aide de deux menuisiers scandinaves, celui-ci construit une cabane en rondins sur une terre sauvage de six acres surplombant la baie Pimisi, près de Rutherglen, en Ontario. Les Lawrence ont à peine le temps de s’installer dans leur nouvelle demeure que la vie de couple de Louise de Kiriline Lawrence est encore une fois interrompue par la guerre.
En 1939, la Grande-Bretagne et la France déclarent la guerre à l’Allemagne nazie. Len Lawrence compte parmi les dizaines de milliers de Canadiens qui, immédiatement, se portent volontaires pour combattre aux côtés des Alliés (voir Deuxième Guerre mondiale). Pour la deuxième fois de sa vie, Louise de Kiriline Lawrence se retrouve seule, son mari parti à la guerre.
Ornithologie et écriture
Cette fois-ci, au lieu d’être entourée de sa famille, Louise est seule dans une minuscule cabane au cœur de la forêt. Bien des gens, en pareilles circonstances, auraient choisi de quitter un endroit aussi isolé. Mais pas Louise de Kiriline Lawrence : elle décide plutôt de rester et d’observer la faune, s’aidant de l’ouvrage Birds of Canada, du grand ornithologue canadien Percy A. Taverner, qu’un ami lui a offert en cadeau. Captivée par la prose informative et pleine de vie de l’auteur, Louise de Kiriline Lawrence lui envoie une lettre. À sa grande surprise, celui-ci lui répond, l’encourageant à se lancer plus sérieusement dans l’étude des oiseaux.
Louise de Kiriline Lawrence devient membre de l’American Ornithologists Union (AOU), une association dont la plupart des membres, des ornithologues professionnels, sont des hommes. Loin de se laisser intimider, elle commence à soumettre des articles et des documents scientifiques à l’Union sur les oiseaux observés près de sa cabane à Rutherglen. Son style d’écriture élégant et ses observations astucieuses, aptitudes développées au bout de longues années de service comme infirmière de première ligne, remplissent amplement les critères de l’Union. Au fil des ans, elle écrira plus de 500 articles et 17 documents scientifiques pour l’AOU. En 1954, elle devient la première Canadienne à être nommée membre élu de l’AOU, l’une des plus hautes distinctions de l’organisation.
En 1945, elle publie son deuxième livre, The Loghouse Nest, un compte-rendu de ses expériences dans la forêt sauvage, entourée d’oiseaux et de nature. La même année, son mari Len rentre au bercail, ayant terminé son service dans l’armée. Il reprend son travail au sein du canton. Louise de Kiriline Lawrence continue d’observer la nature et de consigner ses observations, écrivant sept ouvrages en 44 ans.
Jusque dans les années 1970, il n’est pas rare de la voir arpenter la région de la baie Pimisi et de Rutherglen, jumelles au cou et carnet en main. Louise de Kiriline Lawrence s’éteint à North Bay le 27 avril 1992 à l’âge de 98 ans.
Prix et distinctions
En 1969, Louise de Kiriline Lawrence se voit décerner la médaille John Burroughs d’histoire naturelle pour son livre intitulé The Lovely and the Wild, ainsi que le prix spécial Sir G.D. Roberts de littérature de la Canadian Authors Association. Elle reçoit un doctorat honorifique en lettres de l’Université Laurentienne de Sudbury en 1971. Une bourse d’études est également créée en son honneur. Dix ans plus tard, Louise de Kiriline Lawrence reçoit le prix Francis H. Kortwright. En 1991, la Société des ornithologues du Canada lui décerne le prix Doris Huestis Speirs en reconnaissance de sa remarquable contribution, tout au long de sa vie, à l’ornithologie au pays.
En 2014, un groupe de conservation local du nom de Nipissing Naturalists Club (NNC) met sur pied le festival de la nature Louise de Kiriline Lawrence, un événement annuel. Le NNC est également à l’origine de la création et de l’installation d’une plaque de la Fiducie du patrimoine ontarien sur les rives de la baie Pimisi en 2016, à quelques centaines de mètres seulement de la cabane de Louise de Kiriline Lawrence.
Publications
The Quintuplets' First Year (1936)
The Loghouse Nest (1945)
A Comparative Life History Study of Four Species of Woodpeckers (1967)
The Lovely and the Wild (1968)
Mar: A Glimpse into the Natural Life of a Bird (1976)
Another Winter, Another Spring: A Love Remembered (1977)
To Whom the Wilderness Speaks (1980)