Le mouvement ex-homosexuel, auquel on réfère dans la culture populaire par la phrase « pray the gay away » [chasser l’homosexualité à force de prières], est un mouvement à prédominance chrétienne conservatrice qui agit sur toute la planète, mais principalement aux États-Unis, au Canada, en Grande-Bretagne et en Australie. Il s’agit d’un réseau plus ou moins organisé d’instances religieuses sans but lucratif et de cabinets de psychothérapie à but lucratif dédiés au traitement et à la gestion des comportements et des désirs homosexuels qu’ils considèrent comme anormaux et immoraux. Le mouvement ex-homosexuel est majoritairement soutenu et dirigé par des églises chrétiennes, principalement évangéliques, fondamentalistes, catholiques romaines conservatrices et mormones, et par des psychothérapeutes privés qui s’associent à ces mêmes dogmes chrétiens.
À mi-chemin entre psychologie et religion
Bien que le mouvement accueille aussi un petit pourcentage de croyants juifs, les efforts de conversion des homosexuels mélangent habituellement des théories psychanalytiques et béhavioristes datant de la première moitié du XXe siècle maintenant discréditées et caduques à des traditions principalement chrétiennes comme la confession et la prière. Le mouvement prétend pouvoir aider ceux et celles ayant des pulsions homosexuelles non désirées à se tourner vers la « vérité » et à changer leur orientation sexuelle. Les pratiques religieuses et psychologiques les plus répandues du mouvement sont, respectivement, la prière et la thérapie réparatrice (ou de conversion). Peu importe les méthodes utilisées, celui ou celle qui subit un traitement de conversion devra la plupart du temps confesser ses désirs homosexuels et les considérer comme les symptômes d’une maladie due au péché, et se soumettre entièrement à la stricte autorité de ses mentors religieux et psychologiques.
Les opposants au mouvement citent d’innombrables études prouvant que la thérapie de conversion est non seulement inefficace, mais dangereuse. Les partisans de la technique, de leur côté, prétendent achever différents niveaux de succès, bien que leur définition du succès change fréquemment.
Organisations
Jusqu’à récemment, les différentes instances religieuses et psychologiques du mouvement agissaient sous deux organisations faîtières situées aux États-Unis : Exodus International, qui a été le visage religieux du mouvement de 1976 à 2013, et son pendant psychologique et « laïque » depuis 1992 : la National Association for Research & Therapy of Homosexuality (NARTH). En 2014, cette dernière s’intègre à une nouvelle organisation de son invention, l’Alliance for Therapeutic Choice and Scientific Integrity. La division juive du mouvement, elle, agit au sein d’une autre organisation faîtière : Jews Offering New Alternatives for Healing (JONAH). Depuis la fermeture d’Exodus International, en 2013, une nouvelle organisation chrétienne, Restored Hope Network (RHN), est née aux États-Unis. Au Canada, le mouvement est particulièrement actif dans la région de Vancouveravec l’organisation Journey Canada, connue jadis sous le nom de Living Waters Canada. Jusqu’à 2010, l’organisation New Direction Ministries agissait également à Toronto. En 2003, toutefois, la ministre de l’organisation, Wendy Gritter, cesse de pratiquer la thérapie de conversion et, en 2008, annonce dans un discours à Exodus International son rejet formel de cette pratique. New Direction Ministries cherche depuis à rejoindre les personnes non hétérosexuelles sans toutefois promouvoir la réorientation sexuelle. Journey Canada, pour sa part, continue de prêcher le changement d’orientation sexuelle à ses disciples.
Naissance du mouvement ex-homosexuel
Le mouvement ex-homosexuel apparaît en 1973, quelques mois après que l’American Psychiatric Association (APA) a retiré l’homosexualité de sa liste des troubles mentaux. Bien qu’il émerge en partie d’un mouvement religieux hippie du début des années 1970, le phénomène se veut surtout un pied de nez à cette déclassification. Avant les années 1970, l’Église chrétienne restait généralement muette sur la question de l’homosexualité, se contentant dans la première partie du XXe siècle d’expulser sans grand bruit ses membres, de les excommunier ou encore de les rediriger vers les domaines plus laïques de la psychiatrie et de la psychologie. Suivant la déclassification, toutefois, le mouvement ex-homosexuel émerge pour combler le vide laissé par l’APA. L’apparition d’une foule de petites Églises indépendantes de part et d’autre du Canada et des États-Unis a tôt fait de donner corps au mouvement. En 1976, elles s’unissent sous la bannière d’Exodus International et commencent à s’allier à des professionnels de la santé mentale qui, malgré les changements du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, continuent d’utiliser le diagnostic d’« homosexualité égodystonique » pour traiter les patients de la communauté lesbienne, gaie, bisexuelle et transgenre (LGBT) incapables d’accepter leur orientation sexuelle. Que les méthodes utilisées par les « soignants » soient religieuses ou psychologiques, le traitement de l’homosexualité commence presque toujours par l’aveu de ses désirs cachés et l’admission qu’ils sont des péchés symptomatiques d’une maladie mentale.
Tout au long des années 1980, le mouvement croît, stimulé par les campagnes médiatiques antihomosexuelles de la Droite chrétienne et par la crise du VIH-sida. Bien qu’il devienne rapidement international, le mouvement ne fait pas beaucoup de bruit à l’extérieur des cercles évangéliques, fondamentalistes, catholiques conservateurs et mormons jusqu’à la fin des années 1990. Ainsi, les quelques fois où le nom du mouvement entre dans la place publique, il est justifié bibliquement. La donne change toutefois en 1992 lorsque la NARTH rejoint Exodus International et se met à promouvoir ce qu’elle appelle la « thérapie réparatrice », un traitement pseudoscientifique « laïque » conçu par la psychologue chrétienne Elizabeth Moberly et reposant sur des notions de psychanalyse et de béhaviorisme. Cofondée par le psychologue catholique Joseph Nicolosi, le psychiatre juif Benjamin Kaufman et le psychanalyste freudien Charles Socarides, la NARTH (maintenant Alliance for Therapeutic Choice and Scientific Integrity) est une organisation qui affirme que le mouvement ex-homosexuel peut être justifié grâce à la psychologie et les écritures judéo-chrétiennes.
Publiciser la réorientation sexuelle dans la sphère publique
À l’été 1998, le mouvement sort du placard et annonce son existence au grand jour. Il rejoint en effet 15 groupes de la Droite chrétienne pour lancer une campagne de lobby à l’échelle nationale dans les médias écrits et télévisés. Les publicités, remplies de témoignages et de confessions de participants « guéris » et d’autres disciples, promettent de « libérer de l’homosexualité » et placent le mouvement ex-homosexuel comme une partie intégrante et centrale de la guerre des cultures nord-américaine. Le New York Times, le Washington Post, le USA Today, le Los Angeles Times et le Miami Herald sont au nombre des journaux ayant publié la propagande du mouvement. La première campagne télévisée ex-homosexuelle, quant à elle, est lancée à Washington en 1999. À la même époque, la NARTH lance aussi un site Web qui, avec les publicités, augmente grandement la présence médiatique du mouvement. En 1998, Newsweek publie un populaire article sur John et Anna Paulk, un couple formé de deux ex-homosexuels. La première vague de publicités du mouvement n’est toutefois pas entièrement fructueuse, car elle coïncide avec le drame hypermédiatisé de Matthew Shepard, jeune étudiant de l’Université du Wyoming assassiné à cause de son orientation sexuelle en octobre 1998. Malgré tout, le mouvement continue ses efforts une décennie durant, s’affichant non seulement dans les journaux, mais sur les autobus et dans les métros, ainsi qu’à la télévision et à la radio. Des annonces télévisées produites par Life Productions Ministry apparaissent même sur les écrans canadiens en 2008. Des annonces sont également brièvement diffusées sur les ondes d’une station de radio nord-ontarienne appartenant à CTV, avant que les plaintes du public ne les fassent retirer.
La campagne promotionnelle du mouvement ex-homosexuel finit par remporter un certain succès, mais c’est surtout le soutien du psychiatre Robert Spitzer, celui-là même qui, en tant que chef du comité de l’APA, a fait déclassifier l’homosexualité en 1973, qui cimente la place du mouvement dans la sphère publique. En 2001, il présente une étude (publiée deux ans plus tard) qui prétend que certains hommes homosexuels et certaines femmes lesbiennes avaient réussi à changer d’orientation sexuelle grâce aux enseignements liturgiques. La méthodologie de l’étude, qui repose entièrement sur des sondages téléphoniques, est sévèrement critiquée. Malgré tout, l’annonce crée un battage médiatique monstre, en grande partie parce que Robert Spitzer était jusque-là considéré comme un héros de la défense des droits des homosexuels. Depuis la publication de l’étude, la télévision et la radio américaines, canadiennes, anglaises et australiennes font du mouvement ex-homosexuel un sujet de choix pour leurs émissions de nouvelles, d’affaires publiques et leurs émissions de variétés. Le mouvement est également mis en vedette dans de nombreux documentaires et films de fiction, notamment la production américaine This Is What Love in Action Looks Like, et Cure for Love, produite par l’Office national du film du Canada. Il ne faut pas non plus attendre bien longtemps pour que le mouvement devienne source de mépris et de parodies à la télévision : les productions américaines Law & Order : SVU et South Park et productions canadiennes Rick & Steve : The Happiest Gay Couple in the World et This Hour Has 22 Minutes font partie des nombreuses séries dramatiques et comédies de situation et à sketches à ridiculiser le mouvement ex-homosexuel.
Guerre des cultures : la défaite du mouvement ex-homosexuel
Depuis 2005, le mouvement connaît plusieurs revers cuisants très médiatisés. En 2005, les journaux décrient aux États-Unis le sort de Zach Stark, un adolescent homosexuel forcé par ses parents chrétiens conservateurs à participer à un programme résidentiel ex-homosexuel à Memphis, au Tennessee. Entre 2007 et 2010 au Canada, l’organisation New Direction Ministries quitte Exodus International, rejette officiellement la thérapie réparatrice et commence à tisser des liens plus amicaux avec les communautés LGBT. En 2009, l’APA publie à Toronto un rapport mettant en doute l’efficacité de la réorientation sexuelle et suggérant au contraire son caractère néfaste. En 2012, le président d’Exodus International, Alan Chambers, admet publiquement à une conférence du Gay Christian Network que 99,9 % des ex-homosexuels n’ont pas vraiment changé. Plus tard la même année, Robert Spitzer se dissocie officiellement et publiquement de son étude de 2001, admettant son manque de rigueur méthodologique et s’excusant à la communauté LGBT des torts qu’il a pu leur causer. Suivant cette annonce, la Californie et le New Jersey proscrivent le recours à la thérapie réparatrice auprès des mineurs (des interdictions maintenues par les tribunaux en 2013). Toujours en 2012, une poursuite pour fraude contre le consommateur est intentée contre le groupe ex-homosexuel juif JONAH au New Jersey et mène à un jugement sommaire partiel en faveur de l’appelant en février 2015. Le 25 juin 2015, les tribunaux jugent que la thérapie de conversion est une fraude et forcent JONAH à payer 72 400 $ en dommages et intérêts. Finalement, en 2013, Exodus International ferme ses portes. Cette fermeture fait suite à des excuses lancées par Alan Chambers à tous les survivants du mouvement ex-homosexuel, et diffusées en ligne et dans un épisode de la série documentaire Our America, produite par Oprah Winfrey. Entre-temps, au Canada, le NPD, en tant que parti de l’opposition officielle au fédéral, adopte une résolution en 2011 réclamant au gouvernement qu’il interdise le statut d’œuvre de bienfaisance à tout groupe religieux offrant ou promouvant la thérapie de conversion. Le gouvernement néo-démocrate ontarien, pour sa part, propose de retirer la thérapie de conversion du plan d’Assurance-santé de l’Ontario, un amendement qui est adopté à l’unanimité par l’Assemblée provinciale en juin 2015.
Depuis 2005, de nombreux anciens chefs du mouvement ex-homosexuel, à l’instar d’Alan Chambers, ont dénoncé le mouvement et se sont excusés de leur implication au sein de celui-ci. C’est entre autres le cas de John Smid, qui dirigeait le programme résidentiel où l’adolescent Zach Stark a été emmené de force à Memphis, et de John Paulk, qui faisait la une du magazine Newsweek en 1998 dans le cadre du premier blitz promotionnel du mouvement. Malgré ces désaveux généralisés, le mouvement poursuit ses activités sous l’autorité de l’Alliance for Therapeutic Choice and Scientific Integrity (anciennement NARTH) et du RHN. Il existe également un mouvement parallèle mis de l’avant par certaines Églises chrétiennes conservatrices qui promeut l’abstinence des chrétiens homosexuels plutôt que leur conversion, une « solution » pourtant préconisée (bien que moins bruyamment) par le mouvement ex-homosexuel depuis ses débuts.