Mouvement Social Gospel
Formé afin de résoudre, au moyen des principes chrétiens, les problèmes collectifs d'une société en voie d'industrialisation, le mouvement Social Gospel est une force importante sur la scène religieuse, sociale et politique des années 1890 aux années 1930. Sa puissance étonnante s'explique par l'expansion remarquable des Églises protestantes, surtout évangéliques (voir MOUVEMENTS ÉVANGÉLIQUE ET FONDAMENTALISTE), pendant la seconde moitié du XIXe siècle. Expression privilégiée du nationalisme évangélique pendant plusieurs décennies, le mouvement Social Gospel exerce aussi une forte influence laïcisante du fait qu'il adopte facilement des idées contemporaines comme le progressisme libéral, le darwinisme de réforme, la critique biblique et l'idéalisme philosophique comme véhicule de son message de salut social. Toutefois, il élabore aussi une spiritualité propre qui confère à l'engagement social une valeur religieuse, laquelle s'exprime par des prières, des hymnes, des poèmes et des romans de « réveil social ». La croyance fondamentale du mouvement est que Dieu est à l'oeuvre dans les changements sociaux pour établir un ordre moral et une justice sociale. C'est une conception optimiste de la nature humaine, et le mouvement nourrit de grands espoirs de réforme sociale. Les dirigeants reformulent des notions chrétiennes traditionnelles comme celles du péché, de l'expiation, du salut et du Royaume de Dieu en insistant sur un contenu social adapté à une société de plus en plus collectivisée. Le mouvement Social Gospel en général donne naissance à la nouvelle discipline théorique de la morale sociale. Au Canada en particulier, c'est surtout sous son impulsion que s'élaborent les premiers programmes de sociologie.
Le mouvement apparaît au Canada dans les années 1880, décennie marquée par le matérialisme, la corruption politique, de grandes difficultés économiques et une agitation croissante des milieux urbains. En réaction contre les difficultés de l'époque et contre un négativisme protestant détaché du monde présent, de jeunes protestants comme J.W. BENGOUGH et Salem BLAND ainsi que des philosophes idéalistes comme John WATSON à l'U. Queen's, enthousiasmés par des prophètes sociaux comme Carlyle, Ruskin, Tolstoï et Henry George, cristallisent un mouvement qui, au milieu des années 1890, est devenu omniprésent dans le journalisme religieux, les instituts ministériels, les conférences d'anciens élèves de collèges et les mouvements de jeunesse. Les premières manifestations du rôle grandissant de l'Église apparaissent avec la fondation de missions urbaines et d'instituts comme le St. Andrew's Institute (Toronto, 1890) et la Fred Victor Mission (Toronto, 1894). Viennent ensuite une série de maisons d'entraide chrétiennes (1901-1919). C'est probablement le MÉTHODISME qui met le plus facilement en pratique le mouvement Social Gospel, mais toutes les grandes confessions protestantes constituent entre 1894 et 1910 des structures de conseils chargées de s'occuper de leurs préoccupations grandissantes. D'anciennes causes d'ordre moral, comme la tempérance (voir MOUVEMENT POUR LA TEMPÉRANCE), l'observation du dimanche et la pureté sociale (lutte contre la prostitution), sont réinterprétées, rajeunies et intégrées aux réformes progressistes.
Sous la direction du presbytérien J.G. SHEARER, les Églises se concertent en 1908 aux niveaux national et provincial pour former le Moral and Social Reform Council et harmonisent facilement ces préoccupations avec d'autres comme l'enfance, la santé, l'habitation et la réforme urbaine.
En 1912, ce conseil réorganisé devient le Social Service Council of Canada, et les Églises commencent à parrainer des études approfondies sur les conditions de vie en milieu urbain. En 1914, le conseil organise le premier congrès national sur les problèmes sociaux. Sauf quelques exceptions notables, les hommes qui dirigent le mouvement ne donnent guère d'importance au DROIT DE VOTE DE LA FEMME, mais un grand nombre de femmes appartenant au Conseil national des femmes, à la WOMAN'S CHRISTIAN TEMPERANCE UNION et aux organisations de lutte pour le droit de vote des femmes trouvent dans le Social Gospel un moyen d'expression intéressant pour définir les réformes qui sont nécessaires d'après leurs convictions maternelles et féministes.
Le mouvement Social Gospel est souvent caractérisé comme un phénomène urbain touchant la classe moyenne, mais il attire pourtant des réformateurs agraires et syndicaux. W.C. GOOD, des FERMIERS UNIS DE L'ONTARIO, R.C. Henders, de la Manitoba Grain Growers' Association, (voir ASSOCIATION DE PRODUCTEURS DE GRAIN) E.A. PARTRIDGE, de la Saskatchewan Grain Growers' Association, et H.W. WOOD, des FERMIERS UNIS DE L'ALBERTA, y adhèrent tous avec enthousiasme, de même que des chefs syndicaux comme James Simpson en Ontario, W.A. PUTTEE au Manitoba et Elmer Roper en Alberta. Au début de la Première Guerre mondiale, le mouvement devient un facteur primordial de réforme sociale. La guerre renforce la volonté d'atteindre des objectifs sociaux, et l'influence du mouvement parvient ainsi à son apogée. Toutes les réformes qu'il préconise font d'immenses progrès : législation directe, prohibition, droit de vote des femmes, réforme de la fonction publique, bureaux de recherche sociale, expansion des coopératives, affaiblissement du gouvernement de parti et, pour certains adeptes, orientation de l'économie par l'État à des fins d'efficacité nationale.
L'agitation de l'après-guerre permet au mouvement Social Gospel de rehausser encore son prestige en s'associant à la GRÈVE GÉNÉRALE DE WINNIPEG (1919) et à la campagne du PARTI PROGRESSISTE (1919-1921). Les membres radicaux du mouvement, comme J.S. WOODSWORTH et William IRVINE, se détachent de plus en plus du mouvement Social Gospel rattaché aux Églises. Cependant, les réalisations et les espoirs du mouvement sont compromis par le ralentissement économique, la laïcisation du travail social et la réaction populaire contre la PROHIBITION, tandis que les luttes intestines au sein des mouvements syndicaux et agricoles affaiblissent la base militante du mouvement Social Gospel radical. La formation de l'ÉGLISE UNIE DU CANADA (1925), elle-même attribuable en partie au mouvement Social Gospel, n'apaise pas les crises qui s'aggravent dans le mouvement, qui se met à péricliter.
Beaucoup de raisons expliquent ce déclin des années 20 : le fait que de nombreuses réformes soient réalisées; un désenchantement qui semble être le contrecoup de la guerre; un affaiblissement général du désir de faire le bien et de suivre des principes moraux, abandonnés en faveur d'un nouvel hédonisme; déclin de l'idéalisme, qui cesse d'être la philosophie dominante. Le Social Gospel, dont l'idéologie est fondée sur la primauté de la raison dans une âme en harmonie vitale avec un Dieu bienveillant, a peine à survivre dans un monde qui semble animé tantôt par la soif du pouvoir et la déraison, tantôt par la frivolité.
Toutefois, après le choc de la CRISE DES ANNÉES 30, une nouvelle génération s'inspire à la fois d'Alfred North Whitehead, de Reinhold Niebuhr et de Karl Marx pour formuler une doctrine qui, selon les uns, est un nouveau mouvement Social Gospel et que d'autres considèrent comme une forme de « christianisme radical » qui reconnaît la nécessité du renouveau personnel autant que du renouveau social, qui admet l'importance de la lutte des classes et qui aspire à une société d'entraide.
Associés au Fellowship for a Christian Social Order (auquel s'ajoute ensuite l'Anglican Fellowship for Social Action), la plupart des jeunes dirigeants de ce courant (J.W.A. Nicholson dans les Maritimes, King GORDON et Eugene FORSEY dans le centre du Canada, T.C. DOUGLAS et J.H. Horricks dans les Prairies et Harold Allen en Colombie-Britannique) participent à la fondation de la CO-OPERATIVE COMMONWEALTH FEDERATION (1932).
De façon très diffuse, la vieille garde du mouvement Social Gospel joue un rôle moins évident dans la fondation du CRÉDIT SOCIAL et du parti de la reconstruction ainsi que dans des tentatives visant à transformer les partis libéral et conservateur pendant la dépression. Après la Deuxième Guerre mondiale, c'est en grande partie grâce au mouvement Social Gospel que la population est prête à maintenir le nouvel État-providence canadien et l'engagement international du pays en faveur du MAINTIEN DE LA PAIX. On trouve constamment des héritiers du mouvement Social Gospel aux premiers rangs de ces deux projets. L'ambiance apocalyptique de la fin des années 60 et des années 70 balaye les espoirs grandioses, quoique vaguement définis, de progrès social entretenus par ce qui reste du mouvement Social Gospel. La preuve en est que les coalitions des Églises en faveur des droits des autochtones, de l'environnement et de la responsabilité des compagnies s'en tiennent à des objectifs limités. Néanmoins, le christianisme des pays du tiers-monde, le dialogue entre chrétiens et marxistes et la théologie catholique de la libération contribuent à faire renaître au Canada un certain courant de pensée et d'action sociales chrétiennes qui rappelle le mouvement Social Gospel radical. Voir aussi ACTION SOCIALE OECUMÉNIQUE.