Project Mémoire

Aimé Michaud (source primaire)

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Aimé Michaud a servi dans la guerre de Corée. Vous pouvez lire et écouter le témoignage d'Aimé Michaud ci-dessous.

Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.


Aimé Michaud
Aimé Michaud
Propagande américaine destinée aux ennemis communistes, ramassée lors d'une patrouille effectuée par M. Michaud en Corée, 1952.
Aimé Michaud
Aimé Michaud
Aimé Michaud
M. Michaud posant près de la sépulture de son frère d'armes tombé au combat, le caporal Prieur, cimetière de Pusan, Corée, le 25 avril 1952.
Aimé Michaud
Aimé Michaud
Aimé Michaud
De Québec à la ligne de feu: Les différentes étapes du voyage de M. Michaud entre Québec et la Corée, mars-avril 1952.
Aimé Michaud
Aimé Michaud
Aimé Michaud
Propagande américaine destinée aux ennemis communistes, ramassée lors d'une patrouille effectuée par M. Michaud en Corée, 1952.
Aimé Michaud
J’ai dit : « Maintenant Aimé Michaud t’es soldat ! Oublie un peu en arrière. » Là, ça m’a bloqué; j’ai tout laissé mes amis, mes parents, puis : « Maintenant j’ai un ouvrage à faire, je suis Vingt-Deux. »

Transcription

L’autre chose qui m’a frappé, c’est le train au départ. Je ne voulais pas avoir personne, parce que quand j’étais jeune, je regardais les journaux qui a des femmes couraient sur le bord des trains, les enfants dans les bras, tout ça, puis, les militaires, leurs corps presque sorti en dehors du train pour les embrasser encore. Ça m’a frappé. C’est pour ça que je ne voulais pas avoir personne. Quand ç’a été le temps d’embarquer, je me suis assis, j’ai mis mon béret à côté de moi, puis j’ai regardé à l’extérieur, ça a été la même chose. Les femmes encore avec des enfants, puis qui couraient après le train pour le suivre. Ça m’a touché ça. Fais que là je me suis reculé dans mon banc après qu’on est tombé dans la noirceur. On est parti le soir. J’ai dit : « Maintenant Aimé Michaud t’es soldat ! Oublie un peu en arrière. » Là, ça m’a bloqué; j’ai tout laissé mes amis, mes parents, puis : « Maintenant j’ai un ouvrage à faire, je suis Vingt-Deux. » (soldat au Royal 22e Régiment)

À 9 h 30 le soir, un obus a explosé, le sergent (Charles-Édouard) Sénéchal, il y a eu trois blessés. Le sergent Sénéchal a entendu un bruit un peu différent. Moi et le caporal Vignola, Marcel Vignola, on l’a ramassé et mis dans un stretcher (brancard). On a attendu d’autres compagnons, ces choses-là. C’était noir, il faisait noir. Et le lendemain matin, on est venu le chercher avec un Jeep, une petite Jeep qu’on appelle de la Croix-Rouge. Il est décédé le matin même (avril 1952). Ce qui est arrivé, le colonel (alors capitaine Charles) Forbes connaissait la famille. C’était son sergent. Il a fallu qu’il aille expliquer à sa femme. Ben lui il était parti en arrière, une trentaine de miles en arrière. Elle lui a demandé de voir des témoins, comment son mari était décédé. Le colonel Forbes a dit qu’il n’en connaît pas. J’étais un des (…), c’était des nouveaux ça.

Ça fait que des années après, sa femme est décédée. Elle appelait toujours le colonel Forbes toutes les années. Elle est décédée du cancer, la femme du sergent Sénéchal. Mais elle avait une petite fille de quatre ou cinq ans quand elle est partie. La jeune fille a grandi. Elle était mariée. Et un jour elle a vu le colonel Forbes qui était l’invité d’honneur à un endroit. Elle s’est rendue là. Elle a demandé au colonel Forbes : « Avez-vous rencontré quelqu’un ? » Mais premièrement elle lui a dit : « Me reconnaissez-vous ? » Il dit : « Mais non. » Elle était jeune. Il dit : « Votre nom ? » « Je suis la fille du sergent Sénéchal. » Et là il dit : « Non, je n’ai pas vu personne. »

La personne c’était moi. J’ai été quatre ans avec le colonel Forbes puis on n’a jamais discuté de ça. Et un jour, j’ai donné une petite conférence à un endroit et lui, il était présent. Il dit : « Timé Michaud, j’ai affaire à toi ! » Il m’a conté l’histoire, j'ai dis: « Donnez-moi son numéro de téléphone. » Il dit : « Je n’y donnerais pas le tien. » Je l’ai appelé, j’ai pris un rendez-vous. Mais, entre-temps, moi je n’étais pas au courant de ça du tout. Ça avait arrivé longtemps avant. En (19)98, j’avais été invité pour aller au champ en Corée. J’ai été au cimetière (des Nations-Unies à Pusan, Corée du Sud) puis ça m’a tellement frappé pour le sergent Sénéchal que j’ai déposé une couronne, un bouquet de fleurs sur sa tombe. Parce que ça m’a frappé cette chose-là. Il partait le lendemain puis il est décédé.

Ça fait que j’avais pris des photos, sans savoir l’histoire du colonel, ni de sa fille, ni de sa femme. J’avais ça chez moi. Quand je l’ai contacté, je ne lui ai pas dit que j’étais pour lui amener des photos. Je me suis habillé avec mes médailles, mon costume, mon béret. Puis j’ai pris un rendez-vous, j’ai été la rencontrer chez elle avec son mari. On a pris d’autres photos ensemble. Je lui ai conté qu’est-ce que c’était : « Ton père n’a pas souffert. Il n’a pas eu le temps. C’est ça qui était l’affaire. » Puis je lui ai remis les photos. On a du coulaient toujours les larmes - les larmes aux yeux, puis, avec la famille aussi. Ces choses-là, ça nous touche beaucoup. C’est une chose qui me restera toujours gravé. Prieur c’était la même chose (le caporal Prieur, mort au champ d'honneur en Corée en 1952), j’avais fait une promesse que vice versa, s’il arrive quelque chose de ramasser mes affaires personnelles. J’ai ramassé ses affaires personnelles. Et retourner en Corée, ça m’a pris 46 ans en Corée, retourner. Puis j’ai été chanceux parce que ça a été le gouvernement canadien qui m’a retourné là. Et j’ai déposé un bouquet de fleurs là aussi.

Des fois ils disent, il y a eu 516 morts et X montant de blessé physiquement, mais moralement et mentalement, il y en a eu beaucoup. Ce n’est pas compté ça, parce que dans ce temps-là, le post-traumatisme, ils ne comptaient pas ça.

Parce qu’on était dans une position, là-bas c’est toute des petites montagnes et on était entouré de barbelés puis des mines. Puis entre deux montagnes, on avait toujours des « gaps » qu’on appelle, une place qu’on a déjà préparée des mortiers. Si on voit quelque chose bouger, de tirer ça. Mais les Chinois ne sont pas fous ou les Coréens du Nord, ils font la même chose. Fais qu’on manquait de rations et ils ont demandé deux volontaires. Fais que moi j’étais lance-caporal dans ce temps-là et j’étais le premier sur le mortier numéro un. Ça veut dire que c’est moi qui prenait les miles, on avait une responsabilité et on avait travaillé assez fort, notre travail. La nuit et le jour, on ne dormait pas. Ça fait qu’ils ont demandé deux volontaires. Puis le caporal Richard lui il dit, il a lâché un cri : « Besoin de deux volontaires ! » J’ai été volontaire pour aller chercher des rations. Quand on est passé Yvon Richard, il a dit : « On va prendre ce chemin-là. » Puis quand on a passé où le « gap » était entre les deux montagnes, les Chinois ou les Coréens du Nord nous ont vus, ils ont lancé un obus. Puis là j’ai levé les pieds et lui avec. Lui il était à ma gauche, l’obus est tombé peut-être... Il était plus blessé que moi, du sang les oreilles et les yeux rouges. Ma chemise toute partie, les pantalons en tout cas. Le blast de ça (l’explosion). Et là, on a couru jusqu'à l’endroit où on était supposé d’aller, la petite montagne. Ils nous ont donné une piqûre, il y a toujours un brancardier là, une piqûre de morphine, qu’ils l’appellent, pour le mal. D’un coup on a vu passer une petite Jeep rouge. On a dit : « Tiens, il vient nous chercher. » On a embarqué. J’ai dit : « On va sauter encore certain. » Parce qu’il fallait passer par le même chemin où qu’on avait passé, où on s’était fait blesser. Les Chinois nous ont laissé passer. La Croix-Rouge là, ils n’ont pas tiré. Je les remercie pour ça, mais à part de ça rien. Je ne les remercie pas. Et là, quand le padre (aumônier régimentaire) était après nous autres. « Mon chum est plus magané (mal en point) que moi et plus blessé que moi, occupez-vous en. » Moi c’est juste le blast puis du sang un peu tout partout. Et là ils nous ont pansé ça et on a descendu. C’était des hindous, des hindous (personnel d’une unité médicale indienne), une petite tente avec des médecins-là. Ils nous ont changé nos pansements. On a descendu à un hôpital des tentes. Un hôpital, c’est toutes des grandes tentes australiennes. Fais qu’en arrivant là, ils nous ont donné encore des piqûres. On ne pose pas de questions. Ils nous piquent, salut bonjour ! Et ils nous ont passé des radiographies.

Puis tout de suite après les radiographies on a passé sur des stretchers, des morceaux de bois. Ils nous embarquent vite, tout ça. Ils m’ont enlevé le shrapnel que j’avais ici en dessous de la bouche puis dans les jambes, puis dans les bras puis ces choses-là. Ils ont cousu ça puis ils m’ont retourné. Ils m’ont embarqué sur un stretcher, un rack en bois. Puis une garde-malade m’a dit : « You hungry ? » Elle m’a fait signe. J’ai dit oui. Ça faisait une couple de jours. Fais qu’elle m’a donné à manger. Quand j’ai eu fini, il y en a une autre garde-malade qui est arrivée. Elle m’a dit « You want to sleep ? » Non, non, on est tellement nerveux. Le stress puis toutes ces choses-là. Elle m’a donné une piqûre. J’ai dormi.