William Manning (source primaire) | l'Encyclopédie Canadienne

Project Mémoire

William Manning (source primaire)

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

M. William Maning est un vétéran de la Guerre de Corée qui servit outre-mer avec le 2e Bataillon du Royal 22e Régiment. Il servit avec la section du renseignement du bataillon sous les ordres du lieutenant-colonel Jacques Dextraze.

Contenu sensible : Cet article contient du contenu sensible que certaines personnes peuvent trouver dérangeant ou offensant.

Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.


Le Projet Mémoire
Le Projet Mémoire
M. William Manning, avril 2012.
Le Projet Mémoire
Bill Manning
Bill Manning
Pendant son tour en Corée avec le 2e Bataillon du Royal 22e Régiment avec la section d'intelligence (renseignement), M. Manning était en charge de la rédaction du journal de guerre de l'unité. Voici un extrait des activités du régiment au front pour les entrées du 1er au 5 juillet 1951.
Bill Manning
Bill Manning
Bill Manning
Portrait de groupe pris lors d'un cours d'interprétation de photographies aériennes à Rivers (Manitoba), le 13 mai 1953. Le sergent Manning apparaît sur la première rangée, le premier à droite.
Bill Manning
Bill Manning
Bill Manning
Sauf-conduit à l'intention des soldats chinois leur garantissant d'être bien traités en cas de capitulation. 1951.
Bill Manning
Bill Manning
Bill Manning
Cartes de propagande de Noel émises à l'intention des volontaires de l'armée populaire chinoise. 15 décembre 1951.
Bill Manning
(...) et on a tué les civils, d’une certaine façon. Alors ça a été… c’était terrible. Et je me rappelle M. Dextraze, il m’a dit : ‘Ne raconte jamais ça, tant que je suis en vie.’ Je suis monté jusqu’à sa tranchée et il pleurait. Et il était en train de pleurer et il a dit : ‘Ne raconte jamais que tu m’as vu pleurer, pas tant que je suis encore en vie.’

Transcription

(Enrôlement et formation)

Un jour, mon père m’a dit, il a dit, tu sais quoi Bill, tu as 17 ans, il me semble que tu devrais aller chercher du boulot quelque part – et il a dit ça comme ça, c’était ses propres mots : « Trouve du boulot et, vous savez, pars de la maison, fais quelque chose. » Alors je suis allé à Montréal et – sur l’avenue McGill, mais ce n’est pas là que je suis allé en premier, je me suis présenté à l’armée – la Marine, et ils ont dit que ça allait prendre dans les trois ou quatre semaines avant que je puisse de fait entrer dans la Marine. J’ai dit non, mon père veut que je trouve du travail aujourd’hui même. Alors je suis allé voir du côté de l’armée de l’air; et c’était du pareil au même.

Donc pour finir, je suis allé à McGill, McGill College, et l’armée de terre recrutait là pour la guerre de Corée. Ils cherchaient des volontaires, et j’ai dit : Hé, combien de temps ça prend? » Il a répondu : « Et bien passe le test et on verra. » Alors j’ai passé le test – qui était d’une facilité déconcertante, tellement facile que j’aurais pu faire ça avec un œil fermé et une main derrière le dos. Et voilà, le test était terminé, et il a dit : « Bon, tu as réussi avec d’excellents résultats. » Et j’ai dit que j’avais aussi aidé deux autres gars.

Donc il a dit : « Qu’est-ce que tu aimerais faire? » J’ai répondu que j’aimerais entrer dans la police. Il a dit que malheureusement il n’y avait aucune offre dans la police militaire. J’ai dit : « Bon, dans ce cas… qu’est-ce que vous avez à offrir? » Il a répondu : « Et bien, une carrière dans l’armée. » J’ai répondu : « non, non, non, je ne veux pas me retrouver dans une ornière avec plein d’eau et un canon et… non, la pluie et je suis… » Il a dit : « Oh! » Et alors moi j’ai dit merci bien et je me suis éloigné et le gars a dit : « Attends une minute. » Et j’ai dit : « Oui quoi? » Il dit : « Et les services de renseignements militaires? » J’ai dit : « Quoi? » Et là, une lumière s’est allumée au-dessus de ma tête, du 60 watts. Ça a l’air intéressant.

Donc il a dit : « Bon, en effet c’est très intéressant comme carrière, tu vas direct en formation, pas d’entraînement de base ni rien de ce genre. » J’ai répondu : « Tout à fait pour moi. » Et de fait j’étais, j’ai fait partie de l’armée de terre. Alors ils m’ont renvoyé chez moi avec un peu d’argent et un laissez-passer, et ils sont revenus en disant : « Tu vas faire partie du Royal 22e Régiment, 2e Bataillon. J’avais entendu parler du Royal 22e Régiment, c’est un fier régiment canadien-français.

Donc je suis rentré à la maison et mon père a dit : “Et bien, tu as trouvé un boulot?” Je ne lui ai rien dit. J’en ai parlé à ma mère, et elle lui a dit dans la soirée, et mon père à ce moment-là, je suis devenu son… son extraordinaire fils. Ma photo sur son bureau au travail, et avant cela je n’avais aucune valeur aux yeux de mon père. Alors il était très fier de moi, et moi j’étais très heureux.

(En Corée avec le 2e Bataillon du Royal 22e Régiment)

Et alors ma carrière, ma carrière militaire, a commencé là. Mais c’était une vie intéressante, et les sept années – en gros sept ans – que j’ai passées dans l’armée, c’était incroyable. Pour un gamin élevé dans une petite ville devenir sergent dans les services de renseignements comme nous – comme j’ai, bon à la fin de ma formation militaire ils m’ont donné le grade de caporal suppléant, c’était mon premier galon. Et c’était le début de ma carrière. Peu de temps après ça, je suis devenu… j’ai eu mes galons de caporal, et finalement dans le, quand j’étais sur le terrain mon commandant m’a nommé sergent. Et c’était un sacré truc, parce que le Colonel Dextraze (Lieutenant Colonel Jacques Dextraze, commandant du 2e Bataillon du Royal 22e Régiment en Corée), que j’aurais suivi jusqu’en enfer, il était commandant avec, vous savez, incroyable. Lui et le Brigadier Rockingham en Corée étaient de grands amis (Brigadier John M. Rockingham, commandant de la 25e Brigade d’infanterie canadienne en Corée), et j’ai travaillé pour eux et j’étais content de travailler pour eux. Et j’aurais fait n’importe quoi pour eux.

Et finalement… la guerre j’ai passé 13 mois là-bas et au début mon travail consistait à, avec six autres personnes, écrire le journal de guerre, aller dans les villages et faire évacuer la population et les faire sortir des villes, parce que… Pas les villes, mais ces petites communes, parce qu’on allait certainement bombarder la ville le lendemain. Et j’avais mon groupe de personnes que j’appelais mes espions, ils traversaient et recueillaient des renseignements et, vous savez.

Donc les renseignements c’est une question de rassembler des informations de toutes sortes. Au-dessus, de chaque côté, devant et à l’arrière. Ça consiste à recueillir des renseignements pour pouvoir les donner au commandant et vous lui donnez une idée de ce qui se passe. Et sur cette base-là il planifie ses attaques ou quoi que ce soit ou ses défenses. Donc travailler avec le Colonel Dextraze était une expérience extraordinaire. Écrire le journal de guerre est intéressant, parce qu’il fallait tout maitriser; être au courant de tout. Parce que ce que vous écriviez chaque jour partait ensuite une fois par mois à Ottawa avec toutes les cartes et les autres documents et, à cette occasion, ils en font des archives, ils construisent leurs archives. Et un grand nombre de livres qui sont publiés aujourd’hui, je sais qu’ils contiennent des renseignements qu’on mettait dans nos journaux de guerre.

Alors c’était une carrière intéressante de ce point de vue là. C’était une vie étrange, parce que quelqu’un a demandé qu’est-ce que ça fait de participer à la guerre. J’ai répondu : “Eh bien, vous ne savez pas ce que c’est jusqu’au moment où vous êtes dedans, vraiment dedans. Et alors, être dedans, ça veut dire que les bombes commencent à vous tomber dessus ou des gens commencent à vous tirer dessus et vous réalisez que vous êtes dans une zone où il y a la guerre. La première fois qu’on s’est rendus sur le front, je me souviens qu’on était à quoi, trois kilomètres du front. Un soldat a été tué parce qu’il était sur le côté d’un camion et un autre camion lui est rentré dedans sur le côté, et l’a tué. Donc ça a été la première personne tuée, pour moi et vous devez aller voir qui c’est et vous savez, mettre ça dans le journal.

Donc c’était étrange à ce moment-là. Et ensuite votre première vraie confrontation avec l’ennemi et le premier Chinois que, à ce moment-là il n’y avait pas encore beaucoup de Chinois; c’était surtout des Nord-coréens, jusqu’à ce que les Chinois s’engagent dans la guerre un peu plus tard. C’était étrange. Ça grandi en vous, ça devient une sorte de seconde nature de voir la mort, de sentir la mort, d’avoir un peu peur. Mais vous n’avez jamais l’impression que vous allez vous faire tuer. Vous ne devenez pas réellement… Si vous commencez à imaginer que vous allez vous faire tuer, vous ne vous trouvez pas au bon endroit.

Donc c’est un… c’était excitant, et même exaltant. Parce que c’est ce que vous recherchiez, l’aventure. Mon travail c’était d’aller dans les petites communes où je devais faire évacuer les gens, et j’emmenai mes six ou sept gars bien armés et bien équipés. Et on y allait et on disait aux gens dans les villages, il faut partir. Sortez de la maison. Et ils voulaient prendre leurs biens avec eux, je suis désolé vous ne pouvez rien emporter avec vous. Et parfois, je crois que le groupe le plus large que j’ai fait partir c’était un groupe de 99 personnes et j’en ai cherché une de plus pour arriver à 100 tout rond. Et je me souviens revenir et on a même été la cible de notre propre artillerie; ils croyaient qu’on était une bande de Chinois. Ou Coréens peu importe. Et on les a cachés et on les a contactés par radio pour les empêcher de tirer sur nous. Mais les avions plongeaient et nous regardaient et, vous savez, des trucs comme ça.

Non, c’était mon boulot et on avait un camp à l’arrière où on gardait ces gens; un camp de réfugiés. Et on les nourrissait et on s’en occupait. Et le lendemain une fois en particulier le village était pratiquement… Le problème c’est que les Chinois gardaient les habitants en otage, sachant que nous les Américains et les Canadiens on n’allait pas tirer sur des gens innocents. Alors ils nous tiraient dessus, mais on ne répondait pas parce que la population civile était là. Mais quand l’ordre est tombé une nuit, je me souviens avoir dit qu’on allait bombarder la ville et on a envoyé des hélicoptères avec des prospectus dedans, fichez le camp de là, fichez le camp. Mais les Chinois les ont gardés.

Les Chinois c’est comme des fourmis; ils ont des trous dans les montagnes et ils, c’est incroyable. Il faudrait que vous voyiez certains trucs qu’on a vus là-bas. Et puis quand ils ont finalement décidé de partir bombarder, les Chinois évidemment se sont cachés dans leurs trous, et ils ont laissé les civils, et on a tué les civils, d’une certaine façon. Alors ça a été… c’était terrible. Et je me rappelle M. Dextraze, il m’a dit : ‘Ne raconte jamais ça, tant que je suis en vie.’ Je suis monté jusqu’à sa tranchée et il pleurait. Et il était en train de pleurer et il a dit : ‘Ne raconte jamais que tu m’as vu pleurer, pas tant que je suis encore en vie.’ Et j’ai vraiment eu de la peine pour lui, parce que ce n’était même pas sa décision de toute façon, mais ce sont des choses qui arrivent en temps de guerre. C’était son secteur. Et il fallait qu’on gagne et il fallait qu’on avance, et la ville était sur leur passage et…

Donc c’est ça la guerre et je me souviens de la première fois où j’ai eu vraiment peur c’est quand ils m’ont dit : ‘Tu t’en vas demain. Tu rentres chez toi demain.’ Là, j’ai eu peur. Vous imaginez toujours que c’est là que vous allez vous prendre une balle pour sûr. Et ce qui est le plus étrange (…) J’étais, ils, mon commandant a dit que j’allais devoir rester un mois de plus; au lieu de 12 mois j’allais rester 13 mois, afin de pouvoir transférer tous les renseignements vous savez. Parce que j’avais la responsabilité de l’emplacement des mines, l’endroit où se trouvaient les barbelés – toutes ces informations-là étaient sous ma responsabilité. Et alors j’ai dit d’accord, je n’ai pas le choix. Mais il y avait deux autres gars pour les mortiers qui sont restés aussi. Deux qui appartenaient au Royal 22e, ils sont restés comme volontaires pour montrer aux autres gars où se trouvaient les cibles et ainsi de suite.

Donc le jour où j’étais censé partir, le jour d’avant, les deux gars qui étaient restés, ils ont mis l’obus dans les mortiers, les 2.5 (pouces), et ils ont explosé et ont tué les deux gars. Alors je suis revenu le lendemain avec mon camion de 750 kilos et les deux cadavres à l’arrière, et moi assis là à côté d’eux en me disant que ça aurait pu être moi, vous savez. Ce sont des choses qui vous restent. Et je me souviens quand je vais dans des endroits pour parler de la guerre ou de la guerre de Corée, quand je suis invité, ils me demandent toujours, la première question c’est toujours : ‘Est-ce que vous avez tué des Chinois? ’ et je réponds : ‘Ça, c’est une affaire entre Dieu et moi.’