Mr. Dressup
a été l’une des séries télévisées canadiennes pour enfants les plus appréciées
et ayant la plus longue durée. Le programme a été diffusé pendant 29 ans (1967-1996),
se déroulant sur plus de 4 000 épisodes. Il a mis en vedette Ernie
Coombs dans le rôle du sympathique Mr. Dressup. Précurseur de la populaire
série américaine Mr. Rogers’ Neighborhood, Mr. Dressup est l’une des premières
émissions à orienter la programmation jeunesse vers l’épanouissement de
l’intelligence émotionnelle et sociale des enfants. La série a gagné trois prix
Gemini, et Ernie Coombs a été nommé membre de l’Ordre du Canada. Un sondage
en ligne organisé par des internautes en 2017 a placé Mr. Dressup, de manière
non officielle, en tête du palmarès des émissions canadiennes les plus
mémorables. En 2019, Mr. Dressup a été intronisé à l'Allée des célébrités
canadiennes.
Contexte
Né à Lewiston, dans le Maine, Ernie Coombs fait ses débuts sur la scène théâtrale communautaire après avoir étudié les arts au Vesper George School of Art à Boston. Il passe quatre étés à interpréter des seconds rôles au Boothbay Playhouse à Boothbay, dans le Maine, où il aide également à la conception et à la construction des décors ainsi qu’à la gestion de scène.
Ernie Coombs fait sa première incursion dans le monde télévisuel lorsque les propriétaires du Boothbay Playhouse l’engagent pour écrire un pilote. Celui-ci est refusé par la CBS, et Ernie Coombs cumule les petits boulots en théâtre et en construction. Il connaît son premier succès lorsque la chaîne WQED-TV de Pittsburgh, première chaîne de télévision éducative aux États-Unis, l’engage en tant que marionnettiste pour sa nouvelle émission, Dimple Depot. Il fait partie de la distribution de l’émission jusqu’à son annulation en 1962.
À WQEP-TV, Ernie Coombs fait la rencontre de Fred Rogers, qui travaille alors sur une autre émission de la chaîne, The Children’s Corner. Fred Rogers fonde son approche sur la science du développement de l’enfance et enseigne à Ernie Coombs que les enfants apprennent le mieux lorsqu’on leur parle lentement, simplement et avec de nombreuses répétitions. La philosophie de Fred Rogers reflète les recherches de la Canadian Broadcasting Corporation par rapport à la programmation pour enfants, et la CBC engage Fred Rogers en 1963 en tant que superviseur de l’émission jeunesse Misterogers. Fred Rogers demande à Ernie Coombs de prendre part à l’émission en tant que marionnettiste. Après la première saison, Fred Rogers retourne à Pittsburgh pour lancer en 1968 l’émission à succès Mr. Rogers’ Neighborhood avec PBS. En quittant la CBC, toutefois, il recommande au diffuseur de créer une émission centrée sur Ernie Coombs.
Butternut Square (1964–1967)
Le personnage de Mr. Dressup, interprété par Ernie Coombs, apparaît pour la première fois dans l’émission jeunesse de la CBC Butternut Square (1964-1967), l’une des premières séries canadiennes créées spécialement pour les enfants d’âge préscolaire. Ernie Coombs décroche le rôle principal plutôt que celui de marionnettiste, et c’est lui qui crée le surnom « Mr. Dressup », en référence à ses nombreux changements de costume par épisode.
Butternut Square a pour vocation d’enseigner le monde aux enfants. Mr. Dressup y vit toutes sortes d’aventures, racontées avec ludisme et un mélange de réalité et de fantaisie. L’émission met en vedette des récits lents et inspirés du quotidien, plutôt que la violence irrationnelle et les stéréotypes qui font largement partie de la programmation jeunesse de l’époque. L’action de Butternut Square est principalement composée de danses, de jeux et de chansons qui proposent des leçons aux enfants tout en les incitant à participer. Les sketches montrent Mr. Dressup aux côtés d’une distribution changeante de personnages humains et de marionnettes. On compte parmi les personnages humains la guide Sandy (Sandra Cohen), qui rencontre souvent Mr. Dressup dans la ville fictive de Butternut Square; le danseur The Music Man (Doug Hines); et, à l’occasion, Mr. Rogers. Parmi les marionnettes, on trouve un enfant de quatre ans nommé Casey accompagné de son chien aux longues oreilles, Finnegan, tous deux interprétés par la marionnettiste Judith Lawrence.
La CBC annule Butternut Square pour des raisons de budget et en diffuse le dernier épisode en février 1967. Toutefois, le réseau est vivement critiqué par les téléspectateurs pour avoir mis fin à une émission populaire qui correspondait parfaitement au mandat d’un diffuseur public.
Mr. Dressup (1967–1996)
Ernie Coombs et Judith Lawrence proposent donc à la CBC une sorte de version allégée de Butternut Square, et Mr. Dressup fait ses débuts en ondes dès la fin de Butternut Square. L’émission, qui fait sa première le 13 février 1967 et est diffusée du lundi au vendredi à 10 h 30, est centrée uniquement sur Mr. Dressup, avec un nombre restreint de marionnettes, notamment Casey et Finnegan, manipulées et interprétées uniquement par Judith Lawrence plutôt que par une coûteuse équipe de marionnettistes. (Finnegan, par exemple, ne parle qu’en murmurant à l’oreille de Casey.) Les créateurs simplifient en outre la production de l’émission en ne présentant qu’une histoire par épisode et en situant l’action dans la maison de Mr. Dressup, dont le décor est composé d’un fauteuil, d’une étagère pleine de jouets, d’une cuisine et de portes vitrées donnant sur l’extérieur. Mr. Dressup s’aventure fréquemment à l’extérieur, allant visiter Casey et Finnegan dans leur cabane dans l’arbre et s’arrêtant parfois au comptoir commercial tenu par Alligator Al. Les conversations entre Mr. Dressup et Wise Old Owl, un personnage en contreplaqué collé au mur, amusent aussi beaucoup les enfants. Ernie Coombs donne sa voix au personnage pendant que la caméra est fixée sur ce dernier.
L’élément central de la demeure de Mr. Dressup, toutefois, est le Tickle Trunk. Grosse malle rouge décorée de fleurs éclatantes et munie d’un grand couvercle arrondi, le Tickle Trunk occupe le milieu de la pièce principale de Mr. Dressup et contient une réserve illimitée de costumes colorés (tous fabriqués par Ernie Coombs) qui permettent aux enfants d’entrer dans un monde imaginaire. On compte toutes sortes de costumes, des uniformes traditionnels de médecin ou de policier aux déguisements excentriques, comme celui d’une araignée à six pattes. Mr. Dressup surprend parfois son public en peinant à ouvrir le Tickle Trunk. Lorsque ce dernier lui fait la vie dure, Mr. Dressup interprète une chanson et chatouille le coffre afin de le convaincre de s’ouvrir.
Les costumes de Mr. Dressup donnent le ton à chaque épisode; ceux-ci présentent généralement des trames simples qui encouragent les enfants à faire preuve d’imagination. L’action se compose de chansons; d’interactions sympathiques entre Mr. Dressup, Casey, Finnegan et un invité occasionnel; et de cours de dessin et d’arts plastiques. Pour ses leçons d’artisanat, Mr. Dressup utilise des articles ménagers que les enfants issus de familles de toutes les tranches de revenus peuvent avoir à leur disposition, tels que des cartons d’œufs, des boîtes à souliers et de la ficelle. Ernie Coombs et les producteurs conçoivent cette approche afin que tous les enfants puissent participer et se sentir inclus. Les scénaristes s’assurent que le matériel simple et recyclé utilisé par Mr. Dressup soit adapté à la compréhension d’un enfant d’âge préscolaire. On diffuse habituellement quatre nouveaux épisodes de Mr. Dressup par semaine, ainsi qu’une reprise le vendredi pour permettre une pause dans le rythme de production rapide de l’émission.
Mr. Dressup est confronté à une menace potentielle en 1969, lorsque Sesame Street voit le jour. À l’instar du reste de la production télévisuelle commerciale, l’émission américaine pour enfants est plus énergique et propose un rythme plus soutenu, ce qui laisse supposer à certains que la fin est proche pour Mr. Dressup. Malgré tout, Ernie Coombs s’en tient à sa formule gagnante. Mr. Dressup ne perd rien de son élan et dépasse même souvent les cotes d’écoute de Sesame Street au Canada.
Dernières années
Mr. Dressup subit un important changement lorsque la marionnettiste Judith Lawrence prend sa retraite en 1989, trouvant que la télévision pour enfants prend un tour trop commercial. Du fait de la retraite de Judith Lawrence, il est nécessaire d’éloigner progressivement Casey et Finnegan pour intégrer peu à peu leurs remplaçants afin de ne pas traumatiser les enfants par un départ soudain. Mr. Dressup explique l’absence de Casey et Finnegan par leur inscription à la garderie. Parmi les marionnettes qui les remplacent, on trouve Chester the Cow, Lorenzo the Raccoon, Granny, Annie et Truffles. Chacune d’entre elles a son propre marionnettiste, parmi lesquels Jim Parker, mieux connu en tant que Polka Roo dans l’émission The Polka Dot Door; il prête sa voix à une marionnette nommée Alex après des années passées en tant que musicien pour l’émission.
Mr. Dressup reste populaire pendant toute sa diffusion; le tout dernier épisode est filmé le 14 février 1996. La finale de l’émission ne ressemble pas vraiment à une conclusion, contrairement à celles de plusieurs autres séries. Ernie Coombs choisit de ne pas révéler au public qu’il s’agit du dernier épisode bien qu’il modifie son texte de sortie, disant : « Nous terminons chaque épisode par “Il faut y aller, maintenant. On se revoit bientôt.” Cette fois, ce sera un mensonge. » On commence tout de suite à diffuser des reprises, qui se poursuivent jusqu’à ce que la CBC retire Mr. Dressup des ondes en 2006, une décision motivée par la baisse des cotes d’écoute et par le désir de créer de nouvelles émissions jeunesse.
Analyse
Mr. Dressup offre au public quelque chose qui diffère de la violence comique qui caractérise la majorité de la programmation pour enfants et résiste aux éléments de commercialisation et de surstimulation qui, selon l’avis général, appauvrissent les autres séries de l’époque. Contrairement aux autres émissions pour enfants, les segments de Mr. Dressup ne servent pas simplement d’introduction à des dessins animés. Mr. Dressup enseigne plutôt aux enfants à apprécier les plaisirs simples de la vie et à faire preuve de débrouillardise. Ernie Coombs montre en effet aux parents et à ses jeunes spectateurs comment laisser libre cours à leur imagination et trouver l’aventure dans le quotidien. Si l’émission est souvent assez prudente sur le plan du contenu et de l’interprétation, cette simplicité fait partie de son charme. Lorsqu’un caméraman demande à Ernie Coombs s’il sent bouffon de se costumer ainsi à la télévision, ce dernier répond simplement qu’il fait ce que ferait n’importe quel père pour ses enfants.
L’émission fait évoluer la programmation pour enfants en intégrant les recherches de l’époque; son contenu vise à encourager l’éducation. Ernie Coombs, se basant sur son expérience avec Fred Rogers, s’adresse directement aux téléspectateurs pour leur faire comprendre que Mr. Dressup les respecte tous individuellement, plutôt que d’utiliser l’approche plus générique et anonyme « filles et garçons » privilégié par d’autres émissions.
Mr. Dressup exprime son respect de l’intelligence des enfants jusque dans leurs relations avec les marionnettes. Casey, par exemple, est de genre neutre. La marionnettiste Judith Lawrence évite de faire de Casey un garçon ou une fille afin que l’émission demeure inclusive. Lorsque des admirateurs s’interrogent quant au sexe de Casey, Ernie Coombs et Judith Lawrence leur demandent s’il s’agit selon eux d’un garçon ou d’une fille et valident systématiquement leur réponse, peu importe celle qu’ils donnent.
Héritage
Mr. Dressup divertit et inspire les enfants partout au Canada pendant trois décennies. L’émission atteint près de 500 000 téléspectateurs par épisode et 90 % de son public cible, à son apogée; il est cependant possible d’attribuer une part du succès de l’émission à la rareté des options de divertissement jeunesse à la télévision canadienne. Son influence est bien visible dans d’autres émissions pour enfants telles que Polka Dot Door et The Big Comfy Couch.
Ernie Coombs reçoit plusieurs prix pour avoir fait évoluer le divertissement jeunesse, dont le Earle Grey Award pour l’ensemble de son œuvre de l’Académie canadienne du cinéma et de la télévision en 1994, l’Ordre du Canada en 1996, ainsi qu’une intronisation posthume au Temple de la renommée du cinéma et de la télévision du magazine canadien Playback en 2009. L’héritage de Mr. Dressup est préservé au Musée de la CBC à Toronto, où le Tickle Trunk et la cabane perchée de Casey et Finnegan sont exposés dans le hall d’entrée jusqu’à la fermeture du musée en décembre 2017. Le jour du décès d’Ernie Coombs, le 18 septembre 2001, la Chambre des communes honore sa mémoire : les membres du Parlement le remercient d’avoir dévoué sa vie à diffuser à la télévision des images positives destinées aux enfants.
#CanadianTVBracket et l’Allée des célébrités canadiennes
L’impact de Mr. Dressup sur le public canadien est confirmé lorsque l’émission arrive en tête de liste d’un sondage en ligne servant à déterminer le « Truc télévisuel (anglophone) le plus mémorable » du Canada. Le défi, créé par le journaliste de la CBC Justin McElroy, met en compétition quelque 64 séries télévisées canadiennes dans une série de matchs éliminatoires au cours desquels les utilisateurs votent pour leurs favoris. Mr. Dressup domine la catégorie Enfants en amassant 93 % des votes contre The Edison Twins lors de la première ronde, 75 % des votes contre Reboot dans la deuxième, 79 % contre The Raccoons en troisième ronde et 75 % contre The Friendly Giant en quatrième.
Mr. Dressup se retrouve donc parmi les quatre finalistes toutes catégories confondues. L’émission bat les Minutes du patrimoinede Historica Canada avec 70 % des voies et l’emporte haut la main contre The Kids in the Hallà de la ronde finale. L’émission remporte ainsi le titre de Truc télévisuel canadien le plus mémorable grâce à plus de 400 000 votes. Dans son plaidoyer en faveur de Mr. Dressup, Karin Larsen, de la CBC, écrit : « Pour des millions et des millions d’enfants canadiens, Mr. Dressup a fait d’un événement effrayant — la rentrée scolaire — une expérience des plus joyeuses. »
Cette victoire donne naissance à une campagne, menée par la famille d’Ernie Coombs, visant à intégrer Mr. Dressup à l’Allée des célébrités canadiennes. Après un torrent de réactions de la part des admirateurs qui soutiennent que Mr. Dressup l’a amplement mérité, l’Allée des célébrités répond qu’Ernie Coombs est en tête de liste pour une étoile récompensant sa carrière passée à amuser et inspirer les enfants du Canada. En 2019, Mr. Dressup est intronisé à l'Allée des célébrités canadiennes.
Prix
- Meilleure émission pour enfants, prix ACTRA (1978)
- Meilleure émission ou série pour enfants, prix Gemini (1989)
- Earle Grey Award, prix Gemini (1994)
- Meilleure performance dans une émission ou série pour enfants (Ernie Coombs), prix Gemini (1996)
- Prix pour l’œuvre d’une vie (Ernie Coombs), Children’s Broadcast Institute (1996)
- Membre (Ernie Coombs), Ordre du Canada (1996)
- Intronisé (Mr. Dressup - Ernie Coombs), Allée des célébrités canadiennes (2019)