Mises à part les chansons de Dowland, la musique chorale et les mélodies de C.V. Stanford et de Charles Wood, certaines pièces pour piano de John Field et quelques exécutions occasionnelles des opéras de Michael Balfe (notamment The Bohemian Girl), la musique des compositeurs irlandais fut peu souvent exécutée au Canada. Huguette Tourangeau a enregistré quelques airs de Balfe et Lois Marshall quelques mélodies irlandaises de Thomas Moore. L'apport musical des Irlandais au Canada se retrouve dans la musique folklorique et dans son influence sur les chansons canadiennes-anglaises. Les Irlandais ont également influencé le répertoire des violoneux canadiens-français, comme on le verra plus loin.
Musique folklorique
L'influence irlandaise est marquée spécialement à Terre-Neuve, où l'accent irlandais est évident dans des chansons telle « I'se the B'y that Builds the Boat ». Comme le notait Elisabeth Greenleaf, « Le chant folklorique à Terre-Neuve doit beaucoup aux gens d'ascendance irlandaise. Ils ont un talent marqué pour la musique, et ils apprennent non seulement les chansons irlandaises, mais aussi les autres belles mélodies qu'ils entendent et qu'ils rendent avec une grâce exquise. J'ai tendance à croire que c'est en grande partie aux Irlandais que la musique folklorique de Terre-Neuve doit d'être restée aussi mélodieuse » (Ballads and Sea Songs of Newfoundland, Cambridge 1933). Cette influence est presque aussi importante en Ontario; la région de Peterborough et la vallée de l'Outaouais, colonisées par les Irlandais, fournirent à cette province ses sources les plus riches de chants folkloriques. James Reginald Wilson remarqua qu'au Nouveau-Brunswick « la plupart des airs de la région de Miramichi sont sortis de la tradition folklorique irlandaise, et cela en dépit du fait que beaucoup de nos chanteurs soient d'ascendance écossaise ou anglaise » (Songs of Miramichi, Fredericton 1968). L'influence irlandaise est manifeste dans le grand nombre de ballades et chansons irlandaises du répertoire des chanteurs traditionnels canadiens, et par le fait que les paroles de la plupart des chansons folkloriques canadiennes-anglaises, composées au pays, sont associées à des airs irlandais et suivent dans leurs couplets les modèles irlandais. De plus, la population d'origine irlandaise tient à conserver et à répandre ses chants folkloriques.
Un nombre remarquable de ballades irlandaises se retrouvent dans tous les recueils canadiens-anglais. Les titres en révèlent l'origine : « Patrick Sheehan », « The Croopy Boy », « The True Paddy's Song », « Old Erin Far Away », « Erin's Lovely Home », « Erin's Green Shore », « Groyle Machree », « Pat O'Brien », « The Lovely Banks of the Boyne », « Erin's Flowery Vale » et « The Bonny Young Irish Boy ». Plusieurs d'entre elles racontent les aventures de jeunes hommes comme Riley (« Riley's Farewell », « William Riley's Courtship », « Riley's Trial », « John Riley » et « Young Riley »); d'autres reflètent la sympathie des Irlandais pour Napoléon (« The Plains of Waterloo », « The Bonnie Bunch of Roses », « The Green Linnet » et « Napoléon's Farewell to Paris »); d'autres encore relatent des contes humoristiques entendus pour la première fois dans les établissements irlandais (« Finnegan's Wake », « Doran's Ass », « Courting in the Kitchen » et « The Irish Wake »).
Les ballades originaires du Canada traitent presque toujours de voyages en mer et de naufrages, de la vie des bûcherons et des accidents tragiques dans les bois ou sur les rivières, et se conforment au modèle irlandais caractéristique dit « come-all-ye » (« venez, vous tous »). Cette forme stéréotypée, simple à composer et facile à retenir, était courante dans la chanson irlandaise à la fin du XVIIIe siècle et elle se pépandit bientôt à travers le monde anglophone. Elle consiste en strophes de quatre lignes comportant sept accents par ligne - on les appelle quelquefois strophes doubles du fait qu'elles sont deux fois plus longues que la strophe courante que l'on trouve dans les ballades de Child plus anciennes. Les mélodies sont habituellement en 6/8 et la structure suit le plus souvent le modèle ABBA. Comme le nom le suggère, le texte commence normalement par une invitation du genre « Come all ye young sailors and listen to me » ou « Come all you jolly shanty boys wherever you may be ». La structure des rimes est habituellement AABB mais peut varier, surtout quand elle fait usage de la rime interne irlandaise caractéristique :
Oh it's by the hush me boys, I'm sure that's to hold your noise
And listen to poor Paddy's narration.
I was by hunger pressed and by poverty distressed
So I took a thought I'd leave the Irish nation.
Il était également courant, chez les chanteurs traditionnels canadiens, de dire la dernière parole (ou phrase) d'une chanson, coutume empruntée à l'Irlande. Cette habitude est à ce point caractéristique des chanteurs dans les camps de bûcherons (en Ontario par exemple) que certains folkloristes présumèrent qu'elle avait pris naissance chez eux, alors qu'on la retrouve en fait partout où les traditions irlandaises sont prédominantes. Elisabeth Greenleaf (op. cit.) a fait remarquer que « c'était une convention tout à fait familière à un auditoire terre-neuvien ».
La musique instrumentale du Canada doit aussi beaucoup à l'Irlande, surtout dans ce domaine des plus importants qu'est la musique des violoneux. Beaucoup d'airs de violoneux traditionnels populaires au Canada sont d'origine irlandaise. Le style d'exécution dans la vallée de l'Outaouais, dont les origines sont irlandaises, exerça une influence marquante par le jeu de Graham Townsend et de plusieurs autres. Les airs et les styles irlandais sont également populaires au Québec; Jean Carignan prit notamment pour modèle le célèbre violoneux irlandais Michael Coleman, et il est reconnu comme le principal adepte dans le monde du style « sligo » particulier à Coleman. Les violoneux de Hamilton, Ont., Manus et Seamus McGuire, nés en Irlande, ont aussi adopté le style sligo.
Les chansons et danses folkloriques irlandaises font en outre partie (directement ou indirectement) du répertoire de groupes populaires, notamment Barde, La Bottine souriante, Garolou et Le Rêve du diable (tous au Québec), Spirit of the West (en Colombie-Britannique) et Figgy Duff (à Terre-Neuve), et de nombreux chanteurs. Carol Brothers qui, pendant les années 1960, fut la vedette de « All Around the Circle », émission de télévision de la SRC à Saint-Jean, de même que Charlie Chamberlain de Don Messer and His Islanders, enregistrèrent des micr. de chansons irlandaises, tandis que Harry Hibbs, John White et d'autres chanteurs de Terre-Neuve popularisèrent des mélodies irlandaises traditionnelles.
Traditions
La musique irlandaise est à l'honneur au Canada le jour de la Saint-Patrick (17 mars). En 1866 et 1867, la communauté irlandaise de Montréal construisit le Saint Patrick's Hall au square Victoria. L'édifice fut détruit par le feu en 1872, mais il avait été pendant six ans le témoin de nombreuses manifestations musicales, irlandaises ou autres, y compris la venue en 1872 de la Rosa d'Erina, la « reine de la chanson irlandaise ».
L'Irish Choral Society de Toronto, un choeur de 55 à 70 adultes, fut fondée en 1960 par le père Peter Fleming (qui fut son dir. jusqu'en 1970). L'ensemble se produisit à l'Expo 67 et fit une tournée en Irlande en 1968. En 1970, quelques membre s'en détachèrent pour former les Irish Gaelic Singers sous la direction de Richard Scanlon. Une société irlandaise, Comhaltas ceoltoiri Eireann, créée dans le but de conserver la musique traditionnelle, possède des filiales à Ottawa, Montréal, Toronto et Vancouver, et le groupe d'Ottawa tient chaque mois un « celidhe », réunion où l'on fait de la musique sans cérémonie. « Celidhe » désigna aussi une émission de variétés consacrée à la musique irlandaise, à la télévision de la SRC (étés 1974, 1975; hiver 1975-76).
Musiciens
Il ne semble pas y avoir eu beaucoup de musiciens professionnels de naissance ou d'ascendance irlandaise au Canada; ils sont d'ailleurs difficiles à retracer à cause de la fréquente similitude des noms irlandais et anglosaxons. Ainsi, Oscar O'Brien et Paul-Émile McCaughan étaient canadiens-français, alors que Claude Champagne était d'ascendance irlandaise par sa mère. (On ne retrouve aucun ancêtre irlandais dans l'arbre généralogique de Healey Willan qui prétendait pourtant avoir du sang irlandais.) Parmi les musiciens dont l'origine irlandaise est établie, citons Richard Bulkeley (qui débarqua en 1749); Arthur Corry qui fonda une académie de musique à Saint-Jean, N.-B. (1822); John McCaul (1839); quelques religieuses irlandaises de grandes familles de Dublin et de Cork qui vinrent enseigner à Terre-Neuve pendant les années 1840 et donnèrent notamment des cours de musique; Alexander O'Donovan (1843), un ancien professeur au Carlow College, en Irlande, qui s'établit à Carbonear, T.-N., où il mit sur pied une harmonie d'environ 40 musiciens et passe pour avoir composé des sonates; Thomas Persse (1862); les frères C.A. et G.B. Sippi (1865 et 1870 respectivement) qui avaient grandi en Irlande, bien que d'ascendance italienne et natifs de l'Inde; Arthur A. Clappé (1877); Doreen Hall (1921); Eileen Law et Jim Magill (années 1930); Sydney Bryans, chef du Choeur philharmonique de Winnipeg (1960-66); Norman Nelson (1965); les membres de groupes pop tels que Barde, Barley Bree, la Carlton Showband, les Irish Rovers, Larry McKee and the Shandonairs et Ryan's Fancy. Ce dernier ensemble, formé vers 1970 par Denis Ryan, Dermot O'Reilly et Fergus O'Bryne à Toronto, mais qui fait carrière dans les Maritimes, avait déjà enregistré des micr. pour Audat, Harmony et RCA en 1978 et participé à des émissions de télévision de la SRC (Saint-Jean) et de CHCH (Hamilton, Ont.). Le film Ryan's Fancy : Home, Boys, Home (1980) raconte la tournée du groupe en Irlande. Deux éditeurs de musique canadiens au XIXe siècle - John Lovell et William Briggs - naquirent en Irlande. Le livret de l'opéra Deirdre de Willan, écrit par John Coulter, Irlandais de naissance, s'inspire d'une légende irlandaise. Né à Belfast, Eugene Benson est l'auteur des livrets de Heloise and Abelard, Everyman et Psycho Red de Charles Wilson.
Au nombre des musiciens canadiens d'ascendance irlandaise, on remarque le chanteur folklorique Tom Brandon; l'auteur-compositeur Jim Corcoran; la contralto Maureen Forrester; l'organiste Joseph Fowler; la chanteuse et harpiste Loreena McKennitt; les chanteuses pop Kate et Anna McGarrigle, James Keelaghan et Mary Margaret O'Hara; des membres des groupes pop Crash Test Dummies, Figgy Duff et Spirit of the West; l'auteur-compositeur Geoffrey O'Hara; le maître de chapelle John Ronan et le chef d'orchestre Jerry Shea. David Willson, fondateur des Enfants de la paix, était également d'ascendance irlandaise. Jimmie Shields et George Murray devinrent populaires comme ténors « irlandais ». Le film The Leahys : Music Most of All (1983) raconte la vie d'une famille de fermiers canadiens-irlandais de Lakefield, Ont., qui sont des musiciens country.
Les musiciens canadiens qui se produisirent en Irlande incluent Emma Albani (qui chanta souvent à Dublin); divers chanteurs (dont Mary Lou Fallis, Rosemarie Landry et Joseph Rouleau) qui ont participé au Festival de Wexford; Jean Carignan qui se fit entendre fréquemment à des festivals de violoneux; la chanteuse folklorique Edith Butler qui effectua une tournée en Irlande pour l'Office du tourisme du gouvernement canadien en 1970; Pat LaBarbera qui fit une tournée en Irlande en 1989 avec le quatuor irlandais Four in One; et Oliver Jones qui se produisit en Irlande en 1989 et 1990. Le TSO joua à Dublin le 30 août 1986.
Clarence Lucas composa et dirigea une « comédie musicale irlandaise », Peggy Machree, en 1904. La chanson « Sing Irishman Sing », du chanteur terre-neuvien Roy Payne, est devenue populaire auprès des Irlandais, surtout quand ils prennent un verre. Elegiac Variations d'Alfred Fisher (1976, pour violoncelle et orchestre) furent commandées par Radio Telefis Eireann.
Au nombre des musiciens irlandais qui se sont produits au Canada figurent John McCormack, le plus célèbre ténor irlandais de son temps, qui chanta fréquemment en Amérique du Nord; l'Irish Guards Band, dirigée par C.H. Hassell, qui donna trois concerts à l'Aréna de Montréal en 1905; les chanteuses Catherine Hayes et Mary O'Hara; le compositeur et chef d'orchestre Brian Boydell qui dirigea l'Orchestre symphonique de la SRC dans un programme de msuique irlandaise le 23 mai 1955; le flûtiste James Galway, en solo puis avec le New Irish Chamber Orchestra en 1978 et 1983; le ténor Frank Patterson; les groupes pop ou folk Horselips, Chieftans, Pogues, Waterboys et U2; les chanteurs folkloriques Tommy Makem et Liam Clancy; le chanteur-guitariste rock Rory Gallagher; le chanteur rock Van Morrison; et la chanteuse rock Sinead O'Connor. Plusieurs interprètes folkloriques irlandais ont pris part à des festivals folkloriques à travers le Canada. Le musicologue irlandais Frank Harrison établit le programme de musique à l'Université Queen's, et Harry White, un autre musicologue irlandais qui étudia à l'Université de Toronto, a utilisé l' EMC comme modèle pour son projet d'encyclopédie de la musique irlandaise.
Voir aussi Festivals, Musique folklorique canadienne-anglaise, Violoneux.