De 1941 à 1978, le gouvernement du Canada a attribué des numéros d’identification personnels à tous les Inuits, alors appelés Eskimos, de l’Arctique canadien. Ce système d’identification a été mis en place pour identifier et enregistrer les individus à des fins administratives, comme les recensements. Chaque Inuk recevait alors un petit disque en cuir ou en fibre pressée portant un numéro, appelé « numéro de disque ». Ces numéros étaient requis dans toutes les interactions avec le gouvernement, qu’il s’agisse du suivi des activités de chasse, du piégeage, des services médicaux, de l’éducation, du logement, des allocations familiales ou encore de l’obtention de nourriture et de fournitures. Ce système était propre aux Inuits. Aucun autre Canadien n’était alors tenu d’avoir un numéro pour accéder à des services de base ou pour faire contrôler ses mouvements.
Difficultés liées aux noms
Traditionnellement, les Inuits n’avaient pas de nom de famille et leurs prénoms ne correspondaient pas à la convention patriarcale à l’européenne (avec nom de famille commun). Pour les non-Inuits arrivant dans l’Arctique, les noms inuits étaient donc difficiles à comprendre et à prononcer.
Le saviez-vous?
Les noms inuits sont un aspect important de la culture inuite. L’attribution d’un nom à un enfant se fait traditionnellement par les aînés et les parents de l’enfant. Dans la culture inuite, les prénoms des personnes intègrent souvent certains de leurs traits physiques ou de personnalité. Ainsi, lorsqu’un enfant porte le nom d’une autre personne, certaines caractéristiques de cette personne lui sont transmises.
Au tournant du 20e siècle, des baleiniers, des commerçants de fourrures, des chercheurs d’or et des missionnaires se rendent dans l’Arctique. Ce sont principalement des groupes de passage qui espèrent tirer profit des ressources de la région. La majorité d’entre eux n’apprennent pas à prononcer correctement le nom des personnes. Ils se contentent plutôt de donner aux Inuits qu’ils rencontrent des noms familiers du sud, comme Tom ou Annie. Du côté des missionnaires, on donne aux convertis inuits des noms bibliques à consonance inuite : Adam (Atami), Jesse (Siasi), Elizabeth (Elisapi). Cela a pour conséquence que de nombreuses personnes portent le même nom biblique.
Dans les années 1920, le gouvernement fédéral commence à affirmer sa souveraineté dans l’Arctique, mettant en place un certain nombre de postes de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) à proximité des emplacements de la Compagnie de la Baie d’Hudson ou d’autres postes de traite des fourrures. Le clergé s’installe également non loin de ces postes, espérant rencontrer les personnes venues dans l’Arctique pour commercer. La plupart de ces étrangers sont incapables d’apprendre l’inuktitut, ou n’y sont pas du tout intéressés, et trouvent difficiles l’absence de noms de famille et l’orthographe incohérente des noms. Cela complique la tenue des registres dans cette région.
Les non-Inuits épellent les noms inuits tels qu’ils se prononcent, ou les raccourcissent s’ils les trouvent trop longs ou difficiles à écrire. Ces orthographes phonétiques, de même que les noms raccourcis, entraînent une myriade d’incohérences et de confusions. Les non-Inuits se tournent vers le gouvernement pour trouver une solution permettant d’identifier correctement chaque Inuk.
Élaboration d’un système d’identification
Entre 1929 et 1935, plusieurs suggestions sont formulées :- normalisation de l’orthographe des noms;
- dossiers distincts pour chaque Inuk, indiquant le nom en anglais et en caractères syllabiques;
- prise des empreintes digitales de chaque personne; et
- obligation, pour le chef de chaque famille, de choisir un nom commun pour sa famille.
En 1932, la GRC commence à relever les empreintes digitales des Inuits de la région. Toutefois, étant donné que les empreintes des enfants de moins de huit ans ne peuvent être relevées, cette méthode ne s’avère pas idéale pour identifier les individus.
En 1935, le Dr A.G. Mackinnon, médecin militaire à Pangnirtung, écrit une lettre au ministère de l’Intérieur pour suggérer que, lors de l’enregistrement des naissances, « l’enfant reçoive un disque d’identité du même type que celui de l’armée et que l’on insiste sur le fait que ce disque doit être porté sur soi en tout temps ».
Cette idée est finalement adoptée, et le système de disques d’identification est mis au point à temps pour le recensement de 1941, afin que les disques puissent être distribués par les responsables du recensement. Par la suite, des agents de la GRC sont chargés de distribuer les disques. Les enfants reçoivent un numéro de disque dès la naissance. Les disques appartenant à des personnes décédées sont restitués. Des listes annuelles sont ensuite dressées, avec les noms et les numéros des personnes ayant reçu des disques cette année-là.
Les numéros de disques sont attribués à tous les Inuits vivant à Inuvialuit (parties des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon), au Nunavut (à l’époque, une partie des Territoires du Nord-Ouest) et au Nunavik (partie du nord du Québec). Les Inuits du Nunatsiavut (Labrador) ne se voient pas attribuer de numéros de disques, le Labrador ne faisant pas partie du Canada au moment de leur introduction. De plus, après 1893, les Inuits du Labrador se voient attribuer des noms de famille par les missionnaires moraves qui s’y sont installés.
En 1945, avec l’introduction des allocations familiales, le gouvernement fédéral divise l’Arctique en sections est et ouest à Gjoa Haven (Uqsuqtuuq) sur l’île du Roi-Guillaume. Ce territoire est ensuite divisé en districts, dont neuf se trouvant dans l’Arctique oriental et trois, dans l’Arctique occidental. Chaque district est numéroté.
Les disques déjà distribués sont restitués au gouvernement et remplacés par de nouveaux. Dans les années 1950, lorsque de nombreux Inuits s’installent dans des établissements communautaires, leur numéro de disque figure sur leurs allocations familiales et leurs chèques de paie. En outre, le numéro de disque de chaque personne est inscrit sur son acte de naissance et de décès.
Ujamiit | Numéros de disques
Les numéros de disques sont appelés ujamik ou ujamiit (au pluriel) par les Inuits.
Les disques présentent un diamètre d’un pouce, soit environ la taille d’une pièce d’un dollar canadien. Ils sont faits de cuir ou de fibres pressées de couleur rouille. Sur l’une des faces du disque, une couronne est gravée au centre, avec autour l’inscription « Eskimo Identification Canada ». De l’autre côté, la lettre E est estampillée pour l’Arctique oriental, ou la lettre W pour l’Arctique occidental. À côté de cette lettre figure le numéro du district où vit la personne, puis un trait d’union suivi de trois ou quatre chiffres enregistrés comme numéro d’identification personnel. Par exemple, une personne vivant dans la région de Churchill, dans la baie d’Hudson (district E1), verrait son disque estampillé E.1-####.
Les Inuits doivent à l’époque avoir leur numéro de disque sur eux en permanence. Un trou dans le haut du disque permet d’y passer une ficelle ou un tendon d’animal pour le porter autour du cou, un peu comme une plaque d’identité de l’armée. Le disque peut également être cousu à l’intérieur des vêtements. De nombreuses femmes conservent les numéros de disques des membres de leur famille, afin d’éviter que leurs enfants ne les égarent. Certains artistes gravent également leur numéro sur leurs sculptures ou l’inscrivent sur leurs gravures pour les identifier.
Chacun mémorise son numéro. Il arrive souvent, cependant, que des fonctionnaires appellent les gens par leur numéro de disque plutôt que par leur nom, ce qui, pour beaucoup, constitue une pratique déshumanisante.
À la fin des années 1960, après que l’on ait dénoncé l’effet démoralisant du système d’identification des Eskimos, le gouvernement fédéral et le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest décident de remplacer les numéros de disques par des noms de famille. En 1970, Abraham (Abe) Okpik, membre du Conseil des T.N.-O. (aujourd’hui, l’Assemblée législative), est nommé à la tête du Projet Noms de famille. L’homme sillonne alors l’Arctique à la rencontre des Inuits, notant les noms de famille choisis par chacun.
En 1972, à la conclusion du Projet Noms de famille, les T.N.-O. cessent de délivrer des numéros de disques. Les disques ne seront éliminés au Québec qu’en 1978. Dans certains cas, les numéros de disques seront même utilisés jusque dans les années 1980. Plusieurs décennies après l’abandon des numéros de disques, les Inuits se souviennent encore du numéro qu’ils devaient mémoriser lorsqu’ils étaient enfants.
Bibliothèque et Archives Canada dispose d’une liste complète de numéros de disques. Les personnes peuvent rechercher les numéros des membres de leur famille en présentant une demande d’accès à l’information.