Opinion publique
Ce terme est popularisé par Jacques Necker, ministre des Finances de Louis XVI. Dans ses écrits, il affirme que l'opinion publique influence le comportement des investisseurs sur les marchés financiers de Paris. En Angleterre, Jeremy Bentham soutient que l'opinion publique représente une force non négligeable en ce qui a trait au contrôle du désordre social et une des bases importantes de la démocratie. Dans les civilisations anciennes, ce n'est que chez les Grecs que l'opinion publique se développe comme force importante. En Europe, l'opinion publique est souvent considérée comme étant l'arme de la classe moyenne. En 1835, Tocqueville, en observant le rôle joué par l'opinion publique en Amérique écrit « la majorité soulève de formidables barrières autour de la liberté d'opinion » et « je ne suis pas le plus enclin à passer sous un joug parce que les bras d'un million d'hommes me le tendent ».
Il n'existe aucune définition acceptée du terme « opinion publique », quoique ce terme soit utilisé couramment de nos jours. Les hommes politiques et les journalistes y font constamment référence. On le définit généralement comme un ensemble d'opinions personnelles recueillies sur des questions d'intérêt public. Ce terme ne renvoie pas nécessairement à des valeurs ou à des croyances puisque les opinions sont plus instables et moins ciblées que les valeurs ou les croyances. Les termes « attitude » et « opinion » sont souvent utilisés indifféremment. Cependant, on considère généralement l'attitude comme étant une prédisposition plus fondamentale et plus généralisée que l'opinion, qui est une manifestation particulière des attitudes sous-jacentes. Lorsque qu'un événement survient, les gens forment leurs attitudes et en discutent, puis les modifient ou les renforcent et c'est ainsi que naît l'opinion publique. L'opinion est souvent caractérisée par l'orientation, l'intensité, l'ampleur et la profondeur.
Longtemps avant l'élaboration de mesures systématiques permettant d'évaluer les opinions, on a constaté que l'opinion publique semblait être supérieure à la somme des opinions personnelles, ce qui a mené des chercheurs à observer le comportement de la foule en vue de spéculer sur l'existence d'un esprit de groupe, bien que ce concept ait été abandonné, du moins en sciences sociales, par manque de preuves empiriques. Certains spécialistes en sciences sociales du XXe siècle posent en postulat que la relation des opinions personnelles entre les individus entraîne une forme d'organisation. Malgré le manque de recherche sur la structure interne de l'opinion publique, certains praticiens des relations publiques considèrent qu'il est de leur devoir de transformer des attitudes personnelles en une collectivité qui peut exercer une influence. Les plus grands utilisateurs de la recherche de l'opinion publique sont le commerce et le secteur privé. Les journaux, les revues, les diffuseurs et les partis politiques se servent aussi de sondages pour la collecte d'opinions.
Mesure de l'opinion publique
L'opinion publique est mesurée par des questionnaires. De plus, comme la population étudiée est relativement vaste, on a généralement recours à un échantillon représentatif de la population. C'est le sondage d'opinion publique. La validité du sondage repose sur la qualité des questions posées et de l'échantillon choisi. Les premières tentatives de mesure de l'opinion publique remontent au début du XIXe siècle. Certains journaux américains voulant connaître les intentions de vote des citoyens ont demandé à leurs lecteurs de leur retourner des « votes de paille » qu'ils ont compilés et publiés. La pratique se généralise au début du XXe siècle, surtout par le biais du Literary Digest, qui se livre ainsi à des sondages nationaux de 1910 à 1936.
Toutefois, les élections de 1936 se révèlent désastreuses pour ce type de sondage. Malgré l'envoi massif de 2,4 millions de votes par la poste, le Digest sous-estime l'élection de Franklin Roosevelt par 19,3 p. 100, principalement parce que le sondage n'a pas tenu compte d'une partie importante de l'électorat. Par contre, de nouveaux venus dans le domaine, en particulier George Gallup, prédisent les résultats avec justesse.
Au Canada, les premiers sondages Gallup apparaissent au début des années 40 et s'effectuent maintenant mensuellement. Ces sondages sont effectués par le Canadian Institute of Public Opinion (CIPO). Chaque mois, l'Institut sonde l'opinion d'environ 1000 Canadiens et Canadiennes. Les sondages Gallup utilisent la déduction statistique, évaluant les opinions d'une population entière à partir d'un échantillon. Beaucoup de questions sont posées et elles varient d'un sondage à l'autre. Gallup pose les mêmes questions à intervalles réguliers pendant plusieurs années, permettant de tracer l'évolution de l'opinion publique. Par contre, comme règle générale, le nombre relativement grand de répondants incapables d'exprimer une opinion clairement sont présumés avoir les mêmes préférences que ceux qui le peuvent. La présentation des résultats peut aussi induire en erreur. Un échantillon prélevé à l'échelle nationale pour mesurer les intentions de vote doit représenter de façon appropriée des catégories démographiques comme âge, sexe, résidence en milieu urbain ou rural, profession, revenu, niveau d'instruction et appartenance religieuse ou ethnique.
Comme la majorité des sondages d'opinion à l'échelle nationale, les sondages Gallup utilisent une combinaison de la méthode d'échantillon stratifié, qui consiste à choisir des caractéristiques de la population, à déterminer la proportion de la population qui a ce genre de caractéristiques ainsi qu'à assigner des quotas pour les sondeurs; et de la méthode de probabilité par aires d'échantillonnage, qui consiste à choisir des caractéristiques d'une population, à diviser le pays en unités géographiques, par exemple en comtés, en municipalités rurales, en villes, etc., à diviser de façon arbitraire ces unités en segments régionaux, à sélectionner un certain nombre d'unités d'habitations dans chaque segment et à sélectionner les adultes (ou les voteurs admissibles) qui seront interrogés.
Dans la présentation de ses résultats d'élection, l'organisation Gallup revendique une marge d'erreur de 4 p. 100. Toutefois, cette marge d'erreur dans les résultats du scrutin, exprimée comme une moyenne non pondérée en points de pourcentage (établi en divisant l'erreur totale de points de pourcentage par le nombre de catégories de partis politiques), ne traduit pas la validité du sondage. Par exemple, en 1957, la marge d'erreur moyenne a été de 3,5 p. 100, mais l'erreur de prévision a été de 53 p. 100, soit environ un million de votes. Même lorsqu'en 1962, la moyenne d'erreur du scrutin n'a été que de 1,5 p. 100, l'écart entre la marge d'erreur exprimée en votes réels (446 000) et la pluralité de 8000 votes du parti en tête a été très grande.
Entre 1945 et 1974, au cours des 11 élections fédérales, le CIPO a prédit avec précision les pourcentages de votes exprimés pour les catégories de partis seulement dans 7 des 44 cas et, dans le cas de deux principaux partis, l'Institut a nettement exagéré la force libérale en 1957 et en 1965. Lors de récentes élections au provincial, le nombre de sondages commandés par des journaux et menés par des organismes privés ont augmenté de façon marquée. Dans de nombreux cas, les sondages tentent de prévoir la répartition proportionnelle des votes et non des résultats réels en fonction des circonscriptions. Habituellement, on effectue un échantillon au hasard à l'échelle de la province par l'entremise d'entrevues téléphoniques. Certaines de ces études, par exemple, celles du Centre de recherches sur l'opinion publique, menées au cours des élections provinciales au Québec en 1970 et en 1973, n'ont permis de prédire les tendances électorales que de façon générale.
Bon nombre de politiciens et d'observateurs prétendent que les sondages exercent une forte influence sur l'opinion des gens qu'ils sont censés sonder. Certains soutiennent que les sondages peuvent amener des électeurs à changer d'idée afin de voter pour le parti gagnant, que les partis les moins favoris en course en tirent avantage par effet de contestation et que les sondages découragent bon nombre de gens à aller voter puisqu'ils ont l'impression que les dés sont jetés. Aucune de ces théories n'est étayée par des preuves solides, même si des chefs d'entreprise, des dirigeants de médias, des hommes politiques et des fonctionnaires se laissent souvent grandement influencer par les résultats de ces sondages.
La documentation sur le comportement dans l'exercice du droit de vote indique que la psychologie en matière de vote est très complexe et qu'elle comprend de nombreux facteurs déterminants. En général, les citoyens qui vivent dans des pays démocratiques semblent accepter les marges d'erreurs contenues dans les sondages et l'utilisation, bonne ou mauvaise, des sondages par les médias. Après les élections provinciales tenues au Québec en 1970, il existe certaines preuves selon lesquelles des quotidiens ont délibérément dénaturé les résultats des sondages en période préélectorale. En réponse, neuf organisations montréalaises chargées du scrutin recommandent de fixer des règles claires et détaillées pour contrôler la manière dont les médias présentent les résultats en vue de prévenir une interdiction formelle sur certaines activités de sondage, comme il en existe en Colombie-Britannique. Au fédéral, le Comité Barbeau charger d'enquêter sur les dépenses électorales recommande qu'aucun résultat de sondage ne soit publié pendant les périodes préélectorales. En 1970, un député dépose un projet de loi du même genre à la Chambre des communes, mais aucune proposition n'est adoptée.
En fait, au Canada, les partis politiques utilisent de plus en plus souvent les sondages ainsi que les organismes gouvernementaux, les commissions royales, les commissions d'étude, les groupes de travail et autres groupes axés sur la politique. Le Parti libéral, le Parti progressiste-conservateur et le Nouveau Parti démocratique demandent tous de façon régulière des sondages pour leur usage personnel. Parmi les spécialistes de sondage bien connus au Canada, on trouve Allan Gregg, de Decima, Michael Adams et Martin Goldfarb. De nouvelles techniques d'analyse visant à découvrir les motivations et les attitudes du grand public en général sont déployées à l'échelle nationale, provinciale et dans des circonscriptions électorales. Ces sondages sont menés non seulement par des spécialistes reconnus en la matière, mais également par des sociologues et des psychologues sociaux.
Les récentes méthodes de sondage coûtent cher, ce qui peut compromettre la concurrence entre les partis. La motivation sous-jacente au sondage, pour certains hommes politiques, semble souvent être une préoccupation pour l'image projetée, ce qui renforce la tendance des chefs de parti à dominer dans les élections et, par voie de conséquence, dans la prise des décisions ainsi que la tendance à négocier ou à marchander avec les électeurs plutôt que de les persuader. Toutefois, les chercheurs allèguent que certains chefs ont toujours cherché à suivre ou à manipuler l'opinion publique et qu'ils le feront toujours. Ils font aussi remarquer de nombreux cas où des points de vue minoritaires sont finalement devenus des opinions couramment acceptées par le public. Pour des raisons évidentes, certains hommes politiques considèrent les sondages préélectoraux avec mépris, comme le démontre le célèbre commentaire de Diefenbaker : « Chaque matin quand j'amène mon petit chien Happy se promener, je regarde avec beaucoup d'intérêt ce qu'il fait aux sondages » (en anglais polls (" sondages ") et poles (" poteaux ") se prononcent de la même façon).