Emily Pauline Johnson (ou Tekahionwake, « double wampum »), poétesse, écrivaine, artiste et interprète (née le 10 mars 1861 dans la réserve des Six Nations, au Canada-Ouest; décédée le 7 mars 1913 à Vancouver, en Colombie-Britannique). Pauline Johnson compte parmi les artistes nord-américains les plus remarquables de la fin du 19e siècle. Cette écrivaine douée et oratrice éloquente d’origine mohawk et européenne poursuit de nombreuses tournées et captive les auditoires par son immense talent pour l’art dramatique. Pauline Johnson contribue largement aux cultures autochtone et canadienne, à l’oral comme à l’écrit. Elle s’inscrit au rang des personnes d’importance historique nationale et la maison où elle a grandi est aujourd’hui un musée et un lieu historique national. Dans le parc Stanley à Vancouver, un monument rend hommage à ses ouvrages et au patrimoine qu’ils représentent. En 2016, Pauline Johnson figure parmi les 12 Canadiennes retenues à l’un des stades de la sélection du personnage emblématique féminin à mettre en vedette sur un billet de banque (voir Les femmes sur les billets de banque canadiens).
Jeunesse et éducation
Pauline Johnson voit le jour dans la réserve des Six Nations, non loin de la rivière Grand, au domaine Chiefswood. Chiefswood est situé près de Tuscarora (aussi appelé Middleport), au sud-est de Brantford, dans la province actuelle de l’Ontario. C’est dans cette résidence familiale que grandissent Pauline Johnson, ses frères et sa sœur, Eliza Helen, Allen Wawanosh et Henry Beverly, entre 1856 et 1884. Chiefswood est situé à proximité de la mission anglicane où son père, George H.M. Johnson, travaille comme interprète et négociateur culturel entre les Mohawks, les Britanniques et le gouvernement du Canada.
De constitution fragile, la jeune Pauline Johnson ne fréquente pas l’école de jour à la réserve comme les autres enfants autochtones à cette époque. Elle reçoit plutôt une éducation anglicane donnée tour à tour par sa mère, les membres de sa famille et des gouvernantes non autochtones. À partir de l’âge de 14 ans, elle fréquente le Brantford Central Collegiate, d’où elle obtient son diplôme en 1877.
Famille et contexte culturel
Comme l’indique le nom mohawk de Pauline Johnson (Tekahionwake, qui signifie « double wampum »), sa vie est fortement influencée par son identité raciale mixte. Elle est d’origine haudenosaunee (iroquoise) et britannique. Son père est d’ascendance européenne et mohawk, tandis que sa mère, Emily Susanna Howells, est née en Angleterre et a immigré aux États-Unis avec sa famille alors qu’elle était enfant. Originaires de Bristol, les Howells sont connus pour leur intérêt pour l’art littéraire. Emily rencontre George lors d’une visite à sa sœur dans une mission du territoire mohawk. À l’époque, George travaille comme interprète pour la mission de l’Église anglicane. Le couple se marie en 1853. George devient chef des Six Nations peu après et se voit également désigner interprète de la Couronne pour les Six Nations.
L’union mixte des parents de Pauline suscite initialement une certaine controverse. Cependant, elle et sa famille jouissent d’une position privilégiée dans la société, surtout en raison du statut d’intermédiaire culturel de son père. Les parents reçoivent de nombreux dignitaires, intellectuels et artistes. Dans une ère de racisme institutionnel, Pauline Johnson grandit pourtant dans le respect et l’appréciation de son héritage mohawk, valeurs que lui transmettent ses parents. Elle comprend le Kanyen’kéja, la langue mohawk, grâce à son grand-père paternel, le chef John Smoke Johnson, qui lui raconte de nombreuses histoires. Ce sont d’ailleurs les talents dramatiques de celui-ci qui inspireront le travail de la jeune femme comme poétesse un peu plus tard. Lors du décès de leur père en 1884, Pauline, sa sœur et ses frères héritent de certains artefacts traditionnels mohawks de leur famille. Pauline Johnson fera usage de bon nombre d’entre eux dans ses interprétations futures, notamment des ceintures de wampum et des masques.
Écriture et poésie
C’est à l’adolescence que Pauline Johnson commence à écrire de la poésie. Son éducation a une influence concrète sur sa vision de la vie, de l’amour et de la condition humaine. Elle est reconnue surtout pour sa représentation de la culture autochtone, plus particulièrement des femmes et des enfants. Son talent pour les arts littéraires acquiert différentes facettes au fil du temps et lui permet de connaître un grand succès au cours de sa vie. Au début de sa carrière d’écrivaine, elle publie abondamment dans les journaux et les magazines, de sorte qu’il est difficile de déterminer l’étendue exacte de son œuvre. Les érudits et les historiennes féministes poursuivent encore aujourd’hui leurs recherches, et de nombreux articles continuent de paraître à son sujet.
En 1884, Pauline Johnson obtient une publication de ses écrits dans le magazine new-yorkais Gems of Poetry. Elle publie trois autres poèmes dans ce magazine avant 1885, suivi de huit autres pour le journal torontois Week. L’artiste ne tarde pas à réciter sa poésie et ses histoires devant des auditoires. Elle combine des représentations d’identité autochtone et d’identité canadienne-anglaise. En 1895, au sommet de sa carrière d’oratrice, elle publie un recueil de poésie intitulé The White Wampum. Ce recueil est suivi de Canadian Born (1903), puis de Flint and Feather (1912). En 1911, Pauline Johnson publie Legends of Vancouver, une série de contes et de courts récits que Joe Capilano, chef de la nation Squamish, lui a racontés. Deux recueils de nouvelles (The Shagganappi et The Moccasin Maker) sont publiés en 1913, après sa mort.
Tournées de conférences
Pauline Johnson est au début de la vingtaine lorsque son père s’éteint en 1884. Elle se réinstalle à Brantford (Ontario) avec sa mère vieillissante et sa sœur. Là-bas, elle entame une carrière de création orale. Dans une société aux rôles prédéfinis pour les femmes, Pauline Johnson et sa mère, veuve, connaissent la pauvreté. Elle utilise l’argent gagné grâce à la publication de ses écrits et à ses tournées pour subvenir aux besoins de sa famille.
Quelque temps après 1884, Pauline Johnson entame une série de tournées de conférences au Canada, aux États-Unis et en Angleterre qui continue jusqu’en 1909. Ses auditoires semblent apprécier de façon particulière sa déclamation de poèmes patriotiques (voirChants patriotiques). Après avoir trouvé le succès en récitant sa propre poésie, elle se met à l’incorporation d’éléments autochtones dans son spectacle. Elle commence sa prestation en costume traditionnel mohawk, puis enfile plus tard une tenue de style victorien. Ce changement plaît aux auditoires, qui en redemandent.
Influences littéraires
Le style littéraire et artistique de Pauline Johnson reflète dans une mesure importante certaines expressions précoces du nationalisme anglo-canadien, durant une intense période de formation de l’État au lendemain de la Confédération. Certains suggèrent qu’elle aurait été l’un des premiers poètes canadiens à écrire avec passion sur le camping et la vie dans la nature sauvage. Quelques-uns de ses poèmes sont inclus dans l’anthologie Songs of the Great Dominion (1889) de W.D. Lighthall. Il s’agit de l’une des premières collections à inclure à la fois des écrits canadiens-français et autochtones. Dans les années 1880, Pauline Johnson est aussi vaguement associée aux poètes de la Confédération, dont le style littéraire combine un amour de l’environnement naturel à l’essence même de l’identité canadienne.
Le patrimoine mixte de Pauline Johnson et son identité féminine influencent de manière importante le ton de ses écrits et de sa poésie. À son époque, les lois sont très restrictives et le gouvernement canadien prend le contrôle des peuples autochtones (voir aussi :Loi sur les Indiens; Réserves; Pensionnats indiens). La dualité du patrimoine de Pauline Johnson incarne la complexité même de son expérience personnelle et politique. Femme célibataire et racialisée, elle a une position précaire dans la société. À certains égards, son statut de femme célibataire et sans enfant facilite une carrière professionnelle dans les arts littéraires. Cependant, il contribue également à la pauvreté dans laquelle elle vit. En effet, malgré son ascension au statut de poétesse et d’interprète canadienne reconnue, Pauline Johnson ne roule pas sur l’or. Il en va d’ailleurs de même pour la plupart des femmes de cette époque, en dépit des revendications insistantes du mouvement des femmes pour le développement des rôles féminins dans la société.
Critiques littéraires
Selon l’avis de certains historiens, le choix de Pauline Johnson de mettre de l’avant son ascendance autochtone dans ses spectacles l’aurait peut-être aidée à survivre à la pauvreté inhérente à son statut de femme célibataire et racialisée dans une société majoritairement blanche. Elle se décrit elle-même comme Indienne, mais certains critiques contestent cette identité, invoquant le fait que l’artiste a vécu sa vie adulte loin de la culture mohawk et de toute population autochtone. En outre, sa poésie et ses spectacles sont adaptés aux goûts des Blancs, plus enclins à entretenir de vieux préjugés racistes à l’égard des peuples autochtones. Son œuvre laisse transparaître un fort attachement à ses racines anglo-canadiennes. Les thèmes artistiques de Pauline Johnson s’inspirent largement des stéréotypes de la « princesse indienne » et du « noble sauvage », tels qu’ils sont aujourd’hui reconnus par les peuples autochtones, les chercheurs, les théoriciens postcoloniaux et les critiques littéraires.
Pauline Johnson romance souvent les interactions entre les populations autochtones et non autochtones. Toutefois, elle décrit aussi de manière critique les stéréotypes et les circonstances auxquels sont confrontés les peuples autochtones durant cette période. Elle met en évidence les liens entre le racisme, la pauvreté et la violence. Par exemple, dans « A Red Girl’s Reasoning », elle parvient adroitement à humaniser les peuples autochtones à une époque où abondent les théories pseudo-scientifiques fondées sur le racisme (voirEugénisme au Canada). Elle crée des catégories discriminatoires et offensantes pour les peuples non blancs afin de les mettre au service de la colonisation. Pauline Johnson critique également les répercussions du christianisme sur les modes de vie autochtones. Elle alterne subtilement entre un mépris pour le contrôle qu’exerce l’institution de l’Église sur les personnes et la démonstration d’un certain respect pour l’autorité religieuse.
Héritage
Pauline Johnson passe les dernières années de sa vie et meurt à Vancouver le 7 mars 1913, quelques jours avant son 53e anniversaire. Un monument érigé dans le parc Stanley commémore son œuvre et son héritage. Pauline Johnson figure parmi les personnes d’importance historique nationale du Canada. La maison de son enfance, Chiefswood, demeure un lieu historique national et un musée public. En 2016, le gouvernement fédéral présente une liste de douze grandes Canadiennes dont l’illustration pourrait apparaître sur un nouveau billet de banque; le nom de Pauline Johnson y figure. (L’honneur revient ultimement à Viola Desmond. Voir aussiLes femmes sur les billets de banque canadiens.)
Pauline Johnson a largement contribué aux cultures autochtones et canadiennes, à l’oral comme à l’écrit. On la reconnaît vastement depuis la fin du 20e siècle. En tant que femme autochtone non mariée devenue poétesse et artiste accomplie, Pauline Johnson a su braver les préjugés de son époque, si nombreux, du point de vue de la race et du sexe. Son œuvre, bien reçue par la critique et les auditoires populaires de son vivant, est pourtant tombée dans l’oubli au cours des décennies suivant sa mort. Dans la seconde moitié du 20e siècle, de même qu’avec le centenaire de sa naissance en 1961, il y a cependant un regain d’intérêt pour son travail. Pauline Johnson demeure, au 21e siècle, une grande figure littéraire canadienne.
Voir aussi : Vancouver en vedette : Pauline Johnson baptise le « Lost Lagoon »