Phoque, chasse au
Treize espèces de PHOQUES, de loutres d'Europe, de LIONS DE MER et de MORSES peuplent les eaux qui entourent l'Amérique du Nord continentale. La plupart d'entre elles demeurent au moins une partie de l'année dans les eaux canadiennes. Elles sont depuis longtemps, pour les humains, source de nourriture, de vêtements et de combustible.
Des vestiges archéologiques indiquent que les peuples indigènes de l'Est du Canada se servent des phoques depuis au moins 4000 ans. Bon nombre d'espèces - dont les phoques annelés (Phoca hispida), les phoques barbus (Erignathus barbatus) et les morses (Odobenus rosmarus) - sont encore chassées dans les régions côtières de l'Arctique canadien.
La plupart des gens associent la chasse aux phoques aux côtes orientales du Canada. Les premiers Européens chassent les phoques dès leur arrivée dans le Nouveau Monde. Une succession de marchands portugais et français, de Basques espagnols et de colons français et britanniques commencent dès le début du XVIe siècle à exploiter les morses vivant le long de la côte nord du fleuve Saint-Laurent et du golfe du Saint-Laurent pour leur huile inestimable, leurs défenses en ivoire et leur cuir. Cette exploitation est implacable, et le dernier morse est vu dans le golfe en 1800. En 1987, le COMITÉ SUR LE STATUT DES ESPÈCES MENACÉES DE DISPARITION AU CANADA (voir ANIMAUX EN VOIE DE DISPARITION) déclare « extirpée » la population de ces morses.
Après les morses, ce sont les phoques gris (Halichoerus grypus) qui sont chassés pour leur huile. En 1790, on chasse les phoques gris toute l'année aux îles de la Madeleine et déjà en 1860, ils sont éliminés d'une grande partie de leur ancienne aire de répartition. À la fin des années 1940, on pense qu'il n'y a plus de phoques gris dans l'Est du Canada. Mais quelques animaux ont survécu et en 1993 leur population est estimée à 143 500 têtes. Cette population augmente d'environ 8 p. 100 par an.
On chasse aussi les phoques des ports atlantiques (Phoca vitulina). Cependant ils font ne font pas vraiment l'objet d'une exploitation commerciale, étant donné leur petite taille, leur faible quantité d'huile et l'éparpillement de l'espèce. Les colons en tuent cependant pour leur chair, leur huile et leur cuir dont ils font des bottes et des vêtements. L'espèce survit aujourd'hui dans le Canada atlantique, éparpillée sur une grande partie de son ancienne aire de répartition. La dernière estimation de sa population, dans les années 70, fait état de 12 700 animaux.
Au milieu du XVIIe siècle, les colons français commencent à chasser les phoques du Groenland (Phoca groenlandica) qui, l'hiver, se nourrissent dans l'estuaire du fleuve Saint-Laurent. Au début, la chasse se fait dans de petits bateaux, mais bientôt les colons adoptent les méthodes plus efficaces des INUITS locaux et attrapent les phoques à l'aide de filets. En 1720, une pêche au filet lucrative existe le long du fleuve Saint-Laurent, sur les côtes du Labrador jusqu'à l'anse de Hamilton et le long de la côte ouest de Terre-Neuve.
À la fin des années 1700, la demande européenne d'huile et de peaux de phoques conduit au développement d'une « pêche » aux phoques commerciale basée à Terre-Neuve. Depuis lors (sauf durant un an pendant la Deuxième Guerre mondiale) une chasse commerciale aux phoques a lieu tous les ans au large de la côte est du Canada et dans le golfe du Saint-Laurent. Deux espèces sont ciblées : les phoques du Groenland et les phoques à cagoule (Cystophora cristata).
Au début, la chasse se fait à bord de petits bateaux, qui sont bientôt éclipsés par des grands voiliers en bois. L'industrie se développe, attirant des investissements étrangers et employant non seulement des chasseurs, mais aussi des constructeurs de bateaux, des charpentiers, des maîtres-voiliers et des raffineurs qui extraient l'huile précieuse du blanc des phoques. Entre 1818 et 1862, plus de gens travaillent dans l'industrie de la chasse aux phoques et plus de ports sont consacrés à cette activité qu'à toute autre époque. Durant de nombreuses années, les prises amenées à terre dépassent les 500 000 têtes. Les plus grandes prises ont lieu en 1831, en 1832 et en 1844 avec respectivement 680 000, 740 000 et 686 000 phoques tués. La chasse qui implique le plus de bateaux et le plus de participants se déroule en 1857 : plus de 370 bateaux transportent 13 600 personnes à la pêche aux phoques. Durant toute cette période, seule la célèbre pêche à la morue est plus importante pour l'économie de Terre-Neuve (voir PÊCHE).
Les bateaux en bois cèdent finalement la place aux bateaux à vapeur (1863) et plus tard aux bateaux à vapeur à coque en acier (1906). L'avantage des bateaux motorisés plus lourds est leur vitesse, leur facilité de manoeuvre et leur aptitude à se frayer un chemin dans la glace. Malgré de tels progrès technologiques, les prises de phoques déclinent. Les années de surchasse ont décimé la population, et à deux occasions seulement, en 1871 et 1876, les prises dépassent 500 000 têtes.
À la fin du XIXe siècle, la production de PÉTROLE et d'électricité réduisent la demande d'huile de phoque. L'industrie continue à décliner pendant les guerres mondiales (les bateaux sont réquisitionnés à d'autres fins) et la crise des années 30. Quand Terre-Neuve se joint au Canada en 1949, sa chasse aux phoques devient celle du Canada. Les marchés rouvrent après la Deuxième Guerre mondiale lorsque la chasse redevient profitable, surtout à cause de la demande d'huile, de fourrure et de cuir. À ce moment-là, les bateaux de Nouvelle-Écosse (appartenant à un Norvégien expatrié) et de Norvège participent à la chasse au large. En 1951, plus de 400 000 phoques sont abattus et la moyenne annuelle des prises entre 1949 et 1961 est de 310 000 phoques. Plus tard, les scientifiques estimeront que la population des phoques du Groenland de l'Atlantique du Nord-Ouest a peut-être décliné de plus de 50 p. 100 entre 1950 et 1970.
En 1965, le Canada impose un quota partiel aux chasseurs de phoques opérant dans le golfe du Saint-Laurent. Des quotas pour les phoques du Groenland sont imposés à tous les chasseurs en 1971 et pour les phoques à cagoule en 1974. Les prises de phoques du Groenland augmentent néanmoins de la fin des années 1970 à 1981, année où 200 000 phoques du Groenland sont débarqués. Les prises des phoques à cagoule fluctuent d'année en année, avec une moyenne annuelle des prises de 12 450 bêtes de 1970 à 1982. En 1983, cependant, la situation change rapidement à la suite du rejet d'une proposition de répertorier un certain nombre de phoques nordiques (tels que les phoques du Groenland et les phoques à cagoule) dans l'appendice II de la Convention sur le commerce international des espèces menacées de disparition. Plus tard la même année, la Communauté européenne (maintenant l'Union européenne) interdit l'importation de produits dérivés des bébés phoques du Groenland et des bébés phoques à cagoule, qui, historiquement, constituaient la plus grande partie des prises. En 1986, une Commission royale sur les phoques et la chasse aux phoques, créée par le gouvernement fédéral en 1984, recommande que « la chasse commerciale des bébés phoques du Groenland et des bébés phoques à cagoule, largement réprouvée par le grand public, soit interdite. » En 1987, le gouvernement impose cette recommandation et interdit aux grands bateaux la chasse commerciale des bébés phoques du Groenland et des bébés phoques à cagoule.
De 1983 à 1995, les prises annuelles moyennes de phoques du Groenland et de phoques à cagoule sont d'environ 54 700 têtes et de 1 000 têtes, respectivement, bien au-dessous des prises annuelles totales permises (PTP) de 186 000 phoques du Groenland et de 2 340 à 15 000 (selon les années) phoques à cagoule. En décembre 1995, cependant, le Canada augmente les PTP des phoques du Groenland à 250 000 têtes et, pour la deuxième année d'affilée, subventionne la chasse aux phoques pour l'encourager, ostensiblement en raison de la diminution des stocks de morue (Gadus morhua). Il s'ensuit l'abattage de plus de 242 000 phoques du Groenland et de plus de 25 000 phoques à cagoule (plus de trois fois les PTP de 1986 de 8000 têtes) durant la plus grande chasse aux phoques depuis 1970. En décembre 1996, le ministre des Pêches et des Océans du Canada relève encore les PTP pour l'année 1997 à 275 000 phoques du Groenland; celles des phoques à cagoule demeurant à 8 000.
Selon une évaluation basée sur un modèle informatique du gouvernement fédéral, la population de phoques du Groenland de l'Atlantique du Nord-Ouest a augmenté récemment d'environ 5 p. 100 par année et comprenait 4,8 millions de têtes en 1994. Mais l'incertitude de ces estimations est grande et des analyses gouvernementales indiquent que les quotas actuels pourraient faire décroître la population. L'état actuel de la population des phoques à cagoule est encore moins certain.
Aujourd'hui, la chasse aux phoques fait encore partie de l'industrie de la pêche de la côte est du Canada. De par la loi, les phoques sont une responsabilité fédérale sous la compétence du ministère des Pêches et des Océans. L'instrument légal de leur gestion est la Loi sur les pêches. En 1966, les règlements de protection des phoques, établis sous le régime de cette loi, comportent d'abord les textes d'application régissant la chasse aux phoques, notamment la délivrance de permis de chasse, les quotas annuels d'abattage, et les dates d'ouverture et de fermeture de la chasse. En 1993, ces règlements, et ceux sur d'autres mammifères marins canadiens, sont regroupés en un seul ensemble de « Règlement des mammifères marins » (voir PÊCHE, POLITIQUE DE LA).
Les règlements relatifs à la chasse aux phoques au delà de la limite des eaux canadiennes de 370 km (200 milles marins), qui est établie en 1997, dépendent de l'Organisation des pêcheries de l'Atlantique du Nord-Ouest (OPANO) qui réunit les pays exploitant les principales ressources aquatiques de la région. Dans cette zone de 370 km, le Conseil pour la conservation des ressources halieutiques (CCRH), dominé par l'industrie, conseille maintenant le ministre des Pêches et des Océans sur un large éventail de questions relatives à la pêche y compris celle des phoques (voir DROIT DE LA MER).
Dans l'Arctique canadien, le règlement des REVENDICATIONS TERRITORIALES des autochtones a commencé à formaliser la « gestion coopérative » des ressources marines, phoques y compris. Bien que le ministre fédéral des Pêches et des Océans demeure l'autorité suprême pour la conservation des populations de phoques, des conseils d'administration autochtones participent maintenant à l'élaboration des quotas et à la surveillance des prises, dressant des règlements, estimant les populations et déterminant les besoins en recherches.
Depuis le début des années 60, des groupes nationaux et internationaux s'opposent vivement à la chasse commerciale aux phoques. Les chasseurs et leurs partisans expriment aussi ardemment leur désir de préserver une source de revenu et aussi ce qu'ils considèrent comme leur héritage. Quoi qu'il en soit, les phoques du Groenland et les phoques à cagoule sont encore potentiellement menacés par une chasse mal réglementée et par des changements environnementaux tels que la contamination biochimique, le changement climatique ainsi que la recherche et le transport de combustibles fossiles au large de la côte est du Canada. Bien que les deux espèces soient théoriquement capables d'éviter les zones hautement contaminées, un déversement de pétrole pourrait avoir de graves conséquences, particulièrement sur la reproduction et la mise bas et dans les eaux nordiques, où la biodégradation est lente et le nettoyage difficile. La diminution de nombreux stocks de poissons dans l'Atlantique du Nord-Ouest, dont dépendent les phoques, est une autre de ces menaces.
Pour parvenir à une gestion efficace de la chasse aux phoques et de la chasse commerciale il va falloir se fier davantage à la raison, à la prudence et à de solides connaissances scientifiques qu'aux émotions des divers intervenants, aux prédictions incertaines, et aux mesures politiques.