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Pictogrammes et pétroglyphes

L’art rupestre se divise généralement en deux catégories : les sites de gravures (pétroglyphes) et les sites de peintures (pictogrammes). Les pictogrammes sont des peintures qui ont été réalisées en appliquant de l’ocre rouge, ou plus rarement une teinture noire, blanche ou jaune. Bien que la majorité des images aient été tracées au doigt, certaines peuvent avoir été réalisées à l’aide de pinceaux en fibres végétales ou animales. Les pétroglyphes sont des gravures obtenues par incision, frottement, ou pulvérisation à l’aide de pierres sur des parois rocheuses, des blocs rocheux, et des surfaces plates de l’assise rocheuse.

Pictogrammes et pétroglyphes au Canada

On a découvert des sites d’art rupestre partout au Canada. En fait, les pictogrammes et pétroglyphes constituent peut-être la tradition artistique la plus répandue et la plus ancienne du Canada. Ils font partie d’un genre mondial d’art rupestre, qui comprend les peintures des cavernes en Espagne et en France, ainsi que l’art rupestre de Scandinavie, de Finlande, de l’Asie du Nord-Est, et de Sibérie. On n’a pas encore découvert de méthode infaillible pour la datation de l’art rupestre autre que l’association spéculative avec des vestiges archéologiques stratifiés et relativement datables. La tradition de l’art rupestre a sans aucun doute été apportée au Canada par ses tout premiers occupants, au cours de la dernière époque glaciaire.

L’art rupestre, dans une grande partie du Canada, est lié à la recherche d’esprits aidants et au chamanisme, une tradition religieuse répandue dans laquelle les principales tâches du chaman sont la guérison, la prophétie, et la quête de visions. Plusieurs grandes « régions de style » d’art rupestre ont été distinguées, notamment les Maritimes, le Bouclier canadien, les Prairies, la Colombie-Britannique, et l’Arctique.

Les Maritimes

Les provinces maritimes comprennent plusieurs sites d’art rupestre qui sont habituellement attribués aux Mi'kmaw. Essentiellement composé de pétroglyphes, cet art consiste généralement en de fines incisions faites sur les rochers d’ardoise qui bordent les rives des lacs et des rivières. On peut en observer certains dans le parc national Kejimkujik, à la rivière Medway, au lac MacGowan, et dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse. Les images comprennent des animaux, des figures anthropomorphes, des scènes de chasse et de pêche, des empreintes de pieds et de mains, ainsi que des motifs ornementaux que l’on retrouve également sur les vêtements des Mik’maw. En plus de cette iconographie traditionnelle, on peut observer des images d’origine européenne, comme des armes à feu, des églises, des motifs chrétiens, ainsi que de magnifiques représentations de bateaux à voiles.

Le Bouclier canadien

Le Bouclier canadien, qui s’étend de la rivière Saint-Maurice au Québec jusqu’au nord de la Saskatchewan, contient plus de 500 sites de pictogrammes, tandis que les sites de pétroglyphes sont confinés au sud. Le site de pétroglyphes de Peterborough dans le sud de l’Ontario (voir Parc provincial Petroglyphs) est le plus remarquable du Canada avec ses nombreuses centaines de représentations d’humains, d’animaux et de bateaux, toutes dessinées sur un seul affleurement rocheux de calcaire cristallin. À cet endroit, il n’y a pas de frontières picturales, comme des encadrements ou des lignes horizontales, et il ne semble pas y avoir de regroupement volontaire d’images. L’ordre esthétique est en accord avec la nature, et les images sont souvent intégrées aux nombreuses cavités, crevasses, et veines des rochers. Il a été démontré que dans les sites de peintures, la disposition des symboles correspond à l’ordre du monde spirituel en différents niveaux : les oiseaux-tonnerre en haut, les humains et les autres animaux au centre, et les êtres du monde sous-terrain (le serpent cornu, ou le mishipeshu ou grand lynx) au niveau inférieur. De plus, l’utilisation des crevasses, des fissures, ainsi que des veines minérales (essentiellement de quartz) démontre une organisation de l’espace et une composition mettant en scène les différents éléments mythologiques. Par exemple, la bataille de l’oiseau-tonnerre et du serpent cornu est souvent dépeinte alors que l’oiseau tue le reptile avec un éclair qui se matérialise dans la composition par l’utilisation d’une veine de quartz. D’autres thèmes iconographiques apparaissent également de manière régulière : un personnage cornu ou avec des oreilles de lapin est accompagné d’un loup, qui représente probablement Nanabozo et son frère Loup, un serpent ou Mishipeshu sous un canot illustre le danger que représentent ces êtres, qui renversent les canots et noient les passagers.

Les sites de pictogrammes du Bouclier canadien sont moins étendus et contiennent peu d’ensembles d’images comparativement aux sites de gravures. Bien que les sites du parc provincial Bon Echo dans le sud de l’Ontario et du parc provincial du lac Supérieur près de Wawa en Ontario soient renommés, la majorité des découvertes de pictogrammes ont été faites dans le parc Quetico et au lac des Bois dans le nord-ouest de l’Ontario. Des centaines de sites de pictogrammes et quelques sites de pétroglyphes ont été découverts dans cette partie du Bouclier canadien, où ils pourraient avoir été réalisés lors d’une période très ancienne. Par exemple, au site de Mud Portage dans la région du lac des Bois, des pétroglyphes ont été découverts sous les couches de dépôts archéologiques de la période archaïque qui remonte à plus de 5000 ans, ce qui en fait les plus anciens au Canada. Des datations au radiocarbone, effectuées sur le site Nisula le long du lac Cassette au Québec, indiquent que les peintures ont été réalisées il y a environ 2000 ans. La répartition géographique des sites d’art rupestre, ainsi que les thèmes iconographiques représentés, semblent indiquer que les gravures et les peintures sur les rochers du Bouclier canadien ont été produites par les ancêtres des populations algonquiennes, dont les Ojibwés, les Cris, les Innus, et les Anichinabés.

Les Prairies

Malgré le manque de surfaces rocheuses dans les Prairies, les pétroglyphes et les pictogrammes constituent une forme importante d’art dans le sud de la Saskatchewan (voir Art rupestre préhistorique de la Saskatchewan) et de l’Alberta. Le site Herschel en Saskatchewan contient des pétroglyphes qui pourraient appartenir à la plus ancienne tradition d’art rupestre en Amérique du Nord, tandis que les peintures en noir du site de Swift Current Creek sont uniques au pays. De nombreux pictogrammes ont été trouvés sur des blocs rocheux isolés et dans des affleurements rocheux le long des contreforts près de Calgary. Dans le parc provincial Áísínai’pi (Writing-on-Stone), situé dans le sud de l’Alberta, on trouve une série importante de pétroglyphes de petite dimension, incisés sur les falaises de grès de la rivière Milk. Ils représentent des icônes spirituelles, comme l’oiseau-tonnerre ou des figures chamaniques. Certains récits sont également illustrés : c’est le cas d’une scène complexe, d’une longueur de quatre mètres, qui illustre un combat dans un camp circulaire, ainsi que des guerriers à cheval, des tipis, des fusils, et des scènes de tir. Ces pétroglyphes prouvent parfois également l’existence du contact avec les Européens, car on y trouve des chevaux, des hommes porteurs de fusils, et des chariots à roues.

La Colombie-Britannique

Certaines des images les plus intrigantes de l’art rupestre canadien sont peintes sur des falaises situées à l’intérieur de la Colombie-Britannique. Celles qui se trouvent près de Keremeos sont probablement des abstractions d’esprits que le chaman a rencontrés lors de ses visions. La côte de la Colombie-Britannique compte de nombreux sites de pétroglyphes, bien que les quelques sites de pictogrammes soient probablement plus récents. Sur le plan stylistique, l’art rupestre de la côte ouest est unique au Canada, montrant souvent des liens au niveau des sujets et de la forme avec l’art plus récent du 19e siècle, et avec les pétroglyphes très semblables qui sont découverts dans le bassin inférieur du fleuve Amour dans le nord-est de l’Asie. Les sites exceptionnels se trouvent principalement sur l’île de Vancouver, dans le Nanaimo Petroglyph Park et au lac Sproat, mais des sites ont également été découverts aussi loin au nord que Prince Rupert, et le long du réseau des rivières Nass et Skeena.

L’Arctique

Les quelques sites d’art rupestre découverts dans l’Arctique canadien sont tous situés dans la région de Kangirsujuaq, sur l’île de Qikirtaaluk au Nunavik. On y retrouve des pétroglyphes représentant exclusivement des visages vus de face, avec des traits humains, animaux, ou hybrides. Ces gravures sont probablement faites par le peuple Dorset, qui a habité l’Arctique entre 500 avant notre ère et 1500 de notre ère. Les visages que l’on retrouve sur les sites d’art rupestre ressemblent à des masques que ce peuple a sculptés. Parmi les sites répertoriés à ce jour, le plus important est sans conteste celui de Qajartalik, situé près de la communauté de Kangirsujuaq au nord-est de l’île. Le site contient plus de 170 visages incisés dans un affleurement de stéatite il y a environ 1500 ans. La plupart des visages sont symétriques, et certains d’entre eux ont des traits félins et des cornes. Ces gravures avaient probablement une signification spirituelle pour les Dorsétiens. Malheureusement, les pétroglyphes de Qajartalik ont été victimes de vandalisme plusieurs fois.

Histoire de la recherche

Au Canada, les pictogrammes et les pétroglyphes sont mentionnés par les explorateurs, les voyageurs, et les colons dès la fin du 18e siècle et le début du 19e siècle. Toutefois, les études et les documents importants n’apparaissent qu’après 1850, initialement faits par des universitaires américains. Le premier à illustrer et interpréter les pictogrammes du point de vue des peuples autochtones eux-mêmes est Henry Rowe Schoolcraft, un agent indien américain en poste à Sault Ste. Marie au Michigan, au début du 19e siècle. Il décrit les pictogrammes d’Agawa près de Wawa en Ontario, et il écrit un ouvrage en six volumes publié de 1851 à 1957 sur la pratique et la signification de la pictographie chez les Algonquiens d’Amérique du Nord.

Toutefois, c’est le travail du colonel Garrick Mallery pour le Smithsonian Institute qui est principalement responsable de stimuler l’intérêt des chercheurs et du public pour l’art rupestre. Son étude, toujours définitive, Picture-Writing of the American Indians (1893), comporte des descriptions et des dessins représentant plusieurs sites canadiens en Nouvelle-Écosse, en Ontario, en Saskatchewan, et en Colombie-Britannique. En 1887 et en 1888, Garrick Mallery visite et documente les vastes pétroglyphes du site de Kejimkujik, en Nouvelle-Écosse.

Les découvertes et les rapports sur l’art rupestre par des auteurs canadiens apparaissent sporadiquement dans les années 1890 et plus fréquemment au début du 20e siècle. En Colombie-Britannique, James A. Teit relève des pictogrammes à l’intérieur de la Colombie-Britannique (1896-1930). En Ontario, l’un des pionniers en archéologie du Canada, David Boyle, effectue la majorité des premiers relevés d’art rupestre dans cette province. Il est notamment le premier, en 1896, à décrire et à illustrer les pictogrammes du lac Mazinaw.

Également au cours de ces premières années, Harlan I. Smith, un archéologue du Musée national, écrit plusieurs des premiers rapports sur les sites de pétroglyphes situés le long de la côte de la Colombie-Britannique (1906-1936), à la suite des premières découvertes faites en 1891 sur l’île de Vancouver par l’anthropologue américain Franz Boas. Alors que la recherche en matière d’art rupestre décline considérablement au Canada entre 1930 et le début des années 1950, la Colombie-Britannique demeure un foyer d’activité. Entre 1936 et 1942, par exemple, Francis J. Barrow arpente et effectue des relevés sur les sites situés au sud de la côte. L’archéologue norvégien Gutorm Gjessing, un expert en art rupestre, publie deux études importantes sur l’art rupestre de la Colombie-Britannique après une étude de reconnaissance à travers tout le Canada en 1946 et 1947.

En 1949, Edward Meade, auteur et romancier, commence à effectuer des relevés sur les sites de pétroglyphes de la côte, de l’Alaska vers le sud jusqu’à Puget Sound. Les résultats de ces études sont publiés en 1971. À partir de 1960, cette même région est explorée méthodiquement par Beth et Ray Hill, dont le livre abondamment illustré suscite beaucoup d’intérêt public pour l’art rupestre de la Colombie-Britannique. À l’intérieur de la province, John Corner, un apiculteur, poursuit la recherche de James A. Teit. Ce travail aboutit à une étude populaire illustrée qui demeure une publication clé pour la région.

Les années 1960 sont particulièrement prolifiques en matière de recherche sur l’art rupestre au Canada, ce qui mène en 1969 à la fondation de la Canadian Rock Art Research Association (CRARA). Cette association nationale d’experts se consacre à la recherche, à l’éducation publique, et à la conservation des sites de pictogrammes et de pétroglyphes au Canada. L’association contribue grandement à la sensibilisation du public et elle stimule l’intérêt des chercheurs à travers le pays par le biais de ses conférences annuelles et de ses bulletins d’information. Selwyn Dewdney est élu premier associé principal en reconnaissance de sa longue contribution aux relevés de l’art rupestre dans le Bouclier canadien et à l’éducation du public. Artiste commercial et thérapeute par l’art, Selwyn Dewdney a commencé à faire des relevés de pictogrammes et de pétroglyphes pour le Musée royal de l’Ontario en 1957. Dans le but de poursuivre le travail de pionnier de David Boyle, Kenneth E. Kidd, alors conservateur en ethnologie, cherche du financement pour la documentation systématique des sites d’art rupestre de l’Ontario. Avec le soutien initial de la Quetico Foundation, Selwyn Dewdney est choisi pour effectuer le relevé des nouveaux sites découverts ainsi que celui des sites oubliés dans la région du Bouclier. De 1957 jusqu’à sa mort en 1979, Selwyn Dewdney découvre et retrace des centaines de sites à travers l’Ontario et à l’ouest au Manitoba, en Saskatchewan, et en Alberta. Le livre écrit conjointement par Selwyn Dewdney et Kenneth E. Kidd suscite un intérêt public important pour l’art rupestre du Bouclier canadien.

À la fin des années 1960, l’étude scientifique des pictogrammes et des pétroglyphes est devenue répandue partout au Canada. On utilise des équipements photographiques plus précis ainsi que d’autres moyens d’enregistrement. Des scientifiques de l’Institut canadien de conservation entreprennent des expériences sur la datation et la conservation des sites d’art rupestre non protégés. Depuis les années 1970, une nouvelle génération de chercheurs et leurs étudiants continuent à découvrir de nouveaux sites et à réexaminer des sites connus, en ayant recours à de nouvelles méthodes de relevé et de nouvelles théories d’interprétation.

Récemment, la recherche a tendance à se concentrer à la fois sur l’interprétation de la fonction et sur le sens de l’art rupestre dans le contexte de la culture autochtone, et sur la relation des pictogrammes et des pétroglyphes avec les autres formes d’expression visuelle autochtones. Depuis une dizaine d’années, la recherche s’est tournée vers l’étude du paysage environnant et l’intégration des sites d’art rupestre dans un contexte géographique plus large (par exemple l’importance de la région au sein du réseau de lacs et de rivières, et la proximité de rapides ou de chutes).