Contexte
Avec la découverte en 1968 de vastes réserves de combustibles fossiles dans la baie de Prudhoe, en Alaska, le gouvernement et des acteurs de l’industrie du pétrole commencent à avancer l’idée d’un pipeline connectant l’Alaska aux marchés américains au sud. Collectant une partie des réserves canadiennes en chemin, le pipeline traverserait le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et l’Alberta. Cette année-là, le gouvernement libéral du premier ministrePierre Trudeau crée le Groupe de travail sur l’exploitation du pétrole dans le Nord pour évaluer la faisabilité d’un tel projet. Leur travail produit la politique officielle du gouvernement fédéral sur la construction de pipelines dans le Nord, les Lignes directrices sur les pipelines dans le Nord, publiée en 1970 et élargie en 1972. Les Lignes directrices ont provoqué une vague d’études techniques et environnementales, des examens de politiques gouvernementales et des analyses économiques à un niveau inégalé dans l’histoire du Canada.
Premières propositions : les pipelines Arctic Gas et Foothills
Des propositions détaillées sont mises de l’avant par deux consortiums au début des années 1970. Canadian Arctic Gas Pipeline Ltd., composé de 27 producteurs canadiens et américains (dont Exxon, Gulf, Shell, et TransCanada Pipelines), propose un parcours qui part des champs pétroliers de Prudhoe Bay en Alaska, traverse le nord du Yukon jusqu’au delta du fleuve Mackenzie avant de bifurquer vers le sud jusqu’en Alberta, où elle rejoindrait les systèmes de distribution américains. Le pipeline Arctic Gas aurait été le plus long du monde (3 860 km) et le projet de construction privé le plus important de l’histoire, avec un coût estimé à 8 milliards de dollars pour sa partie canadienne seulement. Foothills Pipe Lines Ltd., un groupe formé par Alberta Gas Trunk Line (maintenant NOVA Chemicals Corporation) et Westcoast Transmission, propose un parcours plus court commençant du delta du Mackenzie jusqu’en Alberta. En 1976, cependant, Foothills commence à promouvoir un autre parcours qui suivrait la route de l’Alaska, connectant ainsi les réserves de l’Alaska aux 48 états américains au sud.
Ces projets auraient eu des effets importants sur l’économie, l’environnement, et les communautés autochtones du Nord. Qui plus est, la construction d’un pipeline sur le pergélisol présente des défis gigantesques sur le plan de l’ingénierie. Les deux propositions impliquent d’enterrer le pipeline, ce qui aurait perturbé la température naturelle du sol, causant ainsi un phénomène appelé « soulèvement du gel », caractérisé par un gonflement du sol vers le haut qui aurait potentiellement endommagé le pipeline.
Commission Berger
Une commission royale fédérale, dirigée par le juge Thomas Berger, est mise sur pied en mars 1974 pour évaluer les propositions ainsi que leurs effets environnementaux, culturels, sociaux et économiques sur le Nord. De mars 1975 à novembre 1976, les commissaires organisent des audiences communautaires de part et d’autre des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon afin de documenter les préoccupations des peuples autochtones et des écologistes.
Le rapport de la commission, publié en 1977, conclut qu’un pipeline reliant le delta du Mackenzie à l’Alberta en passant par la vallée du Mackenzie est faisable, mais ne devrait pas être réalisé avant que davantage d’études soient effectuées et que les revendications territoriales autochtones soient réglées. Cela étant dit, la commission s’oppose catégoriquement à la construction d’une ligne traversant l’environnement fragile du nord du Yukon. Berger conclut en effet qu’un pipeline au Yukon menacerait le caribou et d’autres animaux dont les Gwich’in Vuntut dépendent pour leur survie. Pour permettre le règlement des revendications territoriales le long du corridor de la vallée du Mackenzie, Berger recommande un moratoire de 10 ans sur la construction. Le gouvernement accepte cette condition.
Les prix de l’essence et du gaz étant alors en baisse, les propositions fortement politisées d’Artic Gas et de Foothills sont rejetées. La commission elle-même marque un moment décisif dans l’histoire du développement des ressources naturelles au Canada. Son processus de consultation public est sans précédent, et le rapport de Berger humanise l’ensemble complexe des préoccupations culturelles et environnementales qui touchent les peuples autochtones du Nord.
Le processus de règlement des revendications territoriales prend beaucoup plus longtemps que les 10 ans que Berger avait prévus, se poursuivant tout au long des années 1980 jusqu’aux années 1990. En 2000, cependant, les Inuvialuits, les Gwich’in et les Sahtu Got'ine ont tous conclu des accords avec le gouvernement fédéral, et l’idée d’un pipeline est généralement vue d’un bon œil par les communautés du corridor du Mackenzie. Cette année-là, les Inuvialuits, le Conseil tribal Gwich’in et la Sahtu Pipeline Trust forment l’Aboriginal Pipeline Group pour représenter les intérêts des Premières Nations dans une nouvelle proposition pour la vallée du Mackenzie. (Les Dehcho sont les seuls de la région dont les revendications territoriales ne sont pas encore réglées.)
Projet gazier Mackenzie
En 2000, une coentreprise composée de la Compagnie pétrolière Impériale Ltée, de ConocoPhillips Canada, d’ExxonMobil Canada et de l’Aboriginal Pipeline Group relance les plans de pipeline dans la vallée du Mackenzie avec une proposition de 16,2 milliards de dollars appelée le projet gazier Mackenzie. En plus d’un pipeline qui transporterait chaque jour jusqu’à 34,3 millions de mètres cubes de gaz naturel sur une distance de 1 200 km de la mer de Beaufort, dans les Territoires du Nord-Ouest, jusqu’au nord de l’Alberta, le plan comprend un réseau de collecte et une usine de traitement du gaz.
En 2004, la Compagnie pétrolière Impériale et ses partenaires présentent leur demanda à l’organisme canadien de réglementation de l’énergie, l’Office national de l’énergie. L’ONE approuve le plan en 2010 et fixe la date limite pour commencer la construction au 31 décembre 2015.
En août 2015, la Compagnie pétrolière Impériale demande un prolongement de la limite jusqu’à 2022, déclarant qu’elle a besoin de plus de temps pour évaluer le marché du gaz naturel en Amérique du Nord, alors marqué par un déclin des prix. Des groupes environnementaux comme Alternatives Nord et Ecology North s’opposent à ce prolongement, citant plusieurs raisons pour mettre fin au projet, notamment une plus grande sensibilisation aux changements climatiques, l’arrivée d’un nouveau gouvernement fédéral depuis l’approbation du pipeline, et l’évolution des marchés énergétiques. En juin 2016, l’ONE juge que la proposition correspond toujours à l’intérêt public et approuve la prolongation. En décembre 2017, toutefois, la Compagnie pétrolière Impériale annonce que l’annulation du projet gazier Mackenzie et la dissolution du partenariat, en raison des changements dans le marché du gaz naturel en Amérique du Nord, ainsi qu’une concurrence accrue causée par de nouvelles sources et méthodes d’extraction du gaz naturel.