Politique muséale
La politique du musée dépend des dispositions législatives, financières et administratives prises par les gouvernements pour fonder et financer les musées, et aussi des décisions prises par chaque musée pour prendre sa place dans la société. Par ailleurs, suivant la définition reconnue à l'échelle internationale, le musée est un établissement permanent sans but lucratif au service de la société et de son développement et ouvert au public, qui acquiert, conserve, fait de la recherche, communique et expose à des fins d'étude et de loisir des témoignages matériels (animés ou inanimés) de l'existence de l'homme et de son environnement.
Il y a toutes sortes de musées, mais pour avoir droit à ce nom, un établissement doit avoir une collection systématique. Il peut se spécialiser dans des sujets aussi divers que la traite des fourrures, les fossiles ou l'art moderne. Les zoos collectionnent des animaux, les aquariums des poissons et les jardins botaniques des plantes et ce sont tous des musées. Les collections nous renseignent sur les cultures des peuples qui vivent aujourd'hui, sur leur évolution, ainsi que sur notre environnement naturel et son évolution. Nous pouvons ainsi comprendre la façon dont nos ancêtres percevaient leur monde et celui qui les entourait.
Les musées canadiens ne diffèrent pas seulement par les sujets qu'ils traitent, mais par leur envergure et leur financement. Ils vont des petits musées communautaires qui présentent l'histoire des pionniers d'une localité aux musées spécialisés qui s'intéressent à des industries en particulier, à des organismes, à des arts ou à des sports, jusqu'aux grands établissements gouvernementaux qui présentent les collections les plus réputées du monde. Certains musées sont installés dans des cabanes en rondins, d'autres dans des forteresses, des halls ou des couvents. Quelques-uns se trouvent dans des édifices très impressionnants, qui ont été conçus à cette fin. Il y en a probablement 2500 au Canada, mais 90 p. 100 des collections publiques sont aux mains d'une soixantaine de grands établissements.
La plupart des musées ont été fondés et sont exploités par des groupes de citoyens désireux de préserver les témoignages du passé et de les présenter au public. Le plus ancien musée canadien est probablement le Musée du Nouveau-Brunswick, fondé en 1842, qui partage cet honneur avec la COMMISSION GÉOLOGIQUE DU CANADA, laquelle établit son musée (qui deviendra le MUSÉE CANADIEN DE LA NATURE)durant la même année. À cette époque, les gouvernements n'apportent leur aide qu'à contrecoeur, voire pas du tout. L'intérêt et la participation officiels sont minimes, sauf quand des organismes de recherche gouvernementaux comme la COMMISSION GÉOLOGIQUE DU CANADA rassemblent presque naturellement des collections de référence dans le cadre de leurs travaux scientifiques. À l'instigation du gouverneur général d'alors, le marquis de LORNE, la Galerie nationale du Canada (aujourd'hui le MUSÉE DES BEAUX-ARTS DU CANADA) est créée en 1880, mais n'est sanctionnée par une loi du Parlement qu'en 1913 et ne s'installe dans des locaux convenables qu'en mai 1988. Les gouvernements provinciaux font preuve de la même circonspection et, pour des motifs d'ordre pratique, les gouvernements municipaux ne portent aucun intérêt aux musées. Au milieu du siècle, beaucoup de musées canadiens ont déjà fait leur apparition et certains sont même devenus des établissements dynamiques, mais davantage grâce aux efforts des particuliers que de ceux de l'un ou l'autre palier de gouvernement. Dans les mentalités officielles, il n'existe pas de réelle politique du musée.
Depuis la Deuxième Guerre mondiale, et plus particulièrement depuis le centenaire de la Confédération, célébré en 1967, la position officielle envers les musées est devenue beaucoup plus favorable, sans doute en grande partie parce que le public a modifié son attitude à l'endroit de la science, de l'art, de la culture et du patrimoine. Les facteurs contributifs de ces changements influencent à des degrés divers les différents musées, ordres de gouvernement et régions du pays, mais il est possible d'en présenter sommairement quelques-uns.
Le Centenaire accroît sans nul doute l'intérêt du public pour le patrimoine canadien. Ce facteur joue surtout sur la création et l'expansion des musées spécialisés et des musées d'histoire régionale. La population se rend compte tout à coup que non seulement la confédération canadienne a survécu, mais encore qu'elle a grandi et prospéré d'une façon spectaculaire au cours de son premier siècle d'existence. Le pays tout entier a le sentiment qu'il faut conserver les preuves de cet exploit à l'intention de ceux qui bâtiront le prochain siècle. Il lui semble que le meilleur moyen de réaliser cet objectif est de créer des musées ou d'améliorer les établissements déjà constitués. Les gouvernements réagissent en donnant des conseils techniques, des encouragements et un financement partiel. Les sociétés commerciales et les associations industrielles considèrent également l'établissement de musées spécialisés comme un bon moyen de se réjouir des succès du pays et de faire valoir le rôle qu'elles y ont joué. Cette tendance ne disparaît pas après le Centenaire. En 1986, le groupe de travail fédéral sur les musées nationaux estime que 50 nouveaux musées sont inaugurés chaque année. La politique du musée constitue une réponse partielle à ces initiatives populaires.
Durant cette même période d'après-guerre, le Canada ne peut faire autrement que de constater sa diversité culturelle. Les groupes hétérogènes qui composent notre société (régionaux, ethniques, religieux, autochtones, linguistiques et autres) s'attendent en toute logique à ce que leurs traditions soient représentées dans nos institutions culturelles, y compris dans les musées généraux et spécialisés. Ce sont surtout les musées historiques et les musées d'art qui sont visés, en l'occurrence. Il reste beaucoup à faire, mais les progrès sont manifestes. Les gouvernements tiennent davantage compte de la diversitéculturelle du Canada, d'abord en aidant les musées spécialisés, ensuite en adaptant mieux leurs interventions aux préoccupations pluralistes qui se font sentir au sein même de leurs propres établissements.
Un autre facteur joue également un rôle depuis peu de temps : il a en effet bien fallu reconnaître, malgré une certaine réticence, que nous vivons une période de l'histoire humaine où quelques notions scientifiques sont nécessaires à tout le monde, et où les capacités en ce domaine de la société canadienne seront déterminantes pour son avenir. Ces aspects concernent plus particulièrement les musées des sciences naturelles, des sciences pures et de la technologie, et à ce chapitre, en dépit des contributions du Musée canadien de la nature, du MUSÉE NATIONAL DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE et du CENTRE DES SCIENCES DE L'ONTARIO, les Canadiens sont bien mal servis.
Ce problème s'explique par au moins deux facteurs. Le premier concerne la « vulgarisation scientifique », c'est-à-dire le principe selon lequel les connaissances scientifiques sont importantes pour tout le monde et accessibles à tous, à condition d'être présentées de façon à ce que tous puissent les comprendre. Les musées des sciences excellent en ce domaine. Malheureusement, il n'y en a que trois ou quatre qui ont ce mandat au Canada, et même s'ils attirent plus de visiteurs que les autres musées dans les villes où ils sont installés, la population des autres régions du pays ne bénéficie pas d'avantages semblables.
L'autre facteur, c'est le fait que les collections muséologiques sont elles-mêmes des ressources scientifiques. La chose est vraie pour tous les musées, mais plus particulièrement pour les musées de sciences naturelles. Dans les sciences naturelles, et surtout en biologie, l'identification des spécimens est d'une importance capitale. Elle est indispensable, par exemple, à l'étude des effets des pesticides, des précipitations acides ou des autres contaminants de l'environnement. Les collections des musées constituent dans ce cas le seul critère d'évaluation des nouvelles découvertes ou des mutations inattendues. Au Canada, les gouvernements ont mis du temps à reconnaître que les musées constituent une ressource pour la recherche. Le Musée canadien de la nature fait autorité dans certains domaines, tout comme le MUSÉE ROYAL DE L'ONTARIO et le Jardin botanique de Montréal, mais dans la bataille engagée pour le budget, les scientifiques ont du mal à défendre leur position devant les responsables des services directs aux visiteurs.
Il va de soi qu'en reconnaissant la nécessité de politiques du musée, les gouvernements ne sont pas exclusivement guidés par l'amour de la science et des arts. Dans la seconde moitié du XXe siècle, en particulier, le TOURISME est devenu une industrie de plus en plus importante au Canada et une forte proportion des visiteurs des musées sont des touristes. Dans leur pays, les gens ont tendance à reporter à plus tard leur visite au musée, mais ils profitent des occasions fugitives qui se présentent de le faire lorsqu'ils sont en voyage. Par conséquent, les musées sont perçus comme des attractions touristiques rentables, ce qui constitue une incitation économique qui vient s'ajouter aux objectifs culturels et scientifiques pour obtenir l'aide financière du gouvernement.
Bien que les raisons puissent varier d'une région ou d'un musée à l'autre, tous les paliers de gouvernement ont été amenés à s'intéresser plus activement aux musées aux cours des dernières années. C'est pourquoi le fédéral, tous les gouvernements provinciaux et même certaines municipalités ont élaboré des politiques du musée. Le changement d'attitude est illustré par le fait qu'en 1968, une seule province, le Québec, avait confié à un ministre d'importantes responsabilités au chapitre des musées. Dix ans plus tard, tous les gouvernements provinciaux avaient un ministre responsable des affaires des musées.
Dans le détail, les politiques diffèrent d'un secteur de compétence à l'autre, mais toutes établissent une distinction de base entre les collections qui appartiennent à un gouvernement, celles qui appartiennent aux municipalités ou à des établissements à but non lucratif comme les sociétés muséologiques et celles qui sont entre les mains de collectionneurs. Il est dans l'ordre des choses qu'avec le temps, les gouvernements accumulent, délibérément ou non, beaucoup de choses qui finissent par devenir des objets de musée. Les collections du Canadian Postal Museum,à Ottawa, et du Royal Canadian Mounted Police Museum, à Regina, en sont des exemples. En bons intendants, les gouvernements ont fini par reconnaître qu'il leur incombe de conserver et d'organiser les collections qu'ils possèdent et d'inciter le public à venir les voir.
Quant aux musées à but non lucratif dont ils ne sont pas les propriétaires, les gouvernements fédéral et provinciaux leur fournissent une modeste aide financière, grâce à divers programmes de subventions, ainsi que des conseils professionnels et de l'assistance pour les aspects techniques de la gestion du musée, y compris, par exemple, de l'aide pour conserver les collections (voir CONSERVATION DU PATRIMOINE MUSÉOLOGIQUE). Souvent, cette aide passe par les associations muséologiques nationales ou provinciales dont le soutien est essentiel, surtout pour les petits musées locaux. Les programmes gouvernementaux favorisent aussi l'organisation et la circulation des expositions itinérantes, afin que la population de chaque région du pays ait l'occasion de découvrir le patrimoine culturel des autres régions.
Quant à la part importante de notre patrimoine qui se trouve entre les mains de particuliers, il n'y a pas grand-chose que les gouvernements puissent faire ou doivent faire. Grâce à un système de permis d'exportation soutenu par des subventions d'achat, la Loi fédérale sur l'importation et l'exportation des biens culturels de 1977 permet aux collections publiques d'acquérir d'importants artefacts quand leur propriétaire décide de vendre, à supposer qu'il le fasse, mais en général, les gouvernements interviennent peu dans ce domaine.
Les collections fédérales les plus importantes sont réparties entre quatre établissements : le Musée des beaux-arts du Canada, le MUSÉE CANADIEN DES CIVILISATIONS (histoire et préhistoire de l'humanité), le Musée national des sciences naturelles (tout ce qui touche à la nature à l'exception de l'homme) et le Musée national des sciences et de la technologie. En vertu de la Loi sur les musées nationaux de 1968, ces quatre établissements ont été chapeautés par une société unique qui a également assumé par la suite la responsabilité de l'Institut canadien de conservation, du Réseau canadien de l'information sur le patrimoine et de plusieurs programmes qui fournissent une aide financière aux musées sans but lucratif de tout le pays. Au cours des années, ce regroupement s'est révélé difficile à exploiter efficacement et, en 1987, le gouvernement annonçait son intention de redonner à ces quatre musées leur statut d'institutions indépendantes et d'assumer, au sein de l'ancien ministère des Communications (aujourd'hui le ministère du Patrimoine canadien), la responsabilité directe de l'aide fédérale aux autres musées.
Les musées canadiens sont des nouveaux venus sur la scène internationale. Dans les autres pays, et plus particulièrement en Europe, les grandes collections comprennent des oeuvres d'art, des objets de grande valeur et d'autres objets intéressants qui ont été accumulés durant des siècles d'histoire impériale, religieuse ou dynastique. L'une des questions récurrentes en matière de politiques du musée au Canada consiste à savoir jusqu'à quel point nous devrions essayer d'assembler des collections comparables, ce qui nous obligerait automatiquement à acheter à l'étranger des objets de plus en plus rares et de plus en plus coûteux, au lieu de nous concentrer sur notre propre histoire naturelle et nos propres traditions sociales et culturelles, dont l'histoire est beaucoup plus brève. Si les raisons de mettre le Canada en valeur sont évidentes, il y a aussi de bonnes raisons de constituer des collections internationales, surtout dans le domaine des beaux-arts. Pour une bonne part, les racines de la peinture, de la sculpture et des arts appliqués canadiens se trouvent dans les « vieux pays ». En outre, les oeuvres contemporaines du Canada font partie de la scène internationale.
D'après cette théorie, les musées (les musées des beaux-arts en particulier) devraient inciter les Canadiens à découvrir les dimensions mondiales et historiques de notre civilisation moderne sans avoir à se rendre à l'étranger. Par ailleurs, on ne peut s'attendre à ce que les musées des autres pays se spécialisent dans l'art canadien : cette spécialisation doit se faire au Canada ou pas du tout. En outre, les oeuvres classiques des siècles passés sont très coûteuses. Les acheter, en ces rares occasions où elles sont mises en vente, c'est se contraindre à acquérir beaucoup moins d'oeuvres canadiennes contemporaines.
Des questions de principe d'un autre ordre se posent au regard des collections d'artefacts, souvent représentatives de la culture des peuples autochtones du Canada, qui sont aux mains des grands musées d'histoire. Certaines de ces collections, notamment les objets confisqués sur la côte ouest au début du siècle lors des cérémonies du POTLATCH, ont été acquises dans des circonstances jugées odieuses aujourd'hui. D'autres ont été rassemblées de façon tout à fait légitime, à une époque où leur intérêt à longue échéance n'était reconnu que par quelques spécialistes. Si elles n'avaient pas été constituées, la majorité d'entre elles auraient sans doute disparu. Compte tenu de leur importance culturelle, et parfois spirituelle, pour les peuples qui veulent perpétuer les traditions dont elles sont issues, devrait-on les restituer aujourd'hui?
Cette question a fait l'objet de discussions et donné lieu à une vaste série de recommandations faites par un groupe de travail établi conjointement par l'AMC et l'Assemblée des Premières Nations à la fin des années 80. À la suite d'une consultation approfondie avec les communautés autochtones et les musées, le groupe de travail a déposé une série de recommandations qui sont devenues des normes internationales. Celles-ci comprennent le rapatriement de tous restes humains, de toute collection portant sur les cérémonies et rituels, et le début d'un nouvel esprit de collaboration entre les musées et les peuples autochtones. Contrairement aux États-Unis, les musées canadiens ont réussi à négocier en tenant compte de l'aspect moral de la question, plutôt que de son aspect juridique. Le traité conclu récemment avec les Nisgaa élargit le champ des questions culturelles en exigeant que les musées fédéraux et provinciaux retournent des artefacts, conformément aux dispositions du traité. Cela pourrait constituer une nouvelle norme pour l'avenir.
Une troisième question de principe -- celle qui préoccupe les curateurs et les directeurs de musées plus que toute autre -- tourne autour de l'argent. Non seulement il n'y en a jamais assez, ce qui est normal, mais celui dont on dispose ne peut pas toujours être consacré aux questions les plus urgentes. Recueillir des fonds n'est jamais facile, mais, en règle générale, il est plus facile de s'en procurer pour construire de nouveaux musées, de nouveaux édifices et organiser des expositions spéciales impressionnantes, que pour poursuivre le travail essentiel et routinier qui consiste à garder les portes ouvertes, à conserver les collections déjà constituées pour les générations futures et à les exposer pour le bénéfice de la population actuelle. Chaque année, il se perd probablement plus de matériel par désintégration qu'il ne s'en gagne par de nouvelles acquisitions. Il y a beaucoup à dire en faveur d'un meilleur financement, mais aussi en faveur de l'adoption d'une nouvelle politique administrative qui mettrait l'accent sur l'exploitation plutôt que sur le capital, autrement dit qui pousserait à ralentir le rythme auquel on crée et agrandit les musées au profit d'une meilleure conservation et d'une meilleure mise en valeur des collections déjà constituées. Cette question ne se pose pas de la même façon pour les curateurs et le personnel des musées que pour les politiciens et les hauts fonctionnaires, et sans doute est-ce l'opinion publique qui en déterminera l'issue.
En bout de ligne, la politique du musée n'est qu'un volet de ce qui constitue la POLITIQUE GOUVERNEMENTALEet, comme toutes les politiques d'intérêt public, elle naîtra non pas des délibérations qui ont lieu dans les salles de conférences ou dans les bureaux du gouvernement, mais des attentes de la population et de ce qu'elle est prête à investir. Les musées canadiens sont de bons musées et ils peuvent être meilleurs encore, mais leurs futures réalisations dépendent de l'importance que le public attache aux valeurs qu'ils représentent.