150 ans de matériel satirique
L’année 2017 marque le 150e anniversaire de la création du Canada. Pour certains, il y a là amplement matière à célébration. Pour d’autres, un peu moins. Pour les caricaturistes politiques, 2017 marque la fin d’un siècle et demi de nouvelles et de retournements politiques leur fournissant du matériel satirique des plus inspirants. Le Canada a en effet connu une série presque sans fin de personnages politiques charismatiques et excentriques ou encore incompétents et sans scrupules qui sont tous devenus les cibles de choix d’une longue lignée de caricaturistes canadiens.
La caricature politique précède la Confédération canadienne par près d’un siècle, remontant jusqu’à George Townshend, un soldat britannique doté d’un talent pour le dessin qui a combattu pendant la guerre de Sept Ans. Il est vastement reconnu comme le premier caricaturiste politique du Canada. L’arrivée, à la même époque, des imprimeries et des journaux à grand tirage sonne une ère nouvelle : celle de la caricature politique, où les dessinateurs, portant la voix du citoyen ordinaire, ridiculisent les puissants de ce monde et leur disent leur façon de penser. L’histoire de la caricature éditoriale au Canada est longue et riche, que l’on parle de George Townshend dans les années 1700, de John W. Bengough au 19e siècle ou encore de Bob Chambers un siècle plus tard.
Le Canada a connu/subi un total de 23 premiers ministres depuis la Confédération, même si certains d’entre eux ont répété un deuxième ou un troisième mandat après avoir été défaits.
Un des meilleurs exemples d’une telle situation est le tout premier premier ministre du Canada, sir John A. Macdonald, qui a dirigé le premier gouvernement fédéral avant d’être défait en 1874 par Alexander Mackenzie, deuxième premier ministre du Canada, et de revenir au pouvoir en 1878. John A. Macdonald fait les choux gras des caricaturistes de l’époque : il est considéré tout autant comme un scélérat magouilleur qu’un visionnaire déterminé, et son rêve d’un chemin de fer national qui unirait le pays géographiquement et économiquement déraille presque à cause d’un grave problème d’alcool.
Depuis John A. Macdonald, un flot continu de premiers ministres a alimenté la plume acerbe des caricaturistes canadiens. Ces 23 premiers ministres, majoritairement de vieux hommes blancs, représentent une véritable corne d’abondance de fronts dégarnis, de nez imposants et de doubles mentons, tant d’éléments qui peuplent les rêves des dessinateurs. Ils sont à la fois un combustible fossile et la meilleure des ressources renouvelables pour la caricature.
Vive le Canada, vive la caricature…
Sir John A. Macdonald
Premier ministre conservateur de 1867 à 1873 et de 1878 à 1891.
Immigrant écossais, sir John A. Macdonald est un des pères de la Confédération et le premier premier ministre du Canada. Une de ses plus importantes réalisations est l’achèvement du chemin de fer du Canadien Pacifique. Politicien rusé et visionnaire déterminé, il est également connu pour son amour obsessif de la bouteille.
Alexander Mackenzie
Premier ministre libéral de 1873 à 1878.
Alexander Mackenzie est un immigrant écossais qui commence sa carrière comme maçon et construit une foule de structures qui sont encore debout aujourd’hui. Il s’implique en politique peu de temps après son arrivée au Canada et devient éventuellement le deuxième premier ministre du pays. Une de ses contributions majeures est la mise en place du scrutin secret.
Sir John Abbott
Premier ministre conservateur de 1891 à 1892.
Sir John Abbott est le premier premier ministre né au Canada. Son administration occupe un rôle principalement intérimaire lorsque sir John Macdonald décède dans l’exercice de ses fonctions. Sir John Abbott est un chef réticent qui refuse initialement de prendre les rênes du pouvoir. Après 17 mois à titre de premier ministre, il cède sa place à sir John Thompson en 1892.
Sir John Thompson
Premier ministre conservateur de 1892 à 1894.
Sir John Thompson est un avocat néo-écossais qui est brièvement premier ministre de la Nouvelle-Écosse. Il joue un rôle important dans la fondation de la Faculté de droit de l’Université Dalhousie en 1883. Sous sir John A. Macdonald, il devient ministre fédéral de la Justice, avant de devenir premier ministre en 1892 lorsque sir John Abbott se retire du pouvoir. Parmi ses réalisations politiques, on compte la création du Code criminel, un ouvrage qui consolide et unifie le droit pénal au Canada.
Sir Mackenzie Bowell
Premier ministre conservateur de 1894 à 1896.
Sir Mackenzie Bowell est nommé premier ministre en 1894 après la mort subite de sir John Thompson. Le règne de Bowell, toutefois, est éphémère. À cause de son indécision et de l’impression d’incompétence qu’il projette dans la controverse grandissante du financement public des écoles confessionnelles au Manitoba, il devient le seul premier ministre en poste à être forcé de démissionner par son propre cabinet.
Sir Charles Tupper
Premier ministre conservateur en 1896.
Sir Charles Tupper est premier ministre de la Nouvelle-Écosse de 1864 à 1867. Animé par la crainte d’une invasion américaine et le manque de supervision de la Grande-Bretagne, il propose l’union des provinces maritimes lors de la Conférence de Charlottetown en septembre 1864. Au cours de conférences subséquentes tenues pendant les trois années de son règne provincial, l’union se transforme et devient la Confédération du Canada. Après avoir servi de nombreuses années comme membre du Parlement fédéral, sir Charles Tupper est nommé premier ministre en 1896, avant d’être défait presque aussitôt par sir Wilfrid Laurier aux élections de juin.
Sir Wilfrid Laurier
Premier ministre libéral de 1896 à 1911.
Sir Wilfrid Laurier est le premier politicien francophone à devenir premier ministre du Canada. Il est reconnu comme l’un des meilleurs chefs d’État de l’histoire du pays, et sa gestion diplomatique de la crise scolaire au Manitoba lui donne une réputation de fin médiateur. Sir Wilfrid Laurier désigne ses efforts pour concilier les intérêts des francophones et des anglophones au Canada comme la « voie ensoleillée ». Son visage figure depuis longtemps sur le billet de cinq dollars canadiens contemporain, un billet victime de nombreux farceurs qui, en quelques coups de stylo, arrivent à transformer le visage de Laurier en celui de « M. Spock », un personnage de Star Trek joué par Leonard Nimoy.
Sir Robert Borden
Premier ministre conservateur de 1911 à 1920.
En tant que premier ministre pendant la Première Guerre mondiale, sir Robert Borden assure un leadership solide tout en contribuant aux efforts de guerre. Bien que la conscription crée une importante division au pays, le sacrifice des soldats canadiens permet à Robert Borden d’obtenir une autonomie nouvelle pour la nation ainsi qu’une place à la table des négociations du traité de Versailles.
Arthur Meighen
Premier ministre conservateur de 1920 à 1921 et en 1926.
Arthur Meighen est nommé premier ministre à la suite du départ de sir Robert Borden. Hautement respecté comme débatteur et orateur, il est néanmoins évincé à deux reprises par William Lyon Mackenzie King, avec qui il partage une amère rivalité. Les deux mandats par nomination d’Arthur Meighen ne durent pas très longtemps, écourtés en grande partie à cause des compétences politiques et stratégiques de Mackenzie King.
William Lyon Mackenzie King
Premier ministre libéral de 1921 à 1926, de 1926 à 1930 et de 1935 à 1948.
Pendant près de 3 décennies, William Lyon Mackenzie King dirige le Canada à travers une foule de crises politiques et sociales. Il guide le pays pendant la Deuxième Guerre mondiale, jusqu’à une période de prospérité inégalée. Malgré ses multiples succès politiques, les Canadiens se souviennent de William Lyon Mackenzie King surtout en raison de ses excentricités, notamment son intérêt pour l’occulte, qui sont détaillées dans des journaux intimes que l’on publie après sa mort.
R. B. Bennett
Premier ministre conservateur de 1930 à 1935.
Richard Bedford Bennett a la malchance de remporter ses élections contre le gouvernement libéral de William Lyon Mackenzie King au début de la crise des années 1930, moment où l’économie tourne au vinaigre. Même s’il réussit à accomplir plusieurs réalisations importantes au cours de son mandat, il est facilement battu par William Lyon Mackenzie King lorsque la dépression prend fin.
Louis St-Laurent
Premier ministre libéral, de 1948 à 1957.
En tant que premier ministre, Louis St-Laurent, affectueusement surnommé « oncle Louis », jouit d’une période de prospérité prolongée après la guerre. Il gouverne le Canada pendant près d’une décennie et on lui doit une foule de réalisations politiques d’envergure, notamment l’inclusion de Terre-Neuve-et-Labrador à la Confédération.
John Diefenbaker
Premier ministre progressiste-conservateur de 1957 à 1963.
John Diefenbaker bouscule Louis St-Laurent aux élections de 1957 et remporte un gouvernement minoritaire pour le Parti progressiste-conservateur. Aux élections de 1958, il obtient une victoire historique en s’emparant de 208 sièges au Parlement, un nombre jusqu’alors inégalé. Après sa défaite en 1963, il reste à la tête de son parti. Il est un chef de l’Opposition très efficace, malgré une grogne qui croît au sein des progressistes-conservateurs. On lui attribue le jeu de mots suivant : « Quelle est la différence entre un cactus et le caucus conservateur ? Les épines du cactus sont à l’extérieur. » (En anglais, le mot « prick » utilisé par Diefenbaker signifie à la fois « épine » et « salopard ».)
Lester B. Pearson
Premier ministre libéral de 1963 à 1968.
Lester B. Pearson est reconnu pour ses nombreux triomphes politiques, en particulier ceux qu’il accomplit dans les années précédant son mandat de premier ministre. Il est en effet lauréat d’un prix Nobel de la paix pour avoir négocié la résolution de la crise de Suez en 1956.
Pierre Trudeau
Premier ministre libéral de 1968 à 1979, puis de 1980 à 1984.
Pierre Trudeau est un des premiers ministres les plus flamboyants dans l’histoire du Canada. Il a également exercé un des plus longs mandats de premier ministre. Ses réalisations les plus durables sont la création de la Charte des droits et libertés et le rapatriement de la Constitution, un document historique signé par la reine Elizabeth II en 1982. À la cérémonie de ratification, Pierre Trudeau effectue sa célèbre pirouette, une façon de se moquer gentiment des formalités de Sa Majesté.
Joe Clark
Premier ministre progressiste-conservateur de 1979 à 1980.
En juin 1979, « Joe qui ? » est assermenté premier ministre du Canada. Il est le plus jeune politicien de l’histoire canadienne à accéder à ce poste. Son mandat, toutefois, dure moins d’une année, le temps que son gouvernement minoritaire soit dissout à la suite d’un vote de confiance défavorable. Ce sont les libéraux sous Pierre Trudeau qui regagnent le pouvoir. La carrière politique de Joe Clark, cela étant dit, ne s’arrête pas là. Après avoir été chef de l’Opposition pour les conservateurs jusqu’en 1983, il devient membre du cabinet de Brian Mulroney. Il prend éventuellement sa retraite, avant d’être réélu chef du Parti conservateur en 1998. Il n’a jamais été réélu premier ministre.
John Turner
Premier ministre libéral en 1984.
En tant que jeune député, John Turner est « l’enfant chéri » du Parti libéral, défendant des postes clés dans le gouvernement de Lester Pearson et de Pierre Trudeau. Il devient premier ministre intérimaire en juin 1984 lorsque Pierre Trudeau démissionne. Ce mandat est de très courte durée. En effet, John Turner déclenche immédiatement des élections, mène une campagne ratée et, après un règne libéral de près de 15 ans avec Pierre Trudeau, perd de façon spectaculaire contre le nouveau chef du Parti progressiste-conservateur, Brian Mulroney.
Brian Mulroney
Premier ministre progressiste-conservateur de 1984 à 1993.
Brian Mulroney remporte deux gouvernements majoritaires consécutifs et est considéré comme l’un des chefs d’État les plus progressistes en matière d’environnement, de commerce et d’économie. Sa popularité, toutefois, s’étiole au cours de son deuxième mandat, et son héritage est sali par des allégations entourant « l’affaire Airbus ». La controverse implique en effet une relation suspecte avec l’homme d’affaires allemand Karlheinz Schreiber qui, selon une commission d’enquête, aurait versé des pots-de-vin à Brian Mulroney pour services de lobbying rendus alors qu’il était encore membre du Parlement fédéral.
Kim Campbell
Première ministre progressiste-conservatrice en 1993.
Kim Campbell est la première femme à accéder au poste de premier ministre lorsque Brian Mulroney démissionne à la fin de son deuxième mandat. Elle n’arrive toutefois pas à survivre à l’impopularité de son prédécesseur, et les élections qui suivent mènent à une défaite historique du Parti progressiste-conservateur. Note : Les élections ont lieu seulement quelques jours après la victoire des Blue Jays de Toronto, qui gagnent un deuxième titre consécutif pour le Canada dans la Série mondiale. Au cours d’un sixième match captivant, le joueur des Blue Jays Joe Carter frappe un coup de circuit en fin de 9e manche contre le lanceur des Phillies de Philadelphie Mitch « Wild Thing » Williams, ce qui permet à trois autres joueurs de marquer des points et au Canada de remporter la finale. Le dessin de Kim Campbell ci-dessus a gagné le Prix national du journalisme de 1993 dans la catégorie « caricature éditoriale ».
Jean Chrétien
Premier ministre libéral de 1993 à 2003.
Jean Chrétien est le premier politicien depuis William Lyon Mackenzie King à remporter trois victoires majoritaires de suite, en grande partie grâce au vote ontarien. Son règne, cela étant dit, ne se fait pas sans heurts. Deux ans après le début de son premier mandat, son gouvernement frôle la défaite lors d’un référendum sur l’indépendance du Québec qui aurait pu fracturer la nation. Jean Chrétien est un fédéraliste convaincu; c’est ce qui explique pourquoi il a d’abord sous-estimé la force du mouvement séparatiste. Il est d’ailleurs vu par beaucoup de francophones comme un prolétaire québécois sans prestance, surtout en comparaison au charismatique et éloquent chef souverainiste Lucien Bouchard. En fin de compte, le camp fédéraliste gagne le référendum par à peine 1 % des voies.
Paul Martin
Premier ministre libéral de 2003 à 2006.
Après quelques mandats de ministre des Finances sous Jean Chrétien, Paul Martin rêve de pouvoir. Il force donc son prédécesseur à prendre une retraite précoce. Cette prise de contrôle hostile divise grandement le Parti libéral, ce qui ouvre la voie à un Parti conservateur nouvellement uni et dirigé par Stephen Harper. La première élection de Paul Martin n’accorde aux libéraux qu’un gouvernement minoritaire, et les scrutins ne lui accordent pas la même chance aux élections suivantes. On se souvient principalement de Paul Martin pour son travail comme ministre des Finances, dans le cadre duquel il fait accepter successivement des budgets plutôt équilibrés, bien qu’ils coupent généralement énormément dans les programmes sociaux comme l’assurance-emploi.
Stephen Harper
Premier ministre conservateur de 2006 à 2015.
On crédite à Stephen Harper la réunification de la droite politique après des années d’opposition et de division idéologique et géographique. Depuis sa base électorale dans l’Ouest, il cofonde le Parti réformiste, une organisation qui se veut une solution de droite idéologiquement pure au Parti progressiste-conservateur plus modéré qui a perdu beaucoup de plumes dans le reste du Canada. Le Parti réformiste s’ouvre éventuellement aux factions conservatrices modérées de l’est du Canada et devient brièvement l’Alliance canadienne avant d’adopter son nom final : le Parti conservateur du Canada (PCC). Sous la direction de Stephen Harper, le PCC s’empare de la base électorale progressiste-conservatrice canadienne tout en abandonnant le nom et l’idéologie des progressistes. Stephen Harper doit éventuellement mettre de l’eau dans son vin afin de gagner l’appui du plus grand nombre. Après une première défaite contre Paul Martin et les libéraux, il obtient deux gouvernements minoritaires, puis la majorité en 2011.
Justin Trudeau
Premier ministre libéral depuis 2015.
Justin Trudeau permet aux Libéraux de retrouver le pouvoir après une chaude lutte contre le Parti conservateur et le Nouveau Parti démocratique (NPD) aux élections de 2015. Grâce à un message dynamique et une énergie débordante — et surfant en partie sur la popularité de son défunt père, Justin Trudeau gagne le soutien de nombreux électeurs de centre gauche qui votent normalement pour le NPD en promettant, entre autres choses, de légaliser la marijuana et de prioriser les dépenses en infrastructure plutôt que l’élimination du déficit budgétaire.