La rébellion du Haut-Canada en 1837 a moins d’ampleur et est moins violente que celle du Bas-Canada qui se déroule la même année. Néanmoins, les demandes des chefs du soulèvement, dont William Lyon Mackenzie, sont tout aussi sérieuses. Ils réclament en effet une réforme démocratique et la fin de l’oligarchie coloniale. La rébellion échoue, mais cette défaite trace la voie d’un changement politique modéré et prudent en Amérique du Nord britannique, notamment l’union du Haut-Canada et du Bas-Canada sous la bannière de la Province du Canada et l’adoption d’un gouvernement responsable.
Terres, loyautés britanniques et Pacte de famille
Après la guerre de 1812, le mécontentement ne cesse de s’accroître au Haut-Canada envers une clique de politiciens et de fonctionnaires, appelée le Pacte de Famille, qui domine l’administration gouvernementale, distribue les faveurs comme elle l’entend dans toute la colonie et se sert de l’instance et de l’influence politique pour faire progresser ses intérêts commerciaux.
On trouve également une opposition populaire concernant la concession des terres. En effet, ces politiques favorisent systématiquement les récents immigrants britanniques ainsi que l’Église anglicane et ses adhérents au détriment d’autres groupes protestants.
Les plus mécontents sont les habitants issus de l’importante vague de colons américains qui ont immigré avant la guerre de 1812 (les « derniers loyalistes ») et leurs descendants. Leurs opinions religieuses sont anticonformistes et leurs tendances politiques sont plutôt républicaines. En outre, dans les années 1820, ils se voient refuser leurs droits politiques, dont le choix de prêter serment à la Couronne, ce qui les rend inadmissibles à la concession de terres.
En plus de ces tensions, le marasme économique des années 1830 touche surtout les fermiers de la colonie, qui engrangent de mauvaises récoltes et sont assujettis à des lois sévères de recouvrement de dettes.
Ces griefs donnent naissance au nouveau mouvement réformiste, dont les membres gagnent le contrôle de l’Assemblée législative élue en 1828 et en 1834.
Mackenzie prépare les rebelles
Sir Francis Bond Head, le nouveau lieutenant-gouverneur, est envoyé dans le Haut-Canada pour apaiser la majorité réformiste de l’Assemblée. Il ne réussit toutefois qu’à précipiter la rébellion. Il aide ouvertement les conservateurs à remporter les élections de 1836, marquées par la défaite de Marshall Spring Bidwell, président de l’Assemblée, et de réformistes modérés comme Robert Baldwin. Les éléments les plus extrémistes du mouvement réformiste commencent alors à se mobiliser autour de William Lyon Mackenzie.
Au début de la Rébellion de 1837, il va à la rencontre des rebelles et réussit à étouffer la révolte.
Mackenzie est un politicien et éditeur de presse d’origine écossaise. Il devient le premier maire de Toronto en 1834. Il s’oppose virulemment au Pacte de famille et critique le refus du gouvernement d’accorder des droits politiques aux colons américains.
En tant que membre de l’Assemblée législative, Mackenzie ne cherche tout d’abord qu’à exercer des pressions sur le gouvernement par l’intermédiaire d’un réseau d’alliés politiques et par le boycottage des produits importés. Il tisse en outre des liens avec les réformistes du Bas-Canada.
Pourtant, en 1837, enhardi par le soulèvement au Bas-Canada et par le transfert de toutes les troupes britanniques du Haut-Canada vers la colonie voisine, Mackenzie convainc ses partisans les plus radicaux de rédiger une constitution républicaine pour le Haut-Canada inspirée de celle des États-Unis. Ils les encouragent aussi à prendre le contrôle du gouvernement.
Bataille de la taverne Montgomery
Du 5 au 8 décembre, près de 1 000 hommes se rassemblent à la taverne Montgomery, à Toronto. Venant surtout des campagnes au nord de Toronto et issus des milieux agraires, ces hommes représentent le gros de ses partisans. Les rebelles comptent aussi un nombre disproportionné de colons originaires des États-Unis. Le 5 décembre, de 500 à 700 rebelles munis de fusils de chasse, de bâtons et de fourches descendent la rue Yonge vers le sud à la rencontre d’une petite milice loyaliste. Sur la route, une vingtaine de loyalistes font barrage et ouvrent le feu sur eux. Les rebelles au premier rang répliquent à coups de fusil, puis se mettent à plat ventre pour prendre une meilleure position de tir. Les autres rebelles, croyant que leurs camarades sont morts, s’enfuient dans la peur et la confusion.
En tout, trois hommes, deux rebelles et un loyaliste, sont.
Le 8 décembre, quelque 1 000 volontaires fidèles au gouvernement chassent le reste des rebelles de la taverne Montgomery. Les forces loyalistes incluent quelque 120 soldats noirs sous le commandement du colonel Samuel Jarvis. Des centaines de Canadiens noirs s’engagent comme volontaires pendant les rébellions, donnant naissance à différentes unités de combat (connues collectivement sous le nom de Coloured Corps) à Chatham, à Toronto, à Hamilton, à Sandwich (Windsor) et le long de la frontière américaine dans la région de Niagara.
Une deuxième escarmouche éclate quelques jours plus tard près de Brantford. Le groupe de 500 rebelles commandés par Charles Duncombe est toutefois facilement mis en déroute par des volontaires dirigés par Sir Allan Napier MacNab.
Incursions transfrontalières
Mackenzie, Duncombe et d’autres chefs rebelles s’enfuient aux États-Unis, suivis d’environ 200 personnes. Là-bas, avec l’aide de volontaires américains, différents groupes rebelles lancent des attaques contre le Haut-Canada. La frontière demeure instable pendant près d’un an.
Le 8 janvier 1838, la milice du Haut-Canada (avec le soutien de 50 soldats du Coloured Corps sous les ordres de Josiah Henson, chef communautaire noir) capture le voilier Anne, qui transporte les soldats rebelles entre Detroit et Windsor, ainsi que de grandes quantités d’argent et de munitions. Pour les rebelles, la perte du navire signifie la fin des incursions au sud-ouest.
Avec l’appui des Américains qui veulent libérer le Canada de la domination britannique, Mackenzie prend le contrôle de l’île Navy dans la rivière Niagara, juste en amont des chutes. Il proclame une république du Haut-Canada. Il est toutefois forcé de se retirer le 14 janvier, après que des volontaires canadiens brûlent le navire rebelle Caroline. Ce dernier approvisionnait les forces de Mackenzie et a été mis à la dérive au-dessus des chutes. En 1838, les rebelles continuent d’organiser des expéditions outre-frontière. En février, ils lancent des attaques importantes à l’île Pelee, sur le lac Érié, où des forces américaines considérables sont repoussées après un dur combat, puis à Short Hills en juin, à Prescott en novembre et à Windsor au début décembre (voir Bataille de Windmill). Ces incursions, mal organisées et facilement écrasées, entretiennent l’agitation à la frontière. En fait, elles sont à un cheveu de provoquer une nouvelle guerre entre la Grande-Bretagne et les États-Unis (voir La jeune République américaine et les rébellions canadiennes de 1837 et 1838). En outre, la rébellion et les incursions renforcent la position de la faction ultra-tory du Haut-Canada, qui retrouve pendant un temps son ascendance politique.
Le gouvernement exécute deux des rebelles actifs au début de la rébellion, Samuel Lount et Peter Matthews. De nombreux réformistes, dont Bidwell, s’enfuient aux États-Unis. Les incursions frontalières entraînent beaucoup plus d’exécutions, de morts et de déportations que le premier soulèvement.
Causes et conséquences
Les débats persistent sur l’origine de la rébellion et la popularité des rebelles. Certains historiens ont de la sympathie pour eux et croient qu’ils représentaient la majorité, du moins dans la classe ouvrière coloniale. Cependant, la plupart s’entendent pour dire que le soulèvement n’avait qu’un appui limité. Selon eux, il serait un accident historique provoqué par l’esprit partisan inexcusable du lieutenant-gouverneurSir Francis Bond Headet par la témérité de William Lyon Mackenzie.
Rares sont les historiens qui voient un lien politique essentiel entre les deux soulèvements. Cependant, sans la rébellion du Bas-Canada, celle du Haut-Canada n’aurait probablement jamais eu lieu.
Les conséquences du soulèvement au Haut-Canada sont elles aussi sujettes à débat. La rébellion aurait diminué l’influence des extrémistes du Haut-Canada et permis à des chefs moins radicaux, comme Robert Baldwin, de restructurer le mouvement réformiste sur des bases plus modérées.
Les rébellions au Haut-Canada et au Bas-Canada entraînent la mise sur pied de la commission dirigée par lord Durham et la rédaction du rapport Durham. Ce rapport recommande l’union des deux Canadas en une seule colonie. L’Acte d’Union est adopté en 1840, et la Province unie du Canada voit le jour en 1841. C’est ce qui mène à la mise en place de ce que l’on appelle un gouvernement responsable.
Les historiens des dernières générations soutenaient que sans les rébellions, les changements se seraient produits plus lentement, sinon jamais. Plus récemment, on a tendance à croire que les rébellions n’auraient pas été essentielles, en particulier dans le Haut-Canada. En effet, la Grande-Bretagne s’orientait déjà vers des réformes graduelles, grâce à la nomination de gouverneurs qui y étaient plus favorables, tels Sir James Kempt (1828-1830), Lord Aylmer (1830-1835) et Lord Gosford (1835-1838).
En discréditant les extrémistes de part et d’autre du spectre politique, la rébellion a contribué à porter au pouvoir des modérés qui ont concentré leurs efforts sur la formation d’un gouvernement responsable et étaient donc prêts à unir les deux Canadas.