Le régionalisme désigne le caractère local particulier d’une zone géographique ou la perception qu’a un peuple des endroits auxquels il s’identifie. Au Canada, les identités régionales se sont formées une fois que les colons européens se sont installés sur le continent parmi les différents peuples des Premières Nations. Aujourd’hui, le régionalisme s’exprime au sein des diverses identités provinciales, dans notre économie et dans les expériences quotidiennes de vie dans différentes parties du territoire.
Premières Nations et premiers colons
L’expression « régionalisme canadien » renvoie de manière générale à la vitalité des différences régionales au sein du Canada, mais aussi aux tensions entre les instances locales et nationales sur le plan des intérêts économique, institutionnel et émotionnel.
Le régionalisme est un élément incontournable de la société, de l’économie et de la politique canadiennes. Cela n’est guère étonnant si l’on considère que le statut d’État national a été imposé, il y a 150 ans, à ce territoire vaste et aux différents peuples qui y sont éparpillés.
Avant l’arrivée des Européens, le territoire du Canada est occupé par de nombreuses Premières Nations distinctes. Quand les colons arrivent au début des années 1600, ils s’installent d’abord sur la côte est, puis continuent leur avancée vers l’ouest, bloqués au nord par la toundraet au sud par l’expansion américaine.
Des arrivants européens investissent le territoire canadien dès le début de XVIIe siècle. En effet, des pêcheurs restent dans les ports entourés de rochers de Terre-Neuve, quelques colons français occupent les terres marécageuses de la baie de Fundy et d’autres encore, plus nombreux, s’installent aux abords du fleuve Saint-Laurent pour en cultiver les étroites bandes de terres arables. Bien plus tard, les Irlandais, les Écossais et les Anglais, encouragés par la famine, l’évacuation des Highlands et les changements démographiques et technologiques issus de l’industrialisation du début de XIXe siècle, s’établissent sur la péninsule du Sud de l’Ontario et près des ports de pêche, des camps de bûcherons et des parcelles agricoles de la région de l’Atlantique (voir Immigration).
Les descendants de ces colons finissent bien vite par faire face à un problème commun : les colonies sont petites, le potentiel agricole faible, et, à mesure que le nombre d’habitants se multiplie dans ces sociétés préindustrielles encore rurales, les terres inoccupées se raréfient. Bientôt, on découvre que les terres aux limites de la colonie sont rocailleuses et inutilisables. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, il n’y a pas d’ouverture à l’Ouest, à l’exception du Bouclier canadien granitique et d’autres endroits déjà peuplés de l’Amérique britannique.
Coloniser l’Ouest
Les jeunes en surnombre sont alors confrontés à une alternative difficile : s’aventurer au nord, pays de roc et d’épinettes, ou au sud, appartenant aux États-Unis. Ce n’est vraiment qu’à l’arrivée du Chemin de fer du Canadien Pacifique à Winnipeg en 1881 que le Canada conquiert vraiment l’Ouest.
Les Prairies canadiennes sont colonisées tout juste avant la Première Guerre mondiale : en l’espace d’une génération, des migrants de l’Est du Canada, des immigrants venus des îles britanniques et, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, des paysans venant d’Europe centrale, s’y établissent. Une vague d’Américains venus au nord par le flanc est des Rocheuses vient enfin compléter la population européenne. En Colombie-Britannique, les colons viennent surtout de l’Ontario, de la région atlantique ou de l’Asie.
Le Canada ne connaît pas une expansion continue. En effet, les colons ont plutôt tendance à attendre qu’une parcelle du territoire se remplisse avant de migrer vers une autre. Différentes parcelles de territoire sont ainsi colonisées à différents moments par des gens d’origines différentes qui dépendent de technologies et d’économies différentes. De façon générale, le processus de peuplement du Canada est peu organisé et discontinu.
Centre et reste du Canada
L’économie canadienne contribue aussi à renforcer le régionalisme au Canada. La décision de créer un marché canadien est implicite au moment de la Confédération et explicite dans la Politique nationale qui lui fait suite. Profitant de l’avantage des tarifs sur les produits états-uniens, le secteur manufacturier canadien s’épanouit dans les basses terres de la région du Saint-Laurent et des Grands Lacs (le Sud de l’Ontario et du Québec), où se trouvent la plus grande partie du marché et un accès facile aux arrière-pays de l’Est et de l’Ouest.
Le reste du pays consomme les produits du centre et offre, en échange, certaines de ses matières premières. C’est de cette façon que les différentes colonies canadiennes réussissent à s’intégrer de façon considérable au plan économique. La plupart des industries secondaires et des institutions financières sont concentrées à Montréal ou à l’extrémité ouest du lac Ontario, alors que les industries primaires restent dispersées sur le territoire. Le cœur et la périphérie demeurent toutefois liés grâce à des réseaux commerciaux et financiers en plein essor.
D’un point de vue économique, une telle intégration favorise la spécialisation des régions, comme c’est le cas, par exemple, de l’économie du blé des Prairies. D’un point de vue émotif, elle jette les bases de perceptions régionales du Canada très diversifiées. Ceux et celles se trouvant au centre ont tendance à se montrer ouverts à l’égard du pays dont dépend leur économie et sur lequel leurs institutions exercent une grande influence. Les Canadiens français, qui travaillent dans les manufactures mais qui n’en sont pas propriétaires, quant à eux, ne sont pas pressés de bâtir un pays transcontinental et entretiennent beaucoup de méfiance culturelle à ce chapitre. Pour la plupart des anglophones du centre, toutefois, un Canada britannique s’étendant d’un océan à l’autre renforcerait leurs traditions en même temps qu’il étendrait leurs marchés.
De leur côté, les gens de la périphérie se méfient du centre. Beaucoup en effet constatent que les conditions locales sont sous l’emprise des puissances centrales et que, en étant forcés de vendre bon marché et d’acheter au prix fort, ils subventionnent le Canada central et absorbent les coûts de la Confédération. Ce qui est perçu comme une Politique nationale dans le Canada central est ainsi interprété par les régions maritimes comme l’impérialisme du Haut-Canada et, dans l’Ouest, comme de la manipulation économique. Du point de vue des Prairies ou des Maritimes, les « hauts privilèges » et les « grands intérêts » ne sont qu’à la portée du Canada central.
Identités provinciales
Les sentiments d’identité régionaux sont visibles de façon frappante parmi les provinces et parfois, au sein même des provinces (par exemple, la situation particulière du Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse). Les provinces, dont les territoires et pouvoirs sont clairement définis par la Constitution, tendent à remplacer les colonies locales et les régions plus vastes mais amorphes au niveau politique comme représentations de l’identité régionale canadienne.
Le sentiment d’appartenance régionale apparaît dans les provinces au moment où les gouvernements assument un rôle plus important dans la vie canadienne. Les gouvernements provinciaux jouent un rôle plus marqué dans l’économie, et les provinces, un rôle plus marqué dans la perception du Canada.
Beaucoup d’activités auparavant organisées à différentes échelles régionales sont désormais l’affaire des provinces. Parallèlement, le pouvoir fédéral s’accroît à mesure qu’Ottawa étend ses services et sa présence économique. Un des résultats de la croissance des gouvernements fédéral et provinciaux est un débat de plus en plus polarisé entre les conceptions nationales et plus régionales du Canada.
Québec
Le régionalisme dans les gouvernements provinciaux est sans doute plus manifeste au Québec. La culture de ce peuple francophone et catholique est défendue dans le passé par la communauté locale, par une variété de sociétés nationalistes et, d’abord et avant tout, par l’Église catholique romaine. Pour certains, la meilleure défense de la culture francophone se trouve dans la vie rurale et une forte natalité, un point de vue auquel le gouvernement provincial ne peut qu’encourager au nom de la colonisation.
Au cours des dernières années, le gouvernement assume la défense de la culture. Plusieurs Québécois francophones concentrent leurs efforts sur le développement du pouvoir politique du gouvernement du Québec. La protection de la langue française, un élément central de la diversité régionale du Canada, est devenue une question politique qui dépend de conceptions divergentes des responsabilités fédérales et provinciales.
Ressources naturelles
L’économie demeure néanmoins la principale source de friction entre le gouvernement fédéral et les provinces. L’emplacement des réserves de pétrole, de charbon et d’autres ressources économiques remet en question des idées que les Canadiens ont partagées depuis presque 100 ans au sujet du pouvoir économique.
Le pouvoir politique fédéral se concentre toujours au centre et, si la Constitution continue d’accorder à l’autorité fédérale une grande marge de manœuvre en ce qui a trait à la politique des ressources, les avantages économiques des régions périphériques risquent d’être compromis par les instincts protecteurs du centre, ce qui explique la combativité des provinces de l’Ouest et de Terre-Neuve en matière de gestion des ressources.
Autres signes de régionalisme
Le régionalisme canadien est aujourd’hui défendu avec vigueur par les politiciens provinciaux et s’affirme avec force dans les débats entre fédéral et provincial. Ces débats, toutefois, occultent la texture régionale beaucoup plus subtile de la vie canadienne. Celle-ci s’exprime dans les paysages distincts de la ferme, du village et de la ville d’un bout à l’autre du Canada; dans la multitude d’accents et de souvenirs issus de passés différents; dans les modes de vie associés à des économies basées sur des ressources différentes dans des environnements différents; dans les relations des villes avec différents arrière-pays et avec différentes situations dans le système urbain. Enfin, elle s’exprime avec beaucoup de sensibilité dans la peinture et la littérature canadiennes.