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Robert England

Robert England, enseignant, administrateur des chemins de fer, fonctionnaire (né le 15 septembre 1894, à Portadown, en Irlande du Nord; décédé le 14 juin 1985, à Victoria, en Colombie‑Britannique). Robert England a reçu une éducation diversifiée et une carrière encore plus variée. Ses contributions à la société canadienne se situent principalement dans les domaines de l’éducation rurale, de l’immigration et du pluralisme culturel, de la réadaptation des anciens combattants et de la citoyenneté.

Jeunesse et formation

Robert England est le treizième enfant d’Elizabeth et David England. À 16 ans, il commence une formation pour enseigner à l’école primaire. Deux ans plus tard, il abandonne les études qu’il a entreprises et envisage de devenir ministre du culte méthodiste. Cependant, il interrompt ce processus lorsque l’Église méthodiste prend la décision de lui confier une mission de ministre du culte à l’essai, plutôt que de l’inscrire en cycle de formation supérieure. Il décide alors d’émigrer au Canada où il arrive en 1914. Il effectue des travaux agricoles et occupe divers petits emplois en Saskatchewan avant de s’inscrire à l’Université Queen’s en tant qu’étudiant par correspondance.

Service durant la Première Guerre mondiale

En 1915, Robert England s’engage dans les Forces armées canadiennes et part en Europe avec le Corps expéditionnaire canadien. Il prend part aux combats lors des batailles de la crête de Vimy, de la côte 70 et de Cambrai (où il reçoit la Military Cross) et est grièvement blessé à deux reprises. En février 1919, il épouse Amy Marion Hale, une infirmière qui s’est occupée de lui pendant son hospitalisation à Londres, en Angleterre. (Il se remariera avec Thelma Thomson trois ans après la mort d’Amy, en 1966.) En juillet 1919, il est libéré de ses devoirs militaires à Régina, en Saskatchewan, et immédiatement après, il part travailler dans une ferme pour la saison des récoltes. Cependant, ses blessures l’empêchent de poursuivre ce type de travail manuel, de sorte qu’à l’automne, il retourne à l’Université Queen’s pour terminer ses études.

Enseignement

Après avoir obtenu son diplôme de l’Université Queen’s, Robert England entreprend d’enseigner à Slawa, une colonie de peuplement majoritairement ukrainienne, en Saskatchewan rurale, où il séjourne de 1920 à 1923. Il estime que l’enseignement, qui constitue pour lui un travail d’assimilation des immigrants à la société canadienne, est la pierre angulaire de l’édification de la nation. Partant de cette conviction, il met en pratique et promeut, à Slawa, l’idée que l’école doit être un centre communautaire, c’est‑à‑dire qu’elle doit être intégrée à l’économie agricole locale, délivrer des enseignements pratiques, proposer des cours du soir pour adultes, promouvoir des activités parascolaires et faire participer les citoyens qui ont des compétences utiles à offrir.

Les initiatives en ce sens de Robert England attirent l’attention de la presse et il est invité à prendre la parole lors de conventions provinciales d’enseignants, son école finissant par faire l’objet d’un film documentaire de 1921, réalisé par le gouvernement provincial, Nation Building in Saskatchewan: The Ukrainians. Cependant, ses ambitions s’étendent au‑delà de la salle de classe et, en 1923, il demande avec succès une bourse du gouvernement de la Saskatchewan pour étudier à Paris et s’installe en France. Là, il suit des cours, pendant un an, au Collège libre de sciences sociales, où il rédige une thèse sur l’assimilation des Ukrainiens au Canada et obtient un certificat d’études sociales.

Immigration et pluralisme culturel

Peu de temps après avoir obtenu son diplôme à Paris, Robert England est recruté par les Chemins de fer nationaux du Canada, pour y travailler au sein du département nouvellement formé de la colonisation et de l’agriculture. Entre 1924 et 1930, il exerce, tout d’abord, des fonctions de surintendant continental en Europe, avant, de retour au Canada, d’occuper le rôle de gestionnaire occidental de la colonisation et de l’agriculture, de 1930 à 1936, à Winnipeg. En 1934, il obtient une maîtrise en économie de l’Université Queen’s avec une thèse sur « La colonisation de l’Ouest canadien » (publiée plus tard sous la forme d’un ouvrage éponyme).

Au cours de cette période, il s’exprime avec passion et franchise dans le cadre du débat, permanent et parfois houleux, sur l’immigration et l’assimilation des Européens continentaux au Canada. On notera qu’il est, de fait, l’une des rares personnes engagées dans ces débats à être, elle‑même, activement impliquée dans le travail d’immigration et d’établissement. Outre les nombreuses allocutions qu’il prononce et la rédaction de plusieurs articles, il publie également deux livres qui auront une certaine influence et connaîtront un beau succès de librairie, The Central European Immigrant in Canada (1929) et The Colonization of Western Canada (1936). Ayant acquis une réputation d’expert sur ce sujet, il est sollicité par la CBC pour produire une série radiophonique sur les groupes ethniques de l’Ouest canadien, Ventures in Citizenship, diffusée en 1938.

Au départ, les positions de Robert England en matière d’immigration sont plutôt alarmistes, suggérant une pause dans l’arrivée d’immigrants européens continentaux et la mise en œuvre d’efforts concertés pour assimiler ceux qui sont déjà présents au pays. Cependant, à la fin des années 1920, il rejette ouvertement l’idée de hiérarchie entre ce qu’on appelle alors les « races » européennes et appelle à la coopération et à la tolérance entre les Anglo‑Canadiens et les nouveaux arrivants. Cette position fait de lui l’une des voix les plus progressistes dans les débats de l’époque. Sa philosophie du pluralisme culturel se résume dans une phrase qu’il cite inlassablement : « Dieu a écrit une ligne de sa pensée sur le berceau de chaque race. »

Toutefois, sa philosophie du pluralisme culturel n’est pas uniquement essentialiste sur le plan racial, elle est également très restrictive, ses efforts de promotion du pluralisme se limitant à célébrer les contributions des immigrés européens, à l’exclusion de toutes les personnes racisées non blanches, en particulier celles originaires d’Afrique et d’Asie ou d’ascendance autochtone. Le travail colonial de son département ne provoque également chez lui aucune forme de scrupules; il argue, en 1929, que ce que l’on prétend être, à l’époque, la « négligence de construire » des peuples autochtones justifie leur dépossession par les Européens. En outre, même lorsqu’il s’agit d’immigrants européens, il estime, à titre d’avertissement, qu’ils doivent provenir des « meilleurs types eugéniques ». (Voir aussi Eugénisme au Canada.)

Travail auprès des anciens combattants

En 1936, Robert England décide, contre toute attente, de quitter les chemins de fer. Il est alors embauché, en 1936‑1937, par l’Université de la Colombie‑Britannique comme directeur des services de vulgarisation et professeur agrégé d’économie. L’année suivante, il retourne à Winnipeg pour travailler comme conseiller économique à la Winnipeg Electric Company.

De 1940 jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, il occupe plusieurs postes temporaires dans la fonction publique, contribuant, plus précisément, à l’éducation et à la réadaptation des anciens combattants, tout d’abord auprès de la Légion Royal canadienne puis, ultérieurement, au sein de divers secteurs gouvernementaux. Combinant son travail quotidien avec des études universitaires plus larges, il publie de nombreux articles et deux livres sur le sujet : Discharged: A Commentary on the Civil Re‑Establishment of Veterans in Canada (1943) et, grâce à une bourse Guggenheim, en 1945‑1946, Twenty Million World War Veterans (1950). Il est cependant possible que son activité la plus prenante, au cours de cette période, ait été celle de chroniqueur au quotidien Winnipeg Free Press, pour lequel il rédige plus d’une centaine d’articles sur les enjeux touchant aux anciens combattants et répond à plus d’un millier de lettres envoyées par ces derniers au journal. En récompense de ses efforts visant à jeter les bases du programme de réinstallation civile du Canada, il reçoit un doctorat honorifique en droit de l’Université du Manitoba, en mai 1948.

Promotion de la citoyenneté

Le concept de citoyenneté est au cœur du travail éducatif de Robert England. Pour lui, la citoyenneté est plus un idéal qu’une catégorie d’appartenance; il s’agit d’une attitude qui s’exprime dans l’idée de civisme et de respect de l’intérêt public. En démocratie, la citoyenneté est pour lui une question de consentement, de préservation, de contribution et de coopération, le tout étant rendu possible par la courtoisie et peut‑être par un « trait de christianisme ». Il est cependant convaincu que la citoyenneté formelle a également un rôle important à jouer. Au début des années 1920, il propose d’accorder la citoyenneté aux immigrants qui sont en mesure de démontrer qu’ils sont alphabétisés et qui peuvent réussir un examen sur la nature et les origines des différents paliers de gouvernement du Canada. Il estime qu’ils devraient également, de préférence, effectuer des travaux de service, afin de démontrer qu’ils sont véritablement désireux d’obtenir la citoyenneté canadienne, suggérant qu’à l’issue de l’ensemble de ce processus, une cérémonie soit organisée, au cours de laquelle chaque nouveau citoyen recevrait un certificat de naturalisation signé par un représentant de la Couronne britannique (Voir aussi Citoyenneté canadienne.)

Robert England revient à ces idées pendant la Deuxième Guerre mondiale, siégeant, de 1942 à 1943, au Comité de coopération entre les citoyens canadiens, un groupe composé d’une dizaine de membres du public, réunis pour conseiller les ministères du gouvernement fédéral sur les questions relatives aux personnes appartenant aux groupes dont on dit alors qu’ils utilisent une « langue étrangère » au Canada. Cependant ce groupe se montre plutôt inefficace, à l’instar du Service des groupes ethniques, une entité administrative créée pour fournir un soutien en la matière au comité dans son ensemble.

En 1944, on confie à Robert England l’évaluation du Service des groupes ethniques, en lui demandant de formuler des recommandations quant à son avenir. Dans son rapport ultérieur, il suggère la transformation de cette organisation en une Division de la citoyenneté, qui pourrait, une fois constituée, mettre sur pied un programme de formation à la citoyenneté, lancer une cérémonie de citoyenneté et fournir une définition claire du citoyen canadien. Bien qu’on ne soit pas sûr que ce rapport ait été directement à l’origine de ces évolutions, comme au moins l’un de ses contacts l’a suggéré, plusieurs de ses espoirs se réalisent, en 1946, lorsque Paul Martin père annonce la Loi sur la citoyenneté canadienne. Ce nouveau texte, entré en vigueur le 1er janvier 1947, donne le coup d’envoi d’une semaine de célébration officielle de la citoyenneté dans tout le pays, commençant par une cérémonie nationale parrainée par la nouvelle Direction de la citoyenneté du secrétariat d’État.

Dans un acte final de citoyenneté empreinte du dévouement à l’intérêt public, Robert England fait don de son héritage à l’Université de la Colombie‑Britannique, avec pour instruction que les fonds soient utilisés pour favoriser ce qu’il appelle une « éducation désintéressée », précisant qu’il s’agit d’un apprentissage qui n’est ni spécifiquement consacré à l’obtention de crédits universitaires, de diplômes ou de grades, ni à l’acquisition d’un statut professionnel.