Site archéologique Bocabec
Les fouilles menées au site Bocabec par la Société d'histoire naturelle du Nouveau-Brunswick en 1883 marquent le début de recherches scientifiques systématiques sur les sites archéologiques où l'on retrouve des amas de coquillages au Canada. Le rapport initial sur l'excavation de ce site de pré-contact touche à des sujets qui demeurent toujours importants et controversés dans le domaine de l'archéologie préhistorique : documenter la stratigraphie et les changements culturels, déterminer les modes de subsistance et les schèmes d'établissement des autochtones, et comprendre leur architecture domestique et leurs modes d'utilisation de l'espace.
Les fouilles au site Bocabec sont menées et présentées par George F. Matthew, un résident à vie de Saint John au Nouveau-Brunswick et un historien naturel autodidacte qui se trouve alors à la tête de la Société d'histoire naturelle. Bien qu'il occupe des postes de la fonction publique au service des douanes de Saint John pendant la majeure partie de sa vie professionnelle, Matthew écrit environ 200 articles scientifiques portant principalement sur la géologie et la paléontologie, mais qui comprennent également six articles sur des sujets archéologiques. Parmi ces derniers, son article sur le site Bocabec, publié dans le Bulletin de la Société d'histoire naturelle du Nouveau-Brunswick en 1884, et réimprimé plusieurs fois depuis, reste le plus connu et le plus influent au Canada et aux États-Unis.
Le site Bocabec (parfois appelé le site de la Plage de Phil) est situé dans une crique faisant face au sud sur la côte orientale de l'estuaire de la rivière Bocabec dans la région de Quoddy, une partie du territoire traditionnel des Peskotomuhkatiyik (la Nation Passamaquoddy). Comme tous les sites archéologiques côtiers de la région, le site est toujours menacé par l'élévation des niveaux marins, et endommagé par l'érosion côtière. Au début des années 1880, le site s'étend sur environ 50 m le long du rivage et fait 40 m de large. Une partie du site située vers l'intérieur des terres a été perturbée par l'agriculture et par la construction de la « maison de Phil », qui est déjà en ruines en 1883. Du côté du rivage, là où le site n'a pas été perturbé, Matthew et ses collègues observent la présence d'environ 30 dépressions en « forme de soucoupe », qu'ils interprètent comme des fondations de « huttes » ou d'habitations autochtones. La fouille et l'étude de ces aménagements deviennent l'un des centres d'intérêt de Matthew.
L'architecture domestique
Les vestiges d'habitations identifiés par Matthew correspondent probablement aux fondations de wigmams préhistoriques, qui ressemblaient sans doute à ceux construits par les différents groupes algonquiens de l'Est (voir Autochtones : forêts de l'Est) au moment du contact avec les Européens. Ces habitations avaient un fond ovale et mesuraient environ trois mètres de diamètre au maximum. Leurs habitants formaient sans doute une charpente à l'aide d'une série de pôles, sur laquelle ils fixaient des feuilles d'écorce de bouleau ou des peaux afin de construite un abri résistant aux intempéries. Les données ethnohistoriques indiquent que la plupart des matériaux utilisés pour fabriquer les wigwams pouvaient être démontés et déplacés d'un site à l'autre afin d'être réutilisés.
Les habitants recouvraient le sol des maisons avec du gravier arrondi et propre provenant de la plage. Ils y étendaient probablement ensuite des branches ou des fourrures sur lesquelles ils dormaient. Près du centre, ils faisaient un feu pour cuisiner et se chauffer. Les données ethnohistoriques et archéologiques d'un autre site côtier de la Nouvelle-Écosse suggèrent que les Algonquiens de l'Est disposaient peut-être l'espace à l'intérieur de ces structures en fonction du sexe et de l'âge des habitants, les hommes et les femmes travaillant et dormant chacun sur les côtés opposés des habitations.
Les artefacts et les changements culturels
Les artefacts que Matthew et ses collègues récupèrent au site comprennent des fragments de céramique (des parties de vases en poterie dégraissée au sable ou au coquillage, décorés d'une variété de motifs distinctifs), des pointes de projectile taillées dans la pierre (pouvant être fixées à l'extrémité d'une lance ou d'une flèche), des grattoirs pour le travail du cuir, de l'écorce ou du bois, et des haches en pierre polie. Puisque les outils composés de matière organique se préservent généralement mal comparé à leurs homologues de pierre, il est difficile de savoir quels autres objets faisaient partie de l'outillage des habitants de Bocabec. Néanmoins, il est probable que ces derniers aient fait usage d'aiguilles en os et de poinçons pour accomplir différentes tâches, dont l'assemblage de revêtement pour les wigwams.
À la lumière de recherches archéologiques plus récentes, il est peu probable que, comme Matthew l'a suggéré, les aménagements à Bocabec représentent un « village ». En fait, ils seraient plutôt le résultat d'une série d'occupations par une ou quelques familles au cours d'une période donnée. Toutefois, Matthew s'est rendu compte que les artefacts provenant des couches antérieures (les plus profondes) au site Bocabec différaient dans les détails de ceux provenant des couches subséquentes. C'est pourquoi il a suggéré que le site aurait été occupé successivement par deux tribus ou races différentes. Bien que les archéologues modernes n'interprètent pas nécessairement les différences entre ces deux groupes d'objets en termes ethniques ou raciaux, une étude des artefacts provenant de Bocabec, menée près d'un siècle après les fouilles initiales, a démontré que les ancêtres des Peskotomuhkatiyik ont habité le site Bocabec au cours des périodes moyenne et tardive du Sylvicole des Maritimes, il y a de cela entre 2000 et 900 ans.
Les modes subsistance et les schèmes d'établissement
Matthew examine en détail les restes d'animaux préservés dans les amas coquilliers à Bocabec. Ces amas, composés principalement de Mya arenaria (Palourdes à coquille molle), aident les archéologues à reconstituer les activités des occupants du site, et plus particulièrement leur diète. Bien que nous ne connaissions pas précisément le contenu des amas de coquillages de la Plage de Phil, les amas coquilliers sur d'autres sites de la région de Quoddy indiquent que leurs occupants mangeaient de la viande de palourde, du phoque commun, du cerf, de l'orignal, du hareng, de la morue, des oiseaux migrateurs et d'autres animaux. Ils se nourrissaient sans doute également de plantes sauvages disponibles, mais leur présence est moins évidente dans le registre archéologique que les restes d'animaux. Matthew croit avoir identifié les « graines » carbonisées d'une plante graminiforme ainsi que les restes carbonisés de pois de mer (Lathyrus maritimus), mais ces espèces n'ont pas été répertoriées sur d'autres sites côtiers de la région et il est donc difficile de savoir si Matthew les a identifiées correctement.
Matthew utilise cette information sur la subsistance pour suggérer que les ancêtres des Peskotomuhkatiyik résidaient sur les rivages marins au cours des saisons froides et chaudes. Cette interprétation mènera, au cours de la seconde moitié du 20e siècle, à plusieurs décennies de recherches sur les tendances saisonnières et les schèmes d'établissement de la période de pré-contact, qui viendront corroborer l'interprétation de Matthew à propos du site Bocabec.