La Société Canadian Tire Limitée est l’une des chaînes de magasins les plus réputées du Canada. Fondée à Toronto par les frères John W. et Alfred J. Billes, la société débute en 1922 sous le nom d’Hamilton Tire and Garage. En 1927, ils enregistrent l’entreprise en la rebaptisant Société Canadian Tire Limitée. Aujourd’hui, le siège social est toujours à Toronto, et l’entreprise exploite un réseau de 1 711 magasins et stations d’essence qui s’étendent dans chaque province et territoire, à l’exception du Nunavut. Canadian Tire possède Mark’s Work Wearhouse, Helly Hansen et FGL Sports, notamment les chaînes de vente au détail Sport Chek, Atmosphere et Sports Experts. C’est une entreprise publique inscrite à la Bourse de Toronto sous le symbole CTC. En 2021, la Société Canadian Tire enregistre des revenus de 16,3 milliards et des profits de 1,26 milliard de dollars, et elle détient des actifs de 21,8 milliards de dollars.
Enregistrement de Canadian Tire en 1927
La Société Canadian Tire Limitée est fondée par John William (J.W.) et Alfred Jackson (A.J.) Billes en 1922, lorsque les deux frères achètent Hamilton Tire and Garage Ltd., située dans le quartier de Riverdale, à Toronto, pour 1 800 dollars. À l’époque, le marché de l’automobile est en pleine croissance. En 1927, c’est au Canada qu’on trouve le ratio du nombre de propriétaires de voitures par habitant le plus élevé du monde. Les frères doivent néanmoins faire face à un premier défi lorsque le pont de la rue Gerrard, qui enjambe la rivière Don près de l’endroit où se situe leur garage, à Toronto, ferme pour cause de réparation. Pour offrir un accès plus facile à leurs clients, les frères déménagent leur magasin au coin des rues Yonge et Gould en 1923. Ils y réparent principalement des véhicules Ford et Chevrolet et offrent une garantie inconditionnelle d’un an sur les pneus qui devient très populaire à une époque où les pneus éclatent souvent. L’importance des pneus pour leur commerce est officialisée lorsqu’ils enregistrent en 1927 leur société sous le nom de Société Canadian Tire Limitée. Alfred Billes se souviendra plus tard qu’ils ont choisi ce nom parce qu’il « sonnait grand ». L’aîné des deux frères, John Billes, assume le rôle de président tandis que son frère, Alfred, est vice-président.
Le choix du nom, Canadian Tire, et leur garantie très appréciée sur les pneus reflètent le sens aigu des Billes pour le marketing et la relation avec la clientèle. Ils s’efforcent de développer leur société conformément au caractère national de son nom en publiant en 1928 un catalogue de vente par correspondance. Le catalogue propose aux clients potentiels des cartes routières ainsi qu’une liste de prix. Les commandes parviennent surtout de clients qui habitent en Ontario et jusque dans les Maritimes. Les frères Billes placent dans leur magasin une multitude d’affiches portant des slogans et des images mémorables qui vantent leurs pneus « super-lastiques » qu’ils vendent à des prix battant généralement la concurrence. Ils achètent également des pièces de voiture auprès des fabricants qui fournissent Ford et GM et les revendent des prix inférieurs à ceux pratiqués par les grandes sociétés automobiles.
La spécialisation de Canadian Tire dans la maintenance par les particuliers est favorable à l’entreprise durant la Crise des années 1930. Les ventes de voitures neuves diminuent en effet durant cette période, les propriétaires cherchant de nouveaux moyens de prolonger la vie de leur véhicule. Le marketing de la société, qui met l’accent sur des prix bas tout en garantissant la qualité, entraîne une hausse des ventes. Les affaires marchent suffisamment bien pour que la société passe un contrat avec son premier concessionnaire, Walker Anderson, qui ouvre un magasin Canadian Tire à Hamilton en 1934. Le modèle de franchise de la société, qui est toujours utilisé aujourd’hui (sous la forme d’un contrat beaucoup plus détaillé et formel), permet aux revendeurs de mettre sur pied et de posséder des magasins Canadian Tire à condition d’acheter les produits fabriqués ou approuvés par Canadian Tire et de les revendre dans leur magasin. À l’époque, le propriétaire du magasin n’a pas à s’acquitter d’un quelconque droit de franchise, et l’entente lui accorde une grande liberté d’action. Les Billes parviennent ainsi à faire rentrer de l’argent en exploitant un réseau de revendeurs qui achètent leurs pneus, leurs pièces de voiture et autres produits tout en en faisant la promotion. Le succès de ce réseau pousse les dirigeants de l’entreprise à déménager le bureau de Toronto dans un grand édifice au coin de la rue Yonge et de la route Davenport (où se trouve encore de nos jours un magasin Canadian Tire). Les commis y deviennent réputés pour aller chercher les commandes des clients en patins à roulettes. Ce modèle de concessionnaires fonctionne très bien et en 1940, on dénombre déjà 105 magasins Canadian Tire disséminés en Ontario et dans l’est du Canada. La Deuxième Guerre mondiale interrompt brièvement la plupart des projets d’expansion, les matériaux vitaux que sont le caoutchouc et l’acier, dont a besoin la société, étant difficiles à se procurer.
Après-guerre
Vers la fin de la guerre, Canadian Tire s’organise pour s’étendre à nouveau. Pour y parvenir, la société entre en bourse en 1944, vendant 100 000 actions à dix dollars l’unité. Peu après cette entrée en bourse, Alfred Billes met au point un régime de participation des employés de Canadian Tire aux bénéfices de la société, qu’il lance en 1946. Ce plan prévoit que la société convertisse 10 % des revenus des employés en actions de l’entreprise, qui peuvent être revendues dix ans plus tard où lors du départ à la retraite du salarié, qui peut ainsi engranger un profit considérable. Le désir d’Alfred Billes de promouvoir la loyauté des employés est à l’origine de ce modèle, qui est installé aux dépens de la syndicalisation. L’hostilité d’Alfred Billes à l’égard des syndicats devient d’ailleurs évidente lorsqu’il s’oppose à un projet d’expansion en Australie, un pays qu’il considère comme trop syndiqué.
Après la guerre, Canadian Tire commence à se diversifier au-delà des pièces détachées pour automobiles et s’investit dans les articles de camping et de loisirs en plein air. Tout comme ils avaient su surfer sur un marché de l’automobile en pleine expansion, les frères Billes parviennent à aligner leurs activités sur ce nouveau créneau des fournitures pour le plein air et le camping qui offre de nombreuses possibilités. Les visites dans les parcs nationaux sont en effet passées de 500 000 à 5,5 millions entre 1940 et 1960 et la popularité des activités de loisir dans les jardins, telles que la cuisson au barbecue, croît au fur et à mesure que les banlieues s’étendent. La société continue à enregistrer des rendements élevés et la demande pour ses produits motive la construction, en 1956, d’un nouvel entrepôt de 20 900 m2 dans le nord de Toronto. L’année suivante, la société publie son premier catalogue en français, une initiative qui reflète son expansion géographique.
Durant cette période de croissance, le cofondateur et premier président de la société, John Billes, meurt en 1956 de complications de l’anémie pernicieuse. On évalue à l’époque ses biens à approximativement 6,2 millions de dollars. Au moment de sa mort, on compte 150 magasins appartenant à des revendeurs répartis de l’Ontario aux provinces de l’Atlantique. Dans son testament, il lègue la grande majorité de ses actions à droit de vote à des fiducies au profit d’organismes de bienfaisance et de l’Université de Toronto. Cette décision, qui se traduit par le retrait de plusieurs actions du marché, fait qu’il est dorénavant difficile pour Alfred Billes ou le fils de John de posséder une part suffisante des actions de la société pour en avoir le contrôle. Ce testament et un projet de succession confus contribueront à éloigner encore plus l’une de l’autre les familles d’Alfred et de John Billes. Alfred Billes succède à son frère au poste de président, mais des tensions au sein du conseil d’administration de la société persistent jusqu’au départ de Dick, en 1959, à la suite d’un différend concernant l’option de laisser ouverts les magasins Canadian Tire le lendemain de Noël. Trois mois plus tard, Dick essaiera en vain d’obtenir le soutien du conseil d’administration pour se débarrasser d’Alfred Billes.
Malgré ces troubles, Alfred Billes continue d’aller de l’avant en 1958 avec un projet ambitieux consistant à ouvrir des postes d’essence sur divers sites de Canadian Tire. L’initiative est audacieuse, puisque plusieurs sociétés telles qu’Imperial Oil exercent une concurrence sans merci dans le secteur et ont récemment engrangé de somptueux bénéfices grâce à la découverte de gisements de pétrole en Alberta. Pour bien se positionner vis-à-vis de ces concurrents, toujours en 1958, Canadian Tire commence à émettre des « billets » qui permettent aux clients des pompes à essence d’obtenir un rabais sur les produits vendus en magasin. En 1961, la société charge la British American Bank Note Company, qui imprime déjà les billets de banque officiels du gouvernement canadien, d’imprimer les billets de Canadian Tire, qui deviennent du coup très attirants. Les concessionnaires s’opposent au début à cette idée, craignant qu’elle se traduise par une chute de leurs profits. La popularité de cette monnaie auprès des clients vient cependant vite à bout de leur inquiétude. Selon les récits qui décrivent l’histoire de la société, cette idée de marketing revient à Muriel Billes (l’épouse d’Alfred Billes). Des divisions au sein de la famille Billes feront néanmoins que l’origine de l’idée restera disputée à l’interne.
Nouveau président : Dean Muncaster
Une fois son emprise consolidée en tant que président de l’entreprise qu’il avait cofondée, Alfred Billes commence à penser à sa succession. Il offre le contrôle direct du magasin phare de Canadian Tire au coin de Yonge et Davenport à son fils aîné, Fred, mais il commence également à chercher un nouveau dirigeant à l’extérieur de la famille. En 1964, les médecins d’Alfred Billes insistent pour qu’il démissionne de son poste de président, sa charge de travail continuelle pesant sur sa santé alors qu’il est dans sa 62e année. En accord avec le conseil d’administration, il choisit finalement Joseph Dean Muncaster, qui présente plusieurs atouts : son père était concessionnaire du Canadian Tire de Sudbury, un magasin qui a réussi; il fait partie d’une nouvelle génération de gestionnaires dotés d’un M.B.A.; et il travaille au siège social de Canadian Tire depuis qu’il a 24 ans. Pour préparer la transition, Dean Muncaster est promu vice-président en 1963. Il est officiellement nommé président en 1966.
Dean Muncaster lancera trois initiatives clés. En premier lieu, il modernise la structure de gestion de la société en créant plusieurs nouveaux postes de gestionnaires. L’époque où l’on pouvait devenir concessionnaire et acquérir un magasin Canadian Tire par une simple poignée de main et une promesse d’acheter les produits Canadian Tire est révolue. Dean Muncaster s’intéresse en deuxième lieu à l’Ouest, car Canadian Tire n’est pas présent à l’ouest de l’Ontario. À la fin de 1966, la compagnie a déjà ouvert un magasin à Winnipeg. Il supervise également l’amélioration des capacités d’entreposage et d’expédition de la société, ce qui permet à la firme d’investir le secteur de la décoration d’intérieur. En dernier lieu, il achète l’un des premiers systèmes informatiques commercialisés au Canada par IBM pour faciliter et simplifier la gestion de l’inventaire dans cette entreprise en pleine croissance. Ces initiatives contribuent à centraliser le contrôle des concessionnaires. L’équipe de gestion de Dean Muncaster se montre prête à relever de leurs fonctions les concessionnaires qui n’obtiennent pas les résultats escomptés par le nouveau système d’évaluation informatique. Des contrôles sont par ailleurs mis en œuvre pour vérifier que la rotation des produits est conforme aux attentes.
L’expansion ainsi mise en œuvre par Dean Muncaster se révèle dans l’ensemble un succès. Les profits passent de 3,6 millions de dollars à son arrivée en 1966 à 25 millions de dollars en 1975. En 1980, les 333 magasins de Canadian Tire sont distribués jusqu’en Colombie-Britannique. Tout ne va pas cependant si bien durant les années 1970, lorsque les taux d’inflation et de chômage sont élevés. En 1977, lorsque la société fait état de la plus mauvaise année de son histoire, les préoccupations concernant une surproduction et une expansion excessive s’intensifient.
Différends sur la propriété
Durant les années 1980, les différends de longue date entre les membres de la famille Billes refont surface. En 1980, Alfred Billes démissionne du conseil d’administration de la société à la mort de sa femme et y nomme sa fille Martha. Des fractures commencent aussi à apparaître entre la famille Billes et Dean Muncaster, en particulier au sujet des projets d’expansion de celui-ci en Australie, du désir d’Alfred Billes d’étendre encore plus la participation des employés aux bénéfices, et d’une stagnation du rendement des investissements. La situation devient encore plus compliquée lorsque les divers organismes de bienfaisance qui détiennent les actions en fiducie héritées de John Billes en 1956 décident de les vendre. Imasco, la société appartenant à British American Tobacco qui possède Shoppers Drug Mart, propose immédiatement d’acheter toutes les actions de Canadian Tire pour 1,1 milliard de dollars. Imasco est encouragée par l’intérêt que portent Dean Muncaster et l’équipe de gestion de Canadian Tire à son projet, mais Alfred Billes et ses enfants lui résistent obstinément. La férocité de la résistance familiale pousse finalement Imasco à retirer sa proposition, affaiblissant encore plus la position de Dean Muncaster. Après le retrait d’Imasco, les trois enfants d’Alfred Billes – Martha, Fred et David – remportent l’achat des actions de la fiducie caritative. Ils possèdent donc maintenant 60,9 % des actions à droit de vote. Après l’achat largement déficitaire de la chaîne de vente au détail texane Whites, Dean Muncaster est démis de ses fonctions de président en 1984. Dean Groussman le remplace et devient le premier président américain de la société.
L’incertitude persiste néanmoins quant à la propriété de la société, car Martha, Fred et David Billes, dont les relations sont réputées tumultueuses, continuent de manœuvrer pour obtenir le contrôle des actions de la société. Les concessionnaires cherchent également à augmenter leurs pouvoirs. En 1986, un front uni de 361 concessionnaires offre aux frères et à la sœur 160 dollars par action à droit de vote, soit quatre fois leur valeur en bourse. Si leur proposition est acceptée, les concessionnaires posséderont une majorité des actions de la société. La proposition attire l’attention de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) qui fait valoir qu’elle ne tient pas compte des intérêts des détenteurs d’actions sans droit de vote qui ne bénéficieront pas du prix élevé des actions à droit de vote. Cette affaire dresse Fred et David, qui veulent vendre, contre Martha, qui ne veut pas. Après que la CVMO a invalidé la proposition des concessionnaires, les frères et la sœur portent leur différend devant les tribunaux. Finalement, en octobre 1989, une entente est conclue entre les deux frères, la sœur et les concessionnaires suivant laquelle aucune des parties ne peut vendre un nombre d’actions qui menacerait leur position majoritaire sans en informer au préalable les autres parties et en leur offrant la possibilité de faire une offre en premier.
Malgré ces différends très médiatisés sur la propriété, la société commence à se rétablir après les difficultés résultant de l’acquisition de Whites. Ses dirigeants lancent plusieurs campagnes de publicité réussies et en 1986, ils déclarent des bénéfices. En 1997, les différends au sein de la famille Billes prennent fin lorsque Martha Billes achète les parts de ses deux frères.
21e siècle
La société Canadian Tire a fait l’objet de plusieurs initiatives visant à la maintenir concurrentielle, en particulier face à l’expansion de chaînes américaines telles que Walmart et Home Depot et la concurrence accrue provenant des services de vente au détail en ligne. Les dirigeants ont uniformisé l’agencement des magasins Canadian Tire, avec des sections clairement séparées et des kiosques d’information. En 2001, Canadian Tire absorbe la société Mark’s Work Wearhouse, basée à Calgary, lors d’une fusion amicale, une acquisition qui lui permet de diversifier sa position sur le marché. Forte de son expérience découlant de l’émission des billets Canadian Tire, la société étend son pôle de services financiers en lançant en 2003 la Banque Canadian Tire. Cette banque est principalement conçue pour commercialiser une carte de crédit liée à l’argent Canadian Tire. Pour capturer une plus grande fraction de la clientèle jeune, Canadian Tire achète Forzani Group (propriétaire de Sport Chek et d’autres magasins de sport) en 2011. La société a également continué à élargir sa gamme de produits et de marques, faisant notamment l’acquisition de la marque norvégienne de vêtements de sport Helly Hansen en 2018. Cherchant à élargir son marché auprès de la génération Y, elle rachète les magasins canadiens Party City en 2019. (Voir aussi Milléniaux au Canada.)
Ces dernières années, Canadian Tire a mis l’accent sur sa boutique en ligne, rappelant les racines de son catalogue qui l’ont fait voyager de Toronto à travers tout le pays. En 2021, Canadian Tire enregistre 2,1 milliards de ventes en commerce électronique.
Depusi 2020, le PDG de Canadian Tire est Greg Hicks, qui auparavant a dirigé la branche de vente au détail de Canadian Tire.