Présent depuis l’arrivée des colons français en Acadie, le théâtre participe à la modernité artistique des années 1970. Malgré son évolution vers une pratique professionnelle, il demeure une activité communautaire, une pratique vivante plutôt que littéraire contribuant à l’essor de la dramaturgie authentiquement acadienne.
Théâtre acadien avant la professionnalisation
C’est en novembre 1606 à Port-Royal, en Acadie, qu’est jouée la première pièce de théâtre en français en Amérique du Nord : Le Théâtre de Neptune, de l’auteur européen Marc Lescarbot. Le premier auteur dramatique acadien est cependant Pascal Poirier, qui écrit Les Acadiens à Philadelphie en 1875. Les profits tirés des représentations de cette pièce viennent en aide aux Acadiens incarcérés après les émeutes de Caraquet sur le financement provincial des écoles catholiques (voir Question des écoles du Nouveau-Brunswick).
L’ouverture de collèges classiques, vers la fin du XIXe siècle, permet l’implantation d’une pratique théâtrale en Acadie. On y monte des pièces de répertoire, de même que quelques créations de prêtres et éducateurs comme Alexandre Braud et Jean-Baptiste Jégo. La production théâtrale de la première moitié du XXe siècle est dominée par James Branch, qui signe six textes (dont deux en anglais). Les pièces de cette période sont des drames à saveur nationaliste inspirés d’éléments de l’histoire acadienne.
Théâtre professionnel : émergence et consolidation (1960-1990)
À la fin des années 1950 et au début des années 1960, le milieu théâtral acadien connaît une plus grande vitalité grâce, d’une part, à la création de troupes de théâtre à l’extérieur des institutions collégiales, comme le Théâtre Notre-Dame de Grâce de Laurie Henri, et, d’autre part, à la mise en scène au Collège Notre-Dame d’Acadie, en 1957, de la première pièce d’Antonine Maillet, Entr’acte.
Les années 1970 à 1980 voient se concrétiser l’impact de ces évènements. Troupe amateure de Moncton, Les Feux-Châlins (1969-1976) collectionne les créations marquantes : d’abord, en 1971, La Sagouine d’Antonine Maillet, mise en scène par Eugène Gallant et interprétée par Viola Léger, puis, en 1974, Tête d’eau, première pièce de l’auteur, dramaturge et metteur en scène Laval Goupil. Le Théâtre populaire d’Acadie, fondé à Caraquet en 1974 par Réjean Poirier, produit la deuxième pièce de Goupil, Le Djibou, en 1975, de même que des pièces de Jules Boudreau comme Louis Mailloux (écrite avec Calixte Duguay) en 1975 et Cochu et le soleil en 1977. Le Théâtre Notre-Dame de Grâce, devenu le Théâtre amateur de Moncton (1969-1980), présente aussi quelques œuvres d’auteurs acadiens, dont l’importante pièce Les Crasseux, d’Antonine Maillet, dans une mise en scène de Jean-Claude Marcus, en 1977.
Marcus est professeur au Département d’art dramatique de la récente Université de Moncton, où sont désormais formés une bonne partie des artistes de théâtre acadiens. En 1977-1978, la première cohorte de finissants du Département fonde la Coopérative de théâtre l’Escaouette, qui se distingue d’abord pour ses tournées dans les régions, ses créations collectives, son public jeunesse et son désir de délaisser le folklore associé à l’Acadie. Avec Herménégilde Chiasson comme dramaturge principal, l’Escaouette s’impose graduellement pendant les années 1980 et 1990. La troupe tente de constituer un répertoire acadien, notamment en produisant une trilogie sur l’histoire acadienne : Histoire en histoire (1979-1980) et Renaissances au pluriel (1984-1985) de Chiasson, ainsi que Les sentiers de l’espoir (1983-1984) de Gérald Leblanc.
Théâtre professionnel : crise et effervescence (1990-2010)
Après des années d’incertitude économique, le Théâtre populaire d’Acadie (T.P.A.) et le théâtre l’Escaouette s’institutionnalisent. Le T.P.A. devient gestionnaire d’une nouvelle salle de spectacle à la suite d’un incendie au Vieux couvent de Caraquet en 1992. Il y monte et y accueille des pièces du répertoire acadien, québécois et international, en plus d’y présenter quelques coproductions avec l’Escaouette, comme la comédie à succès Laurie ou la vie de galerie (1997) d’Herménégilde Chiasson.
Chiasson écrit au cours des années 1990 de nombreuses pièces pour un théâtre l’Escaouette qui se professionnalise; citons notamment la trilogie identitaire composée de L’exil d’Alexa (1993), La vie est un rêve (1994) et Aliénor (1997). Exception à la règle dans un corpus théâtral largement inédit, deux de ces pièces sont publiées, chez Perce-Neige et aux Éditions d’Acadie. Outre Antonine Maillet, qui publie chez Leméac, quelques auteurs acadiens publient également chez Michel Henri au cours des années 1980 et aux Éditions La Grande Marée durant les années 1990. Les années 2000 et 2010 constituent à cet égard un boom, de nouveaux dramaturges étant publiés chez l’éditeur franco-ontarien Prise de parole (Mélanie Léger, Marcel-Romain Thériault, Anne-Marie White) et la maison belge Lansman Éditeur (Emma Haché).
Par ailleurs, s’appuyant sur une recherche formelle plus que textuelle, quelques artistes se regroupent en 1996 pour mener des expérimentations théâtrales collectives. Louise Lemieux et ses élèves diplômés Lynne Surette, Philip André Colette, Amélie Gosselin et Karène Chiasson sont au centre des activités de Moncton Sable, un collectif innovateur qui monte également des spectacles en collaboration avec France Daigle, Paul Bossé et quelques autres auteurs. Plusieurs petites compagnies prolifèrent : le Théâtre Alacenne, cofondé par Anika Lirette et Mélanie Léger, travaille avec les marionnettes; Satellite Théâtre, animé principalement par Mathieu Chouinard et Marc-André Charron, propose un théâtre physique et corporel.
Cette période voit la mise en place d’un festival de lecture de pièces à différents stades d’écriture, le Festival à haute voix, organisé par l’Escaouette pour stimuler la dramaturgie acadienne. Une des participantes, Emma Haché, reçoit le Prix littéraire du Gouverneur général du Canada en 2004 pour sa pièce L’intimité. Grâce à des coproductions et à des évènements de diffusion comme la biennale Zones théâtrales, la circulation du théâtre acadien augmente également pendant cette période.
Pratiques théâtrales continues
Le théâtre communautaire a une longue tradition en Acadie, remontant aux séances paroissiales du XIXe siècle et aux troupes amatrices issues des institutions d’enseignement supérieur au milieu du XXe siècle. Au Nouveau-Brunswick, qui compte une vingtaine de troupes de théâtre communautaire, cette pratique est encadrée depuis 1999 par le Festival de théâtre communautaire en Acadie. L’événement populaire est organisé chaque année par un chapitre régional différent du Conseil provincial des sociétés culturelles.
À la Baie Sainte-Marie, en Nouvelle-Écosse, la troupe Les Araignées du Boui-Boui fondée par Jean-Douglas Comeau en 1971 a été reconnue à l’échelle nationale et internationale, notamment pour ses adaptations de pièces de répertoire à la réalité néo-écossaise. Plusieurs artistes acadiens néo-écossais, dont la poète Georgette LeBlanc, y ont fait leurs premières armes avec Normand Godin, professeur à l’Université Sainte-Anne, qui l’a dirigée pendant une vingtaine d’années. À l’Île-du-Prince-Édouard dans les années 1980 et 1990, la troupe La Cuisine à Mémé offre tous les étés un souper-spectacle fort populaire. Si la première de ces institutions est aujourd’hui peu active et que la deuxième a suspendu ses activités, elles ont toutes deux marqué les communautés acadiennes de leur province, où le théâtre communautaire se poursuit sous d’autres formes grâce à des initiatives individuelles et à des troupes comme le Théâtre du Soleil Oublié (Î.-P.-É.).
Le théâtre scolaire est présent en Acadie, selon l’intérêt des différentes écoles. Au Nouveau-Brunswick, le Théâtre populaire d’Acadie organise depuis 1998 le Festival de théâtre jeunesse en Acadie, qui offre aux élèves une occasion de se frotter aux infrastructures du théâtre professionnel.
Spectateurs de productions communautaires et professionnelles se confondent, car le théâtre contribue sous toutes ses formes au dynamisme culturel de l’Acadie. À cet égard, même le développement de l’activité théâtrale comme pratique artistique moderne participe à l’histoire culturelle des communautés acadiennes.
Voir également Littérature acadienne et Acadie contemporaine.