Travail, relations de
Les relations du travail sont celles qui existent entre les employeurs et les employés. Elles sont touchées par un certain nombre de facteurs, dont les syndicats, la négotiation collective, le marché du travail, la politique gouvernementale, la structure de l'économie, le droit du travail et les changements technologiques. Comme elles sont en général liées aux activités syndicales, il importe de mentionner que, au Canada, jusque dans les années 70, la majorité des syndicats et des syndiqués appartenaient à des syndicats industriels et de métier américains.
Les employeurs américains jouent aussi un rôle important : il existe au Canada plus de 4000 usines auxiliaires et filiales de sociétés américaines. En décembre 1987, Statistique Canada estime que les syndicats d'origine américaine retirent de leurs membres canadiens 56,5 millions de dollars de plus qu'ils n'avaient dépensé au Canada en 1985. Au cours du XXe siècle, les relations de travail au Canada et aux États-Unis se ressemblent considérablement. Un sondage amorcé en 1959 et mené dans 15 pays pendant plus de 15 ans décrit les deux systèmes comme formant « un système unique ».
Selon certains observateurs, la caractéristique dominante des relations industrielles en Amérique du Nord est la fréquence étonnamment élevée des grèves (voir grèves et lock-out). Des études révèlent aussi que la fréquence des actes violents et illégaux perpétrés durant les conflits de travail est beaucoup plus élevée aux États-Unis et au Canada que dans les autres pays industrialisés comparables, une caractéristique attribuée à quelques facteurs politiques et institutionnels que le Canada partage avec les États-Unis jusque dans les années 60.
Ces facteurs comprennent, entre autres, le phénomène relativement récent de la « syndicalisation en bloc » à grande échelle, les résidus substantiels de la tension et de l'hostilité mutuelle découlant de l'opposition généralisée, prolongée et souvent violente des employeurs envers les syndicats, les rivalités intenses entre les syndicats concernant l'organisation et le leadership, la structure très décentralisée de l'organisation syndicale et de la négociation collective dans la plupart des industries et l'absence d'un parti ouvrier fort ou dominant, capable de saisir le pouvoir à l'échelle nationale.
Toutefois, en dépit de ces grandes similarités, les relations du travail au Canada se distinguent de celles des États-Unis à certains égards importants, et ces différences se sont, semble-t-il, accentuées au cours des dernières années. Par exemple, jusqu'à la fin des années 50, la fréquence des grèves au Canada est bien en deçà de celle notée aux États-Unis. Le Canada est en effet alors moins industrialisé et le taux de syndicalisation y est plus faible. Cependant, durant et après la Deuxième Guerre mondiale, il traverse une période d'industrialisation rapide et de croissance syndicale. Vers le milieu des années 50, le pourcentage des travailleurs non agricoles syndiqués rejoint pratiquement celui des États-Unis. Puis, à la fin des années 60 et au cours des années 70, survient une autre vague, avec l'essor des syndicats du secteur public. En 1987, 37,6 p. 100 des travailleurs non agricoles du Canada sont syndiqués, contre moins de 20 p. 100 aux États-Unis.
La force relative des syndicats au Canada est aussi affectée par les divisions culturelles et ethniques entre travailleurs, surtout par l'immense fossé séparant les francophones et les anglophones et illustré par la formation au Québec de la Confédération des Syndicats Nationaux, un organisme francophone distinct. Des divisions prononcées d'ordre géographique et politique nuisent aussi à l'efficacité de la syndicalisation et opposent dans bien des cas les intérêts des travailleurs d'une région à ceux des travailleurs d'une autre région. Par exemple, les intérêts des travailleurs des abattoirs de l'industrie alimentaire de l'Est du Canada sont souvent en conflit avec ceux de leurs homologues de l'Ouest, surtout en matière de transport, de commerce international et de subventions gouvernementales.
Sur le plan politique, le mouvement syndical se trouve divisé depuis le début du siècle, époque où le Congrès des Métiers ET du Travail, appuyé par l'American Federation of Labor, expulse les Chevaliers du Travail, une organisation militante. L'intensité des conflits découlant d'idéologies, de programmes et d'objectifs organisationnels contradictoires s'atténue avec la formation du Congrès du Travail de Canada (CTC) en 1956. Depuis lors, un élan vers l'autonomie nationale pousse beaucoup de syndicats à se dissocier des organisations traditionnelles dirigées par les Américains. Certains se joignent au CTC et d'autres à la Confédération des syndicats nationaux. L'intervention du gouvernement est un autre facteur qui influence de plus en plus les relations du travail.
Depuis l'introduction par le sous-ministre fédéral W.L. Mackenzie Kingde la Loi des enquêtes en matière de différends industriels en 1907 pour ralentir les bouillants mineurs de charbon de l'Ouest, le gouvernement du Canada prend les mesures nécessaires au maintien de l'ordre public et à la protection de la propriété des employeurs et de leur marge de manoeuvre plutôt que de protéger les droits des employés à la syndicalisation et à la négociation collective. Cette tendance s'est traduite dans le passé par le recours expéditif à une intervention forcée, comme l'adoption de lois imposant le retour au travail et l'arbitrage exécutoire pour régler les conflits.
En ce qui concerne les employeurs, la situation au Canada diffère de celle des États-Unis du fait que les employeurs dans la majorité des principales industries canadiennes sont relativement grands et concentrés dans leurs marchés respectifs, qu'il s'agisse de ceux du travail ou des produits. En outre, ils jouissent pendant les premières décennies de syndicalisation d'un pouvoir de négociation relativement fort par rapport aux syndicats. Dans les filiales de compagnies américaines, leur pouvoir se renforce, car la liberté qu'ils ont d'investir à leur gré et de se déplacer géographiquement leur donne un certain avantage dans leurs relations avec les syndicats.
Durant et après la Deuxième Guerre mondiale, les relations du travail changent de façon drastique, les situations respectives du Canada et des États-Unis se trouvant, à certains égards, inversées. L'organisation syndicale et la taille des effectifs connaissent au Canada un essor plus rapide qu'aux États-Unis et, depuis déjà plusieurs années, les travailleurs syndiqués y forment une proportion considérablement plus grande de la population active. Depuis les années 50, la fréquence des conflits industriels monte aussi beaucoup plus rapidement au Canada qu'aux États-Unis et elle se maintient à un niveau nettement supérieur pendant plus de 20 ans. Du milieu des années 60 au milieu des années 80, les vagues de conflits industriels grimpent en flèche, mais sont très désordonnées et irrégulières. Elles atteignent des sommets sans précédent pour ce qui est du nombre de grèves, de grévistes et de journées-personnes perdues en 1965, 1966, 1968, 1972, 1974, 1975, 1976 (le record de tous les temps), 1980 et 1981.
Au cours de cette période, le Canada partage avec l'Italie la caractéristique peu flatteuse de détenir le record mondial d'heures perdues par 1000 travailleurs, les États-Unis se trouvant au troisième rang, loin derrière. Les actes illégaux et violents que provoquent ces conflits de travail prennent aussi de l'ampleur au Canada durant cette période, surtout en Ontario et au Québec. Ce scénario rappelle l'époque d'avant 1940. Par conséquent, en réponse à l'émergence de puissants syndicats dans le secteur public, les gouvernements canadiens restreignent sensiblement les activités des syndicats, interdisant par exemple la grève dans les services essentiels. En 1975, le gouvernement fédéral impose une politique de revenus obligatoires qu'administre la commission de luttle contre l'inflation. S'ensuit le programme des « six et cinq » au début des années 80, sans compter les diverses politiques relatives aux balises salariales imposées par les gouvernements provinciaux.
Les relations du travail sont aussi touchées par la structure de l'économie canadienne. Au cours des années 60 et 70, la population active du Canada connaît un essor plus rapide que dans tout autre pays industrialisé. Cette croissance va de pair avec, et dépend d'un taux d'investissement anormalement élevé, particulièrement de la part de sociétés américaines. L'expansion économique de l'après-guerre crée toutefois une économie largement tributaire de l'extraction et de l'exportation des matières premières, qui sont très sensibles aux cycles d'expansion et de ralentissement.
Dans l'ensemble, les gouvernements canadiens n'ont pas mis en place des mesures favorisant la stabilité à long terme ou la planification économique, en partie parce que la très grande décentralisation du système de gouvernement fédéral ne le leur permet pas, en partie à cause de la tradition. Par conséquent, l'instabilité, l'inflation et le chômage contribuent tous à instaurer une précarité semblable dans les relations du travail. La concentration des grèves dans les industries sensibles aux cycles économiques semble indiquer l'existence d'un rapport étroit entre l'instabilité économique et les conflits industriels.
Au cours des 20 dernières années, seulement six industries, employant moins de 15 p. 100 de la main-d'oeuvre, comptent pour plus de 50 p. 100 de toutes les journées-personnes perdues et pour plus de 66 p. 100 du nombre de grèves exceptionnellement importantes et longues. Par ordre d'importance, ces industries sont celles de la construction, de l'extraction minière et de la fusion (surtout du nickel), ainsi que, dans le secteur de la fabrication, celles du matériel de transport (surtout l'automobile), de la métallurgie (surtout le fer et l'acier) et de la transformation du bois (surtout le bois de sciage et les pâtes et papiers).
Un corollaire de la croissance rapide mais instable de l'économie est le problème des disparités salariales, un des enjeux particulièrement provocateurs dans les conflits de travail. Au Canada, plus que dans tout autre pays industrialisé, ces disparités ont tendance, en période d'expansion rapide, à s'accroître dans l'ensemble de la structure salariale. Cette situation est attribuable surtout aux différents taux de croissance et de rentabilité parmi les industries et les régions ainsi qu'aux vastes différences de pouvoir de négociation entre les syndicats.
En raison de la très grande décentralisation du mouvement syndical canadien, la négociation collective se tient à l'échelle locale et est très concurrentielle. Au moins les trois quarts des conventions collectives sont négociées avec des employeurs particuliers. Les négociations mettant en jeu plusieurs employeurs se déroulent habituellement à l'échelle locale ou du district. Les différences de salaires et d'avantages sociaux qui en résultent empêchent les syndicats de réaliser leur objectif général d'égalité entre les travailleurs et ont tendance à provoquer des conflits généralisés.
Le phénomène des fluctuations de la croissance économique au cours des années 60 et au début des années 70 touche particulièrement le secteur public, en partie parce que l'on assiste, en vertu des lois du travail adoptées après la guerre, à l'intervention progressive du gouvernement à tous les paliers de la procédure de règlement des grèves et des conflits survenant dans d'autres industries. La responsabilité (sous-entendue) des gouvernements dans l'amélioration des salaires et des avantages réalisés dans le secteur privé et l'écart salarial entre les divers secteurs public et parapublic entraînent la création de syndicats militants, l'adoption de nouvelles lois prévoyant l'accréditation syndicale et la négociation collective, ainsi que le déclenchement de grèves générales et longues chez les fonctionnaires.
Le début d'une grave récession et la hausse du chômage dans les années 80 affaiblissent considérablement le pouvoir de négociation des syndicats. Toutefois, les nouvelles exigences et politiques mises en place par divers employeurs des secteurs public et privé sont considérées comme des menaces sérieuses à l'emploi et à la sécurité syndicale. Ainsi, à partir du milieu des années 80 jusqu'à la fin de cette décennie, elles provoquent de nombreux incidents violents sur les lignes de piquetage de même que des blessures et des arrestations à l'occasion de conflits de travail.
Une récession encore plus grave afflige le Canada au début des années 90. La reprise qui s'ensuit se caractérise par la présence d'une concurrence redoublée à l'échelle mondiale pour l'industrie canadienne, par le déplacement accru de la main-d'oeuvre en raison des changements technologiques ou de « l'automatisation », ainsi que par une « rationalisation » généralisée menée par les gouvernements fédéral et provinciaux et par de grands employeurs du secteur privé. Ces tendances maintiennent le taux de chômage dans les deux chiffres et affaiblissent beaucoup le mouvement syndical dans tout le pays. En effet, les syndicats du secteur public et du secteur privé se voient forcés de faire des concessions substantielles aux chapitres des salaires, des heures de travail et de la sécurité d'emploi.