Éditorial

A Place to Happen

L'article suivant est un éditorial rédigé par le personnel de l'Encyclopédie canadienne. Ces articles ne sont pas généralement mis à jour.

On dit parfois que les Canadiens ne célèbrent pas leur histoire, ou qu’ils ne racontent pas leurs mythes et légendes. Notre histoire est jalonnée de moments importants jugés « too small to be tragic » (« trop petits pour être tragiques »), pour citer les paroles chantées par Gord Downie, de The Tragically Hip.

Ou, du moins, c’est ce que les gens avaient l’habitude de dire, avant l’arrivée de Downie et de son groupe révolutionnaire. Il est vrai que plusieurs autres auteurs-compositeurs-interprètes se consacraient déjà depuis longtemps à raconter l’histoire du Canada aux Canadiens. Stompin’ Tom ConnorsStan Rogers. Toutefois, ceux-ci jouaient surtout le rôle de personnages emblématiques – et quelque peu marginaux – animés d’une passion viscérale pour leur pays, venant ajouter une touche canadienne aux chansons entendues à la radio, pour la plupart américaines.

Pendant plusieurs décennies, pour connaître le succès en tant que musicien canadien anglophone, il fallait percer aux États-Unis, ce qui revenait généralement à se conformer aux goûts très homogènes du marché américain de la musique populaire. L’arrivée de The Tragically Hip change tout cela. Leurs morceaux ne se contentent pas de raconter des histoires canadiennes : ils le font en adoptant un ton unique et non conventionnel, tout en nuances cryptiques rarement entendues sur les ondes américaines. Le groupe vend pourtant plus d’albums au Canada que U2 ou les Beatles.

Voici quelques histoires vraies tirées des chansons de The Tragically Hip – dont les thèmes vont des héros du hockey aux artistes les plus obscurs, en passant par des affaires judiciaires à grande couverture médiatique –, histoires qui vaudront au groupe d’être surnommé « groupe le plus canadien au monde » par la BBC. Une grande partie de l’information compilée ici est une gracieuseté de Stephen Dame et A Museum After Dark : The Myth and Mystery of The Tragically Hip.)

« Le Pin » (peinture)
« Well, Tom Thomson came paddling past / I'm pretty sure it was him / And he spoke so softly in accordance / To the growing of the dim »

« Three Pistols » (Road Apples, 1991)

Tom Thomson


Bien que certains croient que le titre énigmatique de cette chanson fasse allusion à Trois-Pistoles , ville du Québec, « Three Pistols » raconte plutôt la légende de Tom Thomson, artiste canadien comptant parmi les plus influents et populaires de tous les temps. Le travail de Thomson sert en effet de modèle pour le Groupe des sept. Les circonstances entourant sa mort dans le parc Algonquin en 1917 donneront lieu à de nombreux mythes et mystères au cours du siècle qui suivra.

La chanson évoque à plusieurs reprises la fiancée de Thomson, Winnie Trainor, son « bride of the northern woods » (« épouse des forêts nordiques ») qui vivait dans un chalet sur le lac Canoe, non loin de l’endroit où Thomson aurait été enterré. Celle-ci se rendait régulièrement là-bas et, chaque fois qu’elle y trouvait des fleurs laissées là par des campeurs endeuillés ou des pèlerins pleins d’admiration, elle les poussait d’un coup de balai pour maintenir l’endroit immaculé.

« Little girls come on Remembrance Day
Placing flowers on his grave
She waits in the shadows ’til after dark
Just to sweep ’em all away »

Thomson est issu d’une famille de naturalistes passionnés (un cousin plus âgé de l’artiste est directeur du service de biologie de ce que l’on connaît aujourd’hui comme le Musée royal de l’Ontario). Entièrement obnubilé par l’interprétation des éléments naturels, on dit qu’il a déjà peint à l’extérieur en pleine tempête de neige, les mains suffisamment chaudes pour peindre, mais le reste du corps tremblant de froid.

Gord Downie
« I say, bring on the brand new renaissance / ’Cause I think I’m ready / I’ve been shaking all night long / But my hands are steady »



« Three Pistols »

« Born in the Water » (Road Apples, 1991)

« Downtown there's a parade / But I don't think I wanna go / Smart as trees in Sault Ste. Marie / I can speak my mother tongue / Passing laws, just because / And singing songs of the English unsung / How could you do it? / How could you even try? »

« Born in the Water », l’une des chansons les plus engagées politiquement de The Tragically Hip, s’attaque à une loi adoptée à Sault Ste. Marie , en Ontario, en janvier 1990. Cette loi stipule que l’anglais doit constituer la seule langue de travail de l’administration municipale, faisant fi de l’importante communauté franco-ontarienne de cette ville, fondée en 1668 en tant que mission jésuite.

Cette loi est adoptée au cours de la période de grande agitation précédant le processus d’adoption raté de l’Accord du lac Meech, perçu par plusieurs au Canada anglais comme accordant trop de pouvoir et de privilèges aux Québécois. La loi de Sault Ste. Marie est largement interprétée comme une réponse à l’utilisation, par le premier ministre québécois Robert Bourassa, de la disposition de dérogation en 1988 pour contourner une décision de la Cour suprême qui déclare la loi 101 (loi faisant du français la seule langue officielle du Québec) inconstitutionnelle. Le projet de loi modifié 178 stipule alors que « L'affichage public et la publicité commerciale, à l'extérieur ou destinés au public qui s'y trouve, se font uniquement en français ».

Le projet de loi 178 est condamné par le Comité des droits de l’homme des Nations Unies en 1993, puis est modifié par l’Assemblée nationale du Québec la même année aux fins de conformité avec la Charte des droits et libertés. La loi sur la langue de Sault Ste. Marie est abrogée à la suite d’une décision de la cour provinciale rendue en 1994. En 2010, le maire de la ville, John Rowswell, adresse des excuses officielles aux francophones de partout au pays.

« Born in the Water »
The Tragically Hip
« There’s no simple explanation / For anything important any of us do / and yea the human tragedy / consists in the necessity / of living with the consequences / under pressure, under pressure »

« Courage (For Hugh MacLennan) » (Fully Completely, 1992)

Hugh MacLennan en 1947


Hugh MacLennan, à qui cette chanson est dédiée, est reconnu comme le premier grand écrivain anglophone à tenter de dépeindre le caractère national du Canada. Barometer Rising (1941), Two Solitudes (1945; trad. Deux solitudes, 1963) et Cross-Country (1949) marquent le début d’une nouvelle ère de la littérature canadienne, mettant l’accent sur le caractère, les particularités régionales, les événements et les questions thématiques du Canada.

En tournée pour promouvoir l’album Road Apples en 1991, Downie aurait lu le texte The Watch that Ends the Night (1959; trad. Le matin d’une longue nuit, 1967), écrit par MacLennan pendant un épisode dépressif survenu à la suite du décès de son épouse. À un certain moment dans l’histoire, le protagoniste, George Stewart, explique son incapacité à demander en mariage la femme de sa vie lorsqu’il en a eu l’occasion : « Aucune perspective d’avenir, trop de fierté. La dépression. Mais surtout, pas assez de courage. »

Stewart décrit son épiphanie existentielle dans un passage paraphrasé par Gord Downie dans le refrain de la chanson [traduction libre] : « Mais cette nuit-là, quittant Montréal, j’ai au moins compris ceci : il n’y a pas d’explication simple pour ce que nous faisons d’important, et la tragédie humaine (ou l’ironie humaine), c’est que nous sommes forcés de vivre avec les conséquences d’actes commis sous l’influence de compulsions obscures et incompréhensibles. »

« Courage (For Hugh MacLennan) »

« Fifty Mission Cap » (Fully Completely, 1992)

« The last goal he ever scored / won the Leafs the cup / They didn't win another till 1962 / the year he was discovered »

Le 21 avril 1951, Bill Barilko marque un but en prolongation lors du 5e match de la finale de la Coupe Stanley opposant les Maple Leafs de Toronto aux Canadiens de Montréal, valant aux Leafs la coupe tant convoitée. Quatre mois plus tard, le défenseur de 24 ans, accompagné de son ami Henry Hudson, s’envole vers la baie James à bord d’un hydravion monomoteur pour un week-end de pêche. Lors du vol de retour à destination de Timmins , l’avion disparaît. Les efforts de recherche intensifs qui s’ensuivent sont sans succès. Au début du camp d’entraînement des Maple Leafs à l’automne, l’équipement de Barilko est conservé dans son casier au vestiaire des joueurs en signe de respect pour la perte de l’athlète, qu’on espère toujours retrouver. Il faudra attendre plus de dix ans pour retrouver les débris de l’avion.

Les Maple Leafs de Toronto ne gagneront la coupe Stanley à nouveau que le 22 avril 1962. Moins de deux mois plus tard, soit le 7 juin, le pilote d’hélicoptère Ron Boyd localise les restes de l’avion de Barilko près de Cochrane en Ontario. La dépouille du hockeyeur est enfin inhumée au cimetière commémoratif de Timmins, sa ville natale.

Le titre de la chanson, « 50 Mission Cap », fait référence aux casquettes portées par les membres de l’équipage des bombardiers ayant survécu à 50 missions pendant la Deuxième Guerre mondiale. Les aviateurs inséraient souvent des cartes à jouer ou des cartes de sports derrière le bord de la casquette pour empêcher l’avant de s’affaisser.

The Tragically Hip
« I stole this from a hockey card / I keep tucked up under / My fifty mission cap / I worked it in / I worked it in to look like that »

« Fifty Mission Cap »

« Wheat Kings » (Fully Completely, 1992)

David Milgaard
Manchette de journal portant sur la sortie de prison de David Milgaard en 1992.
David Milgaard
David Milgaard a passé 23 ans en prison après sa condamnation injustifiée pour meurtre.
« Twenty years for nothing, well, that’s nothing new / Besides, no one’s interested in something you didn’t do »

La chanson destinée à propulser The Tragically Hip au statut de héros populaires canadiens, « Wheat Kings », raconte l’histoire d’une des plus célèbres condamnations injustifiées au Canada.

David Milgaard, jeune hippie de 16 ans de Regina, est arrêté relativement au viol et au meurtre de Gail Miller, étudiante en soins infirmiers de Saskatoon, en 1969. Il passera les 23 années suivantes derrière les barreaux, avant que les autorités admettent finalement avoir incarcéré la mauvaise personne.

Le matin du meurtre de Gail Miller, David Milgaard et deux amis se rendent de Regina à Saskatoon en voiture. Au début, les amis de Milgaard fournissent un alibi, déclarant que celui-ci était avec eux au moment du meurtre. Toutefois, un peu plus tard pendant les interrogatoires, ces mêmes amis – sous l’influence de la drogue et mis sous pression par les policiers –, affirment que Milgaard a tué Gail Miller.

Milgaard, qui se dit innocent, est incarcéré. Pendant de longues années, sa mère Joyce lutte pour sa libération. En 1992, la Cour suprême examine enfin le cas de Milgaard. À cette époque, Larry Fisher, purgeant une peine d’emprisonnement pour d’autres agressions sexuelles, représente un suspect dans le meurtre de Gail Miller. L’un des amis de Milgaard rétracte également son faux témoignage. Milgaard est libéré. Une fois sorti de prison, Milgaard intente une poursuite contre les autorités de la Saskatchewan et, en 1999, s’appuyant sur des preuves génétiques qui associent Fisher au crime commis, Milgaard obtient une exonération de tout acte répréhensible.

Gord Downie aurait consacré un an et demi à la composition de « Wheat Kings », chanson qu’il termine peu de temps après la sortie de prison de Milgaard en avril 1992.

« Wheat Kings »
Gord Downie
« Late breaking story on the CBC / A nation whispers, "We always knew that he'd go free" / They add, "You can't be fond of living in the past / 'Cause if you are then there's no way that you're going to last" »

Lectures supplémentaires

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