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Voix d'ici : Adam North Peigan

Dans cette version condensée de sa vie, Adam North Peigan discute de son enfance dans les foyers d’accueil dans le Sud de l'Alberta, son retour à la maison et de son travail au nom des Survivants de la rafle des années soixante.

Nitsiniiyi'taki, Adam, d’avoir partagé tes expériences et tes triomphes avec nous et de nous avoir amené aux endroits qui ont été importants dans ta vie.

Un merci spécial à Herman Many Guns et Quinton Crow Shoe.

Mise en garde : Ce témoignage contient du contenu difficile qui pourrait susciter des émotions douloureuses. Il inclut des expériences d’un Survivant de la rafle des années 60.

Tourné le 7 juin 2019 à Piikani First Nation sur le territoire du Traité n°7, en Alberta.


Dir. Photographie – Kaayla Whachell
Montage – Madison Thomas
Correction des couleurs – Benoît Côté + Outpost MTL
Mixage - Seratone Studios
Illustrations – Natasha Donovan

Transcription

Eux, ce sont les chefs qui ont servi notre communauté. Voici le chef StanleyGrier, le chefRegCrowshoe,le chef PeterStrikes the Gun.Et voici mon cousin, Philip Big Swan. Ça, c’est une photo de moi lorsque j’étais dans la chefferie au début des années 2000. J’ai terminé mon terme en 2011. C’est quelque chose que je n’oublierai jamais. Elle, c’est ma sœur aînée Harriet. Elle est la plus vieille des enfants dans ma famille. Elle a aussi fait partie de la rafle des années 60.

Ce qui s’est passé, c’est qu’ils ont modifié laLoi sur les Indiensen 1951 afin de transférer la responsabilité des services aux enfants et aux familles autochtones aux provinces. Les provinces se sont fait dire qu’elles devaient aller enlever de force les enfants autochtones à leurs familles,pour les envoyer dans des foyers et familles d’accueil non autochtones afin d’aider au processus d’assimilation. C’était un prolongement du système des pensionnats.

Lorsque nous avons été enlevés par la protection de la jeunesse,c’estma sœurquia relevé ses manches etquia assumé le rôle de parent.

Oki,niitanikoAdam North Peigan.Je suis un survivant de la rafle des années 60. On m’a enlevé de cette communauté-de ma communauté-lorsque j’étaisbébé. J’ai été transféré dans plusieurs foyers d’accueil et refuges pour enfants non autochtones,de ma petite enfance jusqu’à ce que j’atteigne l’âge de la majorité.

C’est l’endroit où cette journée a eu lieu. Je n’ai aucun souvenir de ce jour parce que j’étais un jeune enfant, mais ma sœur aînée, qui est plus vieille que moi de neuf ans, se souvient de cette journée.Elle me racontequec’était une journée déroutante, car les employés des services sociaux de l’Alberta lui avaient dit « Va chercher tous tes petits frères et tes petites sœurs, nous allons faire une promenade ». En réalité, nous avons tous été emportés dans différentes voitures. Nous avons tous été placés dans des foyers d’accueil etdesrefuges pour enfants non autochtones répartis dans le sud de l’Alberta, en isolement total. Nous y étions complètement seuls.

Lorsque j’ai euenvirons14 ans, mes parents d’accueil m’ont dit que ma mère me cherchait. Elle voulait me rencontrer pour la première fois. Ils m’ont demandé si cela me convenait, et j’ai dit oui. Je jouais le jeu. Je me souviens d’un jour où nous sommes allés à la protection de la jeunesse de l’Alberta àLethbridge.J’y suis allé avec le père de ma famille d’accueil et nous étions assis dans une grande salle vide. Je me rappelle à quel point, comme enfant, j’étais effrayé. Je tremblais tellement j’avais peur. La prochaine chose dont je me souviens, c’est que la porte s’est ouverte et une grosse femme autochtone est entrée. Elle s’est approchée etellea dit: « Bonjour Adam. Je m’appelleCatharine, et je suis ta mère ». Elle m’a serré dans ses brasetje l’ai serrée dansles miens. Mais à l’époque, j’avais appris rapidement commentétouffermessentiments comme mécanismede défense,pourmieux gérertous les traumatismes et tous les abusque j’aivécus dans le système.

La perte d’identité étaitchosecourante. Je me souviens, en tant qu’enfant, de grandir dans une famille d’accueil et d’avoir honte de qui j’étais. Avoir honte de la couleur de ma peau. Àl’époque, je n’avais aucune idée de ce qu’était ma communauté d’origine. Je ne savais pas d’où je venais. Je ne savais pas qui était ma famille. La chose la plus importante que j’ai ressentie est l’abandon: m’être fait retirer de ma communauté. La perte de la langue était une autre chose. Encore aujourd’hui, je neparlepas ma langue traditionnelle, la languepied-noir (Blackfoot).

Juste avant d’avoir 18 ans, j’ai été renvoyé ici, dans ma communauté. Lorsque je suis revenu à la maison, j’ai vécu un choc culturel comme vous ne pouvez l’imaginer, parcequedepuis toujours je m’étais adapté à la vie dans les maisons des blancs. De me faire soudainement parachuter au milieu de ma communauté, c’était comme arriver dans une zone de guerre. Je voyais soudainement plusieurs choses que je n’avais jamais vues auparavant. Une consommation abusive de drogue et d’alcool, de la violence familiale et domestique. La condition des habitations était déplorable. Et c’est ce qui m’attendait à la maison.J’auraisdûêtreexcité etl’enthousiastelors de mon retour à la maison, mais ça n’a pas été le cas. Le processus m’a beaucoup faitpeur. Lorsque je suis revenu à la maison,plusieursdes membres de ma nation riaient de moi. On me traitait de«pomme». Vous savez… rouge à l’intérieur, mais blanc à l’intérieur. Je sentais que je n’étais pas le bienvenu, et je ne savais pas où était ma place.À cause dumanque de stabilité, le tout a empiré et je me suis mis à boire beaucoup. Je me suis mis à boire beaucoup comme mécanisme d’adaptation. Je voulaisme faire accepter aussi-mefaire accepter par mon propre peuple. Car c’est ce que jelesvoyaisfaire. C’est donc ce que j’ai fait. Cela m’a donc mené vers 15 à 20 ans de consommation abusive d'alcool, nuit et jour.

Ce qui m’a mené à la sobriété età mener une vie saine- en 1994, j’avais déménagé à Vancouver et je vivais dans les rues d’East Hastings. J’avais déménagé là avec une femme que je fréquentais à l’époque, la mère de mes deux filles les plus âgées. Parce que je buvais trop, mes plus vieilles ont été saisies par la protection de l’enfance de la Colombie-Britannique. Elles ont été placéesdans unefamille d’accueilblanche. Elles étaient prises en charge et je pouvais les visiter. Mais la durée de leur prise en charge s’allongeait. Juste avant qu’ellen’atteigne 18 mois, l’employé de la protection de la jeunesse est venu me voir pour me dire que si je ne faisais pas quelque chose pour régler mon problème d’alcool, j’allais perdre mes enfants etqu’ellesdeviendraientla charge de la province de façon permanente. C’est à ce moment-là que j’ai vraiment décidé de prendre ma vie en main parce que je ne voulais pas que mes enfants vivent la même chose que moi. J’ai arrêté de boire et j’ai fréquenté un centre de traitement en Colombie-Britannique. Et j’ai continué ce parcours de bien-être depuis ce temps-là.Lorsquej’aiarrêté de boire, je suis revenu à la maison.Je suis allé consulter les aînés, j’ai recommencé à participer aux cérémonies, et je suis alléparlerà ma mère. Elle a partagé avec moi les atrocités et les traumatismes vécusà la suite dela fréquentation des pensionnats. Lorsque je me suis mis à l’écouter, j’ai pu réaliser qu’elle avait ses propres problèmes auxquels elle devait faire face en relation aux pensionnats indiens. Cela m’a aidé à gérer ma colère et ma frustration. En fin de compte, ma mère et moi avons développé une très bonne relation mère-fils jusqu’au moment de son décès.

Je suis extrêmement chanceux d’être ici aujourd’hui pour mener l’effort de réconciliation pour les peuples autochtones de l’Alberta et du Canada ence qui a trait àla rafle des années 60, parce qu’à plusieurs reprises j’aurais pu rejoindre le monde des espritsaprèsdifférentes tentatives de suicide, et la consommation d’alcool ou de drogue. Mais j’ai survécu!

Dans les 1970, un enfant autochtone sur trois était séparé de sa famille par adoption ou placement. En 1983, leCanadian Council on SocialDevelopmenta révélé que la proportion des enfants autochtones dans le système de protection de l’enfance étaitde 40à 50% en Alberta;de60 à 70% en Saskatchewanet de50à 60% auManitoba.Le même rapport a révélé que les enfants autochtones étaient 4.5 fois plus susceptibles que les enfants non autochtones d’être pris en charge par les organismes de protection de la jeunesse au Canada. Entre 1960 et1990,plus de 20 000 enfants des Premières Nations,Métis ouInuit ont été enlevés de leurs maisons. Cependant, plus de recherches sont nécessaires afin de déterminer combien d’enfants au total ont été affectés.

Je sais que mes enfants sont venus dans les salles du Conseil et ont regardé les portraits sur les murs.Lorsqu’ellesontvu ma photo… pour mes enfants, pour mes filles, lorsqu’elles l’ont vue, c’était un grand moment de fierté pour elles. De savoir que leur père, qui avait souffert les atrocités de la rafle des années 60, faisait partie de la chefferie. Je suis très fier de la personne que je suis aujourd’hui. Je suis très fier de mes racines. Je suis fier d’être Autochtone. Mais en même temps, ilreste encorebeaucoup de survivants de la rafle des années 60 qui ont mon âge et qui n’ont pas encore trouvé leur voie. Nous n’avons pas tousparcouru la même distance. Et je sais qu’il y a aujourd’hui beaucoup de survivants de la rafle des années 60 qui sont en prison, en détention. Il y a encore beaucoup de nos survivants quiviventen milieuurbainet qui souffrent de dépendances. Ils sont encore à la recherche de quelque chose, d’un endroit où ils peuvent se sentir chez eux.

Je crois fermement qu’on peut déplacer des montagnes. On peut déplacer des montagnes,parce qu’on a pu travailler avec le gouvernement de l’Alberta pour obtenir, le 28 mai 2018, des excuses officielles deleurpart pour tous les survivants de la rafle des années 60enl’Alberta. C’était un jour historique, pas seulement pour les Autochtones, mais pour tous lesAlbertains.Ce jour a marqué la réconciliation et la vérité pour notre peuple dans la province de l’Alberta.J’étais très heureux d’en faire partie. Depuis les excuses, une grande partie de notre travail consiste à des activités « post-excuses »:Continuer àsensibiliserlepublic, rassembler nos survivants, et créer un environnement sécuritaire pour qu’ils puissent partager leurs histoires.

Aujourd’hui est un jour de célébration. Pour moi, aujourd’hui est unjour de retrouvaillespuisque je peux vraiment affirmer,en tant qu’Autochtone, que j’ai une maison. Et bien que cela fait quelques années que je ne vis plussur une réserve, lorsque quelqu’un me demande :« D’où viens-tu? Où est ta maison? », je réponds toujours que ma maison c’est la Première NationPiikani. C’est là d’où je viens.