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Voix d'ici : Andre Carrier

Dans cette vidéo, Andre Carrier discute des impacts que la fréquentation de l’externat catholique a eu sur lui, sa famille et sur la communauté métisse à Winnipeg, au Manitoba.

Marsi, Andre, de nous avoir partagé tes expériences, de donner du courage aux autres d’en parler et d’avoir développé le concept pour ta vidéo.

Mise en garde : Ce témoignage contient du contenu difficile qui pourrait susciter des émotions douloureuses. Il inclut des expériences d’un Survivant d’un externat. Si vous avez besoin d’aide, la ligne d'écoute téléphonique concernant les pensionnats est le 1-866-925-4419.

Tourné le 30 mars 2019 sur le territoire de la Nation métisse et le territoire du Traité n°1.


Dir. Photographie – Jonathan Elliott
Monteur – Genséric Boyle Poirier
Correction des couleurs – Martin Gaumond + Outpost MTL
Mixage – Seratone Studios
Portrait - Natasha Donovan

Transcription

Mise en garde : Cette transcription contient des descriptions d’agression sexuelle et des traumatismes reliés.

 

Mon nom est André Carrier et je suis ici à l'école Sainte-Marie. Ma première était une année normale. C’est-à-dire qu’on est arrivé très excité, comme des petits enfants. Mais ma deuxième année, était un peu différente que la première année. La maîtresse nous a expliqué qu’à la droite étaient les anges, puis à la gauche étaient les diables. Alors, incroyablement, ma première journée dans le grade deux, j'étais assis avec les diables. Pourquoi on était les diables? Je ne savais pas. On était souvent mis en arrière, assis dans une chaise, regardant au mur en arrière. Puis on ne pouvait participer à la classe. C'était une année très, très difficile pour moi parce que... je m'excuse. J'étais un petit diable.

 

Lorsque je suis né, en 1958, tout était en anglais. Donc lorsque l’infirmière a demandé à ma mère quel était le nom de son enfant, elle a dit: « André Pierre Édouard ». Et l’infirmière a dit: « Qu’est-ce que c’est en anglais? » Et elle a dit: « Eh bien, c’est Andrew Peter Edward ». Alors ils ont écrit Andrew Peter Edward sur le certificat de naissance, ne réalisant pas que cela allait être mon nom légal. C’était le début d’un bon petit garçon métis, ici au Manitoba. À cette époque, le Canada anglais s’était installé ici à Winnipeg, et il y avait définitivement une tension raciale entre les francophones et les anglophones. Si, en plus, vous étiez un Michif francophone, la tension était encore plus intense.

 

L’école Sainte-Marie était une école de jour catholique. C’était une école primaire, de la première à la sixième année. Elle était complètement dirigée par l’Église catholique. Les enseignantes étaient des sœurs. Il y avait toujours un prêtre sur les lieux.

 

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Contrairement aux pensionnats, les écoles de jour (les externats) ne requéraient pas que les élèves vivent à l’école. Les élèves retournaient dans leurs familles à la fin de la journée.

 

Les provinces étaient responsables de l’éducation des Métis. Mais cela prenait différentes formes : les pensionnats, les écoles de jour financées par le gouvernement fédéral, ou les écoles de jour financées par la province. Andre Carrier a fréquenté une école de jour dirigée par l’Église et qui ne faisait pas partie du système des écoles de jour du gouvernement fédéral.

 

Mon enseignante de première année à l’école Sainte-Marie était normale dans le sens où elle était une enseignante aimante. Elle était sœur et elle adorait être avec les enfants. Mon enseignante de deuxième année était visiblement plus cruelle envers les enfants métis. C’était une enseignante très sévère. Si nous n’écoutions pas, elle nous frappait avec une règle. Elle lançait aussi des craies aux enfants. Je ne me souviens pas de l’avoir vue très souvent lancer des choses ou frapper les anges, mais de notre côté, nous recevions notre part de discipline.

 

Un jour, à la fin de septembre ou au début d’octobre, nous parlions du catéchisme et une des jeunes filles a demandé à l’enseignante pourquoi Jésus ne portait qu’un court pagne sur la croix. Et la sœur, l’enseignante, s’est mise à expliquer que les petites filles ne devraient pas regarder le corps nu de l’homme, et que les petits garçons ne devraient pas regarder le corps nu de la femme, et que sinon, ils se nous transformeraient en pierre et brûleraient en enfer. Elle nous a vraiment effrayés afin que nous comportions correctement. La semaine d’avant, j’avais visité mes oncles, qui étaient dans la vingtaine, et j’avais découvert un magazine en noir et blanc avec des femmes nues. Je me souvenais d’avoir vu cela, et ça a éveillé quelque chose en moi. Et j’ai expliqué cela à la sœur, que « Oui, vous savez, quelque chose s’est produit ». Et les enfants avaient ri, et la sœur est devenue vraiment fâchée contre moi. Elle s’est approchée de moi, parce que j’avais dérangé la classe, j’imagine, elle m’a pris par l’épaule, et m’a sorti de ma chaise et m’a traîné jusque dans le corridor, jusque dans la partie de l’école où était l’église. Elle est allée chercher le prêtre et, en parlant assez fort, ils m’ont amené jusqu’au confessionnal et ont dit: « Tu vas devoir confesser tes pêchés ».

 

Je me suis mis à genoux pour dire la confession. Puis, le prêtre a dit : « C'est quoi ton nom? » et « Pourquoi tu es ici? » Puis, j'ai dit : « Mon nom est André Carrier. »  Et puis : « Je ne sais pas pourquoi je suis ici. » Le prêtre est devenu un peu fâché. Il m'a demandé encore : « Pourquoi t'es ici? » « Bien, la sœur a dit qu'il fallait que je confesse mes péchés. Mais je ne sais pas ce que sont mes péchés. » Puis il a ouvert la porte, puis il a dit : « Sors. » Je sors de la confession, puis il me porte en avant pour dire ma prière et pour penser de mes péchés. Puis il me dit : « Assieds-toi pour dire ta prière. » Il parlait pas mal fort. Puis... j'avais peur. Finalement, il me pogne par l'épaule, puis il m'élève directement. Il dit : « Viens avec moi. » Dans ce temps, ici, il y avait une place où les prêtres aller pour se changer. Puis il m’aapporté dans une chambre « spéciale » pour parler un à un.


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Dans la pièce voisine, André a été agressé sexuellement par le prêtre.

 

J’ai eu peur, et je suis sorti de là en courant, puis suis retourné dans la salle de classe. La sœur m’a arrêté à la porte pour m’empêcher d’entrer. Elle m’a retourné et poussé hors de la classe. Je pouvais entendre les enfants rire dans la classe. Elle m’a amené au bout du corridor, où les concierges gardaient leurs balais et leurs vadrouilles.

 

En 1964, ici, il y avait un bassin. Et puis quand on est arrivé, elle a ouvert l'eau, puis elle a pris une brosse à plancher, puis elle a commencé à me laver. Premièrement, elle m'a lavé les bras, puis tout le temps qu’elle me lavait elle me disait que j'étais un petit sauvage, un petit polisson. Elle me disait des choses de même… « Un petit bâtard qui n'écoute jamais. » Mes mains étaient toutes rouges. Puis je pleurais. Ça a vraiment causé un impact dans ma vie.

 

Ma mère ne s’en souvient pas, mais je me rappelle l’avoir dit à ma mère. Ma mère était infirmière à l’hôpital de Saint-Boniface, elle travaillait beaucoup d’heures et était très fatiguée. Elle ne savait pas comment gérer ce que je lui disais. Mais pendant toute cette année, mes notes étaient en moyenne entre 15% et 25%. Pour le reste de l’année, on m’a traité comme un sale petit garçon. C’était difficile. Très difficile.

 

Après que j’aie redoublé la deuxième année, nous avons déménagé à Windsor Park. Je suis allé à une autre école, qui n’était pas - c’était l’école Lacerte,une école entièrement francophone. C’était très difficile. J’ai commencé à me révolter et je me suis battu quelques fois.

 

Avants a mort en 2014, mon père et moi avons parlé de mes expériences. Finalement, avant de mourir, il m’a avoué qu’il avait aussi été agressé à l’école par un prêtre. Cela l’a aussi profondément affecté. Donc pour ma génération et pour celle de mon père, c’était difficile d’obtenir une éducation puisque nous devions constamment protéger nos arrières, soit parce que nous étions pauvres, soit parce que nous étions une cible facile pour les agressions.

 

Finalement, le gouvernement fédéral ainsi que le gouvernement provincial ont assumé la responsabilité, avec l’Église, d’avoir permis les agressions qui ont eu lieu. Certains parents ont dénoncé les agressions, et lorsque c’était le cas, l’Église catholique envoyait le prêtre dans une autre commission scolaire.

 

Ça m’a pris plusieurs années pour me rendre là où je suis aujourd’hui. J’espère que d’autres personnes pourront apprendre à parler. Parce qu’en réalité, nous ne protégeons pas ce petit garçon, nous protégeons un système défectueux. C’est un système qui a permis aux agresseurs d’enfants de s’en sortir et d’avoir accès aux enfants vulnérables.

 

Les effets de ces expériences durent longtemps. J’ai 61 ans, et je commence tout juste à faire face au traumatisme des réalités avec lesquelles j’ai vécu toute ma vie. Le déni de ce qui s’est passé. Je protégeais le petit garçon en moi. Mais en réalité, les gens doivent savoir qu’ils ont échoué. Le système n’a pas réussi à nous protéger. Il ne s’agit pas de compensation, il ne s’agit pas de punir le coupable, parce que j’imagine que l’homme en question a plus de 90 ans ou est mort.

 

Il y a encore un changement fondamental qui doit se produire. Dans la société, lorsqu’il est question des Métis, des peuples des Premières Nations, nous n’avons toujours pas une chance égale de participer au monde du travail. Nous étions de la bonne main d’œuvre, sur les fermes et dans les usines, mais jamais pour un poste de gestion ou de confiance. Je veux mentionner qu’il y a aujourd’hui au Canada un éveil, et que nous, les Autochtones, sommes fatigués d’être polis et d’attendre d’obtenir de la reconnaissance de votre part. Nous agissons donc afin de nous reconnaitre nous-même et de prendre en main la responsabilité de notre propre futur.

 

Je dédie mes expériences vécues àtous les enfants qui ont survécu aux agressions. « Nous n’avons plus besoin de souffrir en silence », prenez le premier pas vers la guérison, et dites-le à quelqu’un.