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Voix d'ici : Lori Campbell

Dans cette vidéo Lori Campbell discute de ses expériences en tant qu’enfant adoptée en Saskatchewan et du processus de reconnexion avec sa famille et son identité cri-métisse, qui a duré 25 ans.

Kinanâskomitin, Lori, d’avoir partagé tes expériences ainsi que tes archives avec nous et de nous avoir présenté ton magnifique cheval, Sunrise.

Mise en garde : Ce témoignage contient du contenu difficile qui pourrait susciter des émotions douloureuses. Il inclut des expériences d’une Survivante de la rafle des années soixante.

Filmé le 30 juillet 2019 à Waterloo, Ontario, Concession par Haldimand.

Dir. Photographie – Jonathan Elliott
Monteur - Madison Thomas
Correction des couleurs - Martin Gaumond + Outpost MTL
Mixage – Seratone Studios
Illustrations – Natasha Donovan

Transcription

Il y a un journal qui s’appelle The Western Producer. Dans ce journal, je regardais toujours deux choses: les chevaux à vendre, parce que j’adorais les chevaux, mais il y avait aussi une section nommée « Personnes recherchées », et il y avait parfois cette annonce qui était publiée et qui disait: « Êtes-vous adopté et à la recherche de votre famille biologique? » Un matin, je lisais ce journal chez ma tante, au déjeuner, et je l’avais mis de côté. Et j'étais encore jeune, une jeune adolescente. Et ma tante avait remarqué que j’avais porté attention à cette annonce en particulier. Après que j’eus déposé le journal, elle a dit: « Tu sais, si un jour tu veux trouver ta famille biologique, je serais heureuse de t’aider. Je sais que c’est important. » Mais j’étais encore inquiète, je ne voulais pas paraître ingrate, je suppose. Alors j'ai répondu: « Oh non. Ça va. C’est correct.»

Bonjour, je m’appelle Lori Campbell. Je suis une femme crie-métisse bispirituelle. Ma mère vient du territoire du Traité no 6 en Saskatchewan. Je travaille ici, en Ontario, comme directrice du Waterloo Indigenous Student Centre de l’Université deWaterloo.

La plupart de gens connaissent le système de pensionnats, qui était un processus qui enlevait les enfants de leurs milieux familiaux pour les placer dans des pensionnats. Après que ceux-ci aient baissé en popularité, il a été décidé que nous devrions prendre les enfants autochtones et les placer dans des maisons avec des familles blanches afin qu’ils puissent apprendre, essentiellement, à être blancs. Cela a commencé dans les années 1950. Le gouvernement s’est mis à simplement enlever les enfants autochtones et les retirer de leurs familles pour les mettre en adoption dans des familles blanches. Certains ont été adoptés au Canada, mais beaucoup ont été envoyés outre-mer. La rafle des années 1960 a en réalité duré jusque dans les années 1980. Et nous vivons en ce moment ce qui est nommé « La rafle du millénaire », parce qu’un bon nombre d’enfants autochtones sont encore placés.

Ma mère biologique avait 14 ans lorsqu’elle m’a eue. Nous vivions dans la maison de ma grand-mère. Ma grand-mère devait donc probablement être la principale fournisseuse de soins pour ma mère et moi, et ses frères et sœurs. À 14 mois, en 1973, j’ai été placée en famille d’accueil. Ce jour-là, la police était venue chez nous à cause de violence perpétrée à la maison par un homme qui n’avait pas de lien biologique avec nous. Ma mère avait essayé de me défendre, et la police avait été contactée et était venue. Et ils m’ont prise. Et ma mère a pensé que la police m’avait prise jusqu’à ce qu’elle ne soit plus fâchée. Mais elle ne m’a jamais revue.

J’ai donc été adoptée en 1974 par une famille non autochtone, un père et une mère. Ils avaient un fils biologique, qui avait deux ans de plus que moi. Ils venaient d’une communauté agricole rurale du nord-est de la Saskatchewan. Ils voulaient adopter une fille qui n’était plus à l’âge des couches et qui pourrait se fondre dans la famille. Donc avec une peau pâle. En gros, ils sont venus à Regina. Ils m’ont rencontrée le matin à la maison d’accueil, sont partis, puis sont revenus en après-midi avec leur fils. Nous sommes allés jouer au parc. Lorsque nous sommes revenus à la maison, toutes mes choses avaient été mises dans un sac de poubelle noir. Ils m’ont mise dans la voiture, puis je suis partie avec eux à la maison.

Selon eux, ils ont l’impression qu’il n’y a jamais eu de suivi de la part d’un travailleur social. Personne n’est venules visiter, ouvoir comment se déroulaient les choses. À l’époque, tout comme maintenant, chacun avait son domaine d’expertise. On se fie donc aux gens comme les professionnels de la médecine, les avocats, les travailleurs sociaux, qui sont des professionnels de leurs milieux, pour nous guider et nous désirons suivre leurs conseils, car nous croyons que ce sont eux les experts. À l’époque, on a donc simplement dit à mes parents de m’amener à la maison et de m’éduquer comme si j’étais Hongroise et Irlandaise, comme eux, et de ne pas se soucier de mes racines autochtones, et que toutallait bien se passer. Cela n’a pas fonctionné pour moi, et cela n’a pas fonctionné pour beaucoup d’autres comme moi.

Certes, je n’étais pas une enfant facile. Je crois que les familles étaient très mal préparées par les travailleurs sociaux, par la façon dont le gouvernement les a poussés à croire qu’elles faisaient la bonne chose, une bonne action en nous aidant comme enfants. Elles n’étaient pas préparées pour l’adoption interculturelle, pour l’histoire coloniale au Canada qui causait, et cause toujours, tant de violence dans les communautés autochtones. On ne leur a jamais enseigné la formation de l’identité, et ce qu’elle signifie. Alors que je suis arrivée à l’adolescence, bien que je ne connaissais pas de gais ou de lesbiennes, c’était quand même très clair pour moi que je me sentais différente dans mes relations avec mes amies filles par rapport à celles avec mes amis garçons. La famille dans laquelle j’ai grandi fréquentait régulièrement l’église. Bien sûr, au sein de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, l’homosexualité est une chose horrible. Donc à la maison, j’entendais ces choses à cet effet. Je ressentais donc beaucoup de haine par rapport à moi-même. Que j’allais être une alcoolique. Que j’allais être pervertie, et toutes ces choses. Donc, vous commencez à assumer ces rôles, ce qui est en grande partie ce que j'ai fait.

J’étais très attachée aux chevaux. Je lisais tout ce que je pouvais à leur sujet. Je vivais sur une ferme, ce qui était une excellente vie pour moi. Je me sens encore très connectée à mes racines agricoles. Mon père et ma mère se sont assurés que je possède un cheval dès qu’ils ont pu. Durant ces moments où j’étais très en colère, j’ai passé beaucoup de temps seule, à l’extérieur avec mes chevaux. Mes parents m’ont inscrite à 4H, et j’ai donc passé beaucoup de temps avec d’autres enfants qui avaient un lien avec les chevaux. J’ai l’impression que c’est une chose qui était très… j’en parle aujourd’hui, c’est comme si c’était ma thérapie, un endroit sécuritaire. Je suis allée à l’université pour jouer au basketball. Lorsque je suis arrivée là, j’ai fait un programme général d’études artistiques. Un des cours sur ma liste était intitulé « Études autochtones ». Et je ne savais pas vraiment ce que cela signifiait, mais j’ai vu ça et ça m’a immédiatement attirée. Je voulais suivre ce cours, et je l’ai fait. Lorsque je suis arrivée à l’Université de Regina, lors de mon premier semestre, j’ai réalisé qu’il existait un endroit nommé « The Saskatchewan Indian Federated College », qui s’appelle maintenant la « First Nations University of Canada ». Et c’est là que se donnait le cours. Je suis entré là, c’était dans des remorques à l’époque, et la faculté était autochtone, les professeurs étaient autochtones, et le personnel à l’accueil était autochtone. Il y avait des Autochtones dans les bureaux et à l’administration. C’était… ils ne savaient pas exactement qui j’étais, qui était ma famille, mais ils connaissaient exactement les circonstances relatives à comment j’avais été envoyée en famille d’accueil et adoptée. C’est à cet instant seulement que j’ai réalisé qu’il existait des milliers de gens comme moi partout au pays à qui cela était aussi arrivé. Cela a complètement changé ma compréhension de qui j’étais en tant qu’Autochtone, ma perception de moi-même, et cela m’a permis de mettre fin à plusieurs de mes comportements autodestructeurs.

J’avais l’impression que si je cherchais à retrouver mes parents biologiques, mes parents adoptifs penseraient que j’étais ingrate envers eux, je crois que c’est une erreur norme qu’une famille adoptive peut faire. Vous savez, l’amour est infini. Avoir plusieurs parents ou grands-parents, ou une plus grande famille ne peut être qu’une bonne chose.

Au cours de 25 ans, à écrire à différents niveaux de gouvernements, aux services sociaux, aux services de suivi d’adoption, j’ai amassé une grande correspondance. Dans cette pile se trouve tout ce que j’ai écrit entre 1991 et 2018. Ce sont les dernières pièces que j’ai mises en place, pour tenter de comprendre qui je suis. J’en apprenais plus au sujet de qui j’étais puisqu’à l’époque j’avais terminé un diplôme en « Études indiennes » - c’est comme ça que c’était nommé l’époque. Et j’en avais beaucoup appris au sujet de ce qui se passait au Canada, de ce qui s’était passé. Au sujet des Autochtones dans le système judiciaire, des Autochtones et du gouvernement canadien. J’ai toutes ces lettres des divers ministères auxquels j’ai écrit. Je peux voir lorsque je les relis, l’évolution de mon langage, de l’utilisation des mots, de ma connaissance de mes droits. Les différents termes que j’utilisais, comme la rafle des années soixante, et ce genre de choses. Mais je ne recevais pas d’aide, rien de concret de leur part. J’ai donc trouvé mon nom à la naissance, et j’ai fait des choses comme aller aux archives des conseils scolaires publics pour commencer à éplucher les albums de finissants à la recherche de personnes avec le même nom de famille que moi, la même année que ma naissance. Quelqu’un m’avait dit de chercher une école nommée Balfour Tutorial. Balfour Tutorial était l’endroit où étaient envoyées les mères qui n’étaient pas mariées. J’ai donc commencé à faire des recherches et j’ai trouvé la personne que je croyais être ma mère biologique. J’ai sorti les annuaires téléphoniques - vous souvenez-vous de ces choses? - et je me suis mis à chercher dans ces livres des gens avec le nom de famille Campbell qui vivaient à Saskatoon. J’ai écrit un tas de numéros. Puis je suis rentrée à la maison et je me suis misà appeler. Bien sûr, plusieurs numéros n’existaient plus oune menaient pas àla bonne personne. Puis j’ai vu cette adresse que j’avais écrite, où il y avait Brenda Campbell et Ricky Campbell, Richard Campbell, qui vivaient dans le même bâtiment, mais dans deux appartements différents. J’avais écrit les deux numéros. Celui de Brenda était hors service. J’ai donc appelé le numéro de Richard Campbell. Et cet homme a répondu. Il était si gentil et poli au téléphone. Et j’ai dit: « Je sais que vous n’êtes pas Brenda Campbell, mais je cherche Brenda Campbell. Je sais que vous vivez dans le même bâtiment. Je ne sais même pas si vous êtes de la même famille. » Il était si poli. Il disait sans cesse: « Puis-je savoir c’est de la part dequi? Puis-je savoir qui appelle? » Et je ne voulais pas répondre. Et finalement, vous savez, je disais juste : « J’aimerais vraiment, mais vraiment lui parler. Je ne sais pas si c’est possible, si vous la connaissez. » Éventuellement, je l’ai convaincu d’aller chercher Brenda, qui était de l’autre côté du corridor. Elle a pris le téléphone, et je lui ai probablement posé une vingtaine de questions. J’aurais pu en poser seulement une ou deux. Je lui ai demandé si son nom était Brenda Pansy Campbell, ce qui est un nom très précis. Je ne connais personne d’autre avec ce deuxième nom. Elle a dit : « Oui ». Et je lui ai demandé si elle avait eu une fille en 1972. Et elle a dit : « Oui ». Et je lui ai demandé comment elle l’avait nommée. Et c’était le nom qui était sur mes papiers d’adoption. Et j’ai dit : « Eh bien, c’est moi. »

Je participe encore à la cérémonie. Je dirais que ça me garde ancrée, et ça m’aide à savoir qui je suis. Une des choses j’ai fait après avoir rencontré chacun de mes frères et sœurs-cela m’a pris 25 ans pour trouver toute ma famille - je me suis assurée de prendre le temps de m’asseoir avec chacun et de les écouter me raconter ce qu’ils voulaient partager avec moi au sujet de leurs expériences. Je leur ai emmené autant d’informations que possible afin de les aider à savoir qui ils étaient et d’où ils venaient. Lorsque j’ai retrouvé mon frère, le plus récent, je me souviens de m’être sentie comme… je ne savais plus vraiment quoi faire. Durant toute ma vie d’adulte, j’avais cherché. Et j’avais finalement trouvé tout le monde. Je ressentais encore beaucoup de pression. Je ne savais que faire avec toutes ces histoires que j’avais entendues. C’est arrivé l’année où ma tante m’avait invitée à retourner à la maison pour une cérémonie de jeûne. C’était le temps parfait. Donc lorsque je suis retournée à la maison, durant ce jeûne, j’ai pris toutes ces histoires racontées par mes frères et sœurs et je les ai partagées avec notre terre, avec l’endroit d’où nous provenons. Et j’ai prié pour cela, pour eux, pour leurs vies et leurs récits. Et j’ai laissé ça là. C’est ainsi que j’ai conclu cette partie de mon parcours. Depuis ce temps, je participe encore à la cérémonie, mais je - C’est comme si j’avais débuté une nouvelle étape.

Intertitre: L'entente de règlement de la rafle des années soixante vise à fournir une indemnité individuelle de 25 000 $ à 50 000 $ aux demandeurs adoptés par des familles non autochtones, ou devenus des pupilles permanentes de l’État entre 1951 et 1991. 50 millions de dollars ont également été consacrés à la création de la « Fondation de la rafle des années soixante » afin de soutenir le bien-être, l’éducation, la langue, la culture et la commémoration.

Les gens m’ont demandé ce que l’entente va faire, et comment elle va compenser pour ce qui s’est produit. Vous savez, l’argent ne réglera rien de ce qui s’est produit, de ce qui a été perdu pour ma famille et moi, et pour les milliers d’autres comme nous.

Mon oncle m’a envoyé une copie d’une chanson qu’il a écrite. Il m’avait parlé d’une chanson qu’il avait écrite après qu’on m’ait en levée. Il l’a notée sur papier et me l’a envoyée. Et il dit qu’il ne l’a jamais finie. J’ai été la première à avoir été enlevée de cette maison. Dans la chanson, il écrit: « Lori Anne Christie, Où es-tu allée? Je veux savoir quand tu reviendras. » Et il continue : « Comment aurais-je pu le savoir, que tu allais devenir une si belle fille? Où seras-tu demain? M’attendras-tu? Lori Anne Christie, les années, tout comme les larmes, elles passent ». Puis il s’excuse de ne pas avoir été capable de la finir. Mais il joue de la guitare et toute la famille sait qu’il chantait cette chanson après mon départ. Et qu’il attendait mon retour.

Nos vies ne sont pas des histoires de traumatismes, devictimisation et de douleur. Ce sont des histoires au sujet de la survie et de la forceindéniable de nos ancêtres. Je reconnais Nikawiy (ma mère) Brenda et Nikawis (ma tante) Marie et ma tante spéciale, Audrey.