Thomas Sophonow tient une place à part parmi les victimes d’une condamnation injustifiée au Canada, car il est jugé trois fois pour le même crime avant qu’il soit innocenté.
Meurtre de Barbara Stoppel
L’enquête et la poursuite relatives au meurtre qui est reproché à Thomas Sophonow montrent des erreurs judiciaires qu’on observe à maintes reprises, notamment les policiers paresseux et la détermination sans faille des autorités d’obtenir une condamnation, même si cela implique l’assouplissement des règles.
Thomas Sophonow est opérateur de machine de 29 ans qui est accusé du meurtre de l’employée au comptoir de 16 ans Barbara Stoppel au magasin de beignes Ideal à Saint-Boniface, au Manitoba. Elle est étranglée dans la salle de bains du magasin le 23 décembre 1981. On la trouve sur le point de mourir. Elle survit encore six jours sous respirateur artificiel, mais finalement, elle succombe à ses blessures.
Les témoins oculaires qui se présentent peu après ce crime grave disent qu’ils ont vu un homme au chapeau de cowboy traînant autour du magasin de beignes qui verrouillait la porte du magasin de l’intérieur peu avant le meurtre.
Les témoins reconnaissent Thomas Sophonow sur les photos qui leur sont montrées. Quelques années plus tard, on découvre que les photos sont défectueuses et faites de façon biaisée.
Un témoin oculaire, John Doerksen, qui joue un rôle particulièrement important dans les poursuites judiciaires, dit à la police quе la nuit du crime, il voit un homme sur le pont qui jette quelque chose dans la rivière. L’objet trouvé est la corde avec laquelle Barbara Stoppel a été étranglée.
Selon les experts d’un laboratoire de pathologie, la corde peut être le produit d’un des deux fabricants. Le premier est situé dans Portage la Prairie, à côté de Winnipeg, au Manitoba, l’autre est dans l’État de Washington, tout près de Vancouver, en Colombie-Britannique. L’entreprise de Washington identifie la corde comme son produit. Cela constitue la preuve principale contre Thomas Sophonow, qui habite à Vancouver, mais qui a visité Winnipeg au moment du meurtre.
Interrogatoire et confession
Thomas Sophonow est interrogé d’une manière agressive par la police dans des conditions qui seraient considérées comme illégales en vertu des lois d’aujourd’hui. Il n’est pas informé de son droit à un avocat et il fait l’objet d’une fouille à nu. Pour forcer sa confession, la police lui dit que ses empreintes sont trouvées dans le magasin de beignes et que cinq témoins l’ont déjà identifié.
Finalement, Thomas Sophonow est persuadé qu’il a étranglé Barbara Stoppel et qu’il a eu un trou de mémoire après. C’est pourquoi il ne se souvient pas des détails du crime. Il se confesse à la police, mais seulement 15 minutes de son interrogatoire et de sa confession sont transcrites.
Le 12 mars 1982, la police annonce que l’homme connu sous le nom de « cowboy tueur » est trouvé et arrêté.
On trouve une autre preuve contre Thomas Sophonow quand il attend son procès en prison. Trois dénonciateurs sous garde disent qu’ils l’ont entendu avouer son crime.
Trois procès
Sa défense s’appuie essentiellement sur un alibi. Il dit qu’il arrive de Vancouver tard dans la nuit du 22 au 23 décembre en espérant voir sa fille de deux ans dont son ex-femme a la garde. Sa femme lui refuse de la voir. Alors, il va au Canadian Tire pour faire réparer les freins de sa voiture. En attendant qu’on lui répare sa voiture, il achète des bas de Noël et des jouets pour les enfants de l’hôpital à côté.
Le 6 novembre 1982, son premier procès s’achève par un désaccord du jury.
Thomas Sophonow est condamné après son deuxième procès, qui se termine le 17 mars 1983. Plus tard, la Cour d’appel du Manitoba, qui invoque le fait que sa défense n’a pas été communiquée adéquatement au jury, annule le verdict et ordonne la tenue d’un nouveau procès. Cette décision est confirmée neuf mois plus tard par la Cour suprême du Canada.
Le troisième procès de Thomas Sophonow commence le 4 février 1985. Encore une fois, il est reconnu coupable de meurtre au deuxième degré. La Cour d’appel du Manitoba annule sa condamnation en mettant en évidence de nombreuses erreurs commises par le juge. La Cour d’appel conclut alors qu’il ne serait pas approprié de le juger une quatrième fois et prononce son acquittement le 12 décembre 1985. La Cour suprême du Canada rejette l’appel de la Couronne sur la décision et met fin à la poursuite une fois pour toutes.
Incompétence de la police
L’incompétence de la police devient une controverse publique. Alors, trois examens de la cause ont lieu, y compris l’interrogatoire interne de la police de Winnipeg par le constable John Burchill. Les résultats des examens ne sont jamais rendus publics. Cependant, le chef de la police de Winnipeg, Jack Ewatski, avoue que l’enquête a été bâclée.
Thomas Sophonowpasse quatre ans au total en prison et la grande partie de sa vie adulte à l’ombre des poursuites continues pour meurtre. Enfin, il est innocenté, et les excuses du gouvernement du Manitoba lui sont présentées.
Le gouvernement provincial nomme Peter Cory, l’ancien juge de la Cour suprême du Canada, à présider la commission d’enquête sur l’erreur judiciaire. Peter Cory mène des combats avec les autorités pour obtenir des preuves qu’il juge importantes, y compris les résultats du rapport Burchill.
Enquête
Thomas Sophonow participe à l’enquête, mais se révèle un homme déchiré. Plusieurs fois, il a des crises de colère envers ses avocats ou le système judiciaire en général. Il renvoie certains de ses conseillers. À un moment donné, il dit à ses avocats de ne pas prendre d’instructions de sa part, car il va « freiner les affaires ».
Lors de son témoignage devant la Commission, il parle ouvertement comment l’emprisonnement et le rejet de sa communauté l’ont irrémédiablement déchiré. Souvent au bord des larmes, il décrit comment il était gardé en isolement pendant quelques périodes de son incarcération dans un des pénitenciers les plus cruels du pays. Il dit qu’il souffre d’une kyrielle des problèmes de santé causés par le stress. Il raconte aussi que sa maison a été la cible d’une bombe incendiaire. Et une fois, sa fille voit d’anciens reportages du crime à la télévision et lui demande : « Papa, es-tu un meurtrier? »
Dans son rapport de 2001, le juge Peter Cory décrit l’affaire de Thomas Sophonow comme un exemple flagrant de la vision étroite où tous les autres suspects viables ne sont pas pris en considération et où la police crée assidûment un dossier sur un homme qu’elle croit coupable. Pour l’illustrer, le juge parle de la destruction de preuves provenant de BC Hydro, qui conclut que la corde utilisée pour étrangler Barbara Stoppel est produite non pas par la fabrique de Washington, mais par l’entreprise du Manitoba. Peter Cory fait remarquer que si la police avait voulu examiner la corde comme il le fallait, cela n’aurait coûté que 100 $.
Le juge Peter Cory dénonce vivement « les injustices surprenantes » des procédures policières, qui comprennent l’utilisation de l’hypnose pour raviver la mémoire de John Doerksen et la fouille à nu « scandaleuse » de Thomas Sophonow pendant son interrogatoire. Il dit que les photos qui sont montrées aux témoins sont faites de la façon qui contribue aux résultats recherchés par les policiers. La police pousse les témoins oculaires à faire des conclusions qui leur sont avantageuses, car les photos sont organisées de telle façon que Thomas Sophonow soit la personne choisie, selon Peter Cory.
Enfin, le recours aux dénonciateurs sous garde, dont celui qui a 26 accusations de fraude abandonnées après son témoignage contre Thomas Sophonow, est condamné dans son rapport.
« Le trauma psychologique, que [Thomas Sophonow] a subi est aussi grave et aussi permanent que la perte d’un membre », conclut Peter Cory. Il recommande de lui verser 2,6 millions de dollars en guise de compensation. La moitié de cet argent est payé par la Ville de Winnipeg, 40 % par la province et le reste par le gouvernement fédéral.
Suite
Le meurtre de Barbara Stoppel ne sera probablement jamais résolu, car le principal suspect de la nouvelle enquête, Terry Arnold, est décédé.
Thomas Sophonow habite à New Westminster, en Colombie-Britannique, avec sa deuxième femme et leurs trois enfants. À cause de ses souffrances causées par le stress post-traumatique, qui ne l’abandonnera probablement jamais, il décide de ne pas retourner au travail à temps plein et vit de l’indemnisation qui lui a été versée.