Terminologie : les termes anishinaabe et ojibwé
Bien que plusieurs personnes utilisent les termes anishinaabe et ojibwé sans distinction, ceux-ci peuvent avoir différents sens. Le terme anishinaabe peut se rapporter à divers peuples autochtones de l’Amérique du Nord. Il peut également faire référence au groupe linguistique partagé par les Ojibwés, les Outaouais et les Potawatomis. Le terme ojibwé se rapporte quant à lui à une nation anishinaabe bien précise. Le terme anishinaabeg est le pluriel d’anishinaabe et fait donc référence à plusieurs individus d’origine anishinaabe.
Le vocable anishinaabemowin, qui est souvent associé à la langue des Ojibwés, peut aussi se rapporter à la langue d’autres peuples autochtones de l’Amérique du Nord. Le terme ojibwemowin, qui est parfois utilisé de façon interchangeable avec anishinaabemowin, fait spécifiquement référence à la langue parlée par le peuple ojibwé.
La famille linguistique algonquienne
L’anishinaabemowin appartient à la famille des langues algonquiennes centrales, un groupe de langues autochtones très proches (comme l’outaouais, le potawatomi, le cri, le menominee, le sauk, le mesquakie et le shawnee) ayant des sonorités, des mots et des traits semblables.
Le groupe des langues algonquiennes centrales fait partie de la famille des langues algonquiennes, qui s’étend des Rocheuses (territoire de la Confédération des Pieds-Noirs) aux provinces de l’Atlantique, où l’on parle le mi’kmaq).
Expression écrite
L’anishinaabemowin s’est d’abord transmis oralement.
Autrefois, les Ojibwés transmettaient à l’écrit certains préceptes sacrés à l’aide de symboles précis. Les Anishinaabeg continuent d’honorer ces symboles, mais la graphie fondée sur l’alphabet latin (le même qui est utilisé en français) constitue aujourd’hui la principale forme de transmission écrite de l’anishinaabemowin.
Les prêtres et missionnaires chrétiens qui visitent les terres des Ojibwés sont les premiers à écrire l’anishinaabemowin au moyen de l’alphabet latin. (Voir aussi Territoire autochtone.) Le missionnaire catholique slovène Frederic Baraga apprend l’anishinaabemowin en vue de favoriser la conversion des Autochtones au catholicisme. Afin d’aider ses confrères missionnaires, il publie en 1853 un ouvrage intitulé Dictionary of the Otchipwe Language. Otchipwe, une graphie erronée du terme ojibwé, est à la base du vocable chippewa. Les graphies employées par les missionnaires sont des exemples du style phonétique populaire.
En 1840, le prêtre et missionnaire méthodisteJames Evans crée un système d’écriture syllabique après son séjour avec les Cris à Norway House. Fondé sur des glyphes représentant des combinaisons de consonnes, de voyelles et de sons, ce système syllabique est largement adopté par les Cris et les Ojibwés. Encore de nos jours, il continue d’occuper diverses fonctions.
Au milieu du 20e siècle, le linguiste Charles Fiero commence à développer le système de voyelles doublées, largement utilisé aujourd’hui. Plusieurs considèrent que ce système est plus facile à utiliser que le style phonétique populaire, où l’orthographe d’un mot peut varier d’un locuteur à l’autre. L’exemple ci-dessous dénote la différence entre le système de Fiero et le style phonétique populaire :
Action exprimée : « Il/elle rêve. »
Style phonétique populaire : « Buh-waa-jih-gay. »
Système de Fiero : « Bawaajige. »
Le système de Fiero comporte des voyelles longues (aa, e, ii, oo) et des voyelles courtes (a, i, o), et l’orthographe de chaque son peut grandement altérer le sens des mots. Par exemple, zaaga’igan signifie « lac », alors que zaga’igan, à la graphie très semblable, signifie « ongle ».
Expression orale
Les détenteurs des savoirs traditionnels indiquent que l’anishinaabemowin a été créé par Nanabozo (parfois orthographié Nanabozho et aussi appelé Wenaboozhoo et Nanabush) après que Gitche Manitou l’ait mis au monde et descendu sur Terre en lui confiant la mission de nommer toutes les choses existantes. La tâche de Nanabozo aurait donc donné naissance à l’anishinaabemowin et à sa propagation orale.
Les Aînés rappellent souvent le rôle important de l’anishinaabemowin dans la culture et la société anishinaabe. En plus de servir à la communication courante, la langue est essentielle à la conduite des cérémonies ojibwées, au rapatriement d’artéfacts sacrés et à une compréhension du monde unique à la société anishinaabe. La pérennité de l’anishinaabemowin est donc directement liée à celle de l’identité et de la culture anishinaabe.
Divers concepts et protocoles culturels sont intégrés à l’anishinaabemowin. Par exemple, en plus de reconnaître l’esprit originel de Nanabozo et de favoriser des relations respectueuses, le mot
boozhoo (bonjour) évoque le recours au souffle de vie (boo) pour exprimer le sentiment d’être en vie (zhoo). Le mot mindimooyenh, signifiant vieille femme, évoque « celle qui tient tout ensemble » au sein de la famille et de la nation. Bawaajige, qui signifie il/elle rêve, désigne un voyage sous forme de lumière spirituelle lorsque le corps est au repos. Aaniin, qui peut être utilisé comme salutation, indique qu’on reconnaît en autrui la même lumière intérieure qui se trouve en nous.
D’une région linguistique à l’autre, celui qui parle l’anishinaabemowin se présente généralement aux inconnus en suivant un protocole déterminé. Après les salutations, le locuteur mentionne son nom spirituel en langue anishinaabe, ainsi que son territoire d’origine et son clan. Cette identification spirituelle permet aussi à autrui de comprendre les différences protocolaires qu’un individu peut avoir apprises au fil des ans.
Particularités
Les verbes
Les verbes occupent une place prépondérante en anishinaabemowin. Les actions, processus et concepts de vie sont fortement ancrés dans cette langue. Les catégories verbales générales permettant d’exprimer des idées en anishinaabemowin comprennent notamment :
- les verbes animés intransitifs (un sujet vivant pose une action/se trouve dans un certain état);
- les verbes animés intransitifs + objet (un sujet vivant pose une action/se trouve dans un certain état par rapport à un être ou un objet qui demeure vague et général);
- les verbes inanimés intransitifs (un sujet non vivant pose une action/se trouve dans un certain état);
- les verbes transitifs inanimés (un sujet pose une action/se trouve dans un certain état par rapport à un objet non vivant);
- les verbes transitifs animés (un sujet pose une action/se trouve dans un certain état par rapport à un objet vivant).
Les genres
Il existe deux genres de noms : animé (êtres vivants ayant une capacité d’action) et inanimé (objets non vivants). Selon le genre du nom utilisé, on peut recourir à un verbe animé (verbe animé intransitif ou verbe transitif animé) ou inanimé (verbe inanimé intransitif ou verbe transitif inanimé).
Inini — « homme » (nom animé)
Bimibatoo — « Il/elle passe en courant » (verbe animé intransitif)
Bimibatoo inini. — « L’homme passe en courant. »
Adoppowinaak — « table » (nom inanimé)
Michaa — « est grand/grande » (verbe inanimé intransitif)
Michaa adoopowinaak. — « La table est grande. »
Consonnes et coups de glotte
L’anishinaabemowin n’utilise pas toutes les consonnes que l’on retrouve en français, mais il comprend d’autres sons comme ch, sh, zh et des coups de glotte (représentés par une apostrophe à l’écrit). Un coup de glotte correspond à une courte pause, semblable au h « aspiré » en français.
Référence aux troisièmes personnes
L’anishinaabemowin comprend un système unique de contournement, où un énoncé peut faire référence à plus d’une troisième personne. La principale troisième personne (il/elle, au nominatif) est au centre de l’énoncé et occupe une place prépondérante dans l’histoire du locuteur. Si elle est présente, l’autre troisième personne est contournée, ce qui signifie qu’elle est secondaire ou en relation avec la première personne. Lorsqu’un nom est ainsi contourné, son suffixe au pluriel passe de « g » à « n », ce qui dénote le contournement, comme le montre la phrase suivante : « Jean makwan odoodeman », ce qui signifie « Jean appartient au clan des Ours ».
État actuel de la langue
L’anishinaabemowin est considéré comme une langue menacée. Plusieurs politiques et programmes d’assimilation, comme les systèmes canadien et américain de pensionnats, ont entraîné un déclin de la langue.
Divers efforts sont toutefois déployés pour la revitaliser. Des programmes d’immersion permettent à des étudiants de parler la langue régulièrement. Au cœur de ses efforts de revitalisation, on trouve plusieurs programmes centrés sur la langue ojibwée et son enseignement (comme ceux offerts à l’Université Lakehead, à l’Université Algoma, à l’Université du Manitoba et ailleurs), divers documents et publications (comme le périodique bilingue Oshkaabewis Native Journal), des groupes d’échange linguistique en milieu communautaire et professionnel, et plusieurs outils technologiques (tutoriels vidéo, webinaires et applications mobiles).
Des recherches indiquent que l’acquisition par les Autochtones de leurs langues traditionnelles accroît l’estime des individus et le bien-être des communautés, entre autres effets positifs. En 2017, le premier ministre Justin Trudeau a proposé l’adoption d’une Loi sur les langues autochtones afin de contribuer à la protection et à la revitalisation des langues comme l’anishinaabemowin.