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Anne Brown

Anne Nelson Brown, épouse et mère (née en 1827 à Édimbourg, en Écosse; décédée le 6 mai 1906 à Édimbourg).

Anne Nelson Brown, épouse et mère (née en 1827 à Édimbourg, en Écosse; décédée le 6 mai 1906 à Édimbourg). On attribue à Anne Nelson Brown, en sa qualité d’épouse de George Brown, un des Pères de la Confédération, une influence sur la vision du monde de son mari et la capacité de modérer les prises de position de ce dernier. On souligne souvent son rôle indirect mais crucial dans l’établissement de la Confédération. Sa correspondance avec George Brown pendant les Conférences de Charlottetown et de Québec permet de faire la chronique de ces rencontres de 1864, desquelles aucun relevé officiel ne voit le jour.

Jeunesse

Fille d’un éditeur en vue d’Édimbourg, Anne Nelson voit le jour au sein d’une famille fortunée. Décrite comme une femme pleine d’entrain, gaie et engageante, elle est connue pour son intelligence, la rigueur de sa pensée et sa culture. Ayant étudié en Allemagne et vécu en France, Anne Nelson entretient de nombreux contacts en Europe et maîtrise tant l’allemand que le français.

Mariage avec George Brown

En 1862, Anne Nelson fait la rencontre de George Brown, journaliste et politicien canadien, lors du congé de maladie de celui-ci en Grande-Bretagne. L’année précédente, ce dernier a quitté le Globe, un quotidien de Toronto, ainsi que son siège à l’Assemblée législative de la province du Canada. Thomas Nelson, un ancien camarade de classe, invite George Brown à passer une fin de semaine à Édimbourg en compagnie de sa famille. C’est lors de cette fin de semaine que George Brown fait la rencontre de la sœur de Thomas Nelson, Anne Nelson, d’une dizaine d’années sa cadette. Il s’en éprend sur-le-champ. George Brown et Anne Nelson, qui est mieux éduquée et plus cultivée que lui, ont en commun l’appréciation de discussions animées. Quelques semaines suffisent à George Brown pour lui faire une demande en mariage. Ils se marient le 27 novembre 1862, puis s’installent à Toronto à la fin décembre de cette année.

George Brown est à l’époque connu comme un homme politique de tempérament à la fois caustique et intransigeant (voir Grit et Clear Grits). Vieux garçon de 43 ans, il est perçu comme plutôt morne et sévère. Avec son séjour en Grande-Bretagne et son mariage s’amorce un changement d’attitude. Il déclare retourner à Toronto fort d’une « meilleure connaissance des affaires publiques et d’un désir plus ardent que jamais de servir ses concitoyens ». Anne Brown ne s’oppose pas au retour à la politique de George Brown, en mars 1863. Cependant, tout indique qu’elle regrette le choix de son époux. Elle ne se sent jamais à l’aise par rapport à la carrière politique de George Brown, qui l’amène à siéger pendant de longues périodes à l’Assemblée législative, située dans la ville de Québec, allant jusqu’à le prier dans ses lettres de« ne jamais entrevoir la possibilité de s’y installer de manière définitive. L’idée d’être enterrée en ces lieux me remplit d’effroi ».

Lettres au bercail

Presque quotidiennement, George Brown fait parvenir des lettres à Anne Brown, lesquelles constituent une vaste source d’information sur l’influence de celle-ci sur son mari. Bon nombre de ses lettres sont préservées, en net contraste avec celles d’Anne Brown, dont bien peu nous parviendront. George Brown ne pouvant supporter l’idée que d’autres puissent lire les lettres de sa femme, il prend l’habitude de les détruire. Les seules lettres d’Anne Brown qui survivent à ce jour sont celles que son époux annote et lui renvoie.

George Brown écrit à son épouse depuis son siège à l’Assemblée législative pendant les premiers mois de 1864. De ces lettres transpire un certain détachement de George Brown par rapport à la politique. Il y exprime son empressement à voir la session parlementaire prendre fin, afin de pouvoir rentrer auprès de sa femme et de Margaret, leur fille nouveau-née. Lorsqu’il ne siège pas, George Brown passe le plus clair de son temps à attendre l’arrivée des lettres de sa femme. Ainsi éloigné de sa femme et de son bébé, il en vient à se traiter d’idiot pour être retourné à la politique.

Changement d’orientation politique

Dans des lettres datées du milieu à la fin juin 1864, George Brown exprime sa volonté d’avoir Anne Brown à ses côtés afin qu’elle puisse lui porter conseil quant à certaines questions parlementaires. Le 14 juin, un comité parlementaire composé de tous les partis et présidé par George Brown se déclare en faveur d’un système de gouvernement fédéralisé, en vertu duquel les différentes provinces seraient liées entre elles par l’intermédiaire d’un nouveau parlement fédéral, dans l’objectif de surmonter la sectorisation ayant mené à l’impasse politique dans la province du Canada (voir Grande Coalition). Cette période constitue un tournant de l’histoire canadienne, et George Brown ne manque pas de le remarquer. Il se montre nerveux face aux motions à venir, tout en ayant l’impression que les négociations en sont à un point critique:

Ô comme j’aimerais que tu soislà pour me conseiller. Je ne puis te dire à quel point j’eus aimé pouvoir compter sur ta présence. Mais qu’importe, je vais m’efforcer de faire mon devoir pour le pays d’une manière dont tu n’auras pas honte, ma chère Anne.

Anne Brown se montre quant à elle fière de son mari et lui envoie des coupures de journaux traitant de ses discours.

Les lettres de George démontrent qu’il est d’abord réticent à forger un gouvernement de coalition avec ses rivaux politiques; John A. Macdonald insiste pour que George Brown prouve son engagement en faveur de la réforme politique en se joignant au nouveau ministère. George écrit à Anne, déchiré entre son désir de mettre fin à sa carrière politique et l’opportunité de résoudre les problèmes de sectorisation dont est victime le Canada. Il semble désormais disposé à faire ce qui auparavant apparaissait impensable, soit d’unir ses forces à celles de John A. Macdonald et de George-Étienne Cartier pour travailler à l’établissement de l’Amérique du Nord britannique.

En août 1864, George Brown informe Anne Brown par écrit qu’un régime de constitution fédérale est en cours de rédaction. L’historien Frank Underhill attribue la volonté de George Brown de collaborer avec ses adversaires politiques pour le bien de la Confédération à l’influence modératrice d’Anne Brown. « Le vrai Père de la Confédération est peut-être en fait Madame Brown », avance-t-il.

Confédération

Bien qu’aucun document officiel ne nous soit parvenu des Conférences de Charlottetown et de Québec, la correspondance quotidienne entre Anne et George Brown permet de faire la chronique des rencontres de 1864. Ses lettres décriventles progrès de la conférence, les plats servis au dîner, ainsi que les gens et les politiciens qu’il rencontre. George Brown décrit souvent les débats houleux qui ont lieu, et il y va de réflexions sur sa position en faveur de la représentation proportionnelle. George Brown aborde les événements du 3 septembre 1864, lorsque les délégués de la province du Canada divertissent leurs confrères de l’Atlantique à bord du paquebotQueen Victoria :

Bien entendu, Cartier et moi-même avons prononcé des discours éloquents, et grâce à cette éloquence, et peut-être aussi à la qualité de notre champagne, la glace a été entièrement brisée, si bien que la langue des délégués s’est déliée, et bien vite les bans du mariage entre toutes les provinces de l’Amérique du Nord britannique ont été officiellement proclamés, toutes sortes de gens étant avertis ce faisant de se déclarer contre cette union à ce moment ou de se taire à jamais. Personne n’a semblé s’y opposer; l’union a donc pu être proclamée!

Enthousiaste, il écrit à Anne Brown le 27 octobre 1864, à la clôture de la Conférence de Québec, pour lui annoncer que la Constitution a été adoptée:

Victoire! Conférence terminée à dix-huit heures – Constitution adoptée – un document des plus honorables – le glas a sonné pour l’ensemble des abus et des injustices à propos desquels nous nous lamentions! […] Tu me diras que notre Constitution porte la marque indéniable des tories, certes, mais nous avons la capacité de la changer à notre gré, si bien entendu elle est adoptée! Hourra!

George Brown reconnaît les sacrifices consentis par sa femme, qui le laisse s’absenter pendant une grande partie de 1864 pour prendre part aux négociations sur laConfédération. « Peut-être devrions-nous nous réjouir du fait que nos sacrifices mènent à d’importants bienfaits pour la moitié du continent », écrit-il. George Brown se rend en Angleterre en vue de pourparlers avec le gouvernement impérial concernant le projet proposé de Confédération. Ce n’est qu’après ces rencontres qu’il retrouve Anne et leur fille, qui ont passé le plus clair de l’année en Écosse.

Fin de vie

George Brown adresse également des lettres à la mère d’Anne Brown, dans lesquelles il indique se plier immanquablement à la volonté de son épouse, tout en mentionnant le désir de cette dernière de le voir quitter la politique :

Je suis à moitié désolé d’être revenu au parlement, car dans les conditions actuelles, il eut été ardu pour mes alliés politiques de s’entendre sans ma présence. Cependant, Anne m’ordonne de ne pas tenter de me faire réélire, et comme je fais toujours ce qu’elle me dit, je suppose que cette vie parlementaire ne nous troublera plus très longtemps.

Des dissensions internes poussent George Brown à démissionner du Cabinet le 19 décembre1865. Il fait parvenir un télégramme à Anne Brown dans lequel il déclare : « Grâce à la providence, je suis un homme libre à nouveau ».

Il est par la suite en mesure de se consacrer davantage à sa femme et à leurs trois enfants. Cependant, le 25 mars 1880, un employé de journal mécontent le blesse par balle. La plaie s’infecte, menant à sa mort, le 9 mai 1880. Par la suite, Anne Brown et les enfants s’installent en Écosse. Elle rend l’âme le 6 mai 1906 et est enterrée au cimetière Dean d’Édimbourg.

Héritage

Anne Nelson Brown est souvent décrite comme la Mère de la Confédération, un titre également conféré à la reine Victoria. Bien que son importance dans l’histoire canadienne ne fasse pas l’unanimité parmi les historiens, la correspondance entre elle et son mari constitue l’une des rares sources documentaires sur les Conférences de Charlottetown et Québec.