Article

Arts graphiques et graphisme

Depuis quelques années, les arts graphiques se confondent avec les communications visuelles et le design d'information.
Massey Harris, affiche
La chromolithographie, une innovation des années 1840, permet de faire d'une technologie jadis dispendieuse une concurrente de la gravure sur bois et sur acier (photo de T.E. Moore/avec la permission de Varity Corporation).
Affiche pour recruter des ouvriers agricoles
Une affiche de 1911, pour recruter de la main d'oeuvre pour les moissons dans l'Ouest du Canada. Les trains de tourisme amenaient des travailleurs d'aussi loin qu'Halifax (avec la permission des Bibliothèque et Archives Canada/C-56088).
Bigwin Inn
Page titre d'une publication des Chemins de fer nationaux du Canada, en 1928 (avec la permission du Canadien National).
Toronto, 1835
Lithographie représentant la rue King Est avec (de gauche à droite) la prison, le palais de justice et l'église anglicane (avec la permission de la Metropolitan Toronto Library).
Rushing River
Carte dessinée par Walter J. Phillips (coll. McCurry/avec la permission des Bibliothèque et Archives Canada/C-132248).
Give Us the Tools
Reproduction sérigraphique réalisée par A.J. Casson (avec la permission des Bibliothèque et Archives Canada).
Storm Over Fields
Les plus belles oeuvres de Carl Schaefer s'inspirent de l'environnement de la ferme dans sa région natale de Grey County, en Ontario (offert par la coll. J.S. Maclean/avec la permission du Musée des beaux-arts de l'Ontario).
Festival de Stratford, affiche du
Conception de John Martin, 1984 (avec la permission du John Martin).
Ontario, affiche de promotion de l
Conception de Franklin Carmichael, 1928 (avec la permission du Canadien National).

Arts graphiques et graphisme

Les arts graphiques et le graphisme, ou le design, sont deux branches des communications verbales et visuelles qui incluent les secteurs connexes de l'art commercial, l'illustration de livres et de périodiques, la typographie et la conception de caractères. On les appelle « arts appliqués » pour les distinguer de ce qu'on nomme les « beaux-arts » (qui incluent la GRAVURE), à cause de leur dépendance à l'égard du message à transmettre, de l'objet à vendre ou du service à annoncer. De ce point de vue, ils sont les proches parents du DESIGN INDUSTRIEL.

Depuis quelques années, les arts graphiques se confondent avec les communications visuelles et le design d'information. Dans Graphic Design: A Concise History (Londres, 1994), Richard Hollis écrit : « Les graphiques peuvent être des signes, comme les lettres de l'alphabet, ou constituer un élément d'un autre système de signes, comme le marquage routier. Mis ensemble, les signes graphiques [...] constituent des images. Le graphisme consiste à dessiner ou à choisir des signes et à les disposer sur une surface de façon à transmettre une idée. »

Jusque dans les années 1870 et 1880, le plus clair de la formation artistique au Canada était d'ordre pratique. On enseignait le dessin technique et l'aquarelle aux dessinateurs, aux artisans, aux entrepreneurs et aux instituteurs.

L'ajout de cours d'art commercial, de lithographie, de gravure, de lettrage et d'illustration au programme des écoles des beaux-arts fondées à Halifax, à Québec, à Montréal, à Toronto, à Winnipeg, à Vancouver et dans d'autres grandes villes après la Confédération répond aux demandes des imprimeurs, des éditeurs de journaux et de revues ainsi que des agences de publicité (dont la première s'est établie à Montréal en 1889), en quête d'artistes qualifiés, capables de travailler avec les typographes, les rédacteurs et les éditeurs à la préparation de toute sorte de matériel graphique comportant des images dessinées ou peintes et des compositions graphiques manuelles ou mécaniques.

Au début, ce sont des artisans anonymes qui réalisent des travaux comme l'enseigne d'une auberge, l'annonce d'une diligence ou d'un bateau, la pancarte d'une vitrine, l'étiquette d'un produit, les prospectus d'encan et les affiches pour la foire agricole. Ces travailleurs indépendants et autodidactes, qu'on en vient à appeler simplement des « artistes graphiques », doivent adapter leurs techniques aux changements qui s'amorcent dans les industries canadiennes de l'impression, de la gravure et du papier quand les effets de la révolution industrielle en Europe commencent à se faire sentir au pays.

La lithographie, inventée par Senefelder en 1796, est introduite à York (Toronto) par Samuel Tazewell en 1832. Elle est réintroduite avec plus de succès par Hugh Scobie en 1843. Cette technique offre des possibilités nouvelles aux éditeurs de livres, de cartes et d'atlas, aux fabricants d'articles et d'objets en tous genres et aux promoteurs de divertissements. Elle permet la reproduction très détaillée et réaliste de scènes et d'objets, de même qu'une intégration plus artistique des éléments écrits et picturaux que ne le fait la combinaison standard de la gravure sur bois et de caractères en bois ou en plomb.

Des améliorations ultérieures, comme la chromolithographie, une innovation des années 1840, et la presse rotative à vapeur permettent à une technologie naguère encombrante et chère de devenir compétitive avec la gravure sur bois et sur métal et avec les techniques subséquentes de la ligne photographique et de la similigravure. William Leggo (1830-1915), de Montréal, place le Canada à l'avant-garde de la reprographie avec son invention du leggotype, breveté en 1865 comme procédé de photogravure utilisé pour reproduire les dessins et les gravures au trait. Appliqué plus tard au travail à la trame cristal, le leggotype sert à la reproduction des premières similigravures au monde publiées dans une revue, en l'occurrence, le numéro inaugural du Canadian Illustrated News de Desbarat en 1869.

Lithographes et graveurs immigrants

Au début, les lithographes commerciaux au Canada semblent tous venir d'Allemagne, la Bavière étant le site de la pierre calcaire poreuse, d'où le nom du procédé, littéralement « dessin sur pierre », tandis qu'une grande partie des graveurs au trait sont d'origine britannique.

Deux de ces derniers sont devenus célèbres, John Allanson (1800-1859), élève du maître graveur sur bois Thomas Bewick, arrivé à Toronto en 1849, et Frederick Brigden père (1841-1917), qui a travaillé à Londres comme apprenti aux côtés d'un disciple de Bewick, W.J. Linton, avant d'immigrer au Canada vers 1873. Sa compagnie, la Toronto Engraving Co., change son nom pour celui de Bridgen's Ltd. et, sous la direction de Fred Brigden fils, attire plusieurs artistes torontois de talent. Leurs dessins sont gravés sur du buis ou photogravés sur des plaques de métal par les employés de Brigden. Notons que la succursale de Winnipeg de la compagnie, dirigée par Arnold Brigden, emploie un certain nombre de personnalités importantes, qui ont mené des carrières de peintres et de professeurs, comme Charles COMFORT, Fritz BRANDTNER et W.J. PHILLIPS.)

L'engagement de graveurs étrangers qualifiés et la mise sur pied d'entreprises locales, comme Brigden's, Alexander and Cable, Barclay, Clark and Co., la Canadian Photo-Engraving Co. et la Thompson Engraving Co., encouragent les éditeurs de journaux et de revues, de même que les annonceurs dont ils sont devenus de plus en plus dépendants pour augmenter leurs revenus, à introduire des illustrations, des bandes dessinées, des vignettes et des titres décoratifs, d'abord de taille modeste, puis plus grands et de plus en plus élaborés. Bientôt, l'artiste-reporter se joint au personnel du journal. Les premiers praticiens de cette nouvelle profession, qui a précédé immédiatement celle de journaliste-photographe, proviennent du département interne de typographie et de mise en page.

La diversification de ces deux processus se fait sous l'égide de la section d'art du Toronto Globe. S'étant associé dans les années 1880 à la Toronto Lithographing Co., la compagnie de litho la plus importante et la plus progressive du Canada, il produit des affiches publicitaires et des publications spécialisées comme The Canadian War News (hebdomadaire qui rend compte de la rébellion du Nord-Ouest de 1885).

Parmi les employés importants de la Toronto Litho Co., mentionnons W.D. Blatchly, Henri JULIEN, J.D. Kelly, C.W. JEFFERYS et William Bengough, frère cadet du brillant caricaturiste politique J.W. BENGOUGH qui a fondé le périodique satirique Grip en 1872. Issue de cette revue, la compagnie d'art commercial Grip Ltd. se vante, dans les années 1900 et 1910, d'employer des illustrateurs-dessinateurs qui ont joué un rôle clé dans la création d'une école nationale de paysagistes, et parmi eux, C.W. Jefferys, Tom THOMSONTHOMSON et de futurs membres du GROUPE DES SEPT. Plusieurs suivent le directeur artistique plein d'initiatives de la Grip, A.H. Robson, pour se lier à la Rous and Mann Press Ltd., spécialisée dans la typographie et l'impression de qualité, alors que Franklin CARMICHAEL et A.J. CASSON se consacrent à la première compagnie canadienne de sérigraphie, la Sampson, Matthews Ltd., fondée par l'artiste J.E. Sampson et par l'homme d'affaires C.A.G. Matthews.

Le principal concurrent torontois de la Toronto Litho Co. est l'entreprise de gravure et de lithographie de l'aquarelliste d'origine anglaise J.T. Rolph. En 1917, Rolph, Smith and Co. fusionne avec la Stone Ltd. pour constituer la Rolph-Clark-Stone. Entre-temps, Grip devient Rapid Grip and Batten et plus tard Bomac Batten, qui est absorbé par le Laird Group de Toronto.

Montréal est loin derrière Toronto comme centre d'imprimerie et d'art commercial, et les entreprises de litho et de gravure qui s'y trouvent, par exemple A. Sabiston and Co., ont à leur tête des anglophones, peu enclins à employer des illustrateurs ou des dessinateurs canadiens-français. Au tournant du siècle, la plupart des villes canadiennes de taille moyenne ont leurs propres établissements d'arts graphiques, travaillant habituellement de concert avec une imprimerie, un grand magasin, un journal ou une revue. La division des tâches entre le studio d'art commercial, l'agence de publicité, le graveur et le lithographe vient plus tard.

Déplorant la lourdeur et l'excès des détails décoratifs qui gâchent les arts graphiques et le dessin au Canada, les jeunes illustrateurs vont chercher leur inspiration en Europe et aux États-Unis. F.H. VARLEY et Arthur LISMER de la Grip Ltd., formés à la Sheffield School of Art, sont, comme J.E.H. MACDONALD, profondément marqués par la nouvelle esthétique des Arts and Crafts et de l'Art nouveau qui régit les arts graphiques à l'époque. MacDonald, lui-même, s'imprègne des principes de l'artiste et dessinateur anglais William Morris au moment où il travaille à Londres pour les Carlton Studios, mis sur pied en 1902 par trois ex-employés de la Grip (A.A. Martin, T.G. Greene et Norman Price), qui prétendent avoir introduit la « notion de studio » en Grande-Bretagne. Ils ont tellement de succès dans l'exportation de ce concept né à Toronto qu'à l'aube des années 20, ils sont réputés avoir la plus importante entreprise du genre au monde.

L'ère de la propagande officielle

C'est au cours de la campagne électorale de 1891 qu'apparaissent pour la première fois des affiches en lithographie couleur. L'Industrial League confie à la Toronto Litho Co. la production d'une série de dessins en quadrichromie et en noir et blanc pour appuyer le Parti conservateur de sir John A. Macdonald. C'est le début de la collaboration de corps gouvernementaux et paragouvernementaux avec des maisons de publicité et d'arts graphiques pour la production de propagande officielle. Ainsi, dans les années 1890 et 1900, le ministère de l'Intérieur de sir Clifford SIFTON s'associe au Canadien Pacifique pour publier des affiches ferroviaires arborant le slogan « Last, Best West » (L'Ouest canadien : les meilleures terres nouvelles), et ces liens durent jusque dans les années 1920. D'autres compagnies de transport, comme le CN et Canada Steamphip Lines, ont rapidement recours aux mêmes stratégies.

L'entrée du Canada dans la Première Guerre mondiale crée le besoin de coordonner le lancement de différentes campagnes, comme le recrutement, les obligations de la Victoire, le « front intérieur », etc. C'est ainsi que naît le Service des affiches de guerre, responsable de la publication du matériel distribué dans tout le pays. Des imprimeries et des compagnies privées d'arts graphiques, comme la Toronto's Rous and Mann Press de Toronto et la Mortimer Co. Ltd. de Montréal, tirent profit de ce travail, qui comporte généralement la conception graphique et l'impression d'affiches lithographiques en couleur, de panneaux d'affichage et d'annonces dans la presse.

Durant la Deuxième Guerre mondiale est également créé l'Office national de financement de la guerre, qui vend des obligations de la Victoire. Le directeur de l'Information publique lance le slogan « Un mot de trop, un vaisseau de moins », et l'Office national du film publie des affiches frappantes (dont plusieurs dessinées par « Mayo », ainsi que signe Harry Mayerovitch de Montréal) pour annoncer les documentaires qu'il produit pour la Commission d'information en temps de guerre, laquelle succède au Département de l'information. Parmi les dessinateurs et les illustrateurs qui prêtent leurs talents à ces campagnes intensives, citons Leslie Trevor, A.J. CASSON, Eric Aldwinckle, Albert Cloutier, William Winter, Alex COLVILLE, Philip SURREY, Rex Woods, J.S. Hallam, A. Bruce Stapleton et Henry Eveleigh.

La tradition du peintre qui s'adonne à l'art commercial, à l'illustration ou au dessin typographique pour financer sa carrière personnelle en art se prolonge avec Bertram BROOKER, Carl SCHAEFER, Clare Bice, Fred J. Finlay, Jack McLaren, John A. Hall, Jack BUSH, Oscar Cahén, Harold TOWN et, au début des années 60, Joyce WIELAND, Michael SNOW et Louis de NIVERVILLE. Concepteurs graphiques, illustrateurs commerciaux et de publications, directeurs artistiques le jour et peintres la nuit, durant les fins de semaine et les vacances, ces artistes anglophones sont dans une situation comparable à celle des Québécois qui vivent de commandes de l'Église et d'emplois de professeurs dans les écoles d'art. Cette division des énergies se poursuit au Canada au moins jusqu'aux années 60, alors que le CONSEIL DES ARTS DU CANADA et les conseils provinciaux introduisent un régime de bourses, ce qui permet aux artistes de se libérer de leur asservissement à l'art appliqué. Naît alors une classe de professionnels pour qui le dessin, ou le design, n'est pas une activité exercée à défaut de mieux, mais une occupation à plein temps.

Développements du design graphique depuis la Deuxième Guerre mondiale

À la fin des années 50 et dans les années 60 arrivent au Canada des dessinateurs et des professeurs de design venus d'Europe, de Grande-Bretagne et des États-Unis, apportant avec eux les styles, techniques et théories d'avant-garde associées au modernisme international, pratiqués à l'origine par les mouvements Bauhaus et De Stijl. Ils introduisent également la typographie asymétrique de Jan Tschichold, mise à jour et réactivée, ainsi que la trame quadrillée et la typographie sans empattement prônée par les leaders suisses et allemands du domaine.

Ces modes font rapidement leur chemin, non seulement dans les écoles d'art des principales portes d'entrée du pays (Montréal, Toronto, Vancouver et Halifax), mais aussi dans les départements de design, les studios d'art commercial, les agences de publicité et les entreprises de typographie et les imprimeries qui en emploient les diplômés. Si une certaine rigueur et une certaine uniformité sont devenues la norme au pays, des variations locales se manifestent et parfois se développent, ouvrant la voie à la diversité et à une stimulante expérimentation.

Parmi les dessinateurs d'origine européenne qui se font un nom au Canada dans les années 60 et dans les années 70 émergent Peter Bartl, Horst Deppe, Gerhard Doerrié, Fritz Gottschalk, Rolf Harder, Walter Jungkind et Ernst Roch. Montréal et Ottawa se montrent particulièrement enclines à adopter leur vision réformiste, comme le prouve le succès de praticiens québécois comme Georges Beaupré, Laurent Marquart, Pierre-Yves Pelletier et Jean Morin.

À Toronto, Carl Dair, Clair Stewart, Allan Fleming, Leslie Smart, Carl Brett et John Gibson manifestent dans leurs oeuvres l'influence de la tradition typographique britannique. L'apport de Fleming chez Cooper and Beatty et, plus tard, aux presses de l'U. de Toronto établit un standard de qualité qui incite ses collègues et successeurs à ces presses, comme Will Rueter et Laurie Lewis, à rechercher le même niveau. De leur côté, Frank Newfeld (également illustrateur) et V. John Lee chez McClelland & Stewart, Peter Dorn aux presses de l'U. Queen et Robert Reid et Ib Kristensen aux presses de l'U. McGill (maintenant fusionnées en McGill-Queen's UP) encouragent les éditeurs universitaires et commerciaux à s'intéresser à « l'apparence du livre ». Fleming, qui a aussi marqué la psyché nationale avec son élégant logo du CN, défend un style de design qui adopte les meilleurs aspects du modernisme international sans dédaigner le côté humain, ni l'humour qu'il considère comme des traits distinctifs des Canadiens.

La Society of Typographic Designers of Canada (TDC) est fondée à Toronto en 1956 par quatre immigrés anglais, Frank Davies, John Gibson, Frank Newfeld et Leslie (Sam) Smart, pour exposer, encourager et faire connaître les meilleurs dessins et les meilleurs dessinateurs canadiens. Sorte de clin d'oeil à l'histoire, la première réunion de la société s'est tenue au Club des Arts et Lettres, l'ancien pied-à-terre du Groupe des Sept et de leurs collègues artistes et dessinateurs.

La première exposition de la société, « Typography '58 », (commanditée, comme toutes les suivantes, par la Rolland Paper Co.), comporte trois sections, avec un accent sur la première : le livre canadien, la publication commerciale et le périodique. Comme le souligne le catalogue de « Typography '59 », la TDC poursuit trois objectifs : « Premièrement, parvenir à un statut professionnel en acceptant des responsabilités professionnelles; deuxièmement, encourager les imprimeurs, les éditeurs et autres à appuyer leurs efforts pour atteindre des standards plus élevés dans les documents imprimées; troisièmement, sensibiliser le public aux avantages qu'apportent à tous un dessin et un art de qualité ». Incorporée légalement en 1958, la TDC institue en 1960 un programme de bourses destiné à honorer « un dessinateur ou un individu qui, par son influence et/ou une réalisation, a apporté une contribution majeure au design graphique au Canada ».

En réponse aux pressions de la TDC, le gouvernement fédéral met sur pied le Design Council et Design Canada pour promouvoir à l'échelle nationale le dessin, la formation au graphisme et le partenariat design et industrie par le biais de publications, d'expositions et de la recherche. Entre-temps, la TDC poursuit ses expositions annuelles de typographie, qui permettent de retracer les étapes de la professionnalisation croissante et de l'internationalisation du graphisme au Canada.

Dans le catalogue de l'exposition « Typography '64 », Allan R. Fleming reconnaît l'influence des dessinateurs européens : « Parce que nous avons grandi, et que les Roch, Harder et Doerrié de ce monde nous ont nourris ». Il exprime des réserves, toutefois, à l'égard de ce « style international », dont le recours aux caractères sans empattement, comme Helvetica et Univers, et la recherche d'un look impersonnel, « corporatif » ou « institutionnel » ne favorisent pas l'émergence d'un graphisme authentiquement canadien.

Le fait que l'histoire culturelle du Canada soit relativement récente est vu, par certains artistes, comme une occasion à saisir de créer une sensibilité nouvelle, hybride, qui ne prend de l'ancien que ce qui peut être adapté aux besoins et aux objectifs contemporains. Quoi qu'il en soit, au cours des années 60 et des années 70, c'est plutôt par le traitement de l'image que les dessinateurs continuent à transmettre leur sens de l'identité nationale, sans que se développe chez eux une manière proprement « canadienne » de traiter la gravure, le lettrage, la mise en page et la couleur.

Pour mettre en lumière le haut niveau atteint par tous les types d'expression graphique lors d'Expo 67, dont le succès est mémorable, la société change, en 1968, son nom pour celui de Society of Graphic Designers of Canada/Société des graphistes du Canada (GDC/SGC), qui prend une envergure nationale, en 1974, grâce à une subvention de Design Canada. Des branches se forment partout au pays l'année suivante. La société obtient des lettres patentes et une charte nationale en 1976. En 1988, la SGC organise au Berthold Type Center de Toronto une exposition en hommage à ses membres fondateurs.

De 1966 à 1994, les boursiers de la GDC/SGC sont les suivants : en 1966, Carl Dair (mort en 1967), Allan Fleming (mort en 1977), Leslie Smart, H.L. Rous (membre honoraire); en 1975, Carl Brett, Gerhard Doerrié (mort en 1984), Peter Dorn, Burton Kramer, Laurie Lewis; en 1977, Giles T. Kelly; en 1983, Peter Bartl, Eiko Emori, Walter Jungkind, Jan van Kampen, Jules Laporte (membre honoraire), Anthony Mann, Neville Smith, Ulrich Wodicka, Chris Yaneff; en 1985, Jorge Frascara, Rolf Harder, Charlie Harris (membre honoraire), Paul Haslip, Bardolf Paul, Ernst Roch, Denise Saulnier, Gregory Silver; en 1987, John Gibson, Tiit Telmet; en 1990, Frank Davies, Horst Deppe, Judith Gregory, Frank Newfeld; et en 1994, Don Dixon, Michael Maynard. Notons que, comme la rareté des noms féminins le suggère, le milieu du graphisme est lent à admettre des femmes aux niveaux supérieurs et dans ses cercles fermés, une situation qui s'est améliorée dans les dernières années, ainsi qu'on peut le voir dans l'annuaire des membres de la GDC/SGC.

Les membres de la Société des graphistes du Québec (SGQ), fondée en 1972 et indépendante, entretiennent entre eux des liens plus étroits que ceux de la contrepartie anglophone. Cette situation reflète bien la taille plus réduite de cette société et la cohésion de la communauté des graphistes de la province. Cela montre aussi l'impact de l'arrivée au Québec de graphistes allophones, qui ont introduit une perspective internationale au sein d'une communauté d'artistes plutôt insulaires, sinon biaisés en faveur des tendances européennes. Plus que partout ailleurs au Canada, les initiatives en graphisme, appuyées par le gouvernement dans le but de créer une image « nationale » indépendante pour la promotion du Québec au pays et à l'étranger, ont permis à l'industrie du graphisme de traverser une période de difficultés économiques en réussissant à se maintenir à flot.

Les deux événements qui ont propulsé le graphisme canadien dans la deuxième moitié du XXe siècle sont l'EXPO 67 et les Jeux olympiques de 1976 à Montréal. Georges Huel, dessinateur de l'affiche officielle de l'Expo, est le directeur général du graphisme et de la production d'affiches pour le Programme de graphisme et d'affichage de la Compagnie de l'Exposition de 1967. Quant à Guy Lalumière, il a la responsabilité des affiches pour les pavillons culturels, et c'est Julien Hébert qui conçoit le symbole officiel « Terre des hommes ». La Commission des expositions du gouvernement canadien emploie d'autres d'artistes en design, qui réalisent un large éventail de publications et de documents de signalisation et d'identification, comme Paul Arthur, Burton Kramer, Frank Mayrs et Neville Smith, les deux derniers ayant aussi travaillé à décorer l'intérieur du pavillon canadien à l'exposition universelle d'Osaka de 1970. Paul Arthur, de Toronto, conçoit pour l'Expo un système de repérage des plus efficaces.

La décision d'utiliser les caractères Univers d'Adrian Frutiger confère une uniformité moderniste qui est bénéfique - ou pas, selon les points de vue - au programme de graphisme des XXIe Jeux olympiques. Georges Huel, directeur général de l'Organisation des jeux olympiques (COJO), espère profiter de l'occasion pour « montrer [...] qu'avec une bonne planification, les personnes pertinentes engagées dans le graphisme peuvent réellement contribuer à un événement comme nos Jeux ». Parmi ces « personnes pertinentes » figurent des Montréalais comme Huel lui-même, qui s'est occupé de la signalétique, du design des meubles, des uniformes, etc.; P.-Y. Pelletier, qui agit comme directeur adjoint responsable de tout le matériel imprimé; et Fritz Gottschalk, qui dirige le Bureau de contrôle du graphisme et de la qualité. Au total, le COJO a retenu les services de 8 graphistes permanents et de plus de 100 pigistes.

Nonobstant tout le reste, on peut dire que l'Expo et les Olympiques ont fait connaître le bassin de graphistes de talent du Québec, et parmi eux Pierre Ayot, Raymond Bellemare, Yvon Laroche et Guy Saint-Arnaud, sans oublier l'original Vittorio Fiorucci, d'origine italienne, qui sérigraphie ses propres affiches quand le COJO rejette ses dessins. À l'instar de la protestation controversée de « Corridart », cette initiative caractérise le développement de la créativité non officielle que des événements d'une telle ampleur peuvent provoquer.

Les années 60 et les années 70 sont aussi marquées par la formation d'un certain nombre de partenariats influents dans le graphisme : par exemple Rolf Harder and Ernst Roch Design Collaborative, Penthouse Studio et Studio 2+2 à Montréal; Gottschalk and Ash, Graafiko, Fleming and Donoahue, Burns and Cooper et Eskind-Waddell à Toronto; et MacDonald, Michaleski and Associates à Winnipeg. Tandis que certaines de ces firmes ferment leurs portes, de nouvelles branches se forment. Même si la tendance de la fin des années 80 et des années 90 est de se montrer plus flexible, moins d'agences permettent aux graphistes de prendre des positions personnelles et les contraignent soit à se spécialiser dans des domaines d'expertise ou conformes à leurs goûts, soit à travailler à tous les aspects du graphisme.

Alors que les firmes plus anciennes et plus grandes continuent de prospérer (grâce, en grande partie, à des travaux commandités par les entreprises et le gouvernement), des compagnies plus récentes et plus petites (plusieurs autogérées, avec une seule personne) continuent d'apparaître.

Souvent, les entreprises moins orientées vers le secteur commercial se concentrent sur des commandes culturelles, comme les catalogues et les dépliants d'exposition, les livres, les affiches et les rapports, mais certaines s'attaquent à d'autres domaines et médias, comme le dessin de timbres-poste, de pochettes de CD, de vidéos et d'interfaces. Cette faculté d'adaptation témoigne de l'impact de la révolution provoquée par l'avènement, dans les années 70, de la composition par ordinateur et, par la suite, de technologies comme le dessin assisté par ordinateur, l'impression au laser, la lecture optique numérique et l'éditique, qui sont en voie de révolutionner la profession et qui exigent de nouvelles approches adaptées à l'âge dit de l'information.

En même temps, le besoin de maintenir des standards de base de lisibilité et de clarté visuelle dote le graphisme d'une nouvelle importance dans les médias imprimés plus traditionnels. Par une curieuse ironie, le meilleur (et le pire) dans le graphisme s'est vu exposé, ces dernières années, dans des galeries d'art publiques et des musées, alors que bien peu de ces institutions ont aujourd'hui les moyens de soutenir leurs propres départements de graphisme et ont tendance à faire appel à des pigistes.

Ainsi, le Musée des beaux-arts de l'Ontario a produit des catalogues, des affiches et des documents signalétiques signés par des designers qui ont reçu des prix au cours des années 60 aux années 80, comme Scott Thornley, Richard Male, Marilyn Bouma-Pyper, Steve Boyle, Kevin Connolly et Lisa Naftolin. Parmi les autres institutions d'arts visuels reconnues pour leurs publications de qualité, on compte le Centre canadien d'architecture de Montréal, The Power Plant de Toronto, la Winnipeg Art Gallery et la Southern Alberta Art Gallery de Lethbridge.

L'intégrité de la conception typographique continue d'être défendue contre les modes « branchées » et le fouillis des options par des sommités attachées à des imprimeries spécialisées et accomplissant des travaux de luxe, comme Stan Bevington de la Coach House Printing, David Clausen de la Hemlock Press, Gerald Giampa de la Giampa Textware Corp., Glenn Goluska de l'Imprimerie Dromadaire, Robert MacDonald de Dreadnaught Design, John Ormsby de Canadian Art, Will Rueter de l'Aliquando Press et feu Ed Cleary de la vénérable Cooper & Beatty Typographers et, plus récemment, la Font Shop. Comme leur travail sert à nous le rappeler, la « démocratisation » des caractères et de la composition graphique, avec les logiciels et les équipements d'éditique, et l'accès parallèle à des milliers de caractères font qu'il est plus important que jamais de faire preuve de bon goût, de discernement et de modération dans la gestion du matériel textuel et visuel.

Les changements majeurs dans la technologie des communications et la consommation sont survenus en même temps - et ont pu y contribuer - que le déclin des clubs de directeurs artistiques de publicité, qui constituent une référence en matière de graphisme, d'illustration et de photographie commerciales à Montréal, Toronto, Winnipeg et Vancouver dans les années 60 et dans les années 70. Au début du moins, ces clubs servent à récompenser et à encourager l'innovation et la qualité par le biais de publications et d'expositions annuelles avec jury. Récemment, l'ancien Art Directors' Club de Toronto a pris le nom d'Advertising and Design Club of Toronto pour refléter le passage à un nouveau centre d'intérêt, qu'on définit comme le « graphisme de persuasion » pour le distinguer du « graphisme d'information ».

Un autre facteur important qui contribue à former un public averti en matière de graphisme est la professionnalisation de ce domaine dans les écoles d'art, les universités et les divers collèges et dans la mise sur pied de programmes conduisant à un diplôme. Les programmes de graphisme d'institutions comme le NOVA SCOTIA COLLEGE OF ART AND DESIGN (NSCAD) d'Halifax, l'ONTARIO COLLEGE OF ART et l'UNIVERSITÉ YORK de Toronto, le Sheridan College of Art d'Oakville, l'UNIVERSITÉ DE L'ALBERTA d'Edmonton et l'Emily Carr Institute of Art and Design de Vancouver ont agi comme des catalyseurs dans leurs milieux respectifs, faisant connaître les développements internationaux, provoquant des attitudes créatives et offrant une réserve continuelle de graphistes qualifiés pour le marché national et international.

Le NSCAD, par exemple, attire des étudiants non seulement des Maritimes, mais aussi du reste du Canada et de l'étranger, grâce à un programme dynamique d'échanges d'étudiants, qui fonctionne en association avec près de 40 institutions à travers le monde. De plus, le collège invite deux graphistes-éducateurs à enseigner leur art pendant des sessions de quatre semaines.

Ottawa fait des efforts dans les années 70 pour éveiller l'intérêt du public à l'excellence dans les diverses formes du graphisme, par le biais d'agences comme Information Canada et Design Canada. Ces efforts sont entravés par les compressions, l'indifférence ou l'opposition officielle à ce que d'aucuns voient comme des dépenses futiles et aussi par des conflits internes. Malgré tout, Ulrich Wodicka et son équipe sont en mesure de collaborer à la création d'un programme d'affichage et d'identification standard pour tous les ministères fédéraux, en travaillant de concert avec Information Canada et le Conseil du Trésor.

Les provinces prennent du retard en instaurant des divisions dans des projets susceptibles d'instaurer la cohérence et la logique dans les programmes où règnent aujourd'hui l'anachronisme et l'absence d'harmonie. Si de tels programmes avaient été mis en oeuvre avec intelligence et sensibilité, ils auraient pu donner des directives claires au secteur privé et faire en sorte que les agences, ministères et services reconnaissent leurs compétences. Cette reconnaissance ne pourra s'obtenir qu'en éliminant la duplication et la confusion au niveau de la bureaucratie et de l'administration.

Dans le climat économique surchauffé du milieu des années 80, certains membres inactifs dénigrent le SGC, l'accusant d'être tombé dans l'insignifiance institutionnalisée. L'association poursuit malgré tout ses efforts, aux plans local et national, pour assurer et maintenir « un groupe défini, reconnu et compétent de graphistes et promouvoir des standards élevés de graphisme dans l'intérêt de l'industrie, du commerce, des services publics et de l'éducation au Canada » (on présume que les arts et les communications font partie des « services publics »). Le fait que la société adhère aux « standards établis et reconnus d'éthique, de déontologie professionnelle et de responsabilité de l'International Council of Graphic Design Associations (ICOGRADA) », dont le congrès de 1991 a lieu à Montréal sous le patronage de la SGC et de la SGQ, appuie ses efforts.

La SGC se trouve comme nouveau mandat de se faire l'avocate de la profession en regard des changements énormes qui amènent la confrontation entre les industries graphiques et les communications à l'ère de l'information. Pour être prête à relever les défis identifiés par son exécutif et ses membres, la SGC ouvre un secrétariat à Ottawa au début de 1995, renforçant le caractère national de l'organisation et la rendant en mesure d'augmenter les communications et la programmation entre les sections. L'organe de la société, Graphic Design Journal, est une source importante d'information et constitue un lieu de dialogue et d'échanges d'idées, non seulement sur la situation actuelle de l'art, mais sur son histoire et sur ses développements futurs.

La SGC publie en outre cinq bulletins régionaux, un annuaire national de ses membres et diverses publications sur des sujets comme l'éthique, le droit d'auteur et l'enseignement des arts graphiques. En collaboration avec la Société des graphistes du Québec, elle commandite un concours national de graphisme.

Consciente que l'avancement de la profession dépend de la création de réseaux interdisciplinaires et de l'établissement de rapports avec la communauté entière des arts graphiques, la SGC adhère à l'Alliance Nationale du Design (AND), un groupe de pression qui représente un certain nombre d'organisations et d'associations régionales et nationales pour la promotion du graphisme. Un des buts de l'AND est d'arriver à convaincre tous les niveaux de gouvernement, aussi bien que les secteurs des communications, de l'industrie et des affaires, de l'importance vitale, pour le bien du pays, de tous les types de graphisme. Pour que le Canada soit capable de soutenir la compétition dans une économie mondiale hautement concurrentielle et déréglementée, il lui faut une main-d'oeuvre qualifiée et polyvalente et un système d'enseignement et de formation efficace.

Réussir de telles alliances et les partenariats qu'elles favorisent est devenu de plus en plus critique à la fin des années 80 et au début des années 90, alors que la communauté du graphisme cherche à se redéfinir et à se repositionner comme figure de proue dans ce qui est maintenant connu comme le graphisme de communications. Une telle action s'avère nécessaire en 1988, au moment où le gouvernement canadien mène une enquête sur l'industrie du graphisme.

Les quatre principales préoccupations qui ressortent dans les réponses au questionnaire concernent : l'impact des nouvelles technologies sur l'industrie, le manque de reconnaissance professionnelle, la qualité de l'enseignement du graphisme et le fait que le public n'en avait pas conscience. Il semble que les graphistes soient des plus isolés et mal préparés à la complexité de leur situation, tandis que la conscience du public de la place du graphisme dans la vie courante et à tous les niveaux de la culture reste minimale.

Les facteurs économiques sont largement, mais non exclusivement, responsables de cette impasse. Si l'on peut considérer après coup les années 80 comme de merveilleuses années, au cours desquelles les graphistes ont pu mettre leurs talents à profit pour réaliser des rapports annuels à gros budget et profiter de vastes programmes de promotion corporative, la profession traverse depuis lors une période de disette. Elle a d'abord dû affronter les ondes de choc suivant l'avènement de l'éditique et l'accessibilité en vente libre de matériaux graphiques et de logiciels typographiques. La récession rend ces instruments attrayants pour les gestionnaires soucieux de réduire les coûts de production de la publicité, des bulletins, des dépliants, des catalogues et autres publications et documents de promotion.

Entre-temps, une nouvelle conscience environnementale incite les clients à être plus modestes dans l'utilisation des ressources. La crise économique n'affecte pas la côte ouest aussi sérieusement que le reste du Canada, mais à l'est des Rocheuses, les studios réduisent leur taille ou se regroupent, et les agences se disputent les contrats naguère assurés, surtout en raison du fait que la publicité continue de négliger les médias imprimés au profit de la télévision. Les graphistes se voient confrontés à d'inextricables pressions, combinées aux attentes de plus en plus grandes de la part des clients, se traduisant par de courts délais d'exécution, une responsabilité accrue pour mener à bien la production, avec un personnel réduit.

Dès que les entreprises, les ministères et les agences culturelles installent des salles d'ordinateurs et envoient le personnel à des cours d'éditique, la « mystique » du graphisme est minée. Avant cela, les graphistes réalisaient un service unique, spécialisé, agissant comme intermédiaires entre un concept de communication et l'imprimeur. Maintenant, les frontières sont floues entre les disciplines, puisque l'informatique permet aux graphistes et aux illustrateurs de retoucher et de manipuler des photos et même de produire des présentations multimédias incluant du son, du mouvement (film et animation) et le repiquage des photos, avec une multitude de caractères. Au lieu de travailler dans des formats imprimés, bidimensionnels, les graphistes doivent dessiner en fonction de l'écran d'ordinateur ou de télé et, plus encore, pour l'interface des utilisateurs d'ordinateur.

Les frontières s'estompent également au niveau de l'approvisionnement (typographes, photographes, illustrateurs, animateurs) et à celui de la livraison (le développement des photos, par exemple, est remplacé par la numérisation et la séparation des couleurs, et l'illustration est fournie sur disquette pour être reproduite dans une variété de formats, depuis les copies laser jusqu'aux reproductions couleur glacées à haute définition). Avec tous les changements technologiques et la façon dont nous avons accès à l'information et l'utilisons, le graphisme s'est beaucoup transformé.

Obligés de s'adapter rapidement, les graphistes ont trouvé des façons d'aller au-devant de ces nouvelles exigences en ne les considérant pas comme des obstacles ou des menaces, mais comme des chances à saisir pour faire avancer la discipline. Le travail de l'artiste en communications consiste de plus en plus à suggérer des solutions aux problèmes et à rendre l'information accessible, en faisant appel à ses capacités d'analyse et de résolution des problèmes. Ces aptitudes sont devenues cruciales à une époque de postalphabétisation à outrance, d'où le boom des systèmes d'orientation par le biais d'icônes, pour lesquels des Canadiens comme Paul Arthur (qui prétend avoir inventé le terme « signage ») et les entreprises graphiques Gottschalk & Ash et Keith Muller and Associates se sont mérités une réputation internationale.

Malheureusement, certains graphistes réagissent à ces défis non en réexaminant leur rôle et fonction, mais en promouvant l'idée que le design graphique et vidéo relève de la consommation, en fait, « du graphisme de designer ». Les résultats de cette mauvaise utilisation des énergies ne sont nulle part plus évidents que dans la pléthore de publications excessivement surchargées, dans lesquelles la mise en page, la typographie et l'imagerie supplantent le contenu (les catalogues d'exposition en sont parmi les pires exemples). La surabondance de caractères modulables maintenant disponibles sur disquettes, couplée à la tentation de se laisser aller aux possibilités apparemment illimitées de manipulation de l'image qu'offrent les logiciels éditiques, a produit un éclectisme stylistique qui décourage la lisibilité, sème la confusion et est, de plus, rapidement dépassé.

Des revues comme Applied Arts Magazine and Studio et Creative Source, publiée annuellement, offrent un service appréciable en fournissant de l'information sur les graphistes et les illustrateurs et sont des guides pratiques sur les tendances actuelles et les nouveaux procédés, mais leur faiblesse réside en ce que, par leur nature même d'outils de promotion personnelle, elles encouragent des oeuvres qui privilégient le style aux dépens du contenu. Introduire dans de telles publications davantage d'information historique et des articles de critique pallierait ces excès.

Même si des prix, des citations et des publications de l'étranger attestent la reconnaissance de graphistes et de firmes de graphisme canadiens, le nombre d'entre eux qui ont atteint une large visibilité internationale demeure faible, du moins en comparaison avec l'importance disproportionnée des contributions du pays à l'industrie des communications. Signalons quelques exceptions notables récentes : Don Watt du Watt Group, le géant international de graphisme d'emballage, et Bruce Mau, graphiste en chef de la prestigieuse série de livres « Zone » et chef de la Bruce Mau Design, dont le siège social est à Toronto.

De tels succès engendrent inévitablement des imitateurs, et leur travail, une fois célèbre, est vite dépassé. Il suffit de rappeler le clonage à large échelle de la campagne publicitaire « No Name » (Sans nom) des supermarchés Loblaws et la typographie néo-asymétrique déformée par ordinateur de la fin des années 80 et du début des années 90. Ce phénomène de copie (fléau également de la création de mode et de l'architecture) force les graphistes au talent vraiment original à le développer et à évoluer, ne serait-ce que pour éviter de se faire doubler par leurs imitateurs. Cependant, le changement pour le changement n'a jamais été bénéfique au graphisme, où les principes classiques modernistes de la modération et du respect du matériau ont toujours cours.

Le graphisme canadien doit vaincre un autre obstacle. En dépit de la globalisation du commerce et des échanges de données, l'industrie du graphisme n'a pas la reconnaissance du public et est trop souvent ignorée par les gouvernements et les entreprises, qui ont toujours tendance à penser que les commandes de grande envergure, spécialement les campagnes d'identité et de signalisation, ne peuvent être menées à bien que par des firmes étrangères. Alors qu'autrefois, on pouvait attribuer cette habitude de méconnaître les nôtres à notre fameux complexe d'infériorité national, aujourd'hui, à une époque où les barrières tarifaires tombent, encourager les talents nationaux est devenu paradoxalement hors de propos.

Pour réussir, comme ils le devraient, à l'emporter dans les compétitions pour des travaux d'envergure, les graphistes canadiens doivent obtenir le soutien non seulement des publications des groupes de pression, mais des médias populaires, où l'on continue - bien sûr, quand on en parle - de confondre le graphisme avec la « mode » ou une branche des arts et métiers. Faire un portrait du développement du graphisme de communications au Canada est d'autant plus difficile qu'il n'existe pas de collection nationale de graphisme qui permettrait aux jeunes graphistes et à ceux qui sont établis dans la profession, tout comme aux étudiants, aux professeurs, aux universitaires et au grand public, de découvrir ce qui s'est passé et ce qui se passe dans le domaine.

Le sentiment d'une crise du graphisme postmoderne déclenche une variété de réactions et de stratégies. Une de ces réactions consiste à reprendre le désir de certaines personnes et de certaines firmes, exprimé par le graphiste et écrivain de Toronto, Will Novosedlik, de « concevoir graphiquement tout ce qu'il y a autour de nous, comme s'il n'y avait rien qui ne puisse bénéficier de l'ordre que nous cherchons à y imposer ». Cette attitude est liée au « programme utopique » des graphistes, qui remonte au moins à William Morris, au Deutscher Werkbund et au Bauhaus. Advenant que la profession elle-même échoue à renouveler ses standards, ce sont les forces du marché et la révolte publique qui vont dicter un retour à un graphisme plus net, plus clair, moins prétentieux. On peut se réjouir qu'un correctif semble en voie de s'amorcer, appuyé par le sentiment que l'appel aux capacités, au jugement et au goût est sans doute plus fort dans les soi-disant nouveaux médias (y compris, en particulier, l'éditique et son extension, le multimédia) que dans les formats traditionnels d'impression.

Du design graphique au design des communications visuelles

Un certain nombre de questions qui ne touchent pas à l'esthétique sont apparues cruciales dans les années 90. Deux des plus importantes, du point de vue du graphisme, ont trait à l'accréditation professionnelle et à l'enseignement du graphisme. Pour s'attaquer à la première, la section ontarienne de la SGC a mis sur pied le Graphic Design Accreditation Committee en 1992, formé de représentants du milieu académique. Le comité a mené une enquête exploratoire en juillet 1993 pour servir de base à l'élaboration d'un consensus sur les questions essentielles : le besoin d'accréditation professionnelle, la définition du graphisme comme une profession, la philosophie qui sous-tend la profession et sa responsabilité envers la société et enfin, le choix d'un nom pour la profession. Bien que « graphisme » l'ait emporté sur « design de communication visuelle » par un faible pourcentage, c'est ce dernier terme que les éducateurs ont tendance à favoriser.

Après avoir mis du temps à reconnaître la valeur du graphisme, le Canada a longtemps traîné derrière les autres pays occidentaux dans le domaine de l'enseignement du graphisme et commence seulement à se rattraper. Progressivement, des matières nouvelles comme la théorie, l'histoire, les sciences et les études libérales sont ajoutées aux cours de graphisme menant à un diplôme. Alors que les communications visuelles demeurent au centre du programme, des ajouts y ont toujours été un facteur clé pour faire face aux changements de contextes. Dans les années 80, le développement des études en graphisme a contribué à modifier les conceptions du graphisme pour en faire un champ interdisciplinaire.

Sous la direction successive d'Anthony Mann, de Horst Deppe et de Hanno Ehses, le NSCAD Visual Communication Department illustre bien que le Canada reconnaît l'importance du graphisme dans la vie quotidienne. Le programme, qui conduit à un diplôme de bachelier en graphisme de communications, met l'accent à la fois sur l'aspect pratique et théorique, insistant non seulement sur la communication visuelle, mais aussi sur la communication écrite et orale. Au cours des 20 dernières années, le programme a poursuivi un mandat régional, national et international. Cette approche holistique donne des résultats : d'après une enquête statistique, 90 p.100 des diplômés trouvent un emploi lié au graphisme.

Pour mettre en oeuvre un concept selon lequel l'apprentissage est l'entreprise de toute une vie plutôt qu'un processus éphémère et selon lequel la faculté de s'adapter aux changements et à relever de nouveaux défis est une nécessité vitale, le Sheridan College et l'U. Ryerson s'unissent en 1994 pour tracer les plans du Ryerson-Sheridan Visual Communications Design Degree Program, lequel, une fois mis en pratique, est le premier du genre au Canada. En insérant son programme dans un contexte d'affaires et de communications, l'institution aide la profession à réaliser pleinement son potentiel économique. La raison d'être de ce programme est « d'équiper les étudiants à l'environnement professionnel changeant des années 90 et au-delà, en les dotant d'habiletés intégrées et adaptables ».

Entre-temps, nombre d'autres initiatives sont entreprises pour atteindre des buts similaires, y compris une étude fédérale de 450 000 dollars pour aider le secteur du graphisme à évaluer les défis de la compétition. En même temps, le ministère ontarien du Développement économique et du Commerce, en collaboration avec diverses organisations de graphisme, lance l'Ontario Design Strategy sur la base de l'hypothèse que l'innovation est cruciale pour le succès des affaires et de l'industrie en Ontario.

Ce qu'on avait l'habitude d'appeler le graphisme est tellement omniprésent qu'il en devient invisible. C'est un fait curieux, car contrairement au design industriel, où les praticiens se sont de tout temps plaints d'être le parent pauvre de l'économie au Canada, le graphisme de communications est un secteur financièrement important, même si la population du pays est relativement petite. C'est le cas particulièrement en Ontario, où on estime le nombre des firmes de graphisme à 1300 (incluant les imprimeries offrant un service de graphisme), employant près de 12 000 personnes comme dessinateurs ou illustrateurs, sur un total d'environ 26 000 pour l'ensemble du Canada.

Le secteur du graphisme (et sa composante pédagogique) devient de plus en plus mondial, avec des groupes de graphisme travaillant à l'échelle internationale. Les leaders de l'industrie du graphisme et des communications s'accordent à reconnaître que l'économie de l'information est la clé de l'avenir du Canada. Les stratégies sectorielles actuelles en graphisme, télécommunications, informatique et culture du gouvernement de l'Ontario et du Nouveau-Brunswick en conviennent. La survie professionnelle dans tous les champs de communications visuelles requiert non seulement une grande faculté d'adaptation, mais aussi le partage de l'information, point d'achoppement de ce secteur de la culture, par nature ultra compétitif. Si le graphisme est appelé à jouer un rôle dans l'intégration des technologies des communications, comme il est question dans tous les médias, il lui faudra, dans ce mouvement de « convergence », être capable de comprendre toutes les composantes et d'entretenir de bonnes relations avec elles. Comme dans les domaines artistiques et littéraires, la survie du graphisme à l'époque d'Internet peut dépendre non pas de la vente d'« originaux » et de concession de droits, mais de mises à jour et d'apports complémentaires offerts sur une base individuelle ou par abonnement.

Au coeur de toutes ces variables, il reste que ce qui fait la base du savoir-faire du graphiste, c'est l'esprit d'analyse, la capacité de structurer l'information et le sens de la communication. Pour que le multimédia respecte la qualité du contenu, il faut que les rédacteurs, les écrivains et les graphistes prennent le contrôle de ce nouveau véhicule, plutôt que de laisser prendre les décisions finales par les techniciens, les comptables et les vendeurs, favorables à l'approche du plus bas commun dénominateur.

Malheureusement, cet effort est contrarié par l'absence d'un but commun bien précis et par le manque d'outils de référence fiables, publiés et inédits sur l'histoire du graphisme au Canada. Les Archives nationales du Canada ont fait quelques tentatives pour combler ce vide en mettant sur pied des centres muséaux spécialisés, comme la National Poster Collection et le Centre canadien de la caricature (dont les plus de 20 000 pièces sont maintenant disponibles sur un système d'imagerie sur disque optique appelé ArchVISTA). Malgré tout, les habituelles compressions de fonds restreignent leur ambition d'acquérir, d'exposer et de publier un plus grand nombre d'exemplaires d'oeuvres graphiques et d'illustrations faites au Canada à travers les époques. Le MUSÉE NATIONAL DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE collectionne les artefacts relatifs aux métiers de l'imprimerie, mais il semble moins enclin à réunir différents types d'objets imprimés.

Unlike Montreal's Musée des Arts Décoratifs at the Chateau À la différence du Musée des arts décoratifs installé jadis au Château Dufresne de Montréal, le nouveau Design Exchange n'est pas une institution vouée à la collection, même s'il peut, à l'occasion, présenter dans ses expositions des oeuvres de graphisme au milieu d'autres objets et de meubles. L'économie et la logistique étant ce qu'elles sont, le musée canadien des arts graphiques et de la communication, espéré depuis longtemps déjà, risque de demeurer à l'état de réalité virtuelle. Ken Chamberlain, ancien bibliothécaire de l'Emily Carr Institute of Art and Design, a fait un premier pas dans cette direction, en publiant en 1994 sa bibliographie tant attendue du graphisme canadien, disponible sous forme d'imprimé et de disque compact.

En savoir plus