Le 23 avril 2018 à 13 h 24, un homme de 25 ans s’identifiant comme un « incel » (célibataire involontaire) conduit une fourgonnette de location sur un trottoir de la rue Yonge dans le quartier des affaires de North York, à Toronto. Il poursuit ensuite sa course vers le sud et happe intentionnellement piéton après piéton. Lorsque la police l’arrête, 10 minutes plus tard, 10 personnes (dont 8 femmes) sont mortes et 16 sont blessées. Il s’agit alors de la plus grande tuerie de l’histoire de Toronto ainsi que du Canada depuis la tragédie de Polytechnique, à Montréal, en 1989. Le 3 mars 2021, le conducteur est reconnu coupable de 10 meurtres au premier degré et de 16 tentatives de meurtre. Sa peine devrait être déterminée le 11 janvier 2022.
L’attaque
Le lundi 23 avril 2018 à 13 h 24, une fourgonnette Chevrolet blanche monte sur le trottoir sud-ouest de la rue Yonge à Toronto, à la hauteur de l’avenue Finch. Les piétons hurlent et se précipitent hors du chemin de la fourgonnette, qui accélère sur le trottoir en direction sud et frappe des gens. Certains sont écrasés; d’autres sont happés de plein fouet et sont projetés dans les airs. À un certain point, le trottoir se rétrécit, et le conducteur de la fourgonnette se dirige donc vers le trottoir est de la rue Yonge. Il y poursuit brièvement sa course. Il retourne ensuite sur le trottoir ouest, où il conduit vers le sud en frappant d’autres piétons.
L’agent de police torontois Ken Lam arrive sur les lieux et s’approche de la fourgonnette près de l’intersection de la rue Yonge et de l’avenue Sheppard. Le conducteur arrête alors la fourgonnette, en sort et marche vers l’agent en pointant ce qui ressemble à un pistolet. Il crie au policier de lui tirer dessus. Toutefois, l’agent Lam remarque que l’homme ne tient pas une arme, mais un portefeuille. Il rengaine alors son pistolet et sort sa matraque. Il ordonne de façon répétée au conducteur de s’allonger sur le trottoir. Celui-ci obtempère et est arrêté.
Victimes
L’horreur causée par la fourgonnette, qui parcourt 1,2 km sur le trottoir achalandé du quartier des affaires de North York, à Toronto, dure dix minutes. Seize personnes sont blessées lors de l’attaque. Dix perdent la vie. Il s’agit de Munir Abdo Habib al-Najjar (85 ans); Chul Min « Eddie » Kang (45 ans); Anne Marie D’Amico (30 ans); Dorothy Sewell (80 ans); Beutis Renuka Amarasingha (55 ans); Mary Elizabeth Forsyth (94 ans); So He Chung (22 ans); Andrea Bradden (33 ans); Geraldine Brady (83 ans); et Ji Hun Kim (22 ans). À l’exception de Munir Abdo Habib al-Najjar et d’Eddie Kang, il s’agit seulement de femmes. La plupart des 16 blessés sont également des femmes.
Enquête
L’identité de l’auteur du crime n’est jamais mise en doute. Lors des interrogatoires, le conducteur ne tente jamais de nier sa culpabilité ou le caractère prémédité de son crime. Il dit à la police qu’il avait décidé de tuer autant de personnes que possible et qu’il avait loué la fourgonnette trois semaines avant l’incident. Il dit avoir choisi ce type de véhicule parce qu’il est suffisamment petit pour être mobile, mais suffisamment grand pour faire un maximum de dommages. Quand les enquêteurs lui demandent comment il se sent après avoir fait tant de mal à tant de personnes, il répond : « Je sens que j’ai accompli ma mission. »
Avant l’incident, le conducteur publie une déclaration sur son compte Facebook dans laquelle il s’identifie comme le « soldat (recrue) Minassian fantassin 00010 » et annonce : « La rébellion des incels a déjà commencé! » Le terme « célibataire involontaire » ou « incel » naît en 1993. Ce qu’on appelle le mouvement incel débute toutefois autour de 2010. Il existe principalement en ligne et se compose surtout de jeunes hommes qui croient avoir été rejetés de façon injuste par les femmes. La publication Facebook du conducteur fait également référence en termes bienveillants à un autre homme se disant incel qui a tué 6 personnes et en a blessé 14 autres lors d’une fusillade, d’une agression au couteau et d’une attaque au camion-bélier à Isla Vista, en Californie, le 23 mai 2014.
Coupable
Le conducteur, Alek Minassian, vit dans Richmond Hill avant l’attaque. Il étudie à l’école secondaire Thornlea et au collège Seneca. Il s’enrôle dans l’armée, mais n’est pas en mesure de terminer le processus d’entraînement. Il travaille comme développeur de logiciels, mais est sans emploi au moment de l’attaque. Sa maladresse lors de ses interactions sociales rappelle celle de nombreuses personnes diagnostiquées avec un trouble du spectre de l’autisme.
Procès
Le procès dure huit semaines et se termine près de trois ans après l’attaque. Le 3 mars 2021, la juge Anne Molloy de la Cour supérieure de l’Ontario reconnaît le conducteur coupable des 26 chefs d’accusation : 10 de meurtre au premier degré et 16 de tentative de meurtre. La juge explique sa décision dans un document de 69 pages. Elle y rejette l’argument de la défense selon lequel le conducteur n’est de ses actes en raison d’un diagnostic d’autisme. En effet, elle est convaincue que le conducteur était pleinement conscient des conséquences de ses actes.
Le rapport de la juge Anne Molloy indique qu’il lui était impossible de dire quand le conducteur disait la vérité ou mentait, et qu’il lui était donc également impossible d’établir sa motivation pour l’attaque. Elle écrit : « Je suis encline à accepter les évaluations de tous les experts, selon lesquelles M. Doe [Minassian] aurait en grande partie menti à la police à propos de sa motivation en tant qu’incel, et le mouvement incel n’aurait pas été, dans les faits, une des principales causes de l’attaque. »
Cependant, après l’attaque, le conducteur est acclamé en héros dans de nombreuses salles de clavardage incel en ligne. Un individu publie un message sur incel.me où il dit du conducteur qu’il est « notre prochain nouveau saint ». Un autre écrit : « Faites connaître ce nom, parlez de son sacrifice à notre cause, louez-le puisqu’il a donné sa vie pour notre avenir. »
Détermination de la peine
Le 31 mai 2021, le meurtrier est averti que la détermination de sa peine serait retardée. Il devait retourner en cour le 11 janvier 2022 pour recevoir une nouvelle date d’audience. Le délai donnera à la Cour suprême du Canada le temps nécessaire pour rendre un arrêt sur une affaire québécoise. Cet arrêt déterminera pendant combien de temps une personne reconnue coupable de plusieurs meurtres peut être inadmissible à la libération conditionnelle.
Héritage
Au moment où elle se produit, l’attaque au camion-bélier est la plus grande tuerie de l’histoire de Toronto ainsi que du Canada depuis la tragédie de Polytechnique, à Montréal, en 1989. (Elle a depuis été déclassée par les attaques de 2020 en Nouvelle-Écosse, où 22 personnes ont perdu la vie.) L’attaque met de l’avant le problème de plus en plus répandu de la violence misogyne masculine. Le procès donne également aux Canadiens et Canadiennes l’occasion de mieux comprendre la santé mentale en général et plus particulièrement l’autisme. Dre Jessica Jones de l’Université Queen’s fait remarquer que les personnes souffrant d’un trouble du spectre de l’autisme, comme le conducteur, sont souvent plus inconfortables et manquent d’élégance dans les situations sociales, ce qui les rend donc plus vulnérables à l’influence des idéologies et mouvements antisociaux comme le mouvement incel. Cependant, ils ne sont pas plus susceptibles d’être violents ou de commettre des crimes que le reste de la population.
Les attaques au camion-bélier renforcent également l’idée, dans l’esprit de nombreux Canadiens et Canadiennes, qu’un événement important de violence de masse prémédité peut se produire n’importe où et à n’importe quel moment. (La fusillade de Danforth à Toronto se produit seulement trois mois plus tard.)