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Tragédie routière de l’école secondaire de Bathurst

Huit personnes de Bathurst, au Nouveau-Brunswick, dont sept athlètes adolescents, meurent en janvier 2008 quand la fourgonnette de leur école où ils prenaient place entre en collision avec un camion de transport sur une autoroute enneigée

Huit personnes de Bathurst, au Nouveau-Brunswick, dont sept athlètes adolescents, meurent en janvier 2008 quand la fourgonnette de leur école où ils prenaient place entre en collision avec un camion de transport sur une autoroute enneigée. Ce catastrophique accident déclenche une enquête du coroner ainsi qu’une campagne publique de sensibilisation de la part de plusieurs des mères endeuillées. Il en résulte la découverte d’un certain nombre de carences sécuritaires dans la façon dont les étudiants sont transportés vers des sites d’activités parascolaires.

Collision

Dans l’après-midi du vendredi 11 janvier 2008, l’équipe masculine senior de basketball du Bathurst High School (école secondaire de Bathurst), dans le nord du Nouveau-Brunswick s’apprête à prendre la route pour aller jouer une partie de basketball à Moncton, ville se trouvant à environ deux heures et demie de route de là. On annonce qu’une tempête de neige est sur le point de frapper la région, mais Wayne Lord, l’entraîneur de l’équipe des Phantoms de l’école secondaire de Bathurst, décide que le déplacement se fera. La neige tombe déjà quand Wayne Lord et ses neuf joueurs se mettent en route en direction de Moncton, dans une des fourgonnettes à 15 places de l’école. La partie de basketball est prévue pour 18 h 30. Elle a lieu, au Moncton High School (école secondaire de Moncton). Après la joute, les Phantoms prennent leur souper dans un centre commercial de Moncton. Ils sont prêts à rentrer au bercail vers 21 h. Plusieurs des joueurs ont apporté des sacs de couchage au cas où les mauvaises conditions météorologiques les auraient forcés à passer la nuit à Moncton. Mais la météo s’est améliorée et on met donc le cap sur Bathurst.

Wayne Lord est au volant. Il y a 11 passagers dans la fourgonnette scolaire. Prennent place à l’arrière les neuf joueurs de basketball ainsi que la fille adolescente de Wayne Lord, Katie. Dans le siège avant du passager prend place son épouse, Beth. À mi-chemin du trajet, les conditions météorologiques se détériorent subitement. Wayne Lord continue de conduire dans une tourmente de neige et de pluie verglacée. L’autoroute est de plus en plus lourdement encombrée de neige et de gadoue. Un peu après minuit, à seulement quatre kilomètres de la sortie pour Bathurst, la roue droite de la fourgonnette quitte la voie asphaltée et dérive sur l’accotement. Wayne Lord donne un coup de volant pour recentrer son véhicule sur la route. Il perd alors le contrôle de la fourgonnette. Celle-ci dérape sur la surface glissante de la route, tourne, traverse l’autoroute et se retrouve sur la voie opposée, celle allant en direction sud. La fourgonnette se fait alors emboutir par un camion de transport semi-remorque de la compagnie des supermarchés Loblaws.

La fourgonnette est éventrée et la majorité de ses occupants sont projetés dans le fossé longeant l’autoroute. Wayne Lord, sa fille, le conducteur du poids lourd de Loblaws et deux des joueurs de basketball, Tim Daley et Bradd Arseneau, s’en tirent indemnes. Les huit autres passagers de la fourgonnette sont tués sur le coup. Il s’agit de Beth Lord, 51 ans, et des étudiants Javier Acevedo, 17 ans, Nathan Cleland, 17 ans, Justin Cormier, 17 ans, Daniel Hains, 17 ans, Nikki Kelly, 15 ans et Nick Quinn, qui décède dans les premières minutes de sa 16e année, après que les autres jeunes lui aient chanté « Happy Birthday » (bon anniversaire), quelques minutes avant l’accident.

Le lendemain, un samedi, la nouvelle de la tragédie fait le tour du Canada. Le premier ministre Stephen Harper envoie ses condoléances. Le soir même, juste avant de disputer leur partie, les Raptors de Toronto observent une minute de silence pour les Phantoms de Bathurst. Quelques jours plus tard, plus de 5 000 personnes assistent à des funérailles publiques tenues, à l’aréna de hockey de Bathurst, conjointement pour les sept garçons, les « Boys in Red » (les garçons en rouge), désignés ainsi d’après la couleur du dossard de leur équipe. On fait alors lecture de messages de la gouverneure générale Michaëlle Jean et du pape Benoît XVI.

Responsabilités

La conclusion la plus immédiate est que cette tragédie est un accident dû à un hasard aussi malencontreux qu’inévitable. Cependant, un certain nombre de versions différentes du drame apparaissent assez tôt dans les médias. On aborde notamment la question des problèmes de sécurité routière que posent les fourgonnettes à 15 places, qui sont d’ailleurs interdites pour le transport d’enfants dans la majorité des États américains. Le Safety Forum, un organisme américain de protection du consommateur, qualifie ces fourgonnettes de « pièges mortuaires ». C’est qu’elles seraient très instables à haute vitesse et n’offriraient qu’une faible protection aux passagers en cas d’impact. Aussi, en 1994, la Nouvelle-Écosse a banni les fourgonnettes pour le transport d’étudiants. Avant l’accident de Bathurst, elle était la seule province canadienne à l’avoir fait. Dans les jours suivant la tragédie, le Conseil canadien de la sécurité, un organisme consultatif non gouvernemental, recommande une interdiction nationale du transport d’enfants dans des fourgonnettes à 15 places.

Ces inquiétudes concernant les fourgonnettes transportant des passagers s’aggravent dès juillet 2008, quand deux comptes-rendus d’enquête sur la tragédie de Bathurst sont déposés. Un examen des détails de la collision par la GRC fait observer que la fourgonnette Ford de l’école était vieille de 11 ans. Elle était en piètres conditions. Sa carrosserie était rouillée et ses bandes de freins étaient excessivement usées. À l’époque de l’accident, cette fourgonnette n’aurait pas pu passer un test d’inspection des véhicules motorisés sans l’échouer. Fait encore plus grave, elle n’avait pas de pneus d’hiver. Ses pneus quatre saisons étaient élimés, mal gonflés et le parallélisme des roues n’était plus adéquat. Un rapport distinct de Transports Canada fait observer que Wayne Lord n’aurait pas dû rentrer de Moncton le soir même. En effet, au moment de l’accident, il était au travail, en sa qualité d’enseignant et d’entraîneur, depuis près de 16 heures consécutives, deux heures de plus que ce que la loi autorise pour prendre la route. Le rapport de Transports Canada signale que les causes de l’accident sont les suivantes : « mauvaises conditions météorologiques », « erreurs du conducteur du véhicule » incluant la possibilité d’une « fatigue excessive du conducteur du véhicule », « mauvaises conditions mécaniques » de la fourgonnette et « parallélisme faussé, usure, et gonflement inadéquat des pneus quatre saisons du véhicule ».

Aucun de ces deux rapports ne formule de blâme envers qui que ce soit. La GRC annonce par la suite qu’aucune accusation criminelle ne sera portée. Par contre, certaines des familles des jeunes disparus en sont venues à réclamer une enquête du coroner sur cette tragédie. Quand il s’est avéré que le gouvernement du Nouveau-Brunswick ne faisait pas trop mine d’obtempérer à cette requête, deux des mères endeuillées ont pris les choses en main. Isabelle Hains et Ana Acevedo, dont les fils Daniel et Javier étaient au nombre des victimes, ont lancé une campagne publique visant à faire pression en faveur de la mise en place d’une enquête du coroner. Isabelle Hains et Ana Acevedo ont fait signer des pétitions, ont tenu une conférence de presse, ont fait des apparitions télévisées et ont écrit au premier ministre provincial Shawn Graham et à un certain nombre de ministres provinciaux. Elles ont exigé une enquête du coroner et la clarification des responsabilités dans la mort de leurs fils. Elles ont aussi fait pression en lançant un blogue intitulé VanAngels.ca.

Enquête du coroner

En décembre 2008, 11 mois après la tragédie, le gouvernement provincial annonce finalement qu’il y aura une enquête du coroner visant à examiner en détail les causes de cet accident mortel et à formuler des recommandations en matière de sécurité du transport estudiantin. L’enquête du coroner a lieu en mai 2009. Elle dure deux semaines. Un jury procède à l’audition de témoins, dont Wayne Lord et un certain nombre de représentants scolaires. La déposition la plus cruciale vient du surintendant scolaire de Bathurst. Ce dernier explique qu’au moment de l’accident, des recommandations provinciales étaient en place pour mettre de l’avant des pratiques sécuritaires en matière de transport scolaire aux fins d’activités parascolaires. Par exemple, il était recommandé de ne pas effectuer de déplacements de ce type en cas de tempête de neige. Le surintendant scolaire explique aussi que certaines écoles interprètent ces recommandations comme bon leur semble, que tout ce système n’est pas surveillé sur une base régulière, et que les recommandations en question ne sont régulées ou imposées par aucune autorité particulière.

L’enquête du coroner mène à la formulation de 24 recommandations en matière de transport d’étudiants aux fins d’activités parascolaires. Aucune de ces recommandations ne contraint juridiquement le gouvernement. Au nombre de ces recommandations figurent l’instauration d’une interdiction pancanadienne des fourgonnettes à 15 ou 7 places, une loi météo prohibant les déplacements pendant les périodes de mauvais temps hivernal, et l’obligation, pour les écoles, de transporter les étudiants s’adonnant à des activités se déroulant hors du site scolaire dans des autobus scolaires (les autobus jaunes) conduits par des chauffeurs d’autobus scolaires qualifiés.

La recommandation concernant les autobus scolaires jaunes vise à aplanir une duplicité des critères révélée par la tragédie de Bathurst. Dans à peu près tout le Canada, un régime sécuritaire strict et ferme encadre la façon dont les commissions scolaires transportent les enfants de l’école à la maison et vice-versa (autobus scolaires jaunes conduits par des chauffeurs d’autobus scolaires qualifiés). Par contre, dans la majorité des provinces, le susdit régime sécuritaire disparaît complètement, quand il s’agit de transporter des étudiants s’adonnant à des activités se déroulant hors du site scolaire. Les restrictions budgétaires ont amené les écoles à miser, dans ces cas, sur un ensemble hétéroclite de solutions pour le transport parascolaire, allant de la fourgonnette à 15 places conduite par des enseignants ou des entraîneurs, jusqu’au véhicule privé conduit par des parents. Toutes ces solutions ad hoc reposent sur des assises sécuritaires qui ne sont pas du tout fiables.

Le gouvernement du Nouveau-Brunswick s’engage à mettre en œuvre la majorité des recommandations de l’enquête du coroner (il avait déjà interdit l’utilisation des fourgonnettes à 15 places dans le transport scolaire, peu après l’accident). Par contre le gouvernement rejette l’idée d’introduire une loi météo et celle d’imposer l’utilisation exclusive des autobus jaunes et de leurs conducteurs professionnels pour la totalité des déplacements de nature parascolaire. Le gouvernement invoque le coût financier, qu’il donne comme trop prohibitif. Le gouvernement prend par contre la responsabilité de l’entretien des véhicules de transport pour activités parascolaires et il s’engage solennellement à les équiper de pneus d’hiver pendant les mois hivernaux.

Campagne nationale

Après avoir convaincu le gouvernement provincial de tenir une enquête du coroner grâce à la pression exercée par son activité communicative, Isabelle Hains va amplifier sa campagne en faveur de la mise en place de critères de qualité nationaux en matière de transport aux fins d’activités parascolaires. Son principal objectif est l’interdiction des fourgonnettes à 15 places, dans toutes les institutions scolaires canadiennes. Elle veut les voir remplacées par des minibus multifonctionnels (MBMF), une version compacte de l’autobus jaune des écoles, considérée comme une alternative plus sécuritaire à la fourgonnette à 15 places.

Avec l’appui d’autres mères en deuil et du Syndicat canadien de la fonction publique (qui représente les chauffeurs et chauffeuses d’autobus scolaires) et en œuvrant sous le désignatif collectif de Van Angels, Isabelle Hains fait campagne sur la Colline du Parlement, dans les médias nationaux, et aux ministères des transports fédéral et provinciaux. Elle convainc son député fédéral d’introduire un projet de loi privé au parlement, le « Boys in Red Bill » (projet de loi des garçons en rouge). Le projet de loi ferait un crime du fait de transporter des étudiants dans une fourgonnette à 15 places. Ce projet de loi n’a pas été adopté, mais il a contribué à augmenter le niveau de conscientisation sur cette question dans les milieux politiques et dans l’esprit des canadiens.

Isabelle Hains et le regroupement des Van Angels convainquent aussi le Conseil canadien des administrateurs en transports motorisés, organisme représentant les ministères des transports provinciaux, territoriaux et fédéral, d’entreprendre une étude exhaustive sur la fourgonnette à 15 places. Dans un rapport datant de 2013, le Conseil fait observer que, depuis 2008, presque 28 000 de ces fourgonnettes sont en usage dans tout le Canada. Le Conseil se refuse à recommander l’interdiction de l’utilisation de fourgonnettes à 15 places pour transporter des enfants, en faisant valoir que le coût engagé pour les remplacer serait impossible à couvrir pour de nombreuses écoles. Par contre, le Conseil a réclamé la mise en place de critères de qualité, de réglementations explicites ainsi que d’un programme national de formation sur l’entretien et la conduite sécuritaire des fourgonnettes à 15 places.

Le retour des Phantoms

À l’automne 2008, quand l’école secondaire de Bathurst reprend ses activités après l’été ayant suivi l’accident, elle remet sur pied son programme décimé de basketball. La nouvelle équipe est classée dans la ligue scolaire provinciale AA, un niveau moins avancé que la ligue senior AAA dans laquelle les Phantoms avaient antérieurement évolué. Bradd Arseneau, un des survivants de l’accident, mène l’équipe à la victoire lors du championnat des écoles secondaires provinciales de 2009. C’est un moment triomphal pour une école et une communauté encore en rémission de la terrible tragédie de l’année précédente.