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Benoît Lacroix

Benoît Lacroix (né Joachim Lacroix), O.C., G.O.Q. prêtre dominicain, théologien, philosophe, médiéviste, historien, critique littéraire et enseignant universitaire (né le 8 septembre 1915 à Saint-Michel-de-Bellechasse, Québec; décédé le 2 mars 2016 à Montréal).
Beno\u00eet Lacroix

Premières années et éducation

Né dans une famille d’agriculteurs, Joachim Lacroix fait son cours classique au Collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière où il obtient en 1936 un baccalauréat ès arts. La même année, il entre au Noviciat des Dominicains à Saint-Hyacinthe. Il est ordonné prêtre chez les dominicains, le 5 juillet 1941. À son entrée dans cet ordre religieux, le nom de Benoît lui est attribué, en référence à Benoît XI (1240-1304), un pape dominicain du Moyen Âge. Il obtient ensuite une licence en théologie à l’Université d’Ottawa en 1941 et un doctorat en sciences médiévales à l’Université de Toronto en 1951. Il fait ses études postdoctorales à l’École Pratique des Hautes Études à Paris en 1953, puis à l’Université Harvard en 1959-1960, grâce à une Bourse Guggenheim.

Points saillants de carrière

Il professe ensuite dans plusieurs universités, au Québec et à l’étranger. Pendant 40 ans, de 1945 à 1985, il enseigne à l’Institut d’études médiévales de l’Université de Montréal (à partir de 1981 il y est professeur émérite) et de 1963 à 1969, il en est le directeur. Il est également professeur invité aux universités de Kyoto (Japon), de Butare (Rwanda) et de Caen (France). Il fonde, en 1969, le Centre d’études des religions populaires, aménagé dans le Couvent de Saint-Albert à Montréal. Ce centre organise plusieurs colloques et produit de nombreuses publications sur la question de la relation entre religiosité et folklore populaire au Québec et au Canada jusqu’à sa fermeture en 1994.

Il est membre fondateur de la collection « Classiques canadiens » aux éditions Fides de Montréal (1955-1972), directeur-fondateur de la collection « Vie des lettres canadiennes » aux Presses de l’Université Laval (1956-1975), fondateur des Cahiers d’histoire du Québec au XXe siècle (1993), cofondateur des Cahiers de Saint-Denys Garneau (1996), et membre fondateur, avec Fernand Dumont, de l’Institut québécois de recherche sur la culture (IQRC). On lui doit aussi quelques œuvres de fictions fantaisistes illustrées (Le P’tit train, Les Cloches, Marie de Saint-Michel).

Sacerdoce et militantisme

Jeune dominicain, dans les années 1940, Benoît Lacroix souhaite devenir missionnaire. Mais la Deuxième Guerre mondiale l’empêche d’aller étudier la liturgie en Europe, ce qui aurait été le point de départ de cette démarche. Son sacerdoce et son militantisme se concentrent donc au Québec. À l’instar de quelques-uns de ses collègues dominicains, animés d’une discrète volonté réformatrice, il devient l’un des artisans les plus actifs de la revue Maintenant, qui prend la relève de la Revue dominicaine en 1962 (la revue Maintenant disparaît en 1974). Devenu médiéviste, il se consacre ensuite à l’enseignement universitaire.

Il est très fier de sa stricte vocation dominicaine, malgré le fait que l’ordre de Saint-Dominique ait une réputation d’austérité et de sévérité, pour ne pas dire de rigidité et d’intransigeance (ce sont notamment les Dominicains qui ont assuré l’intendance de l’Inquisition espagnole). La difficile réputation historique de son ordre ne l’empêchera jamais de penser librement. Ainsi, le prêtre Lacroix reste toujours très proche des valeurs qui deviendront celles du Concile Vatican II : progressisme, modernisme, pluralisme et ouverture à une critique raisonnée des pratiques traditionnelles de l’Église.

En 1981, il prend ses distances de l’enseignement universitaire, car il aspire à se rapprocher des gens dans une démarche moins savante, moins isolée. Comme auteur, animateur de groupes religieux, guide spirituel, prédicateur, communicateur, professeur invité, et consultant, il est, en sa qualité d’humaniste chrétien, un compagnon de route constant des avancées de la modernité sociale. Il réprouve les idéologies étriquées et les systèmes rigides. Les détails de son orientation philosophique le placent très proche, notamment vers la fin de sa vie, des théologies progressistes. Dans son dernier ouvrage Rumeurs à l’aube (2015), il précise : « J’aime les changements. Ils assurent l’avenir de la durée. Oui, nous sommes entrés dans l’ère du changement. S’inquiéter ? Pas trop. Le changement assure ou rassure la durée. Qui ne change pas ne dure pas, est promis à ne pas être un jour ou l’autre. Au contraire, le changement est l’acte du devenir, un acte d’être. »

Héritage intellectuel

L’idée originale que nous lègue le médiéviste Benoît Lacroix est que les Québécois de souche populaire d’avant la Révolution tranquille n’ont historiquement vécu ni les conséquences intellectuelles complètes de la Renaissance et de la Réforme ni le Siècle des Lumières. Conquis en 1760, ils ratent de peu le tournant encyclopédiste de 1751-1772 ainsi que la Révolution française de 1789, puis ils vivent deux siècles d’ultramontanisme sous le joug colonial. Cette existence en une sorte de vase clos intellectuel aurait maintenu les paysans québécois proches de la sensibilité médiévale de souche, notamment en matière de religion populaire. Un des traits les plus accusés de cette religiosité du quotidien se manifesterait dans une prise de distance nette et tranchée des masses paysannes et villageoises par rapport aux valeurs et priorités du clergé institutionnel. L’anthropologie et l’ethnologie rejoignent ici le militantisme sacerdotal tributaire de Vatican II. Pour le père Lacroix, les religions populaires sont à redécouvrir et à réinvestir, dans une perspective de retour au rythme authentique du terroir de la foi (La religion de mon père, La foi de ma mère). La religiosité populaire serait un « ferment » plus qu’un « opium ». Lucide et observateur, il soulève d’ailleurs cette question de savoir si la religion populaire québécoise a été historiquement un instrument d’oppression ou de libération. Il ne tranche pas ce vaste débat, le laissant subtilement en suspens dans sa pensée, et faisant bien sentir que cela ne représente rien de moins qu’une de ses grandes préoccupations philosophiques.

La réflexion de Benoît Lacroix se déploie aussi dans le champ des études littéraires et historiques. Avec Jacques Brault, il a réalisé la monumentale édition critique des œuvres complètes du poète avant-gardiste Hector de Saint-Denys Garneau. Dans le domaine de l’histoire du Québec, il a été l’instigateur méthodique et précis de l’édition du journal et de la correspondance inédits du chanoine Lionel Groulx. Il a également publié sur Groulx de nombreux travaux. Et pourtant, sens critique progressiste oblige, les vues de Benoît Lacroix sur cette figure controversée ne sont aucunement celles d’un hagiographe. C’est ainsi, qu’il considère le chanoine comme un historien à la vocation tardive et ayant un penchant plus accusé pour les slogans tonitruants et la rhétorique ardente que pour un souci historiographique rigoureux ou fondé sur des données quantifiées.

Comme communicateur et homme de médias, Benoît Lacroix a diffusé, sur un ton apaisé, avec aisance et toujours porteur d’une critique éloquente, un type de philosophie humaniste ouverte sur la diversité religieuse et intellectuelle du monde. Entre 1987 et 2010, il écrit des éditoriaux dans le quotidien Le Devoir à l’occasion des fêtes de Noël et de Pâques, mariant subtilement spiritualité et regard sur le monde contemporain. Communicateur naturel, il participe, jusque tard dans sa vie, à de nombreuses émissions de télévision, toujours avec un bonheur d’élocution simple et efficace. Sa longévité a aussi été celle de la durabilité de l’observateur, dans sa dimension ordinaire. Ne parlant plus de l’histoire en spécialiste ou en lettré, mais en simple citoyen éclairé, il dénonce, discrètement un certain nombre de mythes historiques. Duplessis, la Grande Noirceur, la Révolution tranquille, le renouveau nationaliste sous Lévesque, il les a vécus au quotidien, par le petit bout de la lorgnette. S’il regarde chacun de ces moments historiques comme un apport de renouveau et d’invention, il juge que la critique pamphlétaire et sommaire de la phase historique antérieure n’est pas une option, car elle ne correspond pas à ce qu’il a vu et vécu. La valorisation des phases de progrès est une constante dans le discours et la réflexion de Benoît Lacroix, penseur et communicateur.

Hommages

En 1986, l’Université de Montréal fonde le Centre étudiant Benoît-Lacroix, qui assure un programme en pastorale œcuménique. En septembre 2000, la MRC de Bellechasse honore Benoît Lacroix en le nommant Grand Bellechassois, et en 2008, la bibliothèque de son village natal prend son nom pour l’honorer. Ce n’est qu’après sa mort, en 2016, que les Québécois et Québécoises ont pris conscience de l’importance du patrimoine documentaire qu’il leur a laissé en héritage. Sa bibliothèque personnelle comprend des livres anciens, dédicacés et même plusieurs annotés par lui-même, testament précieux de sa pensée critique. La Fondation du Collège universitaire dominicain envisage de numériser cette collection, qui est répartie physiquement sur les deux campus de l’Université de Montréal et de l’Université d’Ottawa. La mise en place d’une Chaire Benoît-Lacroix encadrant notamment l’étude de la culture et de la foi ainsi que l’histoire et les traditions populaires est aussi en préparation.

Publications

  • Sainte Thérèse de Lisieux et l’histoire de son âme (pseudonyme de Michel de Ladurantaye) (1947)
  • Pourquoi aimer le Moyen Âge? (1950)
  • L’histoire dans l’Antiquité : florilège suivi d’une étude (1951)
  • Vie des lettres et histoire canadienne (1954)
  • Saint-Denys Garneau (1956; nouvelle édition en 1967 et en 1969)
  • Compagnon de Dieu (1961)
  • Le Ptit Train (illustrations d’Anne-Marie Samson) (1964; nouvelle édition en 1980)
  • Le Japon entrevu (1965)
  • Orose et ses idées (1965)
  • Le Rwanda : mille heures au pays des mille collines (1966)
  • Lionel Groulx (1967)
  • L’historien au Moyen Âge (1971)
  • Avec Pietro Boglioni, Les religions populaires (1972)
  • Les Cloches (1974)
  • Folklore de la mer et religion (1980)
  • Avec Pietro Boglioni, Les pèlerinages au Québec (1981)
  • Avec Jean Simard, Religion populaire, religion de clercs? (1984)
  • Paroles à des religieuses (1985)
  • Marie de Saint-Michel (1986)
  • La religion de mon père (1986)
  • Célébration des âges et des saisons (1993)
  • Avec Albert Carpentier, Le Cantique des Cantiques et son interprétation (1994)
  • La foi de ma mère (1999)
  • Mort et survie des religions (2006)
  • Saint Dominique : au cœur d’une chrétienté en crise (2007)
  • Rumeurs à l’aube (2015)

Prix et distinctions

Bourse Guggenheim (1959)

Membre de la Société royale du Canada (1971)

Membre de l’Académie des sciences morales et politiques (1971)

Prix Léon-Gérin, gouvernement du Québec(1981)

Membre de la Société des Dix (1982)

Officier de l’Ordre du Canada (1985)

Médaille Pierre-Chauveau, Société royale du Canada (1987)

Doctorat honorifique, Université de Sherbrooke (1990)

Chevalier de l’Ordre national du Québec (1991)

Grand officier de l’Ordre national du Québec (1996)