L’élevage des bovins à viande est un élément clé de l’agriculture canadienne. Les quatre provinces de l’Ouest assurent près de 85 % de la production bovine canadienne et l’Alberta en produit la moitié à elle seule. Les élevages bovins représentent environ un quart de toutes les exploitations agricoles au Canada, devancés uniquement par les grandes cultures, et les revenus d’exportation des bovins sur pied arrivent juste derrière ceux de blé de printemps, de canola et de blé dur. Le Canada fait partie des dix plus gros consommateurs et exportateurs de viande de bœuf par habitant.
Historique
Les origines de l’élevage bovin au Canada remontent à l’importation de races mixtes à des fins alimentaires dans les postes de traite des fourrures français et anglais. Au XVIIe siècle, les bovins sont élevés pour la traction, l’alimentation (lait et viande) et leur peau par les habitants francophones qui exploitent les fermes mixtes disséminées le long de la vallée du Saint-Laurent et dans la baie de Fundy. Les colons britanniques exploiteront plus tard les bovins de la même façon dans la région qui comprend aujourd’hui les Maritimes et le sud de l’Ontario. Les bovins constituent la base de l’agriculture mixte qui se répand d’un bout à l’autre du pays avec la colonisation des zones rurales et les élevages en ranch prennent une importance croissante dans les grandes prairies de l’Ouest canadien.
Bien que le nombre d’élevages bovins diminue depuis le Recensement de l’agriculture de 1941, la taille moyenne du cheptel sur chaque exploitation est en augmentation. Après la découverte de l’encéphalopathie spongiforme bovine (maladie de la vache folle) en 2003, le nombre total de bovins au Canada a diminué entre 2005 et 2016.
Différentes races bovines
Différentes races bovines font leur apparition au cours du XIXe siècle. Les races anglaises sont les premières à arriver dans la plupart des régions du Canada et on peut aujourd’hui encore reconnaître certaines d’entre elles. La race Shorthorn est la première à s’établir au Canada en 1832. Le bœuf Hereford, à la face blanche, est réputé pour sa robustesse, une qualité qui le rend tout particulièrement adapté aux rigueurs du climat canadien. Le bœuf Aberdeen Angus est quant à lui bien connu pour sa couleur noir de jais (bien qu’il existe aussi des Red Angus) et son absence de cornes. Les éleveurs d’Angus sont parvenus à faire reconnaître leur bétail comme fournissant une viande de toute première qualité.
À la fin des années 1960 et au début des années 1970, un certain nombre de races européennes, qualifiées de races « exotiques », font leur entrée au Canada. Originaires de France (Charolais, Limousin et Blonde d’Aquitaine), d’Allemagne (Gelbvieh) et de Suisse (Simmental), les races bovines exotiques transforment le paysage pastoral canadien. Les bestiaux pur-sang dotés d’un long pedigree sont toujours estimés au sein de certains cercles, mais la plupart des éleveurs commerciaux privilégient aujourd’hui les caractères plus fonctionnels tels que la capacité de brouter dans des conditions difficiles, l’efficacité de conversion des aliments en viande et la « vigueur hybride » que confèrent les croisements.
Production bovine
Au Canada, la plupart des élevages de bovins assurent une ou plusieurs de ces trois phases d’activités : l’élevage vache-veau qui vise à produire des veaux sevrés; l’engraissement, ou semi-finition, des veaux au fourrage jusqu’à leur maturité; et la finition, qui vise à gaver le bétail pour qu’il atteigne son poids d’abattage. Ces trois activités peuvent être menées de front sur une même exploitation, mais la plupart des grands élevages se spécialisent dans une seule d’entre elles.
Production vache-veau
Les producteurs vache-veau, ou éleveurs-naisseurs, s’occupent d’un troupeau de vaches à viande et supervisent leur reproduction. Le cheptel de reproduction varie de cinq à dix vaches sur les petites exploitations mixtes à plusieurs centaines de têtes ou plus sur les grands ranchs. Le troupeau est constitué de vaches et de génisses de la même race, ou croisées, qui ont été soigneusement sélectionnées pour leurs caractéristiques maternelles telles que leurs capacités de maternage, de mise bas et de production de lait ainsi que pour la qualité de viande de leurs veaux. Les taureaux pur-sang sélectionnés pour leurs performances et la qualité de leur descendance constituent la population mâle du troupeau. Un taureau peut habituellement féconder environ trente vaches (voir Élevage des animaux).
La plupart des accouplements s’effectuent en été, lorsque les vaches sont mises en présence des taureaux pendant un ou deux mois. Les jeunes génisses sont fécondées par des taureaux réputés produire des veaux de petite taille qu’elles pourront mettre bas sans difficulté, à l’âge d’environ deux ans. Contrairement aux éleveurs de vaches laitières, qui ont recours à l’insémination artificielle, la plupart des éleveurs-naisseurs font appel à des taureaux pour détecter, dans les prairies, quelles sont les vaches qui sont en chaleur (prêtes à s’accoupler). La plupart des mises-bas surviennent entre février et mars. L’éleveur place une étiquette d’identification par radiofréquence à l’oreille des veaux le plus tôt possible après leur naissance pour faciliter leur identification et les associer à leur troupeau d’origine.
Les veaux restent près de leur mère jusqu’à leur sevrage qui intervient lorsqu’ils atteignent le poids d’environ 275 kg (600 livres). À la fin du printemps, les vaches et leur veau sont rassemblés et ces derniers sont brièvement séparés de leur mère. Les veaux qui ne sont pas nés sans cornes (race sans cornes) sont habituellement écornés et les mâles sont castrés pour en faire des bouvillons. Le traitement des veaux comprend notamment une vaccination contre les maladies communes (p. ex., la jambe noire) et l’insertion dans l’oreille (qui n’est jamais utilisée pour la consommation humaine) d’une capsule délivrant une hormone de croissance artificielle.
Lorsque les veaux sont sevrés à l’automne, le troupeau est habituellement séparé en plusieurs groupes qui feront l’objet de protocoles de nourrissage et de gestion spécifiques. Il peut être bénéfique pour les génisses en gestation et les génisses destinées à s’accoupler au printemps suivant d’être tenues à l’écart des vaches gestantes adultes. Les veaux sevrés (jeunes bœufs et génisses de boucherie) peuvent ensuite être vendus à des semi-finisseurs spécialisés qui les feront grandir et prendre du poids aussi vite que possible. Dans les grands troupeaux, les taureaux sont également nourris et gérés à l’écart des vaches jusqu’à l’époque optimale pour l’accouplement.
La prédilection des éleveurs bovins canadiens pour les régions de l’Ouest canadien tient à l’importance des grands pâturages et des prairies pour les exploitations vache-veau. La production de fourrage d’hiver (foin et ensilage) est une activité laborieuse qui nécessite de la main-d’œuvre en été, lorsque le fourrage doit être récolté et mis en balles, et en hiver, lorsqu’il doit être distribué aux bestiaux. Le fourrage d’hiver est un élément crucial des élevages bovins et si les réserves ne sont pas suffisantes au sein d’une exploitation, l’éleveur doit en acheter et le faire livrer sur sa ferme, souvent à grands frais.
Concentrés au Québec et en Ontario, les élevages laitiers canadiens contribuent également à la production de viande de bœuf. Les veaux mâles issus des troupeaux laitiers ainsi que les génisses mises en surplus en raison des quotas laitiers représentent environ 10 % de l’abattage des veaux et des jeunes bovins. Les vaches retirées des troupeaux laitiers lorsqu’elles ne produisent plus suffisamment de lait en raison de leur âge sont abattues et utilisées principalement pour la production de viande hachée.
Semi-finition
La semi-finition correspond à la période de croissance des bestiaux (de six à douze mois), entre le sevrage et la finition qui précède l’abattage. Elle vise à optimiser la croissance des muscles et des os. Cette phase nécessite des surfaces importantes de pâturage pour permettre au bétail de paître en été et à l’éleveur de récolter suffisamment de foin et de produire de l’ensilage, parfois complété par des céréales, pour l’hiver. Les spécialistes de la semi-finition achètent habituellement des veaux sevrés et des génisses qu’ils soumettent à un régime faiblement calorifique à base de fourrage afin de développer leur taille avant de les revendre aux exploitants des parcs d’engraissement.
Finition
La finition, dernière phase de la préparation du bétail avant l’abattage, vise à augmenter le poids et la valeur marchande des animaux. Certains éleveurs-naisseurs finissent eux-mêmes leurs bestiaux en gérant toute la chaîne d’élevage, mais de nos jours, la finition est généralement effectuée dans des établissements spécialement conçus à cet effet. Les fermes mixtes de l’Ontario et de l’est du Canada élevaient traditionnellement chacune jusqu’à 200 têtes de bétail par an pour valoriser les céréales récoltées sur place, offrir une activité durant l’hiver et fournir des revenus supplémentaires. On trouve aujourd’hui en Alberta et en Saskatchewan des parcs d’engraissement beaucoup plus importants, accueillant entre 10 000 et 25 000 bestiaux. Ces parcs d’engraissement à grande échelle sont équipés d’installations de préparation des aliments capables de mélanger précisément les ingrédients, de longs silos-couloirs permettant la préparation de centaines de tonnes de maïs et d’orge à ensilage, et de cuves de mélange mobiles permettant la distribution des rations précisément mesurées dans les longues mangeoires qui bordent les enclos.
Marges bénéficiaires
La semi-finition et la finition du bétail sont souvent décrites comme étant des activités à faible marge. Les bénéfices proviennent de deux sources : la marge sur le prix de revente, c’est-à-dire la différence entre le prix d’achat et le prix de revente (p. ex., un bœuf pesant initialement 300 kg et acheté 1,80 $/kg puis revendu 2,00 $/kg offre un profit de 60,00 $ grâce à une marge sur le prix de 0,20 $/kg); et la marge sur l’engraissement, c’est-à-dire la différence entre le coût d’engraissement permettant d’obtenir un kilogramme de viande supplémentaire et le prix de vente de ce kilogramme. Par exemple, s’il en coûte à l’exploitant 1,90 $/kg pour faire gagner 200 kg à un animal dans son parc et si le bœuf fini, qui pèse 500 kg, est vendu 2,00 $/kg, l’exploitant gagne 20,00 $ grâce à une marge sur l’élevage de 0,10 $/kg.
Des achats et des ventes judicieuses peuvent décider des marges sur les prix, mais la marge sur l’engraissement dépend de l’efficacité du bétail à utiliser sa nourriture et de la précision de la formulation des rations visant à maximiser le gain de poids par dollar dépensé sur le fourrage. Les veaux âgés de six à huit mois convertissent le mieux leur nourriture (6 à 8 unités de fourrage par unité de poids gagné), mais sont aussi les plus lents à gagner du poids (1,0 à 1,1 kg/jour) et peuvent ainsi rester dans le parc d’engraissement jusqu’à 180 jours. Les veaux d’un an sont moins efficaces (8 à 9 unités de fourrage par unité de poids gagné), mais ils grossissent plus vite (1,1 à 1,3 kg/jour) et ils ne restent donc que 90 jours dans le parc d’engraissement avant d’être prêts pour l’abattage. Les génisses grossissent légèrement plus lentement dans les parcs d’engraissement et finissent plus légères que les bœufs.
Fourrage
Le fourrage utilisé pour nourrir les bovins à viande varie énormément d’une région à l’autre et avec l’âge de l’animal. Les nombreuses vaches et les rares taureaux nécessaires à la reproduction sont nourris à l’herbe durant la saison de végétation, puis avec du foin et de l’ensilage lorsque l’herbe est dormante durant les mois les plus froids de l’année. En été, les vaches sont incitées à paître sur l’ensemble des pâturages grâce à une distribution judicieuse des abreuvoirs. Les bestiaux sont attirés par des blocs de sel qui leur apportent les oligo-éléments qui complètent leur régime alimentaire. Ces blocs peuvent être placés stratégiquement dans les zones de pâture qui seraient sinon sous-utilisées. Le pâturage en rotation peut également être mis en œuvre grâce au déplacement de clôtures électriques mobiles qui permettent d’éviter le surpâturage. Le pâturage d’hiver peut compléter avantageusement le régime du bétail dans certaines régions du Canada, mais il est plus fréquent d’alimenter les bêtes à l’aide de foin ou d’ensilage à base de graminées, de légumineuses ou de céréales, éventuellement complété par du grain ou un tourteau protéique préparé industriellement. Le bétail a tendance à se rassembler à l’endroit où le fourrage d’hiver lui est présenté. La distribution des bêtes dans le pré résulte donc de diverses caractéristiques de nourrissage qui visent à utiliser durablement les pâturages et les ressources en fourrage de la ferme.
L’élément clé de la finition est une ration hautement énergétique (par exemple à base d’orge ou de maïs) combinée à du fourrage grossier (ensilage d’orge et de maïs déchiqueté mélangé à du foin et de la paille). Localement, des sous-produits d’autres activités (tels que des céréales séchées provenant de distilleries ou de brasseries, de la pulpe de betterave sucrière ou des pommes de terre de rebut invendables) peuvent constituer une part importante du mélange offert aux bêtes suivant l’époque de l’année. Le fourrage grossier est habituellement utilisé au début de la phase de finition, tandis que les rations hautement énergétiques sont privilégiées lorsque l’animal approche son poids d’abattage.
Pendant plusieurs années et dans la plupart des régions du Canada, on a considéré que la finition du bétail à l’herbe n’était pas une pratique viable du point de vue économique. Le carotène présent dans l’herbe, et qui se retrouve dans le gras, donne à la viande de bœuf un aspect jaunâtre que les consommateurs ne trouvent pas appétissant. Les finisseurs traditionnels insistent encore aujourd’hui sur le fait qu’une finition au grain est essentielle pour obtenir le gras et le persillage blanc crémeux que les consommateurs recherchent au Canada et à l’étranger. Un segment du marché en pleine expansion préfère cependant le bétail nourri à l’herbe, convaincu qu’une telle viande offre des avantages pour la santé et une appétibilité supérieure. Les connaisseurs de la viande de bœuf à l’herbe soutiennent qu’ils sont capables de distinguer des différences de saveurs subtiles entre les viandes en fonction des diverses herbes, herbacées dicotylédones et légumineuses absorbées par le bétail suivant les régions et les saisons. Les élevages bovins qui finissent leurs bêtes exclusivement à l’herbe et au foin sont encore relativement rares, mais en constante augmentation. Les animaux élevés à l’herbe sont habituellement abattus dans de petits abattoirs inspectés par le gouvernement provincial et la viande de bœuf obtenue est vendue directement à la ferme, sur les marchés agricoles et dans des boucheries spécialisées. Il s’agit toujours d’un marché de niche qui se fournit auprès d’un petit nombre de petits éleveurs, mais certains perçoivent ce secteur comme offrant un débouché prometteur compte tenu du déclin général de la consommation de viande de bœuf par habitant au Canada.
Élevage éthique des bovins
Il a été avancé que l’élevage de bétail en ranch est la forme la plus éthique de toutes les techniques d’élevage et le plus authentique de tous les systèmes de production animale. Tout comme les moutons et les chèvres, les bovins sont élevés en plein air et passent la plus grande partie de leur vie dans un environnement relativement naturel qui, souvent, ne peut être utilisé autrement pour produire de la nourriture. La phase de finition des bovins est sans nul doute une forme intensive d’élevage dans un environnement confiné, mais elle est loin d’être aussi intrusive que les conditions rencontrées dans les porcheries ou les fermes d’élevage de volaille. Dans les parcs d’engraissement, les bovins peuvent toujours laisser libre cours à un grand nombre de leurs comportements naturels malgré leur confinement dans un enclos. La castration, l’écornage et le marquage restent néanmoins très problématiques du point de vue du bien-être des animaux. L’impact environnemental et les retombées sanitaires de la concentration élevée de parcs d’engraissement dans le Sud de l’Alberta, plus particulièrement dans le comté de Lethbridge, ont motivé des appels pour une réglementation plus serrée de la finition du bétail en tant qu’activité d’utilisation des terres rurales. Combinés aux préoccupations liées aux impacts des hormones artificielles issues de la production de viande de bœuf sur la santé humaine, à l’utilisation excessive des antibiotiques pharmaceutiques et à la contamination par E-coli de la viande de bœuf et des cours d’eau qui passent à travers ces exploitations, ces facteurs ont conduit le public à s’interroger et à s’inquiéter des conditions entourant la production bovine. Une prise de conscience qui remonte à moins de dix ans. À l’échelle mondiale, les émissions de méthane attribuables aux ruminants et à leur fumier semblent contribuer considérablement aux sources anthropogéniques de gaz à effet de serre (voir Changement climatique). Pour toutes ces raisons, les éleveurs bovins conventionnels sont aujourd’hui sommés, comme jamais auparavant, de justifier leurs pratiques pendant que les producteurs de viande biologique, naturelle et à l’herbe développent des marchés d’envergure à partir d’un secteur jadis considéré comme niche.